La négociation sur l'accord d'intéressement pour 2002-2004 à EDF a bien failli capoter. Motif : le refus de la CFDT d'entériner une nouvelle clé de répartition. Mais, face à son principal interlocuteur, la direction a fini par reculer.
C'est l'histoire d'un scénario qui ne se déroule pas comme prévu. La scène se passe en juin 2002, au siège d'EDF, où les partenaires sociaux sont en train de négocier le renouvellement de l'accord d'intéressement pour la période 2002-2004. Comme tous les trois ans, la direction s'apprête à parapher le texte avec trois syndicats sur cinq, toujours les mêmes : CFTC, CGC et CFDT. Les scrupules des trois organisations à entériner la séparation d'EDF et de GDF par la signature d'accords distincts pour la première fois dans l'histoire du groupe ne semblent pas entamer leur bonne volonté à l'égard du texte patronal. Pourtant, à la veille de conclure, la CFDT annonce qu'elle ne participera pas à la signature. Problème pour la direction : sans la CFDT, la CFTC et la CGC ne représentent plus qu'une petite minorité de salariés.
« Persuadée que, malgré nos réticences, nous étions prêts à apposer notre signature sur n'importe quel texte, la direction a adopté un comportement autiste pendant toute la durée de la négociation, refusant de prendre en compte la seule revendication sur laquelle la CFDT n'était pas prête à transiger », se désole Marie-Hélène Gourdin, responsable de la politique contractuelle et institutionnelle au sein de la branche électrique et gazière de la Fédération chimie et énergie de la CFDT. Motif du courroux cédétiste : l'introduction par la direction d'une nouvelle répartition entre les différents niveaux d'intéressement faisant la part belle au « regroupement », une nouvelle organisation par métiers consistant à chapeauter les unités de travail (centres de production et de distribution) par des branches transversales telles que le commerce, la comptabilité ou les ressources humaines. « Nos dirigeants voulaient anticiper une réorganisation non validée en comité central d'entreprise et à laquelle nous nous étions d'ailleurs opposés, dénonce Marie-Hélène Gourdin. Or la loi Fabius stipule que les accords d'intéressement doivent être présentés en CE, sauf qu'en l'espèce les nouvelles institutions représentatives du personnel liées au regroupement n'existaient pas encore. »
La direction d'EDF a fini par céder à la demande de la CFDT, qui a accepté de signer un accord d'intéressement dont la clé de répartition est désormais la suivante : 40 % pour le local (unités de production), 40 % pour l'entreprise et 20 % pour le groupe. Exit la notion de regroupement, reportée à des jours meilleurs. Cette reculade n'empêche pas Francis Habozit, le directeur des rémunérations d'EDF – qui a piloté les négociations jusqu'au blocage de dernière minute où il a été remplacé au pied levé par le DRH groupe –, d'affirmer qu'« il y a très peu d'écart entre la mouture initiale et le produit final ». Tout s'est passé comme si la négociation de l'accord n'avait eu lieu qu'entre la direction et la CFDT, tant les autres organisations syndicales ont paru absentes ou incapables de peser sur le cours des débats. Hormis la CFTC et la CGC, peu représentatives à EDF, Force ouvrière et la CGT se sont d'emblée placées hors jeu.
Pas question pour FO de cautionner la décentralisation croissante de l'intéressement. « L'accentuation de la part décentralisée de l'intéressement [passée de 25 % lors de l'accord de 1999 à 40 % aujourd'hui] vise clairement à une individualisation de celui-ci au détriment de l'égalité de traitement entre les salariés », s'inquiète Bernard Gitton, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des mines et de l'énergie FO, ajoutant que son organisation ne s'oppose pas par principe à l'intéressement puisqu'elle a signé les accords de 1984 et 1987, alors centralisés à 100 %. L'argument égalitariste laisse la direction de marbre. « Il est plus lisible pour un salarié d'avoir des critères d'intéressement sur lesquels il a le sentiment d'agir que des critères éloignés au niveau de l'entreprise ou du groupe », réplique Francis Habozit. Pour la CGT, les choses sont encore plus claires : « L'intéressement ne saurait en aucun cas se substituer à la négociation salariale », martèle Jean-Claude Dougnac, responsable de la branche des industries électrique et gazière à la fédération Énergie CGT. Façon de rappeler que la centrale reste hostile à toute forme de rémunération variable et aléatoire. Ce qui ne l'empêche pas de réclamer que les salariés des filiales françaises et étrangères puissent également toucher la prime d'intéressement. L'argument cégétiste est simple : puisque leurs résultats sont pris en compte pour calculer la part groupe, pourquoi ne bénéficieraient-ils pas des mêmes droits que les autres salariés d'EDF ?