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Débat

Le rapport Chadelat propose-t-il de bons remèdes pour soigner l'assurance maladie ?

Débat | publié le : 01.06.2003 |

Chantier explosif, la réforme de l'assurance maladie sera engagée à l'automne par Jean-François Mattei. Un rapport controversé remis en avril au ministre de la Santé préconise l'accès de la couverture de base aux assureurs complémentaires. Cette mise en concurrence est-elle de nature à mieux réguler un système de santé qui devrait accuser un déficit de 9,7 milliards d'euros en 2003 ? La réponse de trois experts.

« Il ne précise pas explicitement les devoirs et missions de l'assurance maladie de base. »

CLAUDE LE PEN Professeur d'économie à Paris Dauphine.

Le rapport de Jean-François Chadelat a soulevé une vague de protestation venue de toutes parts. Et pourtant l'idée d'une redistribution des rôles entre les deux étages de notre système d'assurance maladie est généralement admise. La discussion sur le panier de soins y a préparé les esprits. De sorte que le rejet quasi unanime des pistes ouvertes par le rapport ne manque pas d'intriguer.

Sans doute faut-il trouver une explication dans le fait qu'il se préoccupe presque exclusivement des régimes complémentaires et fort peu du régime obligatoire. En transférant une partie des dépenses vers les régimes complémentaires, sans avoir auparavant abordé de manière explicite les devoirs et les missions de l'assurance maladie de base, Jean-François Chadelat a encouru le double reproche de vouloir à la fois « privatiser » une partie de la Sécu et encadrer l'activité des complémentaires ! Une des leçons de cette histoire est que, contre toute attente, les modifications de la clé de répartition entre les différentes institutions d'assurance maladie ne laissent pas les Français indifférents. Les réactions à la décision du gouvernement de baisser de 65 % à 35 % le taux de remboursement de 600 médicaments le montrent également.

Dans ce cas, comme dans le dispositif Chadelat, le remboursement total (Sécu et complémentaire) reste inchangé. Le redéploiement du financement devrait donc apparaître comme une mesure technique, peu susceptible de mobiliser des foules. Certes, les dépenses transférées auront une contrepartie sous forme d'augmentation des primes des complémentaires. Mais ce n'est pas là le réel fondement de la grogne.

En réalité, dans l'esprit de nos concitoyens, les territoires respectifs de l'assurance maladie de base et des assureurs complémentaires semblent bien délimités. Le premier, universel et obligatoire, est celui de la solidarité nationale ; le second fournit les espaces de liberté en fonction de la situation socioprofessionnelle de chacun. L'égalité dans le premier cas est la règle ; l'inégalité dans le second est admise.

Toute modification de ces territoires est donc perçue comme une redéfinition hautement politique des contours de la solidarité, indépendamment de son impact sur les finances des ménages. Le « qui finance ? » est aussi important que le « combien je suis remboursé ? ». Ce débat sur l'espace de la solidarité est complexe. Faut-il que l'assurance maladie obligatoire ne rembourse que les biens médicalement efficaces, au risque de cantonner les complémentaires dans la couverture peu gratifiante de l'inutile ? Faut-il qu'elle se concentre sur les pathologies graves, au risque de lancer un débat théologique sur la différence entre petit risque et gros risque ? Faut-il qu'elle ne prenne en charge que les personnes défavorisées, comme dans le cas de la CMU ? Le critère de démarcation doit-il porter sur la nature des biens, laissant par exemple le dentaire et l'optique à la charge des complémentaires, au risque de créer des inégalités dans l'accès à ce type de soins ?

On comprend que Jean-François Chadelat ait préféré éviter ces débats ardus et prôner une approche purement financière. Mais, finalement, ça ne marche pas et les questions difficiles doivent être résolues et non contournées.

« Il sera impossible de distinguer ce qui doit relever de la solidarité et des choix individuels. »

DOMINIQUE POLTON Directrice du Credes.

En France, l'articulation entre assurance publique obligatoire (AMO) et assurance privée facultative (AMC) obéit à un schéma singulier. Les deux secteurs ne sont pas segmentés sur des populations différentes, comme aux Pays-Bas ou en Allemagne, ni sur des prestataires de soins ou des niveaux de qualité différents, comme au Royaume-Uni ou en Espagne, mais interviennent sur les mêmes prestations, fournies par les mêmes médecins et structures, pour la quasi-totalité de la population. Cette imbrication est souvent critiquée comme un facteur de dilution des responsabilités. Il faut rappeler qu'elle préserve une solidarité plus générale que la sortie du système obligatoire pour les plus riches ou le coupe-file par l'accès à des hôpitaux privés pour les plus favorisés. En revanche, elle est porteuse d'une ambiguïté. Le financement conjoint de la quasi-totalité des services de soins met dans l'impossibilité de tracer une frontière entre ce qui serait considéré comme nécessaire et financé par la solidarité nationale et ce qui relèverait des choix et des budgets de chacun.

Le rapport Chadelat propose d'entériner et d'organiser cette imbrication. Il a le mérite d'expliciter un choix, aujourd'hui largement implicite, qui a tendu à déporter une charge financière croissante de l'obligatoire vers l'assurance volontaire. Mais il met aussi au jour les contradictions d'un tel dispositif. Tout d'abord, le schéma proposé officialise le principe selon lequel des dépenses considérées comme nécessaires ne soient pas financées par la solidarité nationale, puisqu'elles seront cofinancées par l'AMO et l'AMC. À aucun moment il ne s'interroge sur le fait que ce principe aboutit à un financement beaucoup moins équitable que le financement par la CSG ou les cotisations sociales : la mutualisation financière opérée par la couverture complémentaire est restreinte à des groupes d'individus, les primes sont en général indépendantes des revenus, la participation des employeurs est inégalement répartie. Quelle sera la dynamique d'un tel système ? Si les dépenses de santé continuent à augmenter au même rythme, comment gérera-t-on le décalage croissant entre ce que l'État considérera comme un panier de soins nécessaires et sa capacité à le financer ?

Une autre contradiction du dispositif envisagé concerne la gestion du risque. L'idée est avancée d'une corégulation du système par l'assurance obligatoire et complémentaire. Mais la première est en situation de monopole et conduit à des négociations collectives, alors que le caractère pluraliste et concurrentiel de l'assurance complémentaire conduirait plutôt à des logiques de contractualisation sélective avec les offreurs de soins. Au total, ou bien le schéma proposé consiste essentiellement à modifier le financement des dépenses de santé, en accroissant la part des financements forfaitaires au détriment des financements proportionnels. Ou si vraiment les complémentaires sont associées à une cogestion collective, à quoi sert alors la pluralité des acteurs et la liberté de choix des assurés ?

« Il supprime les avantages des contrats de groupes, là où seule s'exerce la concurrence. »

PIERRE-YVES GEOFFARD Directeur de recherche au CNRS.

Puisque le principe général du rapport Chadelat revient à donner un rôle plus étendu à des organismes intervenant dans un cadre concurrentiel, il est légitime de se tourner vers les deux pays où le financement des soins s'effectue de cette manière : les États-Unis et la Suisse. Aux États-Unis, les financeurs gèrent de manière active la demande. Mais le managed care se traduit aussi par des interventions accrues des assureurs dans la production des soins : contrôle de la qualité, sélection et coordination des offreurs, actions sur les modes de rémunération des professionnels. Ces outils de gestion de l'offre sont indispensables à une meilleure efficacité du système. En Suisse, les assureurs, privés de tels outils, assistent passivement à la forte augmentation des dépenses.

Les propositions du rapport Chadelat sont très pauvres sur ce premier point. Même s'il s'agit d'associer les assurances complémentaires à la gestion du risque, le rapport évoque différents mécanismes de gestion de la demande mais reste flou sur les outils qui permettraient à ces acteurs de réguler l'offre de soins. Rien sur le conventionnement sélectif des professionnels de santé, rien sur leurs modes de rémunération. Le rapport Chadelat préconise que les intervenants complémentaires au titre de la couverture de base respectent des principes de non-sélection des risques et de non-majoration pour état de santé. Sur ce point, l'exemple suisse est éclairant. Pour le contrat de base, les assureurs ne peuvent procéder à la sélection des risques et leur tarification doit être uniforme. Mais ils peuvent proposer des contrats complémentaires, libres de telles contraintes. Toutefois, il est rare qu'un assuré choisisse deux assureurs différents pour les contrats de base et complémentaire. La sélection des risques s'effectue à travers ces contrats complémentaires et touche de facto le régime de base. Il est donc assez illusoire de penser que « les principes fondamentaux de l'éthique assurantielle » seraient respectés sans une forte régulation des contrats qui interviendraient en complément de la couverture de base.

En Suisse, les assureurs de base proposent les mêmes contrats, couvrant les mêmes prestations. Les assurés peuvent très simplement comparer l'offre : seules les primes diffèrent d'un assureur à l'autre. C'est cette possibilité d'opter pour les assureurs les moins chers qui fournit l'aiguillon de la concurrence. Mais, en pratique, la mobilité est très faible, notamment à cause des contrats complémentaires qui sont peu standardisés, difficilement comparables et complexes à évaluer. Le signe le plus manifeste que cet aiguillon joue mal est le fait que d'importantes différences de primes subsistent. Des problèmes comparables existent aux États-Unis, où la comparaison de l'offre est ardue, en raison de la complexité des contrats et des réseaux de soins. Il apparaît que des acteurs collectifs sont indispensables à l'exercice de la pression concurrentielle. Le seul domaine où ils semblent jouer un rôle actif est celui des contrats de groupe. Or le rapport Chadelat propose de supprimer les avantages fiscaux et sociaux attribués aux entreprises et aux salariés pour la souscription de contrats de santé. Se reposer, en la matière, sur la capacité des consommateurs à faire jouer la concurrence est pour le moins illusoire.