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Politique sociale

Comment nos cousins européens facilitent le travail des femmes

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.05.2003 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Temps partiel, salaires moindres, promotions plus rares… si le travail des femmes devient peu à peu la norme en Europe, c'est au prix de sérieuses inégalités avec les hommes. Mais, d'un pays à l'autre, il existe des différences notables. Passage en revue des incitations et obstacles à l'activité des femmes chez quelques-uns de nos voisins.

En route vers l'égalité ? L'an dernier, près de 80 % des Françaises de 25 à 49 ans avaient un job ou étaient au chômage, contre 95 % des hommes, et elles représentaient une petite moitié (46 %) des actifs. « L'activité professionnelle est devenue en France la norme pour les femmes », souligne Anne Eydoux, maître de conférences d'économie à l'université Rennes II et chercheuse au Centre d'études de l'emploi. Si les femmes sont toujours massivement présentes dans l'éducation, la santé et l'action sociale (71 % des salariés en 2002), ainsi que dans les services aux particuliers (65 %), et restent plus rares dans l'industrie automobile (18 %) ou la construction (10 %), elles investissent peu à peu des métiers et des fonctions naguère réservés aux hommes. Ainsi, un tiers des cadres sont aujourd'hui des femmes, une proportion qui a plus que doublé depuis les années 60.

Mais cette marche en avant vers la parité sur le marché du travail, fortement encouragée par le législateur, et notamment par la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle, masque de profondes inégalités : surchômage féminin, 10 % des femmes étant en quête d'un emploi contre 8 % des hommes en 2002 ; précarité de l'emploi (emplois aidés, contrats courts) ; temps partiel, 84 % des postes étant occupés par des femmes ; concentration féminine dans les emplois peu qualifiés ; et salaires moins élevés. « Les métiers le plus souvent réservés aux femmes, ceux de sage-femme, femme de ménage ou assistante maternelle, ont beaucoup de mal à être reconnus, car on considère que ce sont des compétences naturellement féminines », poursuit Anne Eydoux. Même lorsqu'elles sont bardées de diplômes, les femmes s'orientent généralement vers des filières moins prestigieuses que leurs collègues masculins. Elles valorisent moins bien leur bagage que ces derniers et décrochent moins facilement des promotions dans l'entreprise. C'est le fameux « plafond de verre », que nos cousins québécois appellent « plancher collant ».

Sur le plan salarial, les Françaises sont encore loin d'être aussi bien loties que leurs homologues masculins. Bien qu'en diminution, les écarts de salaires moyens se situent dans une fourchette comprise entre 20 et 30 %, selon que l'on prend ou non en compte les salariés à temps partiel. Et si la différence de nature des emplois entre hommes et femmes explique pour une large part ce différentiel, il reste « un écart de salaire résiduel d'environ 10 % qui ne s'explique pas par des données objectives, mais davantage par le non-respect du principe de “à travail égal, salaire égal” », note Anne Eydoux.

En matière de discrimination sexuelle, la France n'est pas un cas à part. Mais les femmes ne sont pas logées à la même enseigne partout en Europe. En Suède ou en Norvège, elles ont bénéficié de mesures de l'État destinées à favoriser leur entrée sur le marché du travail. l'autre extrémité du Vieux Continent, en Espagne notamment, les femmes ne sont pas les bienvenues dans l'entreprise. Quant aux Allemandes, les structures de garde d'enfants étant quasi inexistantes, elles ne sont guère encouragées à prendre un emploi. Tour d'Europe des incitations et obstacles au travail des femmes.

Allemagne

Les jeunes mères sont pénalisées par le manque de crèches

Outre-Rhin, le travail féminin a animé le débat électoral à l'été 2002. « Si j'ai voté pour les Verts, c'est surtout en raison de leur promesse d'étendre les horaires scolaires sur la journée. J'ai deux enfants et il m'est impossible de travailler à plein temps. Et je ne parle même pas de faire carrière », explique Elke Bergmann, employée à la Deutsche Bahn. Dans un pays où plus de la moitié des électeurs et un tiers des parlementaires sont des femmes, l'emploi féminin est un indicateur surveillé de près. Point positif, en dépit d'un chômage de masse qui touche particulièrement les femmes (lesquelles représentent 45 % des chômeurs), la part des femmes actives n'a cessé de progresser, passant de 62 % à 64 % entre 1995 et 2000. Seul bémol : dans son dernier rapport d'activité, Anne Jenter, chef du département Politique de la femme à la Confédération des syndicats allemands (DGB), attribue cette progression au développement du temps partiel.

Alors que, en 1997, 35 % des femmes occupant un emploi travaillaient à temps partiel, elles sont aujourd'hui près de 40 % – soit 23 % de la population féminine –, contre un peu moins de 5 % des hommes. Avec une situation très différente entre les Länder de l'Est, où moins d'une femme sur quatre ne bénéficie pas d'un temps plein, et ceux de l'Ouest, où c'est le cas de quatre femmes sur dix. Cet écart s'explique essentiellement par les conditions de garde des enfants : les crèches dans l'ex-RDA, les… mamans dans l'ancienne RFA. Les places en crèche ne couvrent que 3 % des besoins des familles en Bavière, contre 25 à 50 %, selon les Länder, à l'Est.

Si le développement du temps partiel a permis à un plus grand nombre d'Allemandes de travailler, il constitue, en revanche, un frein à leur évolution de carrière et de salaire. Malgré une légère tendance à la hausse, le salaire moyen féminin ne représente que 75 % du salaire masculin. « À fonction égale, les différences de salaire entre hommes et femmes sont de plus en plus rares, note cependant le rapport du DGB. Cette différence s'explique surtout par la forte présence féminine dans les emplois peu rémunérateurs ou à temps partiel. » Dans le secteur des services, les trois quarts des emplois sont occupés par des femmes. Mais les deux tiers d'entre elles sont affectées à des postes comme la vente, le secrétariat, le nettoyage ou l'hôtellerie. Et seulement un tiers à des emplois plus nobles : recherche, enseignement, médias… Et, dans l'industrie, les services ou l'administration, les hommes continuent à tenir les commandes en occupant deux postes de direction sur trois.

Thomas Schnee, à Berlin

Norvège

Les femmes restent rares dans le « middle » et « top management »

« Lorsqu'on me demande ce que je fais, je suis souvent gênée de répondre que je dirige une plate-forme pétrolière ! » explique Trine Lise Bjoervik, une Norvégienne de 41 ans responsable de Statfjord A, l'une des plus importantes installations pétrolières de la mer du Nord. « Dans mon enfance, je n'avais jamais vu une femme en bleu de travail », sourit-elle, engoncée dans une combinaison imperméable et coiffée d'un casque de chantier. Mais les temps ont bien changé. La loi norvégienne sur l'égalité des sexes impose depuis 1978 aux compagnies pétrolières d'équiper leurs plates-formes de sanitaires pour femmes. Et pour cause, elles sont aujourd'hui environ 2 600, infirmières, ingénieurs, électriciennes, opératrices radio à travailler dans l'offshore.

Les Norvégiennes ont fait tomber les bastions masculins les uns après les autres. Il n'est pas rare de voir une femme devenir évêque de l'église luthérienne, pilote d'avion, voire ministre, à l'instar de Gro Harlem Brundtland, Première ministre à plusieurs reprises, ou de Kristin Krohn Devold, l'actuelle ministre de la Défense. Et dans le royaume scandinave il y a moins de demandeuses (33 600) que de demandeurs d'emploi (43 200). Mais si elles sont parvenues à « infiltrer » bon nombre de professions traditionnellement réservées aux hommes, les femmes n'ont toutefois pas réussi à s'y installer solidement. On les retrouve en masse dans l'enseignement primaire et secondaire, dans l'administration ou les professions de la santé, secteurs plutôt mal rémunérés où elles sont jusqu'à cinq fois plus nombreuses que leurs collègues masculins.

L'égalité salariale, à titres et fonctions équivalents, est certes, globalement, respectée : selon la confédération patronale NHO, une femme cadre supérieure gagne quasiment autant (96 %) que son homologue masculin. Mais seul un cadre supérieur sur dix est du sexe féminin, contre plus du tiers en France. Et quelques portes leur restent obstinément fermées, à commencer par celles des conseils d'administration des entreprises, où elles n'occupent que 6 % des sièges. Contrairement aux idées reçues, il y a plus d'entreprises grecques à compter au moins une femme à leur tour de table que d'entreprises norvégiennes. Pressées par le gouvernement d'accorder aux femmes au moins 40 % des postes d'administrateurs, les sociétés ont très mollement réagi : au rythme actuel, il faudrait cent quinze ans pour atteindre le ratio demandé…

Confronté à cette situation de blocage, le gouvernement démocrate-chrétien de Kjell Magne Bondevik a décidé d'imposer une politique de quotas : à partir du 1er janvier 2005, au moins quatre membres d'un conseil d'administration sur dix devront être des femmes. L'initiative a fait bondir les patrons des grands groupes qui redoutent de perdre en compétitivité par rapport à leurs concurrents étrangers. En Norvège aussi, les clichés ont la vie dure.

Pierre-Henry Deshayes, à Oslo

Suède

Les salariées bien traitées, mais surtout dans le secteur public

Margareta Winberg est en colère. Chargée de l'égalité hommes-femmes, la bouillante vice-Première ministre suédoise a tapé du poing sur la table à la fin de l'an dernier : si les entreprises cotées à la Bourse de Stockholm n'ont pas au moins un quart de femmes dans leur conseil d'administration d'ici à 2004, elle proposera une loi instaurant des quotas. Margareta Winberg s'était émue en constatant que ces fameux conseils d'administration n'accueillent que 6 % de femmes. Une vraie misère dans ce pays où le taux d'emploi des femmes est parmi les plus élevés au monde (72,5 % en 2002). Il y a quelques années déjà, Pia Ruden gren, une jeune mère de famille, avait défrayé la chronique en posant comme condition à sa nomination comme directrice financière d'Investor, la puissante société d'investissement du groupe industriel Wallenberg, que sa semaine de travail n'excède pas quarante heures.

Si la Suède a l'image d'un pays égalitaire, c'est surtout vrai dans le secteur public et la classe politique. Avec 45 % de femmes députées, le parlement suédois est le plus féminisé au monde. Quant aux conseils d'administration des entreprises publiques, ils comptent plus d'un tiers de femmes (37 %). Mieux, plus de la moitié des cadres du secteur public (53 %) sont de sexe féminin, contre 18% dans le secteur privé, soit, tous secteurs confondus, 23 %. Si, avec 72,5 % de femmes qui travaillent (contre 75,5 % d'hommes), la Suède fait souvent figure de modèle à l'étranger, seulement deux tiers d'entre elles ont un emploi à temps plein, contre près de 90 % des hommes.

C'est dans les années 70 que les femmes sont arrivées massivement sur le marché du travail avec le développement spectaculaire du service public. Le travail des femmes a également été encouragé par une loi de 1971 leur donnant l'indépendance financière, via l'imposition séparée. Parallèlement, les pouvoirs publics ont mené une politique volontariste visant à mieux harmoniser vie familiale et vie professionnelle grâce à un vaste programme de construction de crèches. Résultat, 77 % des enfants de 1 à 6 ans fréquentent une crèche, contre seulement 12 % en 1972. Mais, en dépit de ces avancées, les salaires féminins restent en moyenne inférieurs de 10 % à ceux des hommes. « Certes, admet Marie-Louise, 36 ans, la situation des femmes suédoises est enviable comparée au reste du monde. Mais beaucoup d'entre elles travaillent à mi-temps et le plus souvent à des postes moins rémunérés et offrant peu de possibilités d'avancement. »

En frappant à la tête même des grandes entreprises cotées, Margareta Winberg espère sans doute y introduire un autre regard sur la gestion de l'emploi des firmes suédoises.

Olivier Truc, à Stockholm

Espagne

Dans les entreprises, les jeunes femmes sont « personae non gratae »

« Je suis jeune, diplômée, avec cinq ans d'expérience, reconnue dans mon secteur. J'aurais dû retrouver facilement du travail. Et pourtant je suis restée quatorze mois au chômage », raconte Mar, 32 ans, qui vient enfin de décrocher un poste de chef de produit dans un groupe agroalimentaire à Madrid. Pendant ses mois de recherche acharnée, elle a découvert qu'elle faisait partie d'une catégorie suspecte aux yeux des recruteurs : celle des femmes de 25 à 35 ans, dont on redoute les maternités. « À chaque entretien d'embauche, inévitablement, on vous demande si vous êtes en couple, avec plein de sous-entendus. Pour moi, c'est pire car je suis jeune mariée. » Dans cette tranche d'âge, 27 % des Espagnoles sont au chômage. « On en arrive à une situation absurde, où l'on voit les patrons se méfier comme de la peste des femmes jeunes, alors que les Espagnoles sont les Européennes qui font le moins d'enfants et de plus en plus tard », déplore Pilar Duce, du syndicat UGT. Pour faire face à cette situation, le gouvernement a mis en place un « plan de compatibilité de la vie professionnelle et de la vie familiale », prévoyant la prise en charge des cotisations sociales pour le remplacement d'un congé maternité ainsi qu'un bonus pour l'embauche d'une femme reprenant un travail après avoir élevé ses enfants. En vain. Le chômage féminin, tous âges confondus, demeure deux fois plus élevé que celui des hommes (16,4 %, contre 8 %).

Reste qu'en vingt-cinq ans, les Espagnoles ont conquis le marché du travail. Elles étaient à peine plus de 3,5 millions à travailler en 1976, elles sont près de 7 millions aujourd'hui. Mais à quel prix : plus du tiers d'entre elles (35 %) ont un emploi précaire. Et 80 % des postes à temps partiel leur sont imposés. Selon les syndicats, leurs salaires modiques (en moyenne 26 % de moins que les hommes) et le manque de places dans les crèches et résidences pour personnes âgées expliquent que l'Espagne ait l'un des plus faibles taux d'emploi féminin en Europe (44 %, contre 54,9 % pour les Quinze). C'est aussi le pays où l'on compte le moins de couples avec enfants dont les deux parents travaillent (43,7 %, contre 64 % en France).

Une fois dans l'entreprise, la course d'obstacles continue : « Davantage que ses voisins européens, l'Espagne a la manie des horaires à rallonge et des réunions interminables, autant de barrières à l'accession des femmes aux postes clés, affirme Nuria Chinchilla, professeur à l'école de commerce IESE de Barcelone. L'expérience montre que seule la féminisation progressive de l'univers de l'entreprise modifie ces habitudes. » Il y a deux ans, un représentant d'un club de patrons a suggéré que les femmes en âge d'avoir des enfants cotisent à un fonds maternité, avec remboursement si, à l'âge de 50 ans, elles n'y avaient pas fait appel. Restée lettre morte en raison d'une levée de boucliers des syndicats et des partis politiques, cette proposition résume parfaitement la méfiance des employeurs espagnols à l'égard des jeunes femmes. « Ce n'est pas la loi qu'il faut changer, ce sont les mentalités, avoue Manuel Azpilicueta, président du Cercle des entrepreneurs. Mais ça, c'est l'affaire d'une génération. »

Cécile Thibaud, à Madrid

Au Japon, les « fleurs de bureau » ne s'en laissent plus conter

Les mentalités ont la vie dure au Japon. La loi sur l'égalité des chances devant l'emploi a beau être appliquée depuis 1986, « certains employeurs réservent encore leurs offres d'emplois aux jeunes hommes diplômés », note Isabelle Bruckert, numéro deux du recrutement chez Disco Inc., qui fait le relais entre étudiants et entreprises. Malgré un niveau de formation supérieur, en moyenne, à celui des hommes, les Japonaises ne représentent que 40,1 % de la main-d'œuvre, et la gamme des emplois reste étroite : elles forment 59,2 % des employés de bureau, 45,4 % des techniciens. Elles sont très présentes dans la finance, l'assurance, la distribution, l'immobilier, mais à des postes subalternes. Seuls 9 % des managers étaient des femmes en 2000. Même si la loi a poussé les sociétés à leur ouvrir la filière des « emplois généraux» , promettant emploi à vie et carrière contre une disponibilité totale, peu sortent des « emplois standards », sans promotion : du secrétariat, pour l'essentiel, avec des horaires moins lourds, qui a fondé l'image d'Épinal de la « fleur de bureau ».

Difficile, il est vrai, dans un pays où les structures de garde d'enfants sont peu développées et la pression sociale très forte. « Plus de 30 % des « career women » pionnières avaient démissionné en 1995 », souligne Évelyne Dourille, économiste au Cepii. La fameuse courbe en M illustrant le taux d'activité féminin mettra du temps à se tasser : très élevé chez les 20-24 ans, il s'effondre pour remonter dès 40 ans. De quoi expliquer qu'une Japonaise sur trois travaille à temps partiel. Conséquence, leur salaire annuel moyen n'atteint que 63,1 % de celui des hommes. Reste que les pénuries de main-d'œuvre attendues dans un Japon vieillissant devraient changer le comportement des entreprises et promouvoir l'emploi des Japonaises. Symptomatique, Toyota ouvrira sa première crèche d'entreprise fin 2003. A.F.

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants