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Vie des entreprises

Stig Eriksson met le personnel de 3M au régime sec

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.04.2003 | Frédéric Rey

Avec son souci de l'éthique, sa politique de promotion, ses outils d'incitation à l'innovation… le créateur du Post-it a longtemps fait figure de modèle. Mais cette exception touche à sa fin. Stig Eriksson, P-DG de la filiale française du groupe américain, doit resserrer les coûts et booster la rentabilité.

Certains habitants de Beauchamp l'appellent encore « la Minnesota » en parlant d'elle comme d'une vénérable institution. C'est dans cette commune du Val-d'Oise que la Minnesota Mining and Manufacturing, dont le nom est désormais raccourci en 3M, a établi en 1951 sa première usine française. Plus de cinquante ans après, 750 personnes fabriquent toujours Post-it, rouleaux de Scotch, éponges… Cette notoriété, 3M la doit à ses produits, mais aussi à sa politique sociale avantageuse. Longtemps, on est entré chez 3M comme en religion, avec la quasi-garantie d'un emploi à vie, d'une bonne rémunération et d'une évolution de carrière. Une aubaine pour les salariés de cette entreprise qui emploie aujourd'hui 3 000 personnes dans l'ensemble de ses implantations sur le territoire français.

Mais cette exception sociale touche à sa fin. La progression des résultats ne répondant pas aux attentes des marchés financiers, 3M n'a cessé de se restructurer. En France, six plans sociaux se sont succédé au cours des dix dernières années. Le dernier en date prévoyait la suppression de 100 emplois sur le site historique de Beauchamp. Rupture supplémentaire dans la politique de ressources humaines, la présidence du groupe a été confiée, en 2001, pour la première fois en cent ans d'existence, à un manager venu de l'extérieur, James McNerney, un ancien dirigeant de General Electric. En France, c'est un Finlandais, Stig Eriksson, P-DG depuis 1996, qui est chargé de mettre en musique la politique concoctée au siège mondial de 3M, toujours basé à Saint Paul dans l'État du Minnesota, et de ramener la filiale française dans le droit chemin de la rentabilité.

1 CHOUCHOUTER LES CHERCHEURS

Exaspéré de voir s'envoler systématiquement les pages de son livre de chorale, Art Fry a trouvé l'astuce : un petit bout de papier que l'on peut facilement coller et décoller sur n'importe quel support. Ainsi est né en 1980 le célèbre Post-it, un produit phare qui a fortement contribué à la notoriété de 3M. Après le succès commercial de ce pense-bête, le nom d'Art Fry est entré au Panthéon des chercheurs vedettes du groupe. Les clés du succès de cette entreprise reposent depuis plus de cent ans sur sa capacité à mettre au point des produits facilitant la vie quotidienne, à l'instar de l'éponge Scotch-Brite, sortie de l'imagination d'un salarié en 1958. Produits abrasifs, systèmes électriques pour l'aéronautique, solutions d'interconnexion pour l'électronique… toutes ces technologies développées par 3M sont à l'origine d'un catalogue gigantesque de 60 000 produits. Et, chaque année, quelque 500 brevets déposés par l'entreprise s'ajoutent à la liste.

La concentration de matière grise constitue le nerf de la guerre : 10 % du personnel, soit 7 000 chercheurs et ingénieurs (contre 1 200 en Europe et 195 en France), travaille à Saint Paul, dans le Minnesota, à la recherche du produit miracle. Sur les bords du Mississipi, 3M se donne des airs de campus universitaire. « La société ressemble à une ruche où s'activent 20 000 personnes avec, sur place, tous les commerces et les services nécessaires », raconte Pascal Leleu, ingénieur de l'usine de Tilloy-lez-Cambrai, qui a passé deux années dans ce temple du savoir. « Le management de l'innovation est au cœur des préoccupations. Lors des journées d'intégration des nouveaux venus, c'est un chercheur qui nous accueille et nous présente l'entreprise. »

Tout ce petit monde travaille en réseau. Forums, symposiums et communications électroniques permettent d'échanger les informations. L'entreprise ne ménage pas ses efforts pour placer ses scientifiques dans les meilleures conditions. Ainsi, 15 % du temps de travail des chercheurs peut être consacré à des travaux personnels. Dans les valeurs affichées par 3M, la prise d'initiatives est vivement encouragée. Les plus audacieux sont pardonnés par avance de leurs éventuels échecs, l'un des commandements stipulant en effet que « chacun a le droit à l'erreur ».

Pour valoriser la carrière de ces précieux collaborateurs, l'entreprise a bâti une filière spécifique d'évolution professionnelle. « Tout comme 3M reconnaît et récompense les qualités managériales ou commerciales, explique Nicolas Jennepin, le directeur des ressources humaines pour la France, il s'agit de rétribuer les connaissances scientifiques et techniques équivalentes. » Les chercheurs peuvent ainsi atteindre les niveaux les plus élevés dans la hiérarchie de 3M. Mais ce souci de l'innovation apporte son lot de contraintes. Certaines technologies jalousement gardées secrètes nécessitent d'inclure des clauses de confidentialité dans les contrats de travail. À Tilloy-lez-Cambrai, toute une partie de l'usine où sont fabriquées de microscopiques billes de verre destinées à renforcer les pare-chocs des voitures et les carlingues des avions est carrément interdite aux trois quarts du personnel. Et si un ouvrier tombe malade, impossible de le remplacer par un intérimaire ou de recourir à un contrat à durée déterminée.

2 FAVORISER LA MOBILITÉ

Priorité à l'interne ! La mobilité est une donnée fondamentale de la politique de ressources humaines affichée par 3M. Mais, à la différence de beaucoup d'entreprises, ce n'est pas une figure de style. En 2001, pour 230 des 245 recrutements effectués en France, 45 % ont été réalisés en interne et 55 % en externe. Et encore, ces derniers correspondaient pour l'essentiel à des postes de commerciaux et de visiteurs dans le secteur de la santé, des profils à fort turnover. Avec une présence dans 60 pays, une grande diversité de métiers et de marchés, les possibilités de mutation sont nombreuses. « Les évolutions peuvent être transversales, linéaires ou verticales, précise Nicolas Jennepin, le DRH. Mais nous avons aussi bâti un référentiel de compétences sur la base de comparaisons de postes entre pays et entre conventions professionnelles. »

Cet outil a permis de définir des niveaux de responsabilité transversaux entre filiales et entre métiers. Les cadres peuvent changer fréquemment de poste mais aussi diversifier leur expérience. « Pour tous les postes de management, l'entreprise accorde une grande importance à un parcours ayant multiplié les emplois les plus divers, explique Nicolas Jennepin. Une personne démarrant dans la vente peut successivement passer par la DRH et par une affectation plus technique avant d'occuper une fonction à la direction générale. »

Cette politique de mobilité interne a certainement concouru au bien-être des salariés de 3M. Car le turnover est aujourd'hui limité à 2,5 % des effectifs chez les cadres et 3,5 % pour l'ensemble du personnel, tandis que l'ancienneté moyenne s'élève à quatorze ans. « Cela a contribué aussi à forger un management respectueux des salariés avec une solide connaissance du travail et un fort esprit maison, estime Yves Héran, délégué syndical CGC et secrétaire du comité central d'entreprise.

Mais aujourd'hui nous nous interrogeons sur l'avenir de cette politique, notamment après la désignation d'un nouveau P-DG étranger à cette culture. »

3 S'EFFORCER D'ÉVITER LA CRITIQUE

Le Minnesota, ce n'est pas Hollywood ! Chez 3M, sans qu'on puisse dire s'il s'agit d'une stratégie ou faire le lien avec les origines à la fois protestantes et nordiques des fondateurs de l'entreprise, on déteste faire des vagues et s'exposer à la critique. Le groupe est particulièrement vigilant à l'égard des risques environnementaux et n'a pas attendu que le sujet soit à la mode pour développer le concept de développement durable. Dès 1975, 3M a lancé le programme 3P, dont la traduction littérale pourrait être « la prévention de la pollution paye », destiné à concilier environnement et profitabilité. Le souci de l'éthique est régulièrement rappelé aux salariés. 3M édicte des règles commerciales qui définissent l'attitude de l'entreprise vis-à-vis du secteur public, de la concurrence, de la passation des marchés, des cadeaux… La direction remet à chaque nouvelle recrue un dépliant de poche afin de l'inciter à toujours se poser trois questions en cas de décision à prendre : « Est-ce la bonne chose à faire ? Mon action peut-elle résister à un examen public ? Préserve-t-elle la réputation de l'entreprise ? »

Suivant cette logique, le groupe s'est efforcé, en France, d'anticiper la législation sociale. Ainsi, le passage aux 35 heures a été mis en œuvre dès 1999. « L'entreprise a toujours fait preuve de vigilance pour ne pas avoir de problèmes, explique un consultant. Il n'y a pas, par exemple, de licenciement sans de confortables indemnités. » Lorsque 3M est amené à restructurer sa production, il injecte des moyens financiers importants et s'évertue à éviter au maximum les licenciements secs. Sur les 100 postes supprimés en 2002 à Beauchamp, le pire a pu être évité. Outre le recours aux reclassements, 3M a privilégié les mesures de préretraite. Après avoir largement bénéficié du FNE, l'entreprise a signé en 2001 un accord de fin de carrière. Ce dispositif a été ouvert à tout salarié dont le poste était supprimé ou à tout volontaire, à condition qu'il ait plus de 53 ans et qu'il soit à moins de sept ans de la retraite. Les bénéficiaires sont partis avec une indemnité et une rente versée jusqu'à liquidation de la retraite à taux plein.

Cette formule a remporté un vif succès, y compris parmi certains dirigeants qui ont profité de ce plan social généreux. « Beaucoup étaient très satisfaits de pouvoir partir et ne regrettent rien, souligne France Roppers, déléguée syndicale CGT. Mais depuis 1993, et la mise en route du premier plan social, la charge de travail n'a cessé de s'alourdir et certains services se retrouvent dans un état de désorganisation générateur de souffrances. » Cadre commercial durant neuf ans, Alexis, qui a démissionné de 3M en 2001, a constaté cette dégradation : « Dans mon équipe, entre mes dates d'arrivée et de départ, l'effectif avait été réduit de moitié mais le travail n'avait pas diminué. L'organisation a été revue, mais cela n'a pas été suffisant pour absorber ce surcroît d'activité. » Cette augmentation du stress, la direction de 3M en est bien consciente : « Nous l'avons perçue dans les enquêtes d'opinion effectuées auprès de notre personnel, précise Stig Eriksson, le P-DG de 3M France, et nous essayons de soutenir nos salariés par tous les moyens. Mais quelle entreprise aujourd'hui ne rencontre pas ce genre de problème ? »

4 TAILLER DANS LES COÛTS

« C'est la méthode qui fait un tabac à Wall Street ! » Voilà comment une revue française de management a présenté le programme Six Sigma, notamment appliqué par 3M. Une méthode sans concession qui vise à remettre à plat tous les process pour en améliorer la performance et la rentabilité. « C'est un formidable outil pour renforcer l'intégration du groupe, souligne Nicolas Jennepin, le DRH. Il y avait une perte de productivité dans notre organisation, que l'on peut rattraper en introduisant de la discipline dans les rouages. » L'objectif financier fixé par l'entreprise est d'économiser 200 millions de dollars en 2002 à l'échelle internationale, la France devant y contribuer à hauteur de 20 millions d'euros.

Importé de General Electric par James McNerney, le P-DG nommé en 2001, Six Sigma consiste à décortiquer toutes les activités, conception, fabrication et commercialisation, afin d'identifier les points de défaillance. Une partie du personnel, surnommée les black belts ou « ceintures noires », est sollicitée pour mettre en route cette mécanique. Ces cadres sélectionnés ont dû abandonner leur job pour se consacrer entièrement à Six Sigma. Quant aux green belts, ils ont vocation à devenir les ambassadeurs de Six Sigma auprès du reste du personnel. Et, en guise de chef d'orchestre, un master black belt coordonne l'ensemble du programme. Dans le monde, 4 000 collaborateurs ont reçu une formation Six Sigma et près de 1 000 projets ont été lancés dans le cadre de cette opération en 2002. Précédemment directrice de marketing au département des ventes, Laurence Rollès fait partie, depuis un an, des 40 black belts françaises. Elle a déjà mené à terme un projet sur les trois qui lui ont été confiés. Le premier comporte une commande très précise : augmenter l'efficacité des rendez-vous commerciaux en face à face des visiteurs médicaux… Dix mois de travail acharné auront été nécessaires pour trouver un fonctionnement optimisé permettant de faire économiser 2,6 millions d'euros à la société. « Cela peut paraître long, souligne Laurence Rollès, mais la procédure à suivre est très détaillée. Il faut établir le diagnostic puis un plan correctif. Les objectifs commerciaux sont désormais fixés grâce à une méthode mathématique rigoureuse tenant compte de plusieurs variables qu'il n'est plus possible ensuite de remettre en cause. »

Son nouveau sujet de travail ? Parvenir à une meilleure récupération de la TVA… « C'est un vrai challenge, avec, au bout, l'aventure ! » précise la jeune femme. À l'issue des deux années, les black belts ne retrouvent pas leur poste d'origine mais sont appelés à exercer d'autres fonctions. « Cela met parfois une drôle d'ambiance dans l'entreprise, raconte un cadre sous couvert d'anonymat. Ces black belts travaillent comme des forcenés sans savoir ce qu'ils vont devenir ensuite. Personnellement, je ne les envie pas beaucoup. »

En tout cas, les syndicats de 3M s'inquiètent des conséquences de Six Sigma sur l'emploi. « Nous avons enquêté sur cette méthode, explique France Roppers, de la CGT, et nous avons découvert que ce programme pouvait aussi générer une réduction moyenne des effectifs de l'ordre de 12 % par an. » Même crainte pour l'avenir du côté de la CGC : « Aujourd'hui, l'entreprise n'a qu'un seul souci en tête : satisfaire l'actionnaire. Le bien-être du personnel devient un élément accessoire, déplore Yves Héran, délégué syndical et secrétaire du comité central d'entreprise. Nous vivons encore sur nos acquis sociaux, mais pour encore combien de temps ? Les restructurations lourdes ne font que commencer. »

5 ACCENTUER LA PERFORMANCE INDIVIDUELLE

« Placer très haut la barre en matière de performance. » Les salariés de 3M savent à quoi s'en tenir. Leur direction attend d'eux plus d'investissement personnel et de résultats. Le groupe s'appuie sur une vieille tradition d'évaluation individuelle. Le cycle EC & DP (employee contribution & development program) est coordonné à l'échelle mondiale par les États-Unis. Un nouveau référentiel comportemental baptisé leadership attitudes vient d'être lancé et doit permettre d'évaluer chacun par rapport à six critères : « tracer la route, placer haut la barre, dynamiser les autres, innover avec ingéniosité, vivre les valeurs de 3M, délivrer des résultats ». Deux rendez-vous ponctuent la vie du salarié. En décembre, c'est le traditionnel entretien d'évaluation entre le supérieur hiérarchique et son subordonné, puis, en février-mars, la restitution des notations : G pour good, G +, et E pour exceptionnel ; G – ou U (unsatisfaction) pour ceux dont les résultats sont jugés mauvais.

Principale originalité du système, entre ces deux entretiens, managers et responsables RH croisent leurs évaluations. « Nous appelons cette étape le “consensus meeting”, précise Luc Rousselet, directeur de l'usine de Tilloy-lez-Cambrai. Elle permet d'objectiver le jugement porté sur le salarié. » Reste que les résultats de cette évaluation sont déterminants pour l'attribution des augmentations de salaire, désormais au mérite, et des primes, connues sous le nom de spot recognition. Cette individualisation n'est pas totale, toutefois, puisque chaque année environ 90 % du personnel perçoit une augmentation de salaire. « Au regard de la charge de travail délirante, il est inadmissible que cela ne touche pas 100 % des salariés », estime Yves Héran, de la CGC. Pour la CGT, il s'agit de savoir si cette évaluation peut servir à sélectionner les salariés à licencier. Sur ce point, France Roppers reste très vigilante : « N'oublions pas que le nouveau P-DG vient de General Electric, l'entreprise qui a inventé la méthode des quotas de personnes à mal noter. » Un article dénonçant ces systèmes de notation, affiché par la CGT, a été abondamment commenté en interne. Chez 3M, le consensus social laisse place au malaise.

Entretien avec Stig Eriksson :
« Le passage aux 35 heures nous a permis de mettre en place des organisations plus flexibles et plus réactives »

Le parcours de Stig Göran Eriksson offre un bel exemple de la promotion interne que 3M a toujours valorisée. À 54 ans, le P-DG de la filiale française a derrière lui une carrière entièrement menée dans le groupe. Diplômé d'un MBA en économie et marketing de l'université d'Helsinki, il a 22 ans lorsqu'il intègre la structure finlandaise de 3M. Trois années seulement après son arrivée, il devient membre du comité de direction et dirige plusieurs divisions. Il passe ensuite par l'organisation européenne de l'entreprise, puis par le siège, à Saint Paul, aux États-Unis. Dans les années 80, Stig Eriksson revient en Europe pour diriger 3M en Belgique, 3M Benelux, avant de prendre la tête du groupe en France en 1996. En sept ans, ce Finlandais au pragmatisme bien scandinave a su s'adapter au management à la française. À la différence de la plupart de ses prédécesseurs, des Américains qui ne connaissaient que trois mots de français, Stig Eriksson parle cinq langues dont celle de Molière. Un atout considérable, a fortiori lorsqu'il s'agit d'expliquer aux salariés les raisons d'une importante mutation.

Comment définiriez-vous aujourd'hui le modèle de management 3M ?

Lorsque James McNerney, notre nouveau P-DG, a fait ses premiers pas dans le groupe, il a réaffirmé l'orientation générale de notre gestion des hommes. Nous conservons les valeurs et les principes de management qui font partie de la culture de 3M depuis sa création. C'est, par exemple, cet indéfectible attachement à l'éthique, au respect de l'individu. Nous continuons aussi, en matière de ressources humaines, à développer les opportunités d'évolution au sein de l'entreprise, la mobilité, la délégation de responsabilité. Ces caractéristiques constituent un avantage concurrentiel indéniable pour 3M. Ce qui est nouveau, c'est notre volonté de hiérarchiser les priorités de recherche et développement, d'accélérer les délais de commercialisation. Avec la mise en œuvre de la méthode Six Sigma, nous voulons améliorer nettement l'efficacité de l'ensemble de nos process. Nous pensions être les champions de l'innovation, mais nous nous sommes rendu compte qu'il pouvait y avoir des lacunes dans l'organisation. Chacun travaillait à sa manière dans son coin. Aujourd'hui, toutes les filiales appliquent les mêmes procédures.

Parvenez-vous malgré les restructurations à maintenir un climat serein dans l'entreprise ?

Les résultats de notre enquête de climat social se sont améliorés en 2002 par rapport aux années précédentes. Les suppressions d'emplois sont toujours des décisions difficiles à prendre et à vivre pour les salariés. Nous l'avons fait en soignant particulièrement les mesures d'accompagnement et en favorisant le transfert de compétences des partants vers les salariés. Je pense que nous avons, sur ces points, pas trop mal réussi. Ce qui est très difficile à supporter pour le personnel d'une entreprise, c'est de consentir à des sacrifices sans avoir une vision claire des buts poursuivis. Tout le monde a aujourd'hui connaissance du cap à tenir. Nous nous efforçons pour cela de beaucoup communiquer sur ces changements. Nous allons consacrer toute une journée à expliquer cette mutation aux opérateurs travaillant à Beauchamp. Nous avons aussi largement associé les salariés à la mise en œuvre du programme Six Sigma.

Vos syndicats ne sont pas aussi optimistes et craignent d'autres réductions des effectifs…

Je sais qu'il existe une certaine inquiétude liée notamment à Six Sigma. Si nous avons recours à cette méthode, c'est pour réduire les coûts et améliorer la croissance avec le même effectif. Il est nécessaire d'augmenter la compétitivité pour gagner des parts de marché. Arrêtons donc les préjugés vis-à-vis de Six Sigma. Le risque pour l'emploi serait bien plus fort si nous nous retrouvions sur le plan international en situation de faible profitabilité. L'amélioration de la productivité permet aussi d'enrichir les tâches et d'accroître la valeur ajoutée d'une personne. Prenons l'exemple du service client. En 2002, 40 % des commandes étaient saisies électroniquement. Notre objectif est de parvenir cette année à 50 %. Les salariées peuvent désormais se tourner vers d'autres activités comme la relation client. Elles sont plus proactives.

Est-ce que la France reste attractive pour les entreprises étrangères ?

Elle est moins attractive, en particulier pour les activités de production à faible valeur ajoutée, où le coût du travail fait qu'il est devenu très difficile de rester compétitif. Mais c'est loin d'être un problème franco-français. Tous les pays d'Europe de l'Ouest rencontrent aujourd'hui les mêmes difficultés.

La France est, certes, la seule nation à avoir mis en place les 35 heures, mais les autres pays ont aussi des législations très complexes. Parfois même autrement plus complexes. La réglementation en Allemagne n'est pas, non plus, simple à expliquer à des Américains. Paradoxalement, le fait d'être passé par la loi pour imposer la réduction du temps de travail avait le mérite de la simplicité, même si le principe n'était pas facile à admettre. Chez 3M, le passage aux 35 heures nous a permis de mettre en place des organisations plus flexibles et plus réactives, notamment dans les domaines de la production et de la logistique.

Comment avez-vous perçu la loi de modernisation sociale ?

Cette loi illustre une certaine rigidité française. Les procédures édictées par la législation française, comme c'est le cas en matière de licenciement, allongent toujours les délais, ce qui est très néfaste pour la compétitivité. C'est aussi un handicap pour les salariés qui sont plongés dans l'incertitude, et cela n'est jamais bon.

Propos recueillis par Denis Boissard et Frédéric Rey

Auteur

  • Frédéric Rey