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Politique sociale

En Belgique, le plan Rosetta rate la cible des jeunes en difficulté

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.06.2003 | Anne Renaut, à Bruxelles

Lancé en 2000 par le gouvernement belge, le plan Rosetta, inspiré par le film des frères Dardenne, visait l'embauche par les entreprises de jeunes non qualifiés. Avant de s'élargir à tous les jeunes, aux chômeurs âgés de longue durée, puis aux jeunes handicapés ou d'origine étrangère. Résultat, la plupart des Rosetta sont diplômés et viennent de Flandre, la région la plus prospère.

Quatre ans plus tard, Rosetta court toujours à la recherche d'un emploi… Rosetta, c'est l'héroïne d'un film des frères Dardenne, récompensé par une palme d'or à Cannes en 1999. Il racontait l'histoire d'une jeune chômeuse belge cantonnée aux petits boulots. Un scénario qui avait provoqué un véritable électrochoc outre-Quiévrain, au point de susciter un programme gouvernemental pour l'emploi des jeunes, logiquement surnommé « plan Rosetta ». « Ce que nous voulons, c'est donner du travail à Rosetta », affirmait la ministre de l'Emploi, Laurette Onkelinx, en septembre 1999.

Mathieu, 24 ans, est l'un de ces jeunes « Rosetta ». Après avoir bénéficié d'une convention premier emploi (CPE) et classé des dossiers administratifs pendant un an à la Communauté française, il cherche du travail. « ça ne m'a pas du tout aidé à retrouver un autre emploi et je n'ai rien appris. L'alphabet, je le connaissais déjà », raconte Mathieu, qui a été remplacé par un autre « Rosetta ». Il fait partie des 113 000 jeunes embauchés depuis 2000 en Belgique. Depuis cette date, en effet, une loi oblige les entreprises à recruter, pour un an minimum, sous peine de sanctions financières, 3 % de jeunes de moins de 30 ans (voir encadré page 38). Si les jeunes recrues sont peu qualifiées, les employeurs bénéficient de réductions de charges sociales. Le gouvernement Verhofstadt souhaitait éviter que les jeunes « s'enlisent dans le chômage », dans un pays qui comptait alors 17 % de chômeurs de moins de 25 ans. Mais le plan Rosetta a raté sa cible. Les jeunes non qualifié, les premiers visés par le nouveau dispositif, ont été boudés par les entreprises. Les Rosetta sont souvent diplômés, et pour la plupart originaires de Flandre, la région la plus prospère. Le pays flamand affiche en effet un taux de chômage de 7 %, alors que la Wallonie, la région industrielle du Sud, est scotchée à 16 %. C'est donc dans les régions qui en avaient le plus besoin que l'embauche de jeunes a été proportionnellement la plus faible. En mars 2003, plus de la moitié des conventions avaient été conclues en Flandre, un quart dans la région de Bruxelles et seulement moins d'un cinquième en Wallonie. Et surtout, le taux de chômage des jeunes n'a pas baissé d'un iota depuis, grimpant même à 18,4 % en 2002.

Pas de zèle côté employeurs

Un sévère constat d'échec pour la ministre de l'Emploi, à l'origine de cette mesure phare du gouvernement de coalition – associant à l'époque libéraux, socialistes et écologistes – sorti victorieux des élections législatives du mois dernier. Premier élément d'explication : l'ambiguïté de la loi Rosetta. Celle-ci ne contraint en effet pas les entreprises à embaucher des jeunes non qualifiés, mais seulement des moins de 30 ans. Face à cette « contrainte », les entreprises belges n'ont pas fait d'excès de zèle. Les jeunes qui n'ont pas décroché le bac ne représentent qu'un tiers des conventions. Tout en reconnaissant que cette part est « trop faible », le ministère de l'Emploi justifie cette situation à sa manière : « Généralement, il n'y a qu'un quart de non-qualifiés parmi les jeunes qui entrent sur le marché du travail, ce qui démontre que la convention premier emploi a un impact favorable sur cette catégorie. » Reste que le gouvernement a revu à la baisse, pour 2003, l'enveloppe réservée aux allégements de charges sociales. Il n'a inscrit que 16 millions d'euros de crédits contre près de 25 millions en 2002. Pour Pascaline Werrie, conseillère sociale à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), la faible proportion de recrues sans le bac montre que « les entreprises ont surtout besoin de jeunes ayant un certain niveau de qualification ».

Chez les syndicats, l'enthousiasme a cédé la place à la critique. La plus virulente est venue de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), l'une des deux principales centrales belges, proche du Centre démocrate humaniste, le parti d'opposition. Un mois avant les législatives, la CSC a mené une campagne contre le plan « Morosetta ». « Il ne suffit pas de dire que la mesure a concerné beaucoup ou peu de jeunes, mais bien à quel prix et de quelle façon », souligne Lahoucine Tazribine, responsable des jeunes à la CSC. Quant à Jean-Claude Vandermeeren, secrétaire général de l'interrégionale wallonne de la FGTB, l'autre grand syndicat d'outre-Quiévrain, il dénonce les effets pervers du plan Rosetta : « L'objectif devait être de cibler un public très précis, celui des jeunes sortant de l'école avec une faible qualification, et de leur mettre le pied à l'étrier. Comme on a ouvert le dispositif à d'autres catégories de jeunes et de chômeurs, on a évidemment raté une partie de la cible visée. Les compromis politiques ont provoqué une dispersion des mesures, et le patronat a profité d'un effet d'aubaine. »

L'ordre de la file d'attente a changé

Il est vrai que les entreprises flamandes n'ont eu aucune difficulté pour remplir leurs obligations, la plupart des recrutements étant déjà programmés. Et, au passage, elles ont empoché les précieux allégements de charges. « Le plan Rosetta, ça nous rapporte, car nous recevons des primes pour des gens que nous aurions de toute façon embauchés », reconnaît Marc Roelands, chef du personnel du groupe de distribution flamand Colruyt. Avec 5,8 % de jeunes Rosetta, dont plus d'un tiers non qualifiés, cette entreprise de 6 000 salariés dépasse largement son obligation légale. Au ministère, on minimise l'effet d'aubaine. « On nous reproche de n'avoir pas créé un emploi en plus. C'est peut-être vrai. Mais on a changé l'ordre de la file d'attente. Et rien que cela, c'est positif », estime Francis Szabo, conseiller au ministère de l'Emploi.

La réalité, c'est que le plan Rosetta a souffert d'un assouplissement progressif des critères d'embauche. À l'origine, les entreprises devaient recruter en priorité des jeunes âgés de moins de 25 ans, ayant arrêté leurs études ou quitté un programme d'insertion depuis moins de six mois. Mais, en cas de pénurie de candidats correspondant à ce profil, elles pouvaient se rabattre sur tous les demandeurs d'emploi de moins de 25 ans. Et si ce vivier était à son tour épuisé, ce qui est le cas en Flandre, elles pouvaient engager un demandeur d'emploi de moins de 30 ans.

Un dispositif en cascade que les pouvoirs publics n'ont cessé de rendre plus complexe et d'éloigner de l'objectif initial. Non seulement, en septembre 2001, ils ont ajouté à l'édifice une quatrième catégorie de bénéficiaires, celle des chômeurs âgés de longue durée, mais, faute de candidats en nombre suffisant parmi les jeunes de moins de 25 ans non qualifiés, ils ont au début de l'année purement et simplement supprimé la priorité qui leur était donnée jusqu'alors. DRH adjoint de la Raffinerie tirlemontoise (800 salariés), Michel Meeus affiche sa satisfaction : « Ce plan est plus flexible que le précédent. Le choix est plus large. C'est donc plus facile de remplir nos obligations. »

Pas un tremplin professionnel

La Raffinerie tirlemontoise est un cas d'école. N'ayant programmé aucune embauche, cette entreprise se conforme à la loi en renouvelant tous les ans les conventions Rosetta. Les candidats sont d'emblée prévenus qu'ils ne pourront rester au-delà. En effet, sauf à licencier des salariés en poste, l'employeur qui entend maintenir un effectif constant n'a, pour respecter son quota, d'autre choix que de recruter les bénéficiaires de conventions pour une durée déterminée. « Le CDD reste la seule manière de ne pas licencier du personnel », confirme la FEB, en déplorant que le système « génère une rotation du personnel coûteuse pour l'entreprise et défavorable à une véritable insertion des jeunes ». Cette pratique reste néanmoins limitée. Selon une étude du ministère de l'Emploi portant sur les dix-huit premiers mois d'application, 85 à 90 % des jeunes occupent toujours un emploi dans les premiers mois suivant la fin de leur convention.

Non seulement le plan Rosetta n'a guère dopé l'emploi des jeunes, mais de plus il n'a pas servi de tremplin professionnel. Son volet formation a été largement boudé par les employeurs. La quasi-totalité des conventions sont des contrats de travail classiques, les deux autres formules proposées – un contrat de formation en alternance ou un contrat d'apprentissage – ne représentant que 3 % des conventions signées. De surcroît, les entreprises qui ont choisi de rémunérer le jeune à 90 %, en utilisant le reliquat pour sa formation, se comptent sur les doigts de la main.

Des Rosetta qui en valent deux

À l'avenir, le plan Rosetta pourrait pâtir d'une initiative récente des partenaires sociaux. Conclu le 12 décembre 2002, l'accord interprofessionnel 2003-2004 a rajouté au dispositif deux publics éligibles : les jeunes d'origine étrangère et les jeunes handicapés. Des candidats qui compteront double, à partir de juillet 2003, dans le quota des 3 % de jeunes. Gouvernement, syndicats et patronat jurent en chœur qu'il s'agit de donner « un signal politique fort » contre les discriminations à l'embauche. À diplôme égal, un jeune Belge d'origine arabe ou africaine a en effet, selon le Centre pour l'égalité des chances, 30 % de chances en moins d'être embauché que les autres. Mais Laurette Onkelinx reconnaît qu'au final le nombre de conventions risque de diminuer, d'autant que le ralentissement économique se fait sentir. En mars 2003, quelque 34 000 conventions pour l'emploi ont été enregistrées, contre plus de 44 000 en mai 2001.

Les syndicalistes de terrain sont furieux. « On trouve cela scandaleux, alors qu'on fait tout un travail sur la tolérance et l'acceptation de l'autre depuis des années. Si cette mesure est mise en application, il faudra virer la moitié de nos Rosetta », s'insurge Antonio Cocciolo, délégué FGTB chez le fabricant d'engins de chantier Caterpillar, qui compte 4 150 salariés représentant 27 nationalités.

Anticipant les difficultés à venir, le gouvernement a tenté, quelques mois avant les élections, de rectifier le tir, en maniant la carotte et le bâton. Pour encourager l'embauche de jeunes peu qualifiés, il a doublé les réductions de charges sociales accordées aux entreprises, qui passeront de 495 à 1 000 euros par trimestre et par jeune embauché au 1er janvier 2004. Une mesure jugée « positive » par la FEB, même si le patronat belge considère toujours l'obligation d'embauche comme « un non-sens économique ». Mais les employeurs ont aussi été prévenus, à l'automne, que les contrôles allaient être renforcés. Depuis, le nombre de conventions est en hausse. Reste à savoir si le plan Rosetta ne va pas connaître d'autres évolutions législatives.

Le nouveau visage de Rosetta

Depuis le lancement du plan Rosetta, en 2000, le régime des incitations financières et les publics cibles ont fortement évolué. Les entreprises privées de plus de 50 salariés sont obligées, sous peine de sanctions financières (75 euros par jeune manquant et par jour), d'engager 3 % de jeunes en « convention de premier emploi », alias convention Rosetta. L'obligation est de 1,5 % pour le secteur public.

Si ces jeunes sont moins qualifiés, c'est-à-dire s'ils ne possèdent pas un diplôme équivalant au baccalauréat, les entreprises qui respectent leur quota bénéficient de réductions de cotisations sociales de 495 euros par jeune engagé et par trimestre. Au-delà du quota des 3 % (ou 1,5 % dans le public), la réduction est de 1 115 euros par jeune supplémentaire engagé, également par trimestre. Au-delà de 5 %, la réduction s'élève à 1 115 euros pour tout jeune engagé.

À partir du 1er janvier 2004, les réductions de cotisations s'élèveront à 1 000 euros par jeune peu qualifié engagé, par trimestre. Et, quand les entreprises conserveront le jeune au-delà de la convention, elles auront droit à 400 euros de réduction supplémentaire par jeune, toujours par trimestre. Au départ, les bénéficiaires étaient les jeunes de moins de 25 ans ayant cessé leurs études ou un parcours d'insertion depuis moins de six mois. Puis, si cette catégorie était épuisée, les chômeurs de moins de 25 ans. Ensuite, à défaut, les chômeurs de moins de 30 ans. En septembre 2001, une quatrième catégorie a été ajoutée, toujours sous condition de pénurie de la catégorie précédente, celle des demandeurs d'emploi de plus de 45 ans, au chômage depuis plus d'un an. En janvier 2003, la première catégorie a été supprimée. En juillet 2003, cette fois sans conditions de pénurie, les jeunes d'origine étrangère et les jeunes handicapés compteront pour deux personnes au lieu d'une dans les quotas. Difficile, dans ces conditions, d'y retrouver ses petits !

Auteur

  • Anne Renaut, à Bruxelles