À leur retour, les expatriés connaissent fréquemment une période de réinsertion difficile. Quelques grandes entreprises commencent à se pencher sur la question et mettent l'accent sur le suivi de carrière de leurs globe-trotteurs.
« À Atlanta, nous vivions dans un quartier paisible. Notre logement était pris en charge par mon agence et nous habitions une maison coquette avec piscine. La belle vie, quoi ! Quand nous sommes revenus en 1998, après trois années passées aux États-Unis, nous nous sommes retrouvés en banlieue parisienne, contraints d'utiliser le RER pour aller travailler. Mes enfants, qui étaient habitués à quitter l'école en milieu d'après-midi, se sont difficilement réadaptés. Sur le plan professionnel, il ne faut pas s'attendre à être accueilli à bras ouverts. Au contraire, j'ai parfois eu le sentiment que mon expérience à l'étranger suscitait des jalousies. C'est notamment parce que notre retour ne s'est pas très bien passé que nous sommes repartis pour l'Australie en juillet 1999 », témoigne Alain Mercier, journaliste sportif et directeur de l'agence de presse Alinéa.
À leur retour, la plupart des expatriés traversent une période de réadaptation difficile. Habitués à mener un train de vie souvent confortable à l'étranger, ils trouvent la vie fade et ennuyeuse. Frappés par le contre-choc culturel, ils se sentent déphasés et étrangers dans leur propre pays. « Ce qui m'a le plus choquée à mon retour du Kenya, c'est l'agressivité ambiante. Dans les magasins, les clients rouspètent pour un rien », témoigne Ann Njonjo, aujourd'hui fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères à Paris, après dix ans passés à Nairobi. Sans compter qu'il faut rapidement trouver un logement, une école pour les enfants et régulariser sa situation auprès des administrations. Au travail aussi, les expatriés doivent se contenter d'un accueil sans tambour ni trompette et se sentent souvent à l'étroit dans leurs nouvelles fonctions.
« À l'étranger, ils étaient relativement autonomes. Du jour au lendemain, ils se retrouvent avec un chef sur le dos et moins de prérogatives », observe Yves Girouard, président du cercle Magellan. Pis, certains se retrouvent parfois sur la touche. « Quand nous avons débarqué d'Australie en juillet 2002, Philippe, mon mari, contrôleur de gestion chez Thales, a appris de son supérieur que l'entreprise n'avait aucun poste à lui proposer dans l'immédiat. Certes, il a été augmenté. Mais pendant six mois il y a eu une période de flottement. Il a enchaîné des missions ponctuelles en se demandant à quelle sauce il allait être mangé. Récemment, Thales lui a proposé un poste en Angleterre, qu'il a accepté. Je dois le rejoindre au mois de juin avec les enfants », témoigne Marie.
D'après un sondage réalisé par Taylor Nelson Sofres auprès de 1 332 Français à l'étranger, 55 % d'entre eux travaillent dans une entreprise qui n'a pas mis en place de politique de gestion des retours. Une situation qui n'est pas toujours bien vécue chez les expatriés. En 2002, Casino a réalisé une enquête de satisfaction auprès de ses 90 expatriés. Conclusion : l'entreprise peut mieux faire. « La plupart souhaiteraient être mieux accompagnés au moment du retour. Par exemple, ils voudraient avoir le choix entre plusieurs opportunités de poste, avoir du temps pour s'installer avec leur famille et, en amont, davantage bénéficier de formations quand ils sont à l'étranger », reconnaît Pascale Berthier, DRH pour l'international. Pour mieux gérer les retours, Casino réfléchit actuellement à la mise en place de séminaires de réintégration d'une semaine.
À l'instar du groupe de distribution, quelques grandes entreprises commencent à se pencher sur l'épineuse question du retour. Jean Pautrot, membre du comité de développement du cercle Magellan, préside depuis 1998 un groupe de travail consacré à ce sujet. « Actuellement, 25 entreprises se réunissent régulièrement pour débattre de leurs pratiques. Depuis fin 2002, nous avons aussi organisé deux demi-journées d'accueil des expatriés à leur retour. C'est pour eux l'occasion d'échanger sur leur façon de vivre cette période difficile. » Son conseil d'expert : « Le retour se prépare dès le départ. Les employeurs, par exemple, n'ont pas intérêt à envoyer un cadre à l'étranger pour s'en débarrasser. L'expatriation doit correspondre à un projet professionnel réfléchi. » Mais la majorité des entreprises mettent surtout l'accent sur le suivi des carrières. À Bouygues Construction, qui compte 500 expatriés, « un responsable RH se déplace sur les chantiers au moins une fois par an pour faire le point avec les expatriés sur leur évolution. Ces derniers ont aussi un entretien annuel d'évaluation avec leur supérieur hiérarchique direct », explique François Jacquel, le DRH.
Chez Leroy Merlin, où le maître mot est l'anticipation, le service de mobilité internationale est déjà en train de réfléchir aux retours prévus en 2004. « Nous incitons les responsables à réfléchir sur les perspectives qu'ils peuvent offrir aux expatriés à leur retour, souligne Vianney Lepoutre, responsable RH international. À partir de leur deuxième année d'expatriation, nous rencontrons aussi les salariés sur place pour faire le point avec eux sur ce qu'ils vivent, les difficultés rencontrées, les compétences qu'ils sont en train d'acquérir… Une synthèse est ensuite envoyée non seulement à leur supérieur direct, mais aussi à leur manager du pays d'origine. » Au sein du groupe Casino, Pascale Berthier pilote au plus juste le plan de succession, qui synthétise les mouvements de personnel. « Sur la fonction finance, par exemple, je rencontre le directeur financier tous les trois mois pour faire le bilan des départs et arrivées. Et, tous les semestres, je fais la même chose avec les DRH des différentes branches (hypermarchés, supermarchés, etc.). » Parallèlement, quelques cellules d'expatriation sont chargées du suivi administratif. Ainsi, au siège de Bouygues Construction, à Saint-Quentin-en-Yvelines, cinq antennes (une par zone géographique) renseignent les expatriés sur des points techniques ou administratifs. « Les responsables d'antenne, qui connaissent bien les chantiers, servent de courroie de transmission entre la maison mère et les expatriés », ajoute François Jacquel.
Chez Rhodia, quatre salariés regroupés sur une plate-forme lyonnaise sont chargés d'aider les expatriés à régler les problèmes administratifs et de logistique, pour le retour notamment. Les technologies facilitent également les contacts entre les expatriés et la maison mère. D'après le sondage réalisé par Taylor Nelson Sofres, 65 % des interviewés contactent leur entreprise au moins une fois par semaine par téléphone, par Internet ou intranet. Pour préparer les retours, enfin, Rhodia recourt depuis une vingtaine d'années à un système de parrainage. « Nos quelque 200 expatriés sont systématiquement suivis par un parrain expérimenté qui les rencontre pendant leurs séjours en France et les aide lors de leur retour définitif, en cas de difficulté », explique Didier Debonneuil, directeur corporate RH. Mais rares sont les employeurs qui se lancent dans ce dispositif d'assistance.