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Vie des entreprises

Ennuis NTIC

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.05.2003 | Jean-Emmanuel Ray

Téléphone mobile et ordinateur portable ont deux facettes pour le salarié : un fil à la patte, certes, mais aussi des outils de communication qu'il peut utiliser à des fins personnelles. D'où deux risques d'abus : un empiétement du travail sur la vie privée et un usage abusif des NTIC mis à disposition par l'entreprise. La jurisprudence veille au grain.

Branle-bas de combat s'agissant des NTIC en droit de la Sécurité sociale, avec la circulaire du 7 janvier 2003 prévoyant de complexes règles d'assujettissement des mobiles et autres ordinateurs portables confiés aux collaborateurs. L'évaluation au réel suppose par exemple que l'employeur puisse exactement déterminer la part respective de l'usage professionnel et de l'usage personnel : opération périlleuse en droit et souvent impossible en fait. Même problème en droit du travail avec la loi du 17 janvier 2003 permettant d'imputer les temps d'astreinte par portable sur les temps de repos, cassant l'arrêt du 10 juillet 2002 ayant rappelé qu'une astreinte à domicile étant a priori astreignante, elle ne pouvait être considérée comme temps de repos. Si les arrêts de la Cour de cassation restent peu abondants, nombreuses sont en revanche les cours d'appel amenées à se prononcer sur ces questions nouvelles.

1° Loyauté et NTIC

« Si le salarié n'est pas tenu de poursuivre une collaboration avec l'employeur durant la suspension de l'exécution du contrat de travail provoquée par la maladie ou l'accident, l'obligation de loyauté subsiste pendant cette période et le salarié n'est pas dispensé de communiquer à l'employeur, qui en fait la demande, les informations qui sont détenues par lui et qui sont nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entreprise. »

S'agissant d'une salariée en arrêt maladie qui avait refusé de communiquer son mot de passe informatique et avait été licenciée pour faute lourde, la Cour de cassation rappelait le 18 mars dernier deux idées légitimes.

a) Qu'il s'agisse de maladie, de congés, de jours de RTT ou de fête du Travail, l'exécution du contrat est suspendue : le salarié n'est plus « tenu de poursuivre une collaboration avec l'employeur ». Mais ce qui était hier impossible pour le mineur ou le métallo (envoyer à son domicile une petite tonne de charbon ou une 4L à terminer) ne pose aucun problème pour le travailleur du savoir équipé d'un ordinateur et connecté à Internet. Il est par exemple courant de voir de futures mamans en congé maternité ou de jeunes papas ayant pris leur mercredi recevoir sur l'ordinateur familial ou le portable obligeamment prêté par l'entreprise des demandes de renseignements et autres dossiers joints « très urgents ». Si bien sûr le salarié « n'est pas tenu de » (cf. arrêt du 18 mars 2003), dans les rapports de travail, avec les NTIC et à ce niveau de responsabilité, « quand on veut, on peut », et quand on peut, on doit : travail pas véritablement ordonné mais un peu commandé tout de même et qui laisse partout des traces informatiques… D'où la légitime méfiance de la chambre sociale dès l'arrêt du 6 février 2001 à l'égard des astreintes au sens juridique, mais aussi des « télé-petits services » et autres « télé-coups de main » demandés à distance mais sur temps et lieux de vie privés. Défiance renforcée par l'arrêt Abram c./Zurich Assurances du 2 octobre 2001 : « Le salarié n'est tenu ni de travailler à son domicile ni d'y installer ses instruments de travail. » Un salon n'est pas un bureau, et vice versa.

b) Mais suspension de l'exécution du contrat ne veut pas dire suppression de l'obligation de loyauté : un routier en arrêt maladie peut-il refuser de restituer les clefs de son camion ? Le responsable de la paye de donner les mots de passe que, par mesure de sécurité, il a discrètement modifiés quarante-huit heures avant son accident ? Un enseignant en dépression de communiquer par téléphone les 675 notes de la session de juin qu'il est le seul à détenir ? Comme le rappelait l'arrêt du 13 mars dernier, l'obligation de loyauté demeure : « Le salarié n'est pas dispensé de communiquer à l'employeur qui en fait la demande les informations (y compris informatiques) détenues par lui et qui sont nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entreprise » : application classique de l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat, l'article 1134 du Code civil étant depuis la loi de modernisation sociale de 2002 transposé par l'article L. 120-4 dans le Code du travail.

Et, de façon réaliste, la chambre sociale d'exiger que les juges recherchent « si l'employeur avait effectivement la possibilité d'avoir communication du mot de passe informatique sans recourir à la salariée » ; puis, s'agissant de la qualification de faute lourde, « si Mme D. n'avait pas eu la volonté de bloquer le fonctionnement de l'entreprise ».

Cette immense vulnérabilité des sociétés d'aujourd'hui en ce qui concerne leurs systèmes d'informations est prise en compte par les juges du fond. Ainsi, la cour de Toulouse avait le 21 juin 2002 qualifié de faute grave la modification d'un code d'accès de l'ordinateur, empêchant toute utilisation par un tiers autre que le salarié (RJS 01/03 n° 126). Le 17 janvier 2002, la cour de Dijon avait confirmé la faute lourde s'agissant d'un collaborateur ayant volontairement fait disparaître les lignes de commandes, rendant inexploitable l'application gestion du stock de pièces détachées (RJS 01/03 n° 127). Et le projet de loi sur l'économie numérique voté en première lecture en février dernier fait passer de trois à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende toute intrusion ayant modifié ou supprimé frauduleusement des données informatiques.

2° Utilisation d'un outil professionnel hors temps et hors lieu de travail

L'arrêt en forme de premier et dernier avertissement rendu par la cour de Versailles (n° 481) le 18 mars 2003 est représentatif de contentieux futurs. Un chef des ventes se voit confier un puissant ordinateur portable ; il est licencié en janvier 2000 pour « utilisation détournée de l'accès Internet, portant sur des sites pornographiques ».

Mais l'enquête menée par le juge montre que ces connexions, a priori fautives puisque venant d'un outil professionnel, ont eu lieu un vendredi à partir de 20 h 58, et un samedi de 11 h 2 à 16 h 27 : donc « depuis le domicile du salarié, hors temps et lieu de travail », constate la cour, qui malicieusement poursuit : « En autorisant M. G. à emporter l'ordinateur portable à son domicile, la société reconnaît nécessairement un usage privé de celui-ci, sauf à étendre le temps et le lieu d'exécution du contrat de travail au domicile du salarié durant son temps de repos et de vie privée, ce que la société ne revendique pas. »

Retenant, au vu d'autres sites consultés aux mêmes périodes (« nintendo », « lego.com »), l'argumentation du salarié expliquant que c'était son fils qui s'était connecté à son insu, constatant également l'absence de préjudice causé au système informatique, les juges constatent « son défaut de vigilance sur l'utilisation de son code d'accès ». Mais ne retiennent pas de cause réelle et sérieuse, octroyant 54 000 euros de dommages-intérêts au demandeur ayant une ancienneté de sept ans.

Cet arrêt met donc les pieds dans le plat : un portable pouvant être emporté partout, il peut évidemment servir à travailler dans une salle d'attente ou un TGV désormais équipé des prises adéquates, pendant une « journée d'activité », terme utilisé depuis janvier 2000 par le Code à propos des forfaits jours des cadres autonomes. Mais, sans aller jusqu'au « forfait nuits et samedis », les clauses contractuelles prévoyant expressément que le salarié peut l'emmener le soir et le week-end à son domicile tout en interdisant toute utilisation non professionnelle laissent rêveur. S'agirait-il simplement de le garder au chaud ? D'éviter les vols en entreprise ?

Mais s'agit-il de travail commandé ? Le contentieux n'est pas le droit et le droit n'étant pas la vie, la question essentielle reste le caractère équilibré de l'échange. Si l'employeur n'est pas regardant sur le temps de vie privée au bureau comme sur les factures de mobiles, c'est à titre synallagmatique, le salarié devant le cas échéant pouvoir faire face, en dehors du bureau, à des coups de chauffe. Mais ce nouveau deal fait l'impasse sur des tiers au contrat qui n'en demandent pas tant, des enfants au conjoint, constatant que le travail intellectuel n'est jamais fini, contrairement à une porte de 4L…

3° Remboursement de notes excédant les forfaits contractuellement prévus

Un salarié licencié ayant été dispensé de ses trois mois de préavis avait continué à se servir abondamment de son téléphone portable professionnel. La société K. lui avait alors demandé le remboursement des factures en cause, à partir d'un raisonnement semble-t-il imparable : le collaborateur ayant cessé toute activité professionnelle, les communications étaient par définition personnelles. Refus de la Cour de cassation le 12 mars 2002 :

a) « L'employeur n'avait pas réclamé la restitution du téléphone portable lors du départ du salarié de l'entreprise. » Certes, mais il devait connaître l'article L. 122-8 indiquant : « La dispense par l'employeur de l'exécution du travail pendant le délai-congé ne doit entraîner aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait reçus s'il avait accompli son travail. » Le 8 mars 2000, la chambre sociale avait par exemple refusé à un employeur le droit de retirer l'usage d'une voiture de fonction à usage mixte. Mais le conseil jurisprudentiel mérite d'être retenu.

b) « Les factures détaillées ne démontraient pas que le salarié avait utilisé le téléphone pour son usage personnel », poursuit la chambre sociale. Actori probatio incubit sans doute. Mais ces communications ni personnelles ni professionnelles…

Nombre d'entreprises se trouvent aujourd'hui en difficulté sur ce terrain, y compris celles qui interdisent l'utilisation des portables personnels sur le lieu de travail. Surtout avec les forfaits, ce moyen d'alléger la note de téléphone de l'employeur alourdit souvent la charge de travail des collègues. La SNCF avait pensé résoudre cette délicate question en incluant dans son règlement du personnel un article 185-1 prévoyant qu'elle pourrait effectuer sur le salaire des agents « des retenues pour fournitures diverses ». Et, pour plus de sécurité, elle avait établi une « Charte d'utilisation des téléphones portables » prévoyant qu'en cas de dépassement du forfait elle pourrait ponctionner la solde des agents en cause : norme rappelée à chacun d'entre eux, qui devait donner son accord. Un agent commercial ayant dépassé le forfait de cent minutes mensuelles s'était donc vu retenir les communications personnelles excédentaires. Si la chambre sociale a écarté le 18 février 2003 et à juste titre la qualification de sanction pécuniaire (donc prohibée : mais rembourser n'est pas sanctionner), par un motif de pur droit substitué elle invoque le vieil article L. 144-3 qui interdit à l'employeur « d'opérer des retenues d'argent […] à l'occasion de l'exercice normal du travail », indiquant qu'à ce titre « la SNCF ne pouvait procéder à une retenue illégale sur la rémunération de l'agent ». Mais elle évoque cependant « la possibilité, en vertu du contrat régulièrement conclu entre les parties, de lui refacturer les communications personnelles excédant le forfait, la société disposant aussi de la faculté de recouvrer sa créance par les voies de droit commun ».

Saisir les prud'hommes d'une action en remboursement (et non en responsabilité, qui exige la faute lourde, Cass. soc., 19 mars 2003) ? Cette possibilité reste théorique. Quant à la refacturation, il paraît peu probable que l'agent et l'opérateur de télécommunications soient tous les deux d'accord pour permettre à l'entreprise de faire transférer automatiquement le surplus de communications personnelles sur le compte personnel de l'agent. Et s'il s'agit d'envoyer à son domicile la note en question… celui-ci risque alors de se mettre aux abonnés absents.

FLASH
• Évolution jurisprudentielle en matière d'autolicenciement ?

Après des arrêts de plus en plus créatifs en matière de prise d'acte de la rupture par le salarié à la suite de turpitudes patronales réelles ou supposées, des arrêts rendus en mars laissent entendre une autre musique, dans des hypothèses il est vrai caricaturales.

1° Véritable lettre de démission, requalifiée ultérieurement en prise d'acte si le salarié s'aperçoit ensuite que l'employeur avait manqué à ses obligations dans le passé.

Dans le premier arrêt du 19 mars 2003, un salarié invoquant « une plus grande stabilité dans sa vie professionnelle et personnelle » avait démissionné, ce dont l'employeur avait lui-même pris acte. Faute, dit la chambre sociale : « Le juge aurait dû examiner si ce départ n'était pas dû à des modifications du contrat. »

2° Second arrêt du 19 mars 2003. Une directrice commerciale prend acte en raison du non-paiement de ses commissions : pour une fois, l'affaire paraissait entendue. Justement non : « Il appartenait à Mme C. d'établir ses récapitulatifs deux fois par an […] le retard dans le règlement des commissions ne constituait pas une cause de rupture du contrat imputable à l'employeur. »

« Summum jus, summa injuria » : à l'instar de la jurisprudence Framatome-Majorette, une règle a priori socialement utile mais poussée jusqu'à l'extrême devient contre-intelligente.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray