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Vie des entreprises

Médecin du travail, flic, instit… les métiers vedettes du petit écran

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.06.2003 | Frédéric Rey

De « Docteur Sylvestre » à « Madame le juge » en passant par « l'Instit » ou « Juliette Lesage », les séries bâties autour d'un personnage identifié par sa profession battent des records à l'Audimat. Les aventures de ces héros citoyens sont prétexte à entrer dans le monde du travail et des entreprises. Au risque, parfois, d'en donner une vision bien manichéenne.

Et Zorro est arrivé. Pas sur son fidèle destrier, mais sur sa moto. Dans la série l'Instit, Victor Novakse dresse contre toutes les injustices. Cette fois, c'est le chômage qui est au cœur de l'histoire. Dans un village de Haute-Savoie, les élèves d'une classe de CM2 se déchirent, jusqu'à faire le coup de poing, entre les enfants de chômeurs et ceux dont les parents travaillent. Mais l'instituteur le plus célèbre de France va réussir à réconcilier tout le monde dans un happy end prévisible. Car cela fait dix ans que l'acteur Gérard Klein, qui va de remplacement en vacation, fait régulièrement la classe sur France 2 avec un succès qui n'a jamais été démenti.

Hormis les matchs de football ou les jeux télévisés, les meilleures audiences des chaînes sont réalisées aujourd'hui par ces nouveaux héros, dits citoyens. Leur terrain d'aventure ? Le lieu de travail où ils exercent. C'est le monde de la médecine pour la Kiné, Docteur Sylvestre ou Un grand patron… celui de la justice dans Madame le juge, Boulevard du Palais, Femmes de loi, Avocats et Associés… ou l'enseignement avec l'Instit et Madame le proviseur… Dans les états-majors des télés, où l'on recherche en permanence les recettes d'un Audimat au plus haut niveau, on les appelle des héros récurrents. « Ils ont une véritable légitimité assise sur leur métier », souligne Takis Candilis, directeur de la fiction sur TF1. « Ce sont des médiateurs dont la principale vertu est de nous faire comprendre le monde actuel », ajoute Laurence Bachman, son homologue de France 2.

Depuis une dizaine d'années, la palette des métiers s'est considérablement élargie. Si les policiers arrivent toujours en tête au hit-parade de la popularité, de nouvelles professions ont fait leur apparition. Dans les Grands Frères, TF1 montre deux médiateurs sociaux qui tentent, dans un quartier de banlieue, de sortir les jeunes de la délinquance. En septembre 2002, France 2 a diffusé un « pilote » mettant en scène un médecin du travail. Avec plus de 7,5 millions de téléspectateurs, Juliette Lesage a fait un carton. La chaîne a donc commandé à Élizabeth Arnac, la productrice, deux autres épisodes, en cours de réalisation. Fort de ce succès, le service public a également tenté l'expérience avec un inspecteur du travail : Simon le Juste, sorti en janvier 2003. À quand le délégué syndical ?

Fonctionnaires… et héros

Dans cette galerie de portraits, le monde de la fonction publique est très majoritairement représenté. « Il n'y a rien de très étonnant à cela, précise Laurence Bachman, de France 2, ces univers sont très propices à nos personnages, qui ont un sens du service public chevillé au corps. Mais ce sont moins des fonctionnaires que des héros. » Avec la série Joséphine, ange gardien où la comédienne Mimi Mathy joue le rôle de l'ange, TF1 a même inventé le fonctionnaire céleste.

Reste que les Julie Lescaut et Victor Novak n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité, ces séries étant le plus souvent un prétexte pour traiter des sujets de société. Attachants et profondément humains, ils sont perpétuellement animés par un souci de justice, toujours prêts à faire triompher la vérité. Jusqu'à en devenir, parfois, des personnagesàlalimite de la caricature. Dans Simon le Juste, Simon Kapita, l'inspecteur du travail imaginé par Dan Franck et Gérard Mordillat, est le rejeton de Karl Marx et de mère Teresa. L'air perpétuellement buté, cet inspecteur est révolté depuis le berceau. Il a d'ailleurs pour grand-père un révolutionnaire russe, et sa mère, protestataire dans l'âme, invite à sa table, entre deux cours d'alphabétisation, des réfugiés tchétchènes rencontrés dans la rue.

Pas de trace d'une quelconque routine dans la vie de ces supermen, qui sont des bourreaux de travail, entièrement dévoués à leur métier, qu'ils aiment par-dessus tout. Au détriment, bien souvent, de leur vie privée : comme Julie Lescaut, le commissaire Navarro ou l'adjudant-chef Florent de la série Une femme d'honneur, nos héros sont souvent divorcés avec un ou plusieurs enfants à charge. « Ces séries montrent les personnages centraux dans leur vie personnelle, mais aussi dans leurs relations professionnelles, que ce soit avec leur hiérarchie ou avec leurs subordonnés », explique Takis Candilis, directeur de la fiction sur TF1. Ses équipiers, Roger Hanin, dans la peau du commissaire Navarro, les appelle les « mulets », tandis que le flic Cordier, joué par Pierre Mondy, les surnomme les « pingouins ». Leaders charismatiques, ils sont appréciés de leurs troupes, qui leur obéissent quasiment au doigt et à l'œil. « Les fictions dessinent un monde de rêve où les conflits ne laisseraient pas de trace », explique la sociologue Sabine Chalvon-Demersay, qui passe de nombreuses heures à scruter le petit écran. « Tout au plus, ajoute-t-elle, les subordonnés émettront-ils quelques réserves, mais un regard insistant suffira pour qu'ils renoncent à se rebeller et finissent docilement par s'exécuter. »

Le proviseur colle depuis dix ans

A contrario, leurs relations avec leurs supérieurs ne manquent pas d'être orageuses. Cette hiérarchie est souvent présentée comme un élément de blocage ou d'immobilisme. Dans un épisode de Madame le proviseur, Charlotte de Turckheim, qui doit une fois de plus démêler un problème dans son lycée, tente de joindre son rectorat. Mais le téléphone sonne dans le vide : « Il est 17 heures et, évidemment, il n'y a déjà plus personne », peste notre héroïne. Cette mésaventure serait-elle arrivée à Marguerite Gentzbittel ? C'est en effet ce célèbre proviseur parisien, aujourd'hui à la retraite, qui a inspiré la série. À l'origine de cette fiction, un livre écrit par Hervé Hamon sur le proviseur du lycée Fénelon. Après le succès du livre, un producteur propose d'en faire une série pour France 2. La chaîne avait donné son feu vert pour trois épisodes. Dix ans plus tard, Madame le proviseur continue de distribuer des colles. « L'école, tout le monde en parle, souligne Hervé Hamon, coscénariste avec Chantal de Rudder, mais c'était la première fois qu'on la montrait dans son fonctionnement quotidien. » Les deux auteurs continuent de se nourrir d'histoires venant du milieu enseignant : « Dans un prochain épisode, nous nous attacherons davantage aux professeurs qu'aux adolescents. Sur fond de conflit syndical, nous voulons montrer la diversité de cette profession, y compris dans ses aspects corporatistes. »

Les créateurs des séries s'appuient souvent sur des témoignages ou des faits réels. Police district, qui décrit le quotidien d'inspecteurs parisiens, est écrit par un ancien policier. Gérard Filoche, le très médiatique inspecteur du travail, a largement collaboré au scénario de Simon le Juste. Quant à Juliette Lesage, le médecin du travail, l'idée en a jailli chez la productrice Élizabeth Arnac après la lecture d'un article sur le scandale des éthers de glycol. Le premier projet, conçu pour Canal +, campait une ouvrière devenue stérile à la suite d'une contamination aux éthers et un chercheur découvrant la toxicité de ses produits mais n'arrivant pas à se faire entendre. « Durant deux ans, j'ai rencontré tous les protagonistes de cette affaire, explique Élizabeth Arnac, car j'avais réussi à me procurer le rapport de l'Igas sur l'Institut national de recherche et de sécurité. »

Terreur dans la banque

Mais Canal +, dont la maison mère commence à rencontrer ses premières difficultés financières, ne donnera pas suite. « Nous avons transformé le projet en prenant pour héros un médecin du travail, poursuit Élizabeth Arnac. Ce professionnel nous semblait être le meilleur vecteur pour pénétrer dans le monde silencieux de l'entreprise. » Dans le premier épisode, Juliette Lesage intervient dans une agence bancaire où une nouvelle et jeune directrice fait régner la terreur : harcèlement moral, employés placardisés. Les salariés sont sous pression et certains craquent. La fin dévoile le calcul cynique de la direction de la banque. En fixant des objectifs intenables à cette directrice, l'entreprise cherchait à justifier la fermeture de l'agence, décidée à l'avance. Un plan machiavélique où la jeune cadre n'était qu'un pion voué à être viré comme les autres.

Face à ces héros citoyens, chevaliers vertueux épris de justice, l'entreprise privée est généralement décrite comme un lieu de brutalité et de cruauté. Elle apparaît dans un Cordier juge et flic sous les traits d'une multinationale qui vend des médicaments frelatés au tiers-monde et affame l'Afrique. Dans Le juge est une femme, le magistrat démantèle un réseau de travailleurs clandestins orchestré par un industriel, de surcroît harceleur et commanditaire d'assassinats. Autre exemple, la juge de Boulevard du Palais enquête sur le meurtre de la directrice des ressources humaines d'un équipementier automobile. Le coupable ? Le jeune patron de l'entreprise, qui veut délocaliser ses usines en Indonésie. La DRH, issue des rangs ouvriers, menaçait de tout dévoiler au grand jour. Dans une envolée lyrique, juste avant de se faire trucider, elle lâche sa dernière réplique : « Si je porte des tailleurs, j'ai toujours un bleu de travail dans l'âme… »

Les affreux sont les dirigeants

« Dans les films d'avant-guerre, l'assassin était souvent un ouvrier, accablé par de mauvaises conditions de travail, explique Bernard Giroux, ex-directeur du service de presse du Medef et auteur de Merci la télé. Aujourd'hui, les affreux, ce sont les dirigeants. Ces séries font une bien mauvaise publicité aux entreprises. » Dans Simon le Juste, les coscénaristes Dan Franck et Gérard Mordillat sortent l'artillerie lourde : contamination à l'amiante, harcèlement sexuel dans une grande surface, accident mortel d'un clandestin sur un chantier, licenciement d'une mère seule avec ses trois enfants… En seulement quatre-vingt-dix minutes, le téléfilm distille une vision du monde du travail digne du goulag. « Aujourd'hui, on peut montrer tout ce qu'on veut sur le sexe, mais pas sur l'entreprise, explique Gérard Mordillat. Nous voulions lever le tabou sur ce château fort imprenable : l'inspecteur du travail nous en a donné la possibilité. »

Mais la direction de France 2 souhaite aujourd'hui modérer le propos : « C'est vrai que certaines séries sont par trop manichéennes, souligne Laurence Bachman. Nous allons veiller à rectifier un peu le tir. » Les prochains épisodes de Juliette Lesage, le médecin du travail, devraient montrer des réalités plus nuancées. « Dans l'histoire du jeune apprenti en boucherie, le patron est un homme écrasé par les charges sociales, précise la productrice Élizabeth Arnac. Il est totalement inutile de diaboliser les chefs d'entreprise. » Quant au fougueux inspecteur du travail, le public n'a apparemment pas apprécié ses coups de gueule. L'épisode pilote a fait un flop tel, avec 16 % d'audience, que son avenir semble très compromis. À la télé, les mauvais héros meurent aussi !

Les femmes font de bons héros

Encore un nouveau héros citoyen joué par une femme. France 2 achève actuellement le tournage d'un épisode de « Clémence », dont l'héroïne est juge d'instruction. Si la parité est loin d'être respectée dans le monde du travail, c'est devenu une réalité au petit écran. « La répartition des sexes est équilibrée », reconnaît la sociologue Sabine Chalvon-Demersay, qui s'est livrée à une analyse des séries télévisées à partir d'un corpus de 32 épisodes de fiction diffusés sur TF1, mettant en scène 17 héros différents. Cette irruption des femmes à des postes de commissaire, de proviseur ou de juge n'entraîne pas de bouleversement particulier. La mixité est parfaitement naturelle, même si se glisse de temps à autre la difficulté à se soumettre à une hiérarchie féminine. Dans « Boulevard du Palais », le policier incarné par le comédien Jean-François Balmer appuie, avec un léger soupçon d'ironie, sur l'expression féminisée de madame la juge. Mais, mis à part cet aspect, cette féminité n'est quasiment jamais au cœur du sujet. Jamais aucune histoire de flirt entre l'héroïne et ses collègues n'est abordée. « Cette féminisation ne s'est pas accompagnée d'une montée en puissance de thèmes sentimentaux », explique Sabine Chalvon-Demersay.

Pour la sociologue, les valeurs traditionnelles de virilité associées au management sont saines et sauves. Courage physique, intrépidité, esprit de décision, goût du risque… les héroïnes ont investi les territoires masculins. Sauf lorsqu'il s'agit de leur progéniture où elles redeviennent avant tout femmes. Les histoires de baby-sitters qui font faux bond ne sont pas rares pour ces héroïnes. « Quand elles font état de leur identité sexuée, souligne Sabine Chalvon-Demersay, c'est généralement sur un mode qui met plus à l'honneur des valeurs maternelles que des valeurs de séduction. »

Auteur

  • Frédéric Rey