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Des départs calculés au plus juste

Dossier | publié le : 01.05.2003 | A.-C.G.

Fini le statut doré des expatriés ! Les entreprises visent, en priorité, à optimiser leur politique : contrat, rémunération, primes… tout est calculé au plus juste. Et plutôt que de détacher des compétences, les directions des ressources humaines cherchent à développer celles de leur personnel local.

Francfort, Madrid, Londres et peut-être Milan dans quelques mois. Depuis cinq ans, Paul, ingénieur consultant dans les milieux financiers, enchaîne les missions à l'étranger. À 34 ans, il a pris goût à cette vie de globe-trotteur et imagine mal revenir s'installer en France. « Au début j'étais réticent à travailler en Allemagne. Ce sont les conditions offertes par ma société qui m'ont décidé. » Détaché à Francfort, il a obtenu en plus de son salaire une indemnité d'expatriation de plus de 150 euros par jour et, cerise sur le gâteau, la possibilité de rentrer en France tous les week-ends aux frais de l'entreprise. Aujourd'hui, ils sont près de 2 millions, comme Paul, à avoir choisi de vivre et de travailler à l'étranger. Selon une étude du cabinet Taylor Nelson Sofres, publiée en mars dernier et réalisée notamment pour le compte de la Caisse des Français de l'étranger (CFE) et du groupe Taitbout, la moitié (47 %) des Français travaillant à l'étranger sont employés par une entreprise locale et seulement un gros tiers (36 %) bénéficient d'un statut d'expatrié ou de détaché porté par une entreprise française. Ils occupent pour la plupart des postes valorisants ; 64 % sont cadres. Trois zones géographiques accueillent à elles seules les deux tiers des expatriés. L'Europe arrive en tête avec 42 % des expatriés français, devant l'Amérique du Nord (15 %) et l'Asie du Sud-Est (14 %).

Avec la globalisation des marchés, l'internationalisation des structures et des équipes, les entreprises ne peuvent plus faire l'impasse sur une politique de ressources humaines adéquate. Elles demandent à leurs salariés d'être de plus en plus mobiles. Il est devenu quasiment indispensable à la carrière d'un cadre de travailler à un moment ou à un autre à l'étranger. Mais si les sociétés s'internationalisent à marche forcée, elles ne le font plus à n'importe quel prix ni, surtout, n'importe comment. Le temps où elles triplaient le salaire des expatriés, leur offraient un statut souvent doré tout en les laissant partir sans filet est définitivement révolu. Désormais, elles s'attachent à mieux encadrer ce personnel à part et à lui donner toutes les cartes en main pour qu'il s'intègre au plus vite. Cette préparation passe notamment par la formation. Les entreprises achètent de plus en plus de formations dites interculturelles pour aider les expatriés à décrypter les us et coutumes locales.

Présent dans huit pays, Leroy Merlin gère une centaine de salariés installés à l'étranger. Depuis 1994, l'entreprise a développé une politique d'accompagnement attractive, indispensable à la réussite des missions. Elle va même plus loin en y associant étroitement le conjoint. « Nous lui ouvrons la formation interculturelle que nous proposons aux salariés et il bénéficie aussi de cours de langue. Un voyage de reconnaissance est proposé au couple et un programme d'aide à l'activité professionnelle du conjoint est offert pendant ou après la mission à l'étranger pour l'aider à retrouver du travail une fois rentré en France », explique Pascale McLachrie, responsable de la mobilité internationale.

Pas d'expatriation à tout-va

Reste que ces efforts de formation ne s'imposent pas encore comme une évidence à toutes les entreprises. Airbus, implanté en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en France, comptabilise actuellement près de 1 500 salariés travaillant à l'étranger. L'entreprise européenne commence tout juste à envisager de préparer les candidats au départ à la culture du pays et de l'entité d'accueil. Seule une initiation à la langue est proposée. « Les entreprises veulent optimiser au maximum l'expatriation de leurs salariés, quitte à négliger la préparation au départ, estime Yves Girouard, président du cercle Magellan, réunissant les 100 plus grandes entreprises françaises. Au début des années 90, elles avaient même tenté de réduire les coûts en supprimant purement et simplement les primes liées au départ. Elles ont abandonné ces pratiques mais calculent tout au plus juste. »

Dans cette logique, les postes ouverts à l'international sont beaucoup plus ciblés qu'auparavant. Les candidats sont d'autant plus triés sur le volet qu'un salarié expatrié coûte deux à six fois plus cher qu'un collaborateur resté en France. « Nous ne voulons pas faire de l'expatriation à tout-va, confirme Ghislain de Rengervé, responsable de la mobilité internationale du groupe Carbone Lorraine. Sur les 8 000 salariés dans le monde, nous comptons une quarantaine d'expatriés. Il s'agit principalement d'ingénieurs production et méthode et de patrons d'unités implantées à l'étranger. » Même politique pour Rexel, l'une des enseignes du groupe Pinault-Printemps-Redoute, qui compte une cinquantaine d'expatriés. « L'entreprise a grossi par rachat de sociétés étrangères. Pour intégrer ces nouvelles entités, nous avons envoyé dans un premier temps des responsables financiers, des contrôleurs de gestion ou encore des directeurs informatiques. Aujourd'hui, il s'agit plus souvent de postes de directeurs pays », précise Nadège Besson, responsable de la mobilité internationale chez Rexel.

Tout en limitant les postes à l'international, les entreprises ont également mis un frein aux missions au long cours. L'expatrié à vie ne doit plus être qu'une exception. Les responsables des ressources humaines internationales cherchent en effet à maîtriser la durée de l'expatriation et proposent des contrats de trois à cinq ans, rarement davantage. C'est le cas des salariés d'Airbus, envoyés principalement en Chine et aux États-Unis. Pour le distributeur de produits électriques Rexel comme pour Leroy Merlin, le contrat d'expatriation type est de trois ans. « Nous voulons éviter les missions trop longues, explique la responsable de la mobilité internationale de Leroy Merlin. Plus l'expatriation dure, plus il est difficile ensuite de réintégrer le salarié. » La réadaptation est d'autant plus délicate que les expatriés bénéficient souvent d'une véritable autonomie dans leur travail et éprouvent des difficultés à se plier à nouveau aux contraintes d'une hiérarchie. Pour éviter cet écueil, Airbus a établi une règle simple : entre chaque mission, le cadre expatrié en Chine ou aux États-Unis revient travailler un ou deux ans en France, histoire de se remettre dans le bain.

Des contrats locaux secs

Les contrats de travail n'ont pas échappé à la tendance. Au cours des dernières années, les entreprises ont surtout cherché à homogénéiser les statuts des salariés d'un même site. Résultat, les expatriés sont de plus en plus souvent embauchés sous « contrat local plus ». En clair, le contrat d'origine est gelé le temps de leur mission à l'étranger. Un contrat de travail régi par le droit local prend le relais, tout en garantissant à l'expatrié la protection sociale de son pays d'origine. C'est la politique choisie par Airbus. Implanté dans quatre pays, le constructeur aéronautique demande à ses salariés d'être extrêmement mobiles et favorise de plus en plus les mutations entre ses différentes entités européennes. Pour unifier leur statut, Airbus bénéficie par ailleurs d'une dérogation de la Direction de la Sécurité sociale depuis le début de l'année 2002. Celle-ci lui permet de prolonger la durée des transferts en Europe jusqu'à huit ans. « En homogénéisant le statut des salariés, Airbus souhaitait construire un sentiment d'appartenance à une même entité », justifie Jean-François Lasmezas, responsable de la mobilité internationale du groupe. Reste que, dans certaines entreprises, les DRH n'hésitent pas à faire signer des contrats locaux secs. En clair, ils omettent de prendre en charge la couverture sociale et la retraite de leurs salariés, généralement les plus jeunes, donc les moins rompus aux subtilités des contrats d'expatriation. « Cette population est très peu représentée sur le plan syndical. Elle a du mal à défendre ses avantages, d'autant plus qu'elle se trouve souvent à des milliers de kilomètres du siège », explique Martine Tardivel, P-DG du cabinet de conseil en rémunération internationale ORC (Organization Resources Councelors).

Cette politique d'homogénéisation, les entreprises l'appliquent également aux rémunérations. Au-delà du maintien du niveau de vie de la famille expatriée et de la garantie d'un même salaire net après imposition, elles se montrent beaucoup moins généreuses qu'auparavant et font désormais très attention à réserver un traitement équitable aux expatriés et aux salariés qui choisissent de rester en France. Dans leur ligne de mire, la prime de mobilité, qui a longtemps fait rêver les salariés restés en France. Aujourd'hui, cette incitation financière n'a plus de quoi faire des envieux. « Elle représente entre 5 et 10 % du salaire, indique Martine Tardivel, du cabinet de conseil ORC. Aux États-Unis, la moitié des entreprises l'ont annulée. Et, d'une manière générale, la tendance est à sa diminution. »

Dunkerque ou Madrid, c'est pareil !

Certaines sociétés considèrent qu'être expatrié à Madrid ou muté de Dunkerque à Marseille revient au même. « De la France vers l'Europe, nous ne donnons pas d'indemnité d'expatriation. Nous garantissons au salarié le même niveau de vie et nous aidons la famille à trouver un logement dans le pays », explique Ghislain de Rengervé, de Carbone Lorraine. Leroy Merlin a pourtant maintenu la prime d'expatriation. « En revanche, elle varie selon la destination, explique Pascale McLachrie. Un collaborateur qui va travailler en Chine recevra une incitation beaucoup plus intéressante que celui qui part pour l'Allemagne ou la Belgique. » Airbus a également revu son système. « Il y a quelques années, il s'agissait d'une prime unique. Aujourd'hui, elle est calculée à partir de la situation familiale de l'expatrié et correspond à un certain pourcentage du salaire », précise Jean-François Lasmezas.

Conséquence de cette logique de rationalisation, les entreprises ont fait évoluer le concept même d'expatriation. « Il y a quelques années, on avait tendance à croire que le savoir-faire de l'entreprise n'était présent qu'en France et on favorisait beaucoup l'expatriation des seuls salariés français. Avec l'expérience, on apprend à capitaliser sur les compétences présentes dans les autres pays », explique Nadège Besson, chez Rexel. Désormais, les sièges sociaux n'hésitent donc plus à pratiquer l'expatriation de pays tiers à pays tiers appelée TCN (third country national) dans le jargon de la mobilité internationale. L'enseigne du groupe PPR a ainsi installé un Néo-Zélandais aux commandes de ses agences britanniques. Et récemment un Danois a pris la direction de Rexel en Belgique.

Pour réduire encore les coûts de l'expatriation, les entreprises favorisent également la mobilité intrarégionale. Concrètement, les grands groupes découpent le monde en grandes zones géographiques et un même salarié expatrié est chargé de rayonner sur quatre ou cinq pays différents, tout en s'appuyant sur les équipes locales. « La tendance est en effet au développement des compétences locales, confirme Yves Girouard, du cercle Magellan. Dans cet esprit, certaines entreprises favorisent désormais les mouvements d'“impatriation”. Elles font venir des salariés de filiales étrangères pour échanger des savoir-faire qu'ils rapporteront ensuite dans leur pays d'origine. » Rexel compte pour le moment une petite dizaine d'impatriés, tandis qu'Alcatel CIT en accueille chaque année de 100 à 130 sur ses sites français. Au risque parfois de voir certains de ces collaborateurs rester en France plutôt que de retourner dans leur pays d'origine.

À savoir avant de partir…

Contrat de travail

Les salariés détachés à l'étranger conservent un contrat de travail de droit français. Ils sont comptabilisés dans les effectifs de la société française. Les salariés expatriés voient leur contrat suspendu le temps de la mission à l'étranger et passent alors sous contrat de droit local. En cas de litige et face à un contrat de travail international, les juges français des prud'hommes appliquent en général le droit français.

Détachés

Les salariés détachés restent affiliés à l'ensemble des régimes français d'assurances sociales (maladie, vieillesse, chômage, retraite complémentaire). La mission est théoriquement limitée dans le temps. Mais la règle voulant que cette période n'excède pas six ans est peu respectée. Pour éviter la double imposition sur les cotisations sociales, plus d'une trentaine de conventions bilatérales ont été signées. Un salarié français détaché aux États-Unis peut ainsi continuer à cotiser auprès de la Sécu pendant cinq ans.

Expatriés

Ils relèvent en principe du régime de protection du pays d'accueil. Mais, en cas de couverture défaillante, l'expatrié peut maintenir son adhésion au régime français via la CFE.

CFE

Véritable « Sécu des expatriés », la Caisse des Français de l'étranger, créée en 1976, leur donne la possibilité d'adhérer aux assurances volontaires (maladie-maternité-invalidité ; accidents du travail-maladies professionnelles ; vieillesse). En fonction de la situation du pays d'accueil, les entreprises peuvent choisir de couvrir leurs salariés contre un ou plusieurs de ces trois risques à des taux inférieurs à ceux du régime général. Exemple, en matière d'assurance maladie : 6,75 % pour moins de 10 adhérents expatriés ; 6,25 % de 10 à 99 personnes ; 5,50 % de 100 à 399 et 5,25 % pour plus de 400 personnes.

CRE et Ircafex

Ces institutions du groupe Taitbout prennent le relais, pour la population expatriée, des caisses complémentaires de retraite Arrco et Agirc. Les cotisations à la CRE et à l'Ircafex sont converties en points de retraite qui s'additionnent chaque année aux points acquis au cours de la carrière en France.

Garp

Les entreprises situées en France ont l'obligation de maintenir leurs expatriés dans le régime français d'assurance chômage. Dans l'Espace économique européen, les entreprises sont soumises à la réglementation communautaire et versent les contributions localement. En 2001, 4 398 entreprises étaient affiliées au Garp et 41 975 salariés étaient couverts (dont 1 628 à titre individuel).

Rémunération

Dans les cas les plus simples, l'entreprise verse à l'expatrié son salaire, auquel s'ajoutent des éléments différentiels (biens et services, allocations familiales, scolarité) pour compenser la baisse du niveau de vie. Elle peut également lui verser des avantages en nature (mise à disposition d'un véhicule, prise en charge totale du logement). À cela s'ajoute parfois une prime de mobilité. Au-delà, les entreprises ont encore la possibilité de verser une prime dite de difficultés ou prime globale qui intègre 14 paramètres (sécurité des personnes, épidémies diverses, pollution…).

Le VIE peine à décoller

Depuis son lancement il y a trois ans, la formule du volontariat international en entreprise (VIE) peine à prendre le relais des ex-CSNE (coopérants du service national en entreprise). Lors du dernier salon Avenir Expat, François Loos, ministre français délégué au Commerce extérieur, est d'ailleurs monté au créneau, interpellant vivement les entreprises pour les presser d'utiliser le VIE afin d'accroître leur présence à l'étranger. Les chiffres sont éloquents. En 2002, on comptait 1 592 VIE alors que dans les meilleures années de la coopération, 3 500 jeunes partaient en mission à l'étranger pour le compte d'entreprises françaises. La faute aux entreprises qui ne seraient pas au rendez-vous, selon Ubifrance, l'agence de promotion des entreprises à l'étranger.

La procédure a pourtant été considérablement assouplie, par comparaison avec l'ancien système de la coopération. « Nous prenons à notre charge la gestion administrative des volontaires. Nous fournissons aux entreprises des devis gratuits pour qu'elles évaluent le coût d'une mission ; des aides spécifiques aux PME ont été développées, un site Internet leur permet d'avoir accès aux CV des 35 000 jeunes qui y sont inscrits. En moins de deux mois une entreprise peut prendre la décision d'envoyer un jeune travailler à l'étranger », énumère Alexis Struve, responsable du service VIE à Ubifrance. Difficile, donc, d'expliquer les raisons d'une telle désaffection. « Peut-être existe-t-il des formules concurrentes comme le recours au stage pur et simple, sans doute moins onéreux », s'interroge Roberto Diez, le directeur du Civi, l'organisme de promotion du VIE auprès des jeunes. Les entreprises n'hésitent plus également à faire appel aux contrats locaux, notamment pour recruter des jeunes de niveau bac + 2 ou 3, le gros des troupes inscrites comme volontaires.

Un outil de prérecrutement efficace

Du côté des entreprises, on pointe du doigt le manque d'engouement des jeunes, désormais libérés du service militaire, et pour lesquels la coopération apparaissait comme un moindre mal. « Les jeunes sont au contraire prêts à partir travailler à l'étranger dans n'importe quelle condition, réfute Alexis Struve. « En revanche, les entreprises n'ont peut-être pas toutes pris la peine de construire une stratégie internationale digne de ce nom », renchérit Roberto Diez. Pour le moment, seules les grandes entreprises adhèrent massivement au volontariat.

Elles représentent en effet plus de 68 % des sociétés utilisatrices et ont d'ailleurs fait du VIE un outil de prérecrutement efficace de cadres internationaux. Pour preuve, 70 % des jeunes volontaires sont embauchés par l'entreprise dès la fin de leur mission.

A.-C.G.

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  • A.-C.G.