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Des critères de plus en plus ciblés

Dossier | publié le : 01.06.2003 | C.L.

Sécurité, productivité, satisfaction du client… l'intéressement ne se mesure plus à l'aune du seul résultat financier. Objectif : établir une relation claire avec la performance au plus près du terrain.

Restituer aux salariés une partie des fruits de la croissance de l'entreprise : tel était, à l'origine, l'objectif des accords d'intéressement. Mais celui-ci se transforme peu à peu en outil de management. Pour tenir compte de la diversité de ses activités et favoriser l'implication de l'ensemble de ses salariés, Kimberly-Clark a ainsi défini six unités de travail et pris en compte les priorités d'amélioration de chacune dans son accord d'intéressement. Ainsi les deux usines se sont vu attribuer des critères fondés sur la maîtrise de la consommation des produits et le « présentéisme », tandis que les divisions « marché » ont des objectifs fondés sur les résultats d'exploitation et la performance commerciale, comme le nombre de visites. Une première. Jusqu'à présent, la rémunération variable était très éloignée du quotidien des salariés, puisque les bonus reposaient sur la réalisation d'objectifs européens.

À l'instar de Kimberly-Clark, Renault, Michelin, Toyota, La Poste, Naf Naf ou ING ont pleinement tiré parti des possibilités offertes par la loi. Sans en rester aux seuls critères de croissance ou de rentabilité, elles retiennent des indicateurs de performance plus personnalisés et les déclinent dans leurs différents services ou unités, en les faisant bénéficier d'une large communication.

Engagés de longue date dans des démarches de qualité, les industriels ont donné le ton en matière d'intéressement à la performance. « Ils ont l'habitude de jongler avec les critères et d'en assurer le suivi », affirme Valérie Jaunasse, consultante à la Cegos. Par exemple, si l'accord de Renault prévoit de verser un intéressement en fonction des résultats nets du groupe, chaque usine a toute latitude pour définir localement son propre accord complémentaire. Objectif : piloter la performance au plus près du terrain en calant l'intéressement sur des critères industriels et non plus financiers, comme la qualité, la sécurité, la productivité…

Dans le tertiaire, certaines firmes se sont mises au diapason. L'accord d'ING, une banque directe de 200 salariés installée depuis trois ans en France, s'appuie sur trois objectifs communs aux équipes : croissance du montant global des dépôts, augmentation du taux d'équipement en produits des clients, amélioration de la productivité. « Ils collent au plan stratégique de la maison mère basée aux Pays-Bas et sont très motivants pour les collaborateurs, car ils sont au plus près de leurs préoccupations », fait valoir Nathalie Monroche, la DRH. Même la Sécurité sociale, dans le cadre de l'accord signé en juin 2002, a déterminé des indicateurs de performance qui renvoient à la politique de maîtrise des dépenses et aux délais de traitement, mais aussi au degré de satisfaction des assurés.

Un jeu de poupées russes chez ING

L'adoption de critères qualitatifs, comme la satisfaction des clients, permet un ciblage plus fin des accords. Mais l'intéressement reflète aussi les nouveaux enjeux de société. La fréquence des accidents du travail peut également être prise en compte depuis un arrêt de la Cour de cassation de septembre 2002. Même le développement durable pointe son nez. Michelin l'a introduit dans son accord (voir page 80), intégrant les idées émises par le personnel et sa sensibilité aux enjeux environnementaux, grâce à un indicateur lié à la norme ISO 14001.

Autre tendance forte, la déclinaison des objectifs par services. « Plus les équipes sont décentralisées, plus ce type d'accord est généralisé, souligne Francis Wright, consultant chez Hewitt. Être innovant est une affaire de culture d'entreprise. » Mais la formule est plutôt réservée aux PME, pour des questions de faisabilité. Tout en prévoyant une part liée aux résultats du groupe, l'accord d'intéressement de Naf Naf, qui concerne 400 salariés du groupe (les 800 employés des boutiques n'en sont pas jusqu'à présent bénéficiaires), prévoit une enveloppe par fonction : achats, bureau de style, service commercial, DRH, comptabilité, logistique… Chaque salarié s'est vu fixer un ou deux objectifs spécifiques de croissance et de rentabilité. Par exemple, les performances du service achats sont évaluées à partir de deux indicateurs : le rapport chiffre d'affaires hors soldes/chiffre d'affaires des invendus en boutique et la progression des ventes sur l'année antérieure. L'intéressement se déclenche lorsque les seuils fixés sont atteints. « Notre accord est un vrai levier opérationnel pour les chefs de service », estime Christophe Abraham, le DRH de l'enseigne de prêt-à-porter.

Véritable jeu de poupées russes, l'accord d'ING intègre, outre les objectifs collectifs, un intéressement spécifique à chaque service, pour le marketing, les opérations bancaires, l'informatique, la finance ou même les RH… Les critères recoupent l'activité du métier en question et reflètent, là encore, les préoccupations de la banque à distance. Par exemple, le marketing doit améliorer la rentabilité de ses actions, tandis que l'informatique est évaluée sur le nombre d'incidents mensuels, le temps moyen d'intervention et l'augmentation du taux de disponibilité des matériels. Quant au département ressources humaines, son objectif est d'optimiser les embauches, c'est-à-dire d'éviter les erreurs de recrutement qui coûtent cher à l'entreprise. Un ratio ad hoc, le nombre de collaborateurs en poste après la période d'essai sur le nombre de collaborateurs embauchés, sert à mesurer les progrès accomplis.

Un jackpot trop facile à décrocher

Dans l'industrie, les montages sont tout aussi savants. L'accord d'Unitol, entreprise spécialisée dans la transformation de l'acier (135 salariés), prévoit des objectifs différents pour la production, la maintenance, l'approvisionnement, le lancement et les expéditions. Le service maintenance s'est vu assigner deux critères : la productivité et la diminution des heures d'arrêt des machines. Pour mettre au point de tels Meccano, les spécialistes préconisent de retenir les objectifs en phase avec l'organisation sans multiplier les indicateurs. Les éléments ne doivent pas être subjectifs et doivent permettre une mesure aisée des performances recherchées. « Nos critères sont très parlants, estime Nathalie Monroche. Un indicateur de type résultat net n'aurait pas autant d'impact. »

Il faut également éviter que les objectifs soient trop aisés ou trop difficiles à satisfaire, pour ne pas créer de rancœurs entre les services. Chez ING, le service informatique, jugé sur un indicateur unique, s'est retrouvé dans la ligne de mire des autres départements. Lors de la première année d'application de l'accord, le jackpot était trop facile à décrocher. Le tir a pu être rectifié après la signature l'année suivante d'un avenant, comme l'autorise la loi. Pour porter ses fruits, l'intéressement ne doit pas non plus se télescoper avec les primes. « Nos primes portent sur les résultats de l'entreprise et la performance individuelle, ce qui évite les redondances », précise Didier Lévêque, directeur général adjoint d'Unitol.

Associer les salariés à la définition des critères évite parfois des malentendus qui sapent les effets escomptés. « Une démarche participative est également utile pour obtenir l'adhésion », affirme Valérie Jaunasse, de la Cegos. Naf Naf et ING l'ont jugée indispensable. « Nous avons fait du brainstorming par départements pour le choix des critères, relate Nathalie Monroche, et nous sommes arrivés à un consensus, ce qui est dans la tradition hollandaise de la maison mère. » L'implication des syndicats est un plus. « C'est une occasion rêvée de mettre en œuvre le dialogue social sur les performances de l'entreprise », explique-t-on au cabinet JMR.

C'est le choix de Renault. « Dans les usines, les critères ont été discutés avec les organisations syndicales, explique Michel Kérebel, DRH du groupe. Nous avons décidé de faire de l'intéressement un instrument de négociation locale et de communication. » Même logique à La Poste où les paramètres de résultat, d'efficacité et de qualité sont panachés. Le protocole stipule que « l'intéressement permet une compréhension mieux partagée des enjeux économiques qui caractérisent l'entreprise ». Instaurer le dialogue avec les partenaires sociaux peut éviter les blocages que suscitent parfois les accords sur la performance. Chez Aventis, en 2002, FO s'était opposée aux critères de performance par unité, estimant qu'il s'agissait de « primes à la carotte », les salariés étant mis en compétition entre eux et les augmentations générales étant détournées au profit de l'intéressement.

Bien souvent, pourtant, les accords liés à la performance recherchent une certaine forme d'équité, puisque l'enveloppe distribuée tient compte du temps de présence et pas seulement du salaire, ce qui incite tout le monde à tirer dans le même sens et peut donner un coup de pouce aux bas salaires. Renault a opté pour une formule mixte : la partie de l'intéressement liée au résultat du groupe dépend du salaire, mais le volet local, lui, est égalitaire. Pour 2002, le personnel a reçu en moyenne 1 648 euros, auxquels s'ajoutent 664 euros dans les établissements. Liant astucieusement intéressement et participation, Total a évité toute forme d'injustice : l'accord du pôle pétrole est mutualisé, c'est-à-dire que les résultats des 14 sociétés qui le constituent sont agrégés avant répartition. Une approche égalitaire que certains contestent, mais qui permet aux établissements déficitaires de ne pas être exclus de la partie.

Plus les critères sont personnalisés, plus les efforts de communication s'imposent. « Un suivi régulier est nécessaire pour maintenir l'implication », argumente Thierry Magin, associé de MCR Consultants. Chez Toyota, les indicateurs relatifs à la sécurité du travail, à la qualité et au volume de production sont analysés mensuellement et font l'objet d'un affichage et d'une communication accessible à tous. ING organise tous les six mois des opérations d'information pour faire « l'état des lieux ».

Toyota verse des acomptes chaque trimestre

Un surcroît de pédagogie s'impose lorsque les salariés ont la possibilité de verser leur intéressement sur un PEE au lieu de l'encaisser immédiatement et ainsi de bénéficier au bout de cinq ans d'une épargne qui échappera à l'impôt sur le revenu. Il faut alors les inciter à se montrer plus fourmi que cigale. Certains employeurs prévoient, dans ce cas, un abondement. Chez Naf Naf, il représente la moitié du montant épargné dans les limites légales, à condition que les salariés optent pour le fonds de l'entreprise, trois autres possibilités étant offertes.

Pour aller au bout de la logique de proximité, les entreprises, enfin, peuvent, depuis la loi Fabius de 2001, distribuer l'intéressement sur une base infra-annuelle, trimestrielle ou semestrielle. Peu d'entre elles ont fait le saut, jugeant la visibilité économique insuffisante. Pourtant, certaines ont joué les précurseurs, comme Toyota. La filiale française du constructeur nippon a opté dès janvier 2001 pour des versement trimestriels, en guise d'acompte à la prime annuelle d'intéressement.

Reste que les entreprises qui innovent dans ce domaine ne sont pas légion. Rien de surprenant. Selon l'enquête récente de la Dares, 4,5 % des entreprises disposaient d'un accord d'intéressement en 2000. Et seulement la moitié (49,5 %) des firmes de 500 salariés ou plus. La plupart de celles qui en possèdent un considèrent l'intéressement comme un succédané de la participation et, en priorité, comme un outil de création de valeur financière. Il faut dire que la complexité apparente des montages innovants rebute bien des DRH ! Il est vrai aussi que certaines firmes n'ont pas maîtrisé leur dispositif. « Lorsque les critères sont difficiles à évaluer, les accords sont peu efficaces », observe Francis Wright, du cabinet Hewitt. En cas de déconvenue, les entreprises préfèrent revenir à des accords classiques sur le résultat, qui ne font pas de vagues. Les salariés se contentant de découvrir une somme plus ou moins rondelette sur leur bulletin de paie, sans trop savoir comment elle a été calculée.

L'intéressement prend le pas sur la participation

En termes de motivation, l'intéressement a largement pris l'avantage sur la participation. Un dispositif qui s'est calcifié au fil des ans et a perdu son effet moteur. « Trop de salariés ne font pas le lien entre participation et performance, constate Francis Wright, du cabinet Hewitt, spécialisé dans les rémunérations. La participation est considérée comme un quatorzième mois automatique, alors que l'intéressement est un exercice triennal calé sur les objectifs de l'entreprise. » En outre, « la participation est de plus en plus souvent mise en cause, car le résultat est aléatoire », explique Valérie Jaunasse, de la Cegos.

Il est vrai qu'une entreprise de plus de 50 salariés peut très bien ne pas verser de participation en fonction de son organisation juridique ou pour de simples raisons de fiscalité, alors même qu'elle est en bonne santé.

C'est le cas de Renault, compte tenu du report de déficits fiscaux antérieurs. Son accord d'intéressement vient judicieusement combler le vide créé par l'absence de participation. Mais d'autres se dispensent d'instaurer un accord d'intéressement, profitant d'une formule de calcul vieillie pour ne pas verser la participation…

Deux mécanismes qui ne s'excluent pas

Quelques rares entreprises emboîtent participation et intéressement et préfèrent parler d'enveloppe salariale globale. Total a créé un système de vases communicants entre participation et intéressement. L'intéressement se déclenche si le différentiel entre la rentabilité des capitaux propres du groupe et la réserve spéciale de participation des 14 sociétés signataires est positif et atteint un certain seuil. « Nous redonnons ainsi du sens à la participation », fait valoir Yves Mutscher, responsable de l'épargne salariale. Ce type de montage est dans l'air du temps, puisque le ministre du Travail, François Fillon, a demandé au Conseil supérieur de la participation de réfléchir à la pertinence du calcul de la participation qui date de 1967 pour le mettre au goût du jour et, du coup, d'étudier son éventuelle fusion avec l'intéressement.

Les spécialistes réagissent prudemment à cette éventualité, jugeant que les deux mécanismes font sens. Pour Luc Chandesris, délégué général de Fondact (association qui promeut la participation dans l'entreprise), « la participation mesure l'accroissement des richesses de l'entreprise alors que l'intéressement est un outil de management souple, ciblé sur des préoccupations concrètes. Tous les systèmes monolithiques sont dogmatiques. Il faut donner de la souplesse, on l'a vu avec les 35 heures. En revanche, on peut rendre la participation plus attractive en modifiant sa formule financière de calcul ».

Il est vrai cependant que l'intéressement étant généralement considéré comme une participation bis, il est tentant de regrouper les deux. Quid, alors, des accords d'intéressement à la performance ? Pour Stéphane Huillet, associé du cabinet MCR Consultants, qui fait également partie du Conseil supérieur de la participation, « leur disparition au profit des seules primes individuelles serait préjudiciable au travail d'équipe et au projet d'entreprise ». Tant il est vrai que l'intéressement doit continuer à récompenser une performance collective de l'entreprise.

Auteur

  • C.L.