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Un afflux de candidats

Dossier | publié le : 01.09.2003 | A.-C. G.

La VAE prend son envol… Du côté des candidats, c'est l'euphorie. Les organismes de formation doivent faire face à une augmentation exceptionnelle des demandes de validation. Mais, dans les entreprises, l'enthousiasme est moins flagrant car les employeurs redoutent une inflation salariale. Pourtant, les premiers retours d'expérience sont plus que positifs.

« Le changement est stupéfiant ! » Gardien d'immeuble dans le XIVe arrondissement à Paris, Abdelkarim Mekhennef, 29 ans, s'en étonne encore. Depuis qu'il a décroché un CAP grâce à la validation des acquis de l'expérience (VAE), l'année dernière, le regard des locataires, de ses supérieurs hiérarchiques et de sa propre famille a changé du tout au tout. « Ils ne me considèrent plus seulement comme un vide-poubelles, explique le jeune homme. Mon travail a désormais du sens et plus de valeur à leurs yeux. » C'est l'Opac de Paris, son employeur, qui lui a proposé de passer son premier diplôme par l'intermédiaire de ce nouveau dispositif. Abdelkarim a sauté sur l'occasion. « Je l'ai fait pour moi. L'Opac ne m'a rien promis en échange. » Il reste que le bailleur a rapidement récompensé ses efforts. Il a changé de catégorie, son salaire a été revu à la hausse et il a obtenu une mutation sur un autre site. À l'instar d'Abdelkarim, quatre groupes de douze gardiens d'immeuble ont entamé un cursus de validation en 2002 afin de décrocher un CAP.

Gérant d'une agence immobilière Guy Hoquet à Reims, Éric Redouté vient, quant à lui, de décrocher un BTS de force de vente grâce à la VAE. Une belle revanche pour ce trentenaire au parcours scolaire chaotique. « L'école, ça n'a jamais été mon truc. Je n'avais en poche qu'un BEP de vente. Décrocher le BTS, c'était l'occasion de faire reconnaître le travail que j'ai effectué pendant douze ans en tant que représentant puis chef des ventes chez Bahlsen avant de travailler dans l'immobilier. J'ai également pu obtenir une carte de gérant d'agence, explique-t-il. La profession exige en effet que les responsables soient titulaires d'un diplôme commercial de niveau bac + 2. »

La machine à valider s'est mise en marche

De telles accélérations de carrière sont désormais ouvertes aux autodidactes grâce au nouveau système de validation instauré par la loi de modernisation sociale, votée en 2002. Un texte qui a dépoussiéré le précédent dispositif en vigueur, la validation des acquis professionnels (VAP), mis en œuvre par les lois de 1984 et 1992. Car la validation des acquis de l'expérience est désormais un droit individuel inscrit dans le Code du travail. La nouvelle VAE permet, en outre, de décrocher un diplôme sans nécessairement repasser par les bancs de l'école, ce que ne permettait pas la défunte VAP. C'est un jury composé à parité d'enseignants et de professionnels, mis en place par l'établissement responsable du diplôme, qui valide les compétences du candidat et lui accorde tout ou partie du diplôme. Trois ans d'expérience professionnelle suffisent pour présenter un dossier et prétendre aux titres ou diplômes délivrés par l'État, à un certificat de qualification professionnelle de branche ou à certains titres d'organismes privés ou consulaires. Dans un pays qui voue au diplôme un culte bien réel, et où évolution de carrière et niveau de rémunération dépendent encore beaucoup de la formation initiale, la VAE entraîne donc une véritable révolution culturelle.

Depuis la parution des derniers décrets d'application de la loi de modernisation sociale, en décembre 2002, la machine à valider s'est mise en marche. Alors que la VAP était restée dans l'anonymat, à défaut d'une communication suffisante, les points d'information sur la VAE se multiplient comme des petits pains. À Paris, la Cité des métiers abrite désormais un point info sur la VAE. Huit autres devraient voir le jour d'ici à la fin de l'année en Ile-de-France. À Nice, un guichet unique d'information vient d'être créé pour tous les diplômes de l'Éducation nationale, du CAP au DESS. Dans certains centres Afpa, des journées d'information hebdomadaires sont organisées. ANPE et missions locales sont également de la partie. Et, avec l'inscription de la VAE dans le Code du travail et la possibilité de faire financer les actions de validation par le plan de formation des entreprises, les fonds d'assurance formation, comme Habitat-Formation (le fonds des acteurs de la ville), le Fafsea (pour l'agriculture) ou Uniformation et certains Opcareg, se mobilisent aussi pour faire connaître le dispositif aux employeurs.

Résultat, les demandes explosent littéralement. « En 2002, 70 000 personnes ont été reçues dans les dispositifs de validation d'acquis des académies, soit deux fois plus que l'an passé, indique Michel Aribaud, chargé de mission VAE à la Direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale. Près de 12 000 personnes ont déposé une demande d'accompagnement à la validation. Cette année, 12 000 à 15 000 personnes devraient bénéficier d'une VAE pour des diplômes allant du CAP au BTS. » À l'Afpa, qui délivre les titres du ministère du Travail, 5 900 validations ont été enregistrées en 2002 et l'association pense multiplier ce chiffre par trois cette année. Au Cnam, l'effet VAE joue également à plein. « Traditionnellement, nous recevions 90 dossiers de validation par semestre. Dans les six mois qui ont suivi la parution des décrets, nous avons traité 132 dossiers et, depuis janvier dernier, 215 autres sont dans les tuyaux », indique Marie-Odile Paulet, responsable du service compétences et validation.

Pour faire face à cette nouvelle demande, les organismes ont dû renforcer leurs structures d'accueil. À Créteil, le centre académique de validation des acquis (Cava) avait anticipé le phénomène il y a deux ans, en ouvrant trois centres à Saint-Denis, Melun et Torcy, en Seine-et-Marne. Au Cnam, c'est un site Internet dédié à la VAE qui a vu le jour en avril dernier. « Nous sommes passés très vite d'un stade artisanal du traitement des dossiers à un stade quasi industriel, explique Marie-Odile Paulet. Le Viatic (validation individualisée des acquis par les technologies de l'information et de la communication) nous permet d'accélérer la prise en charge des candidats. Ils y préparent leur dossier de validation sur un espace sécurisé et sont suivis à distance par un conseiller et un professeur référent qui ont accès aux dossiers en ligne. Ils répondent aux questions des candidats, les aident et les conseillent jusqu'au jury de validation. » Dans le centre parisien de l'Afpa spécialisé dans les métiers du tertiaire, le service de validation des acquis est submergé par les demandes individuelles. « Auparavant nous traitions uniquement avec les entreprises. Nous ne recevions pas de candidature individuelle. Sur le titre d'assistante de vie, par exemple, nous avons du mal à répondre à la demande. Nous allons devoir recruter de nouveaux formateurs », explique Malika Borsali, assistante pédagogique, chargée du dossier de la VAE.

Les grandes écoles ont peur pour leurs diplômes

Si les débuts de la VAE sont prometteurs, le dispositif est encore loin d'avoir atteint sa vitesse de croisière. D'abord, parce que les organismes de formation n'ont pas encore achevé de traduire tous leurs diplômes sous forme de référentiel de compétences. Une condition indispensable pour intégrer le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) qui abritera à terme l'ensemble des diplômes homologués et ouverts à la validation. Dans le centre parisien de l'Afpa spécialisé dans les métiers du tertiaire, six titres sont déjà opérationnels. Trois autres devraient l'être cet automne (conseiller en insertion professionnelle, agent technique de vente et vendeur délégué commercial). Au niveau national, sur les 300 titres de l'Afpa, 86 sont pour le moment accessibles par l'intermédiaire de la VAE. Les branches professionnelles doivent également réaliser ce travail d'ingénierie pédagogique pour l'ensemble de leurs certificats de qualification professionnelle (CQP) tout comme les chambres de commerce, qui s'activent pour ouvrir leurs formations à la VAE.

Autre frein au développement rapide de la VAE, certains organismes craignent de voir leurs diplômes bradés. C'est le cas des grandes écoles de commerce et d'ingénieurs et de certaines universités. Les associations d'anciens jouent par ailleurs les gardiens du temple et voient également d'un mauvais œil cette nouvelle voie d'accès aux diplômes de leurs établissements. Exception à la règle, Grenoble École de management est la première grande école de commerce à s'être attaquée à la VAE. Deux titres homologués aux niveaux 2 et 3 sont désormais accessibles par la validation. « La VAE est l'occasion de créer une nouvelle filière d'excellence aux côtés de la formation initiale, de l'apprentissage et de la formation continue », explique Jean-Philippe Solvay, directeur des relations avec les entreprises. Mais seule une dizaine de candidats triés sur le volet par leur entreprise et par l'école, présentant toutes les chances de valider la totalité du diplôme, sera retenue cette année. La grande école grenobloise ne compte pas traiter les candidatures individuelles. « Nous ne voulons pas distribuer nos diplômes, justifie Jean-Philippe Solvay. Nous avons développé ce produit pour les entreprises avec lesquelles nous travaillons. La VAE est un outil supplémentaire pour accroître l'employabilité de leurs salariés. C'est également un outil de motivation intéressant. En l'espace de trois mois, un salarié peut décrocher un diplôme reconnu sans s'absenter de son travail », souligne le directeur des relations avec les entreprises.

Les PME restent sceptiques

Depuis l'entrée en vigueur de la VAE en janvier 2002, les entreprises arrivent sur le terrain en ordre dispersé. En l'inscrivant dans le plan de formation des sociétés et en octroyant un congé individuel de validation de vingt-quatre heures, le législateur espérait qu'elles prendraient le train en marche. Si de grands groupes comme Air France, Disney, EDF-GDF ou Veolia Environnement ont vite adopté ce dispositif après avoir auparavant testé la VAP, la majorité des entreprises, et notamment les PME, restent sceptiques et se demandent comment utiliser ce nouvel outil. Outre la réduction sensible de la durée de formation, qui allège d'autant le plan de formation, la VAE présente pourtant de multiples avantages. « C'est un outil très puissant, surtout pour les sociétés dont l'ascenseur social est en panne ou pour qui il est devenu indispensable de professionnaliser les métiers », explique Vincent Merle, ancien chef de cabinet de Nicole Péry, aujourd'hui professeur au Cnam et directeur du centre de recherche sur le management des compétences et de la validation des acquis (MCVA).

Établissement public à caractère administratif, l'Agence de l'eau de Seine-Normandie a eu recours à la validation des acquis pour mieux coordonner sa gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. « Depuis 1999, nous avons recruté près de 120 agents. Nous devons pouvoir leur offrir des perspectives au sein de l'agence, souligne Michel Dubois, le DRH. Nous sommes aussi animés du souci de capitaliser notre mémoire et de développer nos compétences. En tant qu'outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la VAE doit notamment nous aider à offrir aux agents motivés une mobilité et un déroulement de carrière satisfaisants, nous permettre d'accompagner avant leur départ les agents qui désireront faire carrière ailleurs et nous donner un argument supplémentaire pour les recrutements, dans un contexte concurrentiel de plus en plus difficile. » Une douzaine de salariés se sont lancés, depuis mars dernier, dans une procédure de validation. Une partie d'entre eux préparent des BTS dans le domaine du secrétariat et de l'administration, l'autre partie s'orientant vers des DESS spécialisés dans l'eau et l'environnement.

Camus la Grande Marque SA, une PME familiale de 150 salariés spécialisée dans le négoce d'eau de vie à Cognac, a pu également constater les effets positifs de la VAE. Trois de ses ouvriers de production sont en passe de décrocher leur CQP en conduite et maintenance des machines d'embouteillage et de conditionnement. « Non seulement ils sont rassurés sur leurs compétences propres, mais ils sont valorisés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise, remarque Martine Baudrand, la DRH. Ces trois salariés sont dans une spirale positive et devraient poursuivre leur progression avec une formation lourde leur permettant d'évoluer vers des fonctions d'agent de maîtrise. »

Cette expérience a également permis d'activer la promotion interne, quasi inexistante parmi le personnel de production et a eu pour effet d'ouvrir des perspectives d'évolution aux autres salariés. Dalkia a aussi été séduit par le dispositif au point de reconduire la collaboration avec l'Afpa entamée en 1998. Pour la filiale énergie de Veolia Environnement et d'EDF, il s'agissait de professionnaliser des salariés dont les métiers sont peu reconnus et de leur proposer des développements de carrière. « Par ailleurs, certains d'entre eux ont été embauchés avec un CAP de fraiseur, mais sont devenus électriciens dans le cadre de leur activité professionnelle. D'où l'importance de reconnaître leurs compétences par un diplôme », explique Jean-Claude Thuillier, directeur de l'institut de l'environnement urbain de Veolia. Sur les douze techniciens engagés dans le test, trois ont décroché d'emblée leur bac professionnel de technicien en génie climatique. Les neuf autres ont dû suivre un complément de formation pour obtenir la totalité du titre.

Un effet redouté sur les salaires

Afin d'ouvrir la VAE aux 8 000 techniciens de l'entreprise, Dalkia a mis au point, avec un prestataire informatique, un intranet et un dispositif de formation à distance tutorée. « Les salariés peuvent tester de façon anonyme leurs compétences et se positionner sur un des diplômes proposés en validation, bac pro ou BTS. Sans avoir fait de communication interne, 300 personnes se déclarent déjà intéressées », annonce Jean-Claude Thuillier.

Malgré les retours d'expérience positifs, peu d'entreprises ont cependant mis en place un dispositif de validation. « L'outil peut en effet se révéler dangereux pour toutes les entreprises où le taylorisme n'est pas mort, explique Christian Batal, P-DG du groupe Interface, société d'études et de conseil en formation. Si l'organisation du travail ne laisse aucune place à l'autonomie des salariés, si l'entreprise n'est pas apprenante, ceux-ci risquent fort de se faire retoquer par le jury de validation. Une vraie contre-publicité pour l'entreprise. »

D'autre part, les sociétés redoutent de ne plus maîtriser leur masse salariale. Certaines conventions collectives fixent en effet les primes et les salaires en fonction du diplôme. Un faux problème, rétorque Vincent Merle. « Les entreprises ne développent pas suffisamment de démarches contractuelles avec leurs salariés sur les parcours de mobilité et la progression professionnelle. La VAE peut être l'occasion d'entrer dans ce type de démarche si les sociétés ciblent leurs priorités et engagent un dialogue avec le salarié avant qu'il ne s'y engage. En revanche, si elles font de la VAE à guichet ouvert, il est certain qu'elles iront droit dans le mur. Mais si elles passent des accords avec les salariés, l'effet VAE sur les salaires pourra être maîtrisé. »

Dans les prochaines années, les entreprises pourraient bien trouver de nouvelles vertus à la validation des acquis de l'expérience, quand elles devront faire face aux enjeux démographiques. Avec les départs massifs en retraite et la pénurie de main-d'œuvre qui pourrait s'ensuivre dans certaines firmes, elles réactiveront alors la promotion sociale pour attirer les candidats et surtout garder les salariés les plus qualifiés.

Un bon outil d'anticipation sociale dans le cadre des restructurations

La validation des acquis de l'expérience commence à trouver sa place dans les plans de restructuration. Dans ce domaine, l'entreprise de textile ECCE (ex-Bidermann) dans le nord de la France est en passe de devenir un cas d'école ! L'an dernier, la direction de l'entreprise annonçait le licenciement de plus de 500 personnes. Depuis, les salariés ont passé un accord de méthode avec la direction pour trouver des solutions alternatives aux licenciements massifs. « Nous avons réussi à placer la validation des acquis de l'expérience au cœur du plan de sauvegarde de l'emploi, explique Marie-France Paulard, secrétaire CFDT du comité central d'entreprise. Non seulement les salariées licenciées pourront, si elles le souhaitent, valider leurs savoir-faire et décrocher un diplôme pour mieux rebondir en quittant l'entreprise, mais nous avons obtenu de la direction que le dispositif soit étendu à celles qui resteront dans l'entreprise. » Un exemple d'anticipation sociale plutôt rare dans les entreprises françaises confrontées à des difficultés économiques. D'autant qu'au final le plan de sauvegarde de l'emploi aura permis de maintenir 354 personnes en activité. Le projet de VAE a été soutenu par Vincent Merle, ancien chef de cabinet de Nicole Péry, secrétaire d'État à la Formation professionnelle dans le gouvernement Jospin, venu défendre le dispositif auprès d'une société, très réticente de prime abord. « Actuellement, les entreprises engagées dans des opérations de reclassement utilisent la VAE comme un élément de plus, remarque Vincent Merle. Chez ECCE, on essaie de l'intégrer au dispositif de reclassement. »

Les salariés veulent du concret, et vite

Moins enthousiaste, Jean-François Carrara, directeur du cabinet Algoé Management, estime pour sa part que la VAE n'est qu'un élément d'un plan social, « au même titre que la formation ». « On peut faire reconnaître les acquis d'un salarié licencié, mais ce n'est pas ça qui va permettre son reclassement, explique le consultant. Le risque est d'engendrer beaucoup de désillusions. Si on valide les acquis d'une personne licenciée que l'on fait évoluer dans le cadre d'un reclassement et qui retrouve un emploi dans une entreprise régie par une autre convention collective, d'autres règles, quelle reconnaissance ce nouvel employeur accordera-t-il aux acquis validés ? » s'interroge Jean-François Carrara. « Dans un plan social, les salariés veulent du concret et vite, note pour sa part Benoît Vassent, responsable de la société grenobloise de conseil en formation LD Consulting. Or la VAE n'est pas un outil que l'on peut utiliser dans l'urgence. Dans les opérations de restructuration que nous suivons, la VAE ne fait pas partie des dispositifs de reclassement. En revanche, ce que nous observons, c'est que les salariés qui restent en poste et qui ont vécu des moments de doute quant à la pérennité de leur emploi sont de plus en plus demandeurs de validation d'acquis. » Une demande que les entreprises vont devoir prendre en compte car les syndicats comptent bien s'emparer de la VAE.

Auteur

  • A.-C. G.