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Vie des entreprises

Vendroux met les salariés d'ElcoBrandt sur programme rapide

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.2003 | Sandrine Foulon

Nouvelle stratégie, organisation simplifiée, direction renouvelée… pour remettre à flot le fabricant repris par Elco en 2002, le commando de choc piloté par Bruno Vendroux n'a pas chômé. Il lui faut encore négocier statuts et conventions et, surtout, motiver des troupes qu'inquiètent les délocalisations.

Un homme sonne à la porte. Une jolie blonde l'embrasse, entreprend aussitôt de le déshabiller et file illico avec ses vêtements. Arrive alors un autre individu, entièrement dévêtu lui aussi. « Qu'est-ce qu'elle a, ta femme ? » s'enquiert le premier. « Une Brandt », répond, un rien désabusé, le mari. Ce spot, diffusé à l'automne sur le petit écran, a symbolisé pour le grand public comme pour les salariés le come-back de Brandt sur la scène des produits blancs, après deux ans d'absence.

Car le numéro un de l'électroménager français revient de loin. Il y a vingt mois, sous la houlette de l'actionnaire italien Elfi à l'origine du rachat et de la fusion calamiteuse avec Moulinex, Brandt déposait son bilan. Reprise en janvier 2002 par le groupe israélien Elco et désormais pilotée par Bruno Vendroux, un ancien de Brandt débauché pour l'occasion d'Électrolux, la société et ses 5 000 salariés tentent de regagner les parts de marché perdues. À un train d'enfer, le nouveau P-DG a défini une stratégie (réorganisation de la logistique, repositionnement des marques, création de nouvelles gammes…) et remodelé entièrement le management pour remettre l'entreprise sur les rails. Aujourd'hui, il s'agit pour lui de faire vivre cette nouvelle organisation et de motiver des troupes traumatisées par la cessation de paiements et préoccupées par la déferlante des délocalisations pratiquées chez leurs concurrents.

Les premiers résultats, bénéficiaires sur l'exercice 2002 (+ 15 millions d'euros malgré des parts de marché tombées de 21,5 % à 17,7 %), confortent Bruno Vendroux dans ses choix. Mais, dans un contexte de baisse de la consommation, l'exercice, périlleux, consiste à assurer la pérennité des sept sites de production sur le territoire et de la nouvelle usine italienne rachetée en 2002, tout en cherchant à acquérir des usines à l'Est pour desservir des marchés en progression « à deux chiffres ». Tout cela avec une entreprise qui repart, selon ses propres termes, « from scratch ».

1 RECONSTRUIRE LE MANAGEMENT

Urgences. Comme dans le feuilleton du même nom, Bruno Vendroux, le P-DG de la nouvelle société ElcoBrandt, s'est démené pendant un an et demi pour ranimer une entreprise sauvée de justesse de l'arrêt cardiaque. Au lendemain de la reprise par le fabricant de climatiseurs israélien Elco, en janvier 2002, les clés des usines en main et sans personne ou presque pour passer le témoin, Bruno Vendroux a vécu un scénario à vitesse accélérée. « Tout n'était qu'urgence. Si les journées avaient pu avoir plus d'heures… », se souvient celui qui a eu alors le sentiment de s'attaquer à un Everest de dossiers à mains nues. Un exemple parmi d'autres : « À mon arrivée en février, notre unique prestataire pour la logistique en France nous a annoncé qu'il renonçait à travailler pour nous au 1er avril. Aujourd'hui j'en souris, mais à l'époque je ne trouvais pas cela drôle du tout. Si vous ne livrez plus, vous ne facturez plus. » Du coup, le P-DG a retroussé ses manches et assuré le boulot. Dix-huit mois plus tard, un nouveau schéma de distribution a conduit à la création de deux plates-formes logistiques chargées de servir la France et l'international.

Depuis les premiers jours, sa priorité numéro un a consisté à mettre sur pied un management capable de faire tourner les turbines. Car, pendant les quatre mois d'administration judiciaire, entre le dépôt de bilan et la reprise par Elco, l'entreprise a tourné au ralenti avec une gestion des stocks, une politique d'innovation, des ventes ou de la publicité au point mort. Sans compter des trous dans l'organigramme. Plus de directeur du marketing et de la communication, plus de patron des ventes pour la France alors que le groupe y réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires.

Un constat nuancé par un cadre de l'ancienne équipe dirigeante. « Dans sa proposition de plan de reprise, c'est au candidat de choisir les postes qu'il souhaite conserver. Le DRH, le directeur de la qualité ou encore le responsable de la supply chain/logistique en place n'en faisaient pas partie. Quant au directeur financier, on lui a demandé de partir quelques mois après la reprise. » Mais, pour garantir le leadership de la marque, assurer trois points de résultat et gagner cinq points de parts de marché dans les cinq prochaines années, l'objectif affiché de Bruno Vendroux, celui-ci a constitué un commando de choc. Cet ancien de la maison – à l'époque où Brandt était dans le giron de Thomson puis d'Électrolux – a recruté ses experts parmi la « bande à Lagarde », du nom d'Henri Lagarde, patron de Thomson Électroménager (TEM) jusqu'en 1993, et au sein de « l'Électrolux connection », comme dit l'un de ses proches : Frédéric Loquin, le directeur commercial, Didier Schwarz, le directeur marketing, Philippe Ménard, le directeur industriel (depuis remplacé par Max Hodeau, issu de Thomson), Daniel Sevenier, le directeur administratif et financier, et Dominique Laurent, le DRH, ont tous, à un moment donné de leur vie professionnelle, travaillé dans l'une ou l'autre de ces entreprises.

Aujourd'hui, la moitié du comité de direction (comprenant 14 hommes et… aucune femme) est constituée d'anciens collaborateurs de Bruno Vendroux. Le P-DG a composé autour de lui un directoire resserré de quatre personnes, avec le DAF, le DRH et le directeur industriel. La garantie pour lui de pouvoir se mettre au boulot sans tarder et de travailler en confiance. « Vendroux sait déléguer. Nos relations de travail reposent sur une grande complicité, confie Didier Schwarz, qui le côtoie depuis quinze ans. Une fois qu'on est d'accord sur les grandes lignes de la stratégie, pas besoin de multiplier les réunions. Beaucoup de choses se règlent par téléphone, par mail, dans le parking ou l'ascenseur… »

Mais l'arrivée de cette garde rapprochée ne s'est pas faite sans heurt. « Cela ne me disait rien de voir des anciens de Brandt revenir et de ne plus travailler avec des gens avec lesquels j'avais partagé une aventure », explique un cadre qui a préféré quitter la société. Cette équipe de choc, soudée et combative, n'a pas été du goût de tous, notamment des rescapés de Brandt-Moulinex. « Par expérience, le choc culturel est inévitable, relativise Frédéric Loquin. Et ce n'est pas parce que ce sont des anciens de Brandt qui sont revenus aux commandes. Cette société, au même titre que d'autres qui ont prospéré pendant les Trente Glorieuses, n'a pas eu l'habitude de voir remis en cause un certain nombre de méthodes et de process. Si on a toujours travaillé avec une hiérarchie verticale, on a plus de mal à accepter la transversalité. »

2 DÉTECTER LES POTENTIELS

Dans sa grande remise à plat, Bruno Vendroux a entrepris de simplifier organisation et hiérarchie. À son arrivée, les directions marketing se comptaient par quatre : groupe, international, France et usines. Trois semaines plus tard, il n'en subsistait plus qu'une, qui a immédiatement planché sur le repositionnement des cinq marques françaises, Sauter, De Dietrich, Brandt, Thomson, Vedette, et des trois italiennes, Ocean, Samet et SanGiorgio, afin de mettre un terme à la confusion et aux « conflits de territoire ». Impossible d'avoir une marque haut de gamme avec des offres milieu ou bas de gamme. Parallèlement, l'équipe dirigeante a ranimé la politique de développement et d'innovation (100 % des gammes ont été renouvelées à la fin avril), relancé le plan de charge des usines, avec tout de même quelque 1 050 salariés en moins – effectif qui n'a pas été repris par la nouvelle entité ElcoBrandt –, remodelé le service des achats et repensé la stratégie commerciale. Mieux adapter les forces de vente aux réalités du marché a été également l'un des grands chantiers de la nouvelle équipe. À ce titre, il a fallu nommer des responsables des grands comptes.

Pour accompagner cette lame de fond, une politique baptisée Énergies RH a vu le jour. Un programme en 10 points, parmi lesquels figurent la détection et le développement des profils les plus prometteurs. Des entretiens annuels de progrès, identiques pour tous, ont été formalisés. Grâce à ces outils, les responsables hiérarchiques évaluent les collaborateurs, mais ils doivent être aussi capables d'identifier des talents, de l'ouvrier au cadre, susceptibles d'accéder à des comités de carrière composés de membres de la direction et de la DRH locale, voire du groupe. « Nous avons souhaité une politique sélective, souligne Dominique Laurent, le DRH. Ces people reviews sont destinées chaque année à moins de 5 % de l'effectif. » à charge, ensuite, pour les responsables de mettre en œuvre les mesures individuelles afin de retenir, voire faire progresser les plus talentueux : augmentations de salaire, formations de haut vol…

Une stratégie censée doper la mobilité. Né dans les Ardennes, fils d'agriculteurs et neveu d'Yvonne et de Charles de Gaulle, le P-DG ne s'embarrasse pas de périphrases. « Les meilleurs des meilleurs doivent être chez nous. Si l'on possède ces experts, bravo ! Si l'on détecte des salariés capables de le devenir : formation. Mais si les personnes ne sont pas adaptées : solution. » Et s'il faut mettre un chasseur de têtes pour débusquer le spécialiste idoine, Bruno Vendroux n'hésite pas à mettre le prix. Pas question de se tromper sur les embauches. « Trop de compétences avaient quitté le navire, poursuit le DRH. Quant au recrutement, il était totalement externalisé. Nous l'avons réinternalisé pour une part. »

Pas question non plus de lésiner sur la formation, outil indispensable pour développer une culture managériale. L'entreprise y consacre 3 % de sa masse salariale. En marge d'une charte du management dotée de cinq engagements, une formation intitulée Cap management a également été montée de toutes pièces pour partager des pratiques communes.

3 FAIRE CIRCULER L'INFORMATION

S'il y a eu un avant et un après-dépôt de bilan, il en a été de même pour la communication. Dans son bureau entièrement vitré, Jean-François San Carlos, le jeune directeur d'usine d'Orléans, a senti la différence. « Le précédent actionnaire était très interventionniste sur les aspects techniques et financiers mais se souciait finalement peu du social. La communication n'était pas sa préoccupation première. Puis, pendant la période d'administration judiciaire, très peu d'informations filtraient. Le changement a été radical après la reprise. » Dans les semaines qui ont suivi, Bruno Vendroux est descendu dans l'arène pour exposer sa stratégie. Les valeurs du groupe, l'outil industriel, les compétences ont été mis en avant. Et, fin avril, les top managers étaient conviés à la présentation du projet d'entreprise.

Même son de cloche de la part de nombreux syndicalistes. « Le dialogue et l'écoute se sont nettement améliorés », remarque Didier Pasquier, délégué central CFDT à Vendôme. En novembre 2002, une grande journée a été organisée avec 22 délégués syndicaux qui, à l'exception des représentants de la CGT de Lyon, sont tous venus. L'ensemble du directoire était présent pour répondre aux questions et prévenir les inquiétudes. Les supports de communication se sont aussi affinés. Outre la lettre d'infos mensuelle, un intranet a été mis en place. À terme, à l'instar du site pilote de Lyon, toutes les usines devraient également être équipées d'ordinateurs en libre-service pour permettre au personnel de production d'accéder à l'information. Communiquer les chiffres, abreuver les salariés de données sur le marché, Bruno Vendroux y croit dur comme fer.

« Nous devons alimenter nos partenaires sociaux, renchérit Dominique Laurent. Il s'agit par exemple de faire comprendre que s'acharner à vouloir fabriquer des micro-ondes bas de gamme en France alors qu'ils valent une bouchée de pain en Corée est une attitude suicidaire. » Le débit posé – personne ne l'a jamais vu piquer une grosse colère –, le vocabulaire exempt de termes à la mode, Bruno Vendroux n'a pas la langue dans sa poche. Surtout quand il s'agit de parler du business des lave-linge top ou front, des congélateurs coffres ou des fours à vapeur. « Le politiquement correct, Vendroux ne connaît pas, confirme Didier Schwarz. S'il estime que nous ne sommes pas assez compétitifs ou trop nombreux sur tel produit, il n'hésite pas à le dire. » Et Frédéric Loquin d'enfoncer le clou : « Je suis persuadé que, dans notre métier, il reste l'une des personnes qui savent le mieux communiquer à l'externe et en interne. À quoi sert de manier la langue de bois si c'est pour emmener ses troupes dans le mur ? »

Au nom de cette logique de transparence, le P-DG a également souhaité qu'une enquête de satisfaction soit réalisée dans l'ensemble du groupe. Des retours globalement positifs, même s'ils le confortent dans la nécessité de communiquer encore davantage. Sur le site d'Orléans, un sondage a aussi été effectué pour connaître la perception des salariés. Des résultats affichés sur les murs de l'usine. Et, cette année, l'entreprise compte bien s'engager dans la notation sociale.

4 CALMER LES INQUIÉTUDES

Cet afflux de communication ne contribue pas toujours à rassurer les salariés. Et l'enthousiasme de l'équipe dirigeante a parfois bien du mal à être partagé sur le terrain. Les personnels ont appris à se méfier des promesses, même si l'équipe actuelle se défend bien d'en faire. La période de grâce de quinze mois après la reprise pendant laquelle statuts et convention sont maintenus (ancienneté, primes, treizième mois…) vient en outre de s'achever en avril. Après un dépôt de bilan, les accords deviennent caducs de fait et il s'agit de s'asseoir à la table des négociations. Mais, surtout, les salariés ont bien en tête qu'aucun plan social n'est possible avant la fin de cette année. Une date butoir qui effraie. Un coup d'œil sur les concurrents ne les rassure pas. ElcoBrandt reste aujourd'hui quasiment le seul à fabriquer du gros électroménager en France. À Aizenay, unique lieu où l'on produit encore des micro-ondes, les 270 salariés ont le sentiment d'être les derniers des Mohicans. « Daewoo en Lorraine et Moulinex en Normandie ont fermé boutique… Le groupe veut racheter des usines dans les pays de l'Est et en Chine. Cela peut devenir dangereux pour nous. Alors, évidemment, on a des craintes », affirme Marcel Chauvet, délégué CFDT du site.

L'entreprise a beau marteler qu'il s'agit de servir les marchés locaux et qu'elle perdrait beaucoup d'argent dans les frais de port à rapatrier les produits en France, les inquiétudes subsistent. À Nevers, où quelque 300 salariés fabriquent des composants, moteurs et pompes, le scepticisme prévaut. « Les lignes de production s'arrêtent. Depuis janvier, la fabrication du moteur à deux vitesses du sèche-linge a été transférée en Pologne, constate André Oukidja, élu au comité d'entreprise. Les personnes qui le produisaient ont été affectées à un autre produit. En juin, c'est le moteur du sèche-linge qui devrait partir en Roumanie. Et là, rien n'est prévu. »

À Lesquin, dans le Nord, qui a perdu 450 salariés dans la tourmente, il ne reste plus qu'une chaîne, la « L5 », sur cinq. « Nous sommes les seuls à fabriquer des congélateurs coffres avec du vieux matériel, déplore Pierre Delabie, délégué CGT. Quand on sait que l'usine italienne de Verolanuova fabrique des réfrigérateurs et des congélateurs et qu'ici nous sommes dans le rouge, on n'est pas du tout rassuré. »

Car la tendance du marché est au regroupement par monofamilles. En clair, au rapatriement du lavage, de la cuisson ou du froid dans une seule et même localité. À Orléans, Vendôme et Aizenay, spécialistes de la cuisson, les interrogations fusent. Même sentiment à La Roche-sur-Yon où les ouvriers ont chaque jour sous les yeux un bâtiment déserté. Souvenir des 200 personnes parties d'un coup avec, selon les cas, des préretraites FNE, leurs indemnités et la « prime Moulinex » de 50 000 francs. Des chaînes vendéennes sortent des lave-vaisselle mais aussi des lave-linge, ces derniers étant également fabriqués à Lyon. « Des études sont en cours pour savoir quelle solution pourrait apporter le plus de gains de productivité, indique Dominique Tessier, déléguée CFDT. Sachant que, dans l'éventualité d'un déménagement, peu de salariés suivraient. Avec une moyenne d'âge de 47,5 ans, il ne faut pas espérer une grande mobilité ».

Dans un marché aussi concurrentiel que celui de l'électroménager, la direction ne se hasarde pas à faire des pronostics. « Pourquoi raconter des mensonges ? Nul ne peut dire de quoi 2010 sera fait », résume Ugo Schreiber, DRH du site d'Orléans mais aussi chargé de la coordination RH des autres usines. Il préfère mettre en avant les investissements. À Lesquin, plus de 6 millions d'euros ont été budgétés pour la fabrication de congélateurs coffres. Sur l'ensemble du groupe, 100 millions d'euros ont été investis sur 2002-2003. Reste à savoir quels seront les établissements les mieux lotis. « Des études de rentabilité, il y en aura toujours, analyse, fataliste, Christian Sothier, délégué central FO à Lyon. Nos patrons sont payés pour ça. Des regroupements, pourquoi pas ? Mais à nous, représentants du personnel, de nous montrer vigilants et de ne pas laisser déshabiller Pierre pour habiller Paul. »

Autre dossier épineux pour le groupe, la pyramide des âges. Avec des effectifs dont la moyenne d'âge est de 44 ans, le taux d'absentéisme est élevé. « Lyon détient le record avec un taux de 13 à 18 % », relève Christian Sothier. « Dans une fabrique située à la campagne comme Vendôme, l'absentéisme frôle les 4 %, tempère Ugo Schreiber. Dans les centres-villes, il a plutôt tendance à augmenter. » Mais, là encore, l'entreprise essaie de ne pas rester inactive. Un comité de travail transversal sur l'environnement, l'hygiène et la sécurité a été créé et planche notamment sur l'ergonomie de certains postes.

À Orléans, l'une des vitrines d'ElcoBrandt, Alain Landau, qui fait partie du comité de travail et se rend désormais sur les autres sites, n'est pas peu fier de la trentaine de « groupes d'amélioration continue » répartis dans l'usine et des petits plus qui changent le quotidien. « Les gants n'étaient pas adaptés. Pour attraper des petites pièces, les ouvriers avaient tendance à les enlever et finissaient par se couper en manipulant la tôle, très incisive. C'est inacceptable. Nous avons trouvé chez un fabricant asiatique une fibre à la fois très résistante et très souple. OK, ça coûte cher, mais on y gagne en évitant les arrêts de travail. »

5 HARMONISER LES STATUTS

Gommer les disparités entre les diverses usines est un autre cheval de bataille de la nouvelle équipe. Chez Brandt ancienne époque, chacun était organisé en société juridique autonome développant sa propre politique de ressources humaines. Condition idéale pour laisser les baronnies s'installer. Et les différences se creuser. Sur le site d'Orléans, où une grande majorité des 775 salariés s'affairent à fabriquer des fours, des cuisinières et des tables à induction, la prévoyance n'était pas obligatoire. « Le risque décès n'était pas couvert. On ne pouvait pas vivre en paix avec ça », souligne le DRH, qui l'a généralisée. Montant de l'opération : quelque 153 000 euros de charges patronales à mettre au pot.

Autre objectif : mettre en place une politique de rémunération globale. Et, en premier lieu, tenter d'harmoniser les logiciels de paie. Pas moins de six moteurs coexistaient. « De mon poste, impossible de savoir combien gagne un opérateur à Aizenay ou à La Roche-sur-Yon, déplore Dominique Laurent. Un gros travail est en cours pour simplifier tout ça. » Autre mesure actée, l'introduction d'une part variable pour l'ensemble des managers. Désormais, elle oscille entre 5 et 30 %. À terme, ce sont les cadres qui devraient être concernés.

Quant aux 88 commerciaux, leur mode de rétribution a également été revu. « Depuis janvier, un tiers de notre salaire est versé en fonction d'objectifs, explique un commercial. Avec des seuils très ambitieux. Certaines primes se déclenchent si l'on atteint 50 %, voire 70 % des objectifs. Ça peut être démotivant, surtout sur un marché hyperconcurrentiel comme le lave-linge top. D'autres produits, comme le lave-vaisselle, sont plus faciles à vendre. En revanche, il n'y a plus de limite à la hausse. Si on cartonne sur un produit, on peut toucher jusqu'à vingt fois la prime. » Il y a un peu plus d'un an, chacun a senti le vent du boulet et la pression est très forte. « On bosse comme des fous car, chaque mois, une nouvelle gamme, un nouveau produit sont à présenter. Le soir, à la maison, il y a encore des données à entrer dans l'ordinateur. Les réunions ont parfois lieu le dimanche. On est vraiment tous à fond, surtout dans un contexte économique peu favorable. Le tout est de ne pas franchir la ligne jaune. »

Par ailleurs, tous les DRH locaux ont entrepris de négocier des accords d'intéressement avec les partenaires sociaux. Seuls les sites de Lesquin, Nevers et Lyon n'en possèdent pas encore. Les ouvriers, dont le salaire moyen avoisine les 1 200 euros brut, ont pu cette année bénéficier, selon les accords locaux, d'une augmentation collective, de 2,2 % à Vendôme, 2 % à La Roche-sur-Yon… « C'était la première fois depuis six ans », note Dominique Tessier, déléguée syndicale CFDT en Vendée. Une revendication salariale très présente dans le groupe.

Le seul dossier qui échappe au mouvement d'harmonisation est celui des 35 heures. « Il faut respecter les rythmes de chaque établissement en fonction de la saisonnalité des produits », plaide le DRH. Les huit sites français rassemblent l'éventail des aménagements possibles. Accords Robien, Aubry 1 et Aubry 2 avec des modalités très différentes selon les usines qui prennent en compte le travail de nuit ou les VSD (le travail de fin de semaine). À Aizenay, on ne travaille pas le vendredi après-midi et les salariés n'ont guère envie de travailler le samedi en période haute. À Lyon, 10 samedis sont travaillés dans l'année et, en 2002, pour la première fois, l'usine n'a pas fermé cet été pour assurer la production. Un joli casse-tête. Du coup, les négociations ont lieu localement. L'idée n'est pas de détricoter les accords précédents ni de profiter de la récente loi Fillon. Garantir la paix sociale reste une priorité pour la nouvelle équipe dirigeante.

En octobre dernier, un comité central d'entreprise a été constitué. Une occasion supplémentaire pour les syndicats des différentes entités industrielles de mieux se connaître et de jouer collectif. « Le seul intérêt de ce dépôt de bilan a résidé dans la rencontre de partenaires sociaux qui s'ignoraient », souligne Michèle Valois, déléguée CFTC à Saint-Ouen-l'Aumône, où se trouvent les pièces détachées. Quant aux salariés, encore échaudés par la déconfiture de Brandt-Moulinex, ils ont appris à se montrer prudents. De tous les repreneurs, l'israélien Elco était le mieux-disant social. Et beaucoup sont soulagés d'avoir pu conserver leur emploi.

Au bout d'un an et demi, Bruno Vendroux a le sentiment d'avoir remporté la première manche. « Il aime son métier et à l'air de savoir entraîner des troupes, remarque un technicien de Lyon. Qui n'a pas envie que son groupe bouge ? Finalement, c'est ce qu'on espère d'un vrai patron. » Mais, comme le dit une ouvrière de La Roche-sur-Yon, résumant bien le sentiment général, « on attend de voir ».

Entretien avec Bruno Vendroux :
« L'industrie ne peut continuer de produire en France qu'à condition de favoriser la création de valeur »

Tout petit, Bruno Vendroux a dû tomber dans une machine à laver. À 56 ans, ce diplômé de l'Elssca est toujours aussi passionné. Le résultat de toute une carrière dans l'électroménager, d'abord chez Brandt, où il est entré en 1974, puis chez Électrolux, où il a passé neuf ans avant d'être appelé à la rescousse par Elco. Ce pragmatique a un sens aigu du commercial et du marketing, qui va se nicher dans les moindres détails. Les téléphones qui sonnent dans le vide lui font horreur. « Je l'ai vu quitter une réunion pour aller décrocher. Il peut y avoir un client au bout du fil », raconte un collaborateur. Il est tout aussi capable de se battre pour imposer une touche de couleur noire pour le lavage des vêtements foncés. Un de ces petits trucs qui peuvent cartonner. Chasseur, adepte du Paris-Versailles, il court, il court ce marathonien qu'on verrait plus volontiers dans une mêlée de rugby. Il partage avec Jean-Pierre Raffarin un goût prononcé pour Johnny Hallyday. Seul point commun, car ce neveu d'Yvonne de Gaulle ne parle jamais de politique. Il ne tire pas non plus à boulets rouges sur le droit social. Pas le temps. Car il lui faut avancer pour que Brandt redevienne le chouchou des Français.

Après le rachat de l'entreprise, a-t-il été facile de remotiver les troupes ?

Un dépôt de bilan est traumatisant. Les gens de Brandt se sont sentis trahis. Ils ont tout donné à cette boîte et n'ont pas compris comment leur entreprise s'est trouvée du jour au lendemain en cessation de paiements. Il a fallu, et ce n'est pas fini, dire la vérité et évoquer le nouveau challenge.

L'actionnaire israélien est-il interventionniste ?

Elco possède une pratique extraordinaire de délégation. Pragmatisme, autonomie et confiance. Ça, c'est un bonheur. Il se comporte en investisseur et ne s'attache qu'au résultat.

À nous maintenant de consacrer les deux années à venir à optimiser la nouvelle organisation. Je parie beaucoup sur les experts. Mon rôle est de les faire travailler entre eux.

Vous revendiquez le fait de fabriquer en France…

Il n'y aura pas de remise en cause mais une évolution. Notre expertise est française et italienne, désormais, pour servir prioritairement les marchés ouest-européens. Mais il faut l'accompagner d'une nouvelle présence sur les marchés où les évolutions sont fortes. L'avenir, c'est le bon équilibre entre l'Europe de l'Ouest, dans laquelle les volumes et les attentes sont stables, et l'Est et la Chine, où les marchés progressent à deux chiffres et où nous devons faire des acquisitions.

Est-ce une gageure de produire en France ?

Non, à condition de favoriser la création de valeur. Sur le site d'Aizenay, on fabrique des micro-ondes haut de gamme avec une stratégie inverse de celle des pays asiatiques. Prenez un petit frigo d'entrée de gamme. Si deux fabricants d'Europe de l'Ouest le font encore, c'est le bout du monde. C'est un constat. Ça n'empêche pas 100% des fabricants de réfrigérateurs d'avoir des usines de réfrigérateurs en Europe. Mais à un moment donné il y a un produit d'entrée de gamme qui, pour des raisons de compétitivité, part se faire fabriquer ailleurs. On ne va pas pour autant fermer l'usine de La Roche-sur-Yon pour la déplacer en Chine.

En France, les salariés redoutent des regroupements géographiques par familles de produits…

C'est normal qu'ils se posent ce genre de questions. Nous sommes dans un marché de grande consommation hypercompétitif. Il n'y a qu'une direction à prendre, celle de la performance. Elle seule fait la décision. Garantir la pérennité de telle usine, annoncer des recrutements ou des suppressions d'emplois serait mentir.

Êtes-vous préoccupé par les évolutions de la législation française ?

Nous n'avons pas vraiment eu le temps d'y penser. Nous ne profiterons pas de la loi Fillon, ou avec raison. Nous avons besoin de stabilité. En un an, nous avons beaucoup travaillé sur le social : uniformisation du système de prévoyance, intéressement pour tout le monde, développement d'une culture managériale… Encore une fois, l'important est de bâtir l'étape suivante, de restaurer les volumes. Et, dans ce cas-là, beaucoup d'indicateurs passent au vert. Quand on est le dos au mur, ce qui était notre cas il y a un an, les priorités sont différentes. À ce moment-là, personne ne se pose la question du travail le samedi. Pourquoi un paysan partirait-il en vacances pendant la moisson ? L'été dernier, l'usine de Lyon est restée ouverte pour assurer la sortie d'un produit. Il a fallu négocier, mais ça a marché.

Votre pyramide des âges est très élevée…

Dans son créneau, l'usine de Lyon, qui a une pyramide vieillissante, possède le meilleur taux de service en Europe. L'expertise des anciens y contribue largement. Mais l'âge peut signifier aussi stagnation et il faut anticiper. Nous devons repenser les process avec de l'ergonomie et de la formation. Les préretraites sont une solution de crise. Il faut tout mettre en œuvre pour les éviter.

Croyez-vous à la notation sociale ?

Une entreprise doit être mesurée sur ses résultats et sur le social. C'est aussi l'intérêt des enquêtes de management et de performance menées en interne. Nos salariés nous jugent. Et la démarche est riche d'enseignements. Elle prouve que le chantier de la communication interne est énorme. Vous pouvez travailler comme un fou avec un comité de direction très impliqué et vous rendre compte que sur le terrain personne n'a jamais entendu parler de la moitié des choses qui vous empêchent de dormir. Mais nous en sommes responsables. La tâche en incombe aux managers.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Sandrine Foulon

Auteur

  • Sandrine Foulon