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Politique sociale

Les pompiers sociaux des cabinets ministériels

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.06.2003 | Isabelle Moreau

Aider à résoudre un conflit des routiers ou des cheminots, gérer le dossier Giat, panser les plaies de Metaleurop, plancher sur le chèque emploi entreprises ou le guichet unique pour les indépendants : tel est le quotidien de la quinzaine de conseillers sociaux répartis dans les ministères, autres que celui des Affaires sociales et du Travail. Le job n'est pas de tout repos.

Pas de joli mois de mai, de ponts ni de jours fériés pour Jérôme Lacaille. Et pour cause ! Cet énarque de 36 ans, bardé de diplômes (HEC, Harvard Law School…), a hérité du lourd fardeau des retraites au cabinet de Francis Mer et d'Alain Lambert. Après avoir déjà fait entendre, tout cela en l'espace d'un an, la voix de Bercy concernant le projet de loi Fillon sur les 35 heures, la révision de la loi de modernisation sociale, la création du Civis ou du revenu minimum d'activité (RMA). « J'ai plaisir à travailler sur des sujets d'actualité, mais j'ai parfois le sentiment qu'il y en a un peu trop en même temps, reconnaît cet ancien de la Direction du budget, passé par le tremplin de la Direction de la prévision. On aimerait pouvoir s'investir plus longtemps sur certains dossiers. »

À Bercy, il fait équipe avec Damien Cuier, un autre jeune stakhanoviste qui se coltine, pour sa part, le cactus de la Sécurité sociale. Cet ancien collaborateur de Jean-François Copé à l'Assemblée nationale décrit son nouveau job comme celui d'« assistant parlementaire à la puissance dix, avec un aspect relationnel et une dimension politique, sans oublier le côté technique ». Il avoue d'ailleurs « faire de la formation continue » sur le dossier de l'assurance maladie ou sur la politique du médicament. Mais, pour lui, ne pas être un orfèvre en la matière n'est pas un handicap. Ce serait même « une valeur ajoutée ».

Disponibilité permanente exigée, horaires à rallonge, du genre 8h30-23 heures, réunions en cascade : les deux conseillers sociaux de Francis Mer et d'Alain Lambert ne chôment pas. Car les éminences grises de la Rue de Grenelle et de l'Avenue de Ségur ne sont pas les seules corvéables et taillables à merci. Hors des ministères estampillés « social », ils sont au total une quinzaine de membres de cabinets, répartis dans les différents palais de la République, à mettre leur grain de sel sur les questions sociales. Sans oublier ceux qui, dans les ministères les plus importants, supervisent la gestion des personnels par les directions ad hoc. Mission qui échoit ainsi à Loïc Tonnerre, au cabinet de Jean-Paul Delevoye, en liaison constante avec Jacky Richard, le directeur général de la Fonction publique. Un poste délicat, par les temps qui courent, que celui d'assister le ministre de la Fonction publique dans ses relations tumultueuses avec les sept organisations syndicales de fonctionnaires. Mais cet énarque encarté au RPR, qui a planché sur la fonction publique pour la campagne présidentielle de Jacques Chirac et fait de nombreux aller et retour entre les ministères et la Cour des comptes, n'est pas un néophyte.

L'emploi, pierre d'achoppement

Quant à Jean-Denis d'Argenson, il suit au quotidien le grand projet de modernisation administrative, baptisé « Bercy en mouvement », au cabinet de Francis Mer. Une tâche qui n'est pas de tout repos, comme le rappelle le sabordage de la précédente réforme du ministère des Finances, concoctée par Christian Sautter. Pour avoir occupé les mêmes fonctions, du temps où les locataires de Bercy se nommaient Jean Artuis et Alain Lamassoure, cet énarque sait que « l'emploi est, ici, une pierre d'achoppement avec les syndicats ». A fortiori lorsque l'intention affichée est de ne remplacer qu'un fonctionnaire partant en retraite sur deux. Seul Didier Garnier, à l'Agriculture, possède la double casquette, jouant à la fois le rôle de conseiller social d'Hervé Gaymard et de relais avec l'administration pour les 31 000 agents du ministère. Dont 11 000 enseignants. Un rôle sur mesure pour cet adhérent de la première heure d'un syndicat catégoriel.

Les benjamins n'ont pas 30 ans

Pas de profil type ni de parcours standard pour ces missi dominici du social, dont la plupart ont été cooptés par les directeurs de cabinet ou leurs adjoints. Un réseau où les années d'études passées en commun ou les expériences ministérielles antérieures font office de sésame. Les benjamins des conseillers sociaux des cabinets ministériels, Damien Cuier, un énarque venu de la Direction du budget, ou Emmanuel Rochas, un X-Télécom qui travaille chez Renaud Dutreil, aux PME et à l'Artisanat, ont moins de 30 ans, tandis que Michel Le Dren, conseiller social au ministère de la Défense, s'approche de la soixantaine. Si le tandem social de Bercy est issu du sérail des Finances, le collaborateur de Michèle Alliot-Marie fait partie, avec Didier Garnier, à l'Agriculture, et François Delemotte, au secrétariat aux Transports et à la Mer, chez Dominique Bussereau, des anciens inspecteurs du travail qui peuplent les cabinets ministériels.

Président de l'Association pour l'étude de l'histoire de l'Inspection du travail, le conseiller social de MAM en a gravi un à un tous les échelons. Ancien directeur du Travail en Nouvelle-Calédonie puis à la Réunion, il a été directeur régional en Champagne-Ardenne. Il se rêvait en saint-cyrien ; il a dû se contenter d'un diplôme de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure (Ihesi). Mais son expérience d'inspecteur du travail lui est d'un précieux secours lorsqu'il s'agit de gérer de lourds dossiers de restructuration comme ceux de Giat Industries, de l'ex-Direction des constructions navales (DCN) ou la réforme du statut des militaires.

Le quotidien de ces hommes de l'ombre est de préparer les rencontres de leurs ministres, en recevant les responsables d'organisation syndicale ou d'organisation professionnelle, et de les accompagner lors des déplacements sur le terrain. Lorsque Michèle Alliot-Marie reçoit Ernest-Antoine Seillière, le président du Medef, Michel Le Drenest à ses côtés. Lorsqu'elle s'entretient avec les responsables des organisations syndicales ou les dirigeants des entreprises du secteur de la défense, comme Giat Industries à propos de son sixième plan social, ou DCN au sujet de son « plan d'ajustement d'effectifs », il est toujours là. Non sans avoir « briefé » sa patronne au préalable. « Mon boulot, résume Michel Le Dren, est d'informer la ministre, pas de l'encombrer par des questions subalternes. » Mais à lui, ensuite, de prendre le relais, en assurant le suivi du reclassement des personnels de l'industrie publique d'armement.

Vigie et pompier volant

Toute la difficulté du job de conseiller social est d'être tour à tour vigie et pompier volant. « De jouer à la fois un rôle préventif, car nous suivons régulièrement les entreprises en mauvaise santé, et curatif lorsque nous gérons les coups durs », indique François Rubichon. À ce genre d'exercice, le directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien, au ministère de l'Équipement et des Transports, est parfaitement rodé. Déjà conseiller aux Affaires sociales au sein du cabinet de Bernard Bosson entre 1993 et 1995, ce diplômé de Sciences po et de l'École nationale supérieure des P et T, qui a fait pratiquement toute sa carrière à La Poste, supervise le « secteur le plus conflictuel de France », avec les contrôleurs aériens, les cheminots, les dockers, les chauffeurs routiers. Des corporations dont le pouvoir de nuisance est bien connu.

« On doit toujours être réactif », souligne son collègue François Delemotte chez Dominique Bussereau. Et patient, comme lors du conflit des routiers, à l'automne 2002, qui s'est dénoué in extremis grâce à un accord avec FO Transports. « Il faut souvent travailler dans la plus totale discrétion pour être efficace. Quand cela devient médiatique, à l'image du conflit des routiers, tout peut capoter. Or le travail en amont que nous avons réalisé est souvent l'affaire de plusieurs semaines, pour ne pas dire de mois », complète François Rubichon. Ce qui veut dire rencontrer, discuter, voire négocier sans que cela sorte du huis clos du ministère. « On vient nous voir, car ce n'est pas dans la culture de l'appareil gouvernemental de se déplacer. »

En première ligne sur Air Lib

Mais ces réunions discrètes respectent un même principe : « Une entreprise est toujours plus à même de régler les conflits qui émergent en interne », poursuit François Rubichon. Pas question pour autant de fermer la porte de son bureau à ceux, chefs de file syndicaux et d'organisation professionnelle, qui souhaitent « impliquer les pouvoirs publics » dans la résolution des conflits. Cas d'école, il y a quelques mois, avec un conflit annoncé à la RATP. « La direction souhaitait décentraliser les commissions de classements au niveau des établissements. Or certains syndicats pensaient que cette décision était entachée d'illégalité. Comme le ministère est garant des statuts des personnels, nous avons vérifié que c'était légal. Et le mouvement a été levé. »

Sur le dossier Air Lib, le ministère n'a pas attendu d'être sollicité par Jean-Charles Corbet, le P-DG de la défunte compagnie aérienne, pour monter en première ligne. « Gilles de Robien a très vite réuni les entreprises sous tutelle pour leur demander si elles pouvaient faire preuve de solidarité. Ça a marché. Jean-Cyril Spinetta a immédiatement proposé 1 000 emplois à Air France. Dans ce dossier, il a fallu déployer beaucoup d'énergie pour compenser le choc économique et social d'une entreprise qui meurt », explique François Rubichon. D'où la création d'une cellule de reclassement « haut de gamme, bien au-delà de ce qu'elle aurait été si on avait appliqué le droit commun », confirme son collègue François Delemotte. Cet ancien inspecteur du travail dunkerquois, très actif dans la réforme du statut des dockers en 1992, a suivi de A à Z le « montage du plan de sauvegarde pour l'emploi avec la DDTE du Val-de-Marne », qu'il connaît bien.

Pour ne pas avoir à mettre les mains dans le cambouis des faillites et éviter au gouvernement d'être pris à partie dans une tourmente médiatique, les conseillers sociaux surveillent comme le lait sur le feu les entreprises en difficulté. Pour François Rubichon, à l'Équipement, les préoccupations du moment se nomment Grimaud Logistique ou les Transports Aubry. Les canards boiteux, Noël Huret en a fait son ordinaire. Cet ingénieur de formation, diplômé de l'Essec et chargé du redéploiement industriel et des entreprises en difficulté auprès de Francis Mer et Nicole Fontaine, a fait toute sa carrière dans l'industrie. Notamment au sein du groupe Pechiney, où il a accompagné des fusions d'entreprises, préalablement à son entrée à la Société pour le développement de l'industrie et de l'emploi (Sodie) comme directeur adjoint. Avant d'en devenir le numéro un.

De la chaussure au textile

Ignorant tout, comme son « patron » Francis Mer, de la vie des cabinets ministériels, cet homme du privé, gratifié d'un contrat de cabinet (alors que ses homologues sont pour la plupart des fonctionnaires mis à disposition), « conseille les chefs d'entreprise qui réfléchissent à une restructuration industrielle et s'interrogent sur la manière de la faire ». Depuis un an, il s'est intéressé successivement à l'avenir de l'industrie de la chaussure à Romans-sur-Isère, du secteur textile vosgien ou de la confection choletaise. Sans oublier les plans sociaux douloureux d'ACT, de Metaleurop et de Daewoo. Un dossier dans lequel il s'est beaucoup investi : « Quand Nicole Fontaine a reçu les élus du bassin de Longwy, j'étais présent », explique ce fin connaisseur de l'entreprise dont la mission consiste ensuite à assurer le suivi des opérations.

Même scénario pour Metaleurop, où il a finalisé le plan social avant de s'attaquer à celui de la revitalisation du bassin d'emploi de Noyelles-Godault. Le pire pour lui ? « Recevoir un jeudi le patron d'une entreprise qui a rendez-vous le lundi suivant au tribunal de commerce pour déposer le bilan. » Son mot d'ordre, c'est anticiper. Même si ce n'est pas toujours facile. Pour preuve, la décision brutale du groupe Metaleurop de laisser 820 salariés sur le carreau, « alors que jusqu'en septembre dernier nous pensions que l'entreprise préparait un autre plan de réorganisation… ».

Jongler avec les Codes

Mais les conseillers sociaux sont aussi – et heureusement – les artisans des mesures gouvernementales en faveur des entreprises. Dernier arrivé dans les cabinets ministériels, Emmanuel Rochas a hérité, aux Petites et Moyennes Entreprises et à l'Artisanat, de quelques copieux projets. Comme la création d'un guichet unique pour les indépendants ou encore la mise en place d'un chèque emploi entreprises (clone du titre emploi simplifié agricole ou du chèque emploi service pour les emplois familiaux), secteur d'activité par secteur d'activité.

À l'Agriculture, Didier Garnier, qui doit jongler avec le Code du travail et le Code rural, couvre le champ des quelque 450 000 exploitants agricoles qui emploient de manière permanente 164 000 personnes, épaulées par 1 million de saisonniers ! « La fonction est horizontale, car il y a bien sûr les problèmes spécifiques au monde agricole, mais il faut aussi vérifier comment s'intègre le volet agricole dans les réflexions et actions prises du côté des PME et des Affaires sociales », explique-t-il. Bref, ce collaborateur d'Hervé Gaymard est un vrai touche-à-tout. Non seulement il planche pour son ministre sur la revalorisation des retraites des agriculteurs, répond aux demandes de main-d'œuvre saisonnière des exploitants, rencontre les organisations syndicales et professionnelles. Mais en plus il participe à l'élaboration de la future campagne de communication institutionnelle, qui devrait bientôt voir le jour pour redorer le blason des métiers de l'agriculture… À Bercy, dans le bâtiment moderne conçu par Paul Chemetov, Noël Huret supervise toutes les mesures qui peuvent viser directement ou indirectement les entreprises. « Même si je suis passé de l'autre côté de la barrière, je sais ce qu'on peut exiger des entreprises, au nom de l'État. » Ou ce qu'on ne peut pas…

À quelques bureaux de là, Damien Cuier s'est déjà attelé, sous ses aspects budgétaires, à l'autre grand chantier de la législature, après les retraites : la réforme de l'assurance maladie, institution chère aux Français. Un dossier explosif, qui l'amène à préparer minutieusement le terrain en rencontrant des responsables des caisses d'assurance maladie, du monde de l'assurance et des mutuelles et à rédiger moult notes pour ses deux ministres, Francis Mer et Alain Lambert. Son baptême du feu, ce sera à la rentrée prochaine…

Dans les coulisses de la réforme des retraites

Si le gouvernement actuel a pris le temps de la concertation, là où Alain Juppé avait misé sur l'effet de surprise, la méthode de travail adoptée sur le dossier des retraites ressemble étrangement à celle utilisée, huit ans plus tôt, pour concocter la réforme de la Sécu. Avec une implication très forte des équipes de l'Élysée et de Matignon. Même si, officiellement, la présidence de la République se cantonne à un rôle d'observateur bienveillant, le Château s'est montré omniprésent sur une réforme capitale figurant dans le programme du candidat Chirac. Il faut dire que l'expertise élyséenne en la matière est reconnue, avec Philippe Bas, un conseiller d'État passé par les cabinets de Simone Veil et de Jacques Barrot, au secrétariat général, et son adjoint, Frédéric Salat-Baroux, ancien conseiller social de l'Élysée. Ancienne secrétaire nationale chargée des retraites au RPR, Marie-Claire Carrère-Gée, l'actuelle conseillère sociale de Jacques Chirac, a été de toutes les réunions au sommet.

Si le projet de réforme des retraites a été concocté au ministère des Affaires sociales et du Travail par Jean-Claude Faugère, le directeur de cabinet de François Fillon, et Pierre Mayeur, le conseiller chargé du dossier des retraites, c'est Matignon qui a dirigé la manœuvre et rendu tous les arbitrages. Ancien directeur général de l'Unedic, Dominique-Jean Chertier, le conseiller social de Jean-Pierre Raffarin, a régulièrement réuni Rue de Varenne les conseillers sociaux des principaux ministères concernés, comme Jérôme Lacaille, qui officie auprès de Francis Mer et d'Alain Lambert à Bercy. Mais c'est Jean-François Cirelli, le directeur adjoint du cabinet du Premier ministre, qui a orchestré la réforme. Cet énarque, très engagé sur le dossier de la réforme de l'État pendant la campagne présidentielle, fut aussi le conseiller économique de Jacques Chirac à l'Élysée. Avec Chertier, c'est lui qui a reçu, discrètement, Rue de Varenne quelques leaders syndicaux, entre les séances de négociations formelles chez François Fillon. Notamment après le rejet initial des propositions gouvernementales par les cinq confédérations.

Auteur

  • Isabelle Moreau