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Vie des entreprises

Les CAT n'ouvrent pas la porte de l'entreprise aux handicapés

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.04.2003 | Sarah Delattre

Instaurés pour aider les handicapés à intégrer les entreprises, les centres d'aide par le travail sont aujourd'hui plus une voie de garage qu'un sas vers le monde du travail. Certains d'entre eux s'attellent malgré tout à développer des formules de travail en milieu ouvert, à multiplier les détachements en entreprise et à construire des parcours d'insertion.

Pendant une dizaine d'années, Nathalie, une jeune femme de 34 ans, a vécu dans une sorte de trou noir, enchaînant dépression sur dépression. Au cours d'une période de rémission, un psychiatre l'a orientée vers une association rhônalpine, Messidor, qui gère un centre d'aide par le travail et un atelier protégé. « En mai 1997, j'ai commencé à travailler en restauration au CAT avant de rejoindre le service bureautique, un an plus tard. Comme je devenais plus autonome, j'ai été embauchée à l'atelier protégé en septembre 1999, où j'ai suivi une formation en comptabilité. Mon contrat touchant à sa fin, une conseillère d'insertion m'a aidée à rechercher un emploi. Nous avons rédigé mon CV et préparé les entretiens d'embauche. » Une démarche profitable puisqu'en mars 2002 Nathalie a décroché un poste d'auxiliaire administrative à l'École vétérinaire de Lyon. Une seconde naissance pour cette Lyonnaise qui s'apprête à accoucher d'une petite fille.

Les happy ends de ce genre restent malheureusement exceptionnels. Car la plupart des quelque 100 000 personnes fréquentant l'un des 1374 CAT existants en France en sortent rarement. Ces structures médico-sociales sont pourtant censées aider les handicapés à intégrer une entreprise. Mais ces centres, qui connaissent un développement continu depuis leur création en 1975, ne jouent pas leur rôle de passerelle vers le milieu ordinaire. Selon des statistiques rendues publiques en 2002 par la Direction générale des affaires sociales (DGAS), en 1998, 0,25 % seulement des pensionnaires de CAT ont été admis dans un atelier protégé et 0,35 % ont accédé directement à une entreprise. Un tiers des travailleurs présents cette année-là affichaient quinze ans d'ancienneté en CAT. Depuis, la situation ne s'est certainement pas arrangée, car le ralentissement économique n'est guère propice à l'intégration professionnelle des handicapés en milieu ordinaire. « Les ateliers protégés et les entreprises ne courent pas après les travailleurs issus des CAT car ils doutent de leurs aptitudes professionnelles », déplore Gérard Zribi, président de l'association Andicat, regroupant environ 550 directeurs de CAT.

À la décharge des centres d'aide par le travail, les handicapés concernés souffrent, pour la plupart, de déficiences intellectuelles ou de troubles mentaux et sont trop fragiles pour intégrer une entreprise. « Tous nos ouvriers ne sont pas insérables en milieu ordinaire. Pour eux, le centre d'aide par le travail est la seule forme d'intégration sociale possible. Grâce au travail, ils sont tenus à des horaires, ils ont des collègues. Bref, ils se sentent valorisés, utiles à la société », explique Philippe Biscay, directeur du CAT parisien Léopold-Bellan, qui emploie 67 travailleurs. Souvent, les handicapés eux-mêmes refusent de jouer les utilités dans une entreprise où ils ne gagneront pas un centime de plus. « Les patrons ne plaisantent pas. Au moins, ici, les moniteurs d'atelier sont tolérants et les tâches ne sont pas trop répétitives », souligne Vincent, qui travaille depuis plus de deux ans à Léopold-Bellan.

Le A de CAT souvent oublié

Parfois accusés de concurrence déloyale par les entreprises, vilipendés dans un ouvrage récent (l'Enquête interdite, de Pascal Gobry, au Cherche Midi), les CAT ne sont pas exempts de critiques. Confrontés à la diminution relative des subventions publiques – plus de 10 000 euros annuels par individu –, certains directeurs se prennent en effet pour de véritables capitaines d'industrie. Alors que l'Unapei (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales) estime à 20 000 le nombre de places manquantes, ils profitent de la pénurie pour sélectionner à l'entrée les meilleurs candidats. Et retiennent les plus « rentables ». Dans cette logique productiviste, les activités socio-éducatives, qui doivent aider les travailleurs handicapés à être plus autonomes, passent souvent à la trappe. Selon la DGAS, plus de la moitié des CAT se moquaient, en 1998, de l'obligation de consacrer au moins quatre heures hebdomadaires à ces activités annexes, qui vont de l'apprentissage des savoirs de base à l'informatique en passant par le théâtre.

« J'ai travaillé pendant dix-sept ans dans un centre comme éducateur technique spécialisé. Peu à peu, les contraintes de production se sont durcies. Nous nous sommes concentrés sur le T de CAT, en oubliant le A. Nous sommes devenus de simples contremaîtres. Les activités de soutien ont été complètement laminées », témoigne André Dumoulin, président de l'association tarnaise Respect pour tous. Un manquement grave à la mission des CAT que beaucoup de directeurs dénoncent ouvertement. « Le travail est un moyen, pas une fin. Les CAT ne peuvent aider les handicapés à s'insérer que s'il y a un juste équilibre entre le travail et les activités socio-éducatives », estime Luc Dahan, directeur du CAT parisien Maurice-Pilod, qui accueille 80 travailleurs, en majorité des déficients intellectuels.

Une formation en peau de chagrin

Tiraillés entre la nécessité d'être compétitifs et celle de laisser partir les meilleurs, les responsables de centre ont le sentiment de devenir schizophrènes. « D'un côté, nous mettons cinq ans à former un ouvrier à la soudure, et c'est au moment où il devient vraiment performant que nous devons l'orienter vers le milieu ordinaire. De l'autre, nos clients sont toujours aussi exigeants. Ces contradictions ne sont pas faciles à gérer », admet Michel Molin, adjoint technique au CAT Act'Isère, qui emploie 210 travailleurs dans des activités diverses : blanchisserie, conditionnement, logistique, entretien d'espaces verts ou encore mécanique-soudure. Autre frein à l'intégration professionnelle, CAT et ateliers protégés consacrent à la formation un budget en peau de chagrin, alors que leur public est sous-qualifié. Le CAT ne cotise en effet que sur la partie du salaire qu'il verse directement au travailleur, laquelle représente en moyenne 12 % du smic. La rémunération de l'intéressé, qui ne peut excéder 110 % du salaire minimum, se compose pour l'essentiel d'un complément versé par l'État (au maximum 50 % du smic) et de l'allocation adulte handicapé.

En matière de formation, il y a toutefois de bons élèves. Géré par l'Apajh, l'Association pour adultes et jeunes handicapés, le CAT de Levallois explose ainsi allégrement son budget. « L'enveloppe disponible est de 3 545 euros par personne. Mais nous avons décidé de financer des formations jusqu'à 16 451 euros en ponctionnant notre budget commercial », raconte son directeur, Jean-Jacques del Pino. En 2003, une trentaine de travailleurs devraient ainsi apprendre, entre autres, à mieux gérer leur argent, à entretenir leur logement, à occuper des fonctions représentatives.

Conscients du risque d'isolement des handicapés, de nombreux CAT s'ouvrent vers l'extérieur et développent des formules de « travail protégé en milieu ouvert ». Il y a trois ans, L'Élan retrouvé, un centre parisien qui emploie 105 handicapés, a ouvert un pressing où huit employés côtoient chaque jour une clientèle ordinaire. Mieux payés que la moyenne des pensionnaires des CAT, ils perçoivent un salaire direct équivalent à 35 % du smic. « Nous projetons d'ouvrir prochainement une boutique de vente et de réparation de vélos », souligne Luc Dahan, directeur du CAT Maurice-Pilod.

D'autres centres multiplient les détachements en entreprise, un dispositif qui permet aux travailleurs de se frotter au milieu ordinaire tout en continuant de dépendre de leur CAT. Depuis 1987, l'association Messidor propose ainsi à ses clients d'implanter dans leur usine une équipe de travailleurs handicapés. Veninov, un fabricant de toiles cirées, en a profité pour sous-traiter entièrement son atelier de conditionnement. Pour 340 000 euros par an, 20 travailleurs handicapés, dirigés par quatre moniteurs de l'association, s'assurent du contrôle de la qualité, du conditionnement et de l'étiquetage. « Sur 350 personnes, une soixantaine sont actuellement en détachement. Les entreprises ont ainsi l'occasion de mieux visualiser le handicap, ce qui favorise l'intégration de nos travailleurs en milieu ordinaire », note René Baptiste, le directeur de Messidor.

Un projet individuel remis à jour

Devançant la loi du 2 janvier 2002 sur la rénovation de l'action sociale, des CAT ont balisé des parcours individualisés afin de mieux accompagner les handicapés dans leur insertion. « À la fin de la période d'essai, travailleur handicapé, psychologue, éducateur, chef et moniteur d'atelier se réunissent pour définir un projet individuel récapitulant l'ensemble des objectifs à atteindre et revu tous les six mois en fonction des progrès réalisés. Les fiches de suivi de formation tenues à jour par les moniteurs d'atelier permettent aussi un accompagnement professionnel plus efficace », explique Christian Gegauff, directeur d'Act'Isère.

Chez Messidor, le parcours d'insertion est encore plus abouti. Tous les travailleurs se remettent en selle en commençant par un stage d'évaluation de quinze jours. Ensuite, en fonction de leurs aptitudes et de leurs besoins, ils enchaînent avec un stage de réentraînement au travail ou rejoignent directement les différentes unités du CAT avant d'exercer leur métier au sein de l'atelier protégé. « Chaque trimestre, le responsable de production, le travailleur handicapé et le conseiller d'insertion se rencontrent pour faire le point », ajoute René Baptiste. Mais, en l'absence de suivi prolongé, les rares intégrations tentées en milieu ordinaire échouent ici comme ailleurs.

Lâchés dans la nature, les travailleurs handicapés résistent au mieux quelques mois avant de perdre pied. D'où la nécessité de garder le contact avec le CAT. Messidor, qui a en 2002 placé 28 de ses travailleurs en milieu ordinaire, suit ses protégés pendant deux ans. Le résultat est probant : 70 % sont encore en poste au bout de trois ans. « La sortie du CAT est une période très angoissante. À notre initiative, 20 centres parisiens ont mutualisé leurs moyens depuis octobre 2000 et mis en place une cellule d'insertion, se félicite François Géraud, directeur de L'Élan retrouvé. L'objectif est de mieux accompagner les travailleurs vers le milieu ordinaire et de leur proposer éventuellement des bilans de compétences ou des formations qualifiantes. »

Un comité d'usagers à Levallois

Enfin, certains centres s'efforcent de contourner le statut particulier des travailleurs handicapés en CAT, qui constitue paradoxalement un frein à leur intégration sociale. Régis par le Code de la famille, les handicapés admis en CAT n'obéissent pas au Code du travail. Ils ne touchent pas d'indemnités de chômage, n'ont aucun droit d'expression ou de représentation et peuvent être à l'essai durant six mois sans toucher le moindre salaire. Pour améliorer le quotidien de ses travailleurs handicapés, L'Élan retrouvé leur a accordé le 1 % logement et les a associés à la négociation des 35 heures. Au CAT de Levallois, un comité d'usagers élu pour deux ans fonctionne depuis 1985 sur le modèle des comités d'entreprise. En 2003, il devrait bénéficier d'une enveloppe de 58 000 euros, prise sur le budget commercial.

Dans le secteur du travail protégé, le débat sur l'application du droit du travail aux salariés des CAT va bon train. « La question est de savoir quel statut peut leur permettre de faire entendre leur voix. Puisque nous leur reconnaissons le droit d'exercer une activité professionnelle, il me paraît normal de leur appliquer le droit commun », soutient Gérard Zribi, au nom d'Andicat. Mais les associations de familles comme l'Unapei font de la résistance. « Je me méfie du mirage du salariat. Le contrat de travail implique un lien de subordination et des contraintes de productivité qui collent mal avec la mission des CAT », nuance Laurent Cocquebert, directeur général par intérim. Un dilemme que seul le législateur pourra trancher.

Des ateliers bien mal protégés

Méconnus, les ateliers protégés vivent dans l'ombre des CAT. Créés officiellement en 1957, ils constituent pourtant la première forme d'insertion par l'économie. Profitant de la vague d'externalisations, leur nombre croît régulièrement dans l'industrie comme dans les services : ils étaient 493 en 1997 et 547 en 2001. Conçus comme des entreprises, à l'inverse des CAT, ils emploient 18 760 salariés handicapés dont la capacité de travail est au moins égale au tiers de la normale et constituent en quelque sorte un sas supplémentaire vers le milieu ordinaire.

À la différence du travailleur de CAT, le salarié d'atelier protégé dépend entièrement du Code du travail et il est couvert par les conventions collectives de branche. En contrepartie de son travail, il reçoit une garantie de ressources comprises entre 90 et 130 % du smic. Revers de la médaille : soumis aux lois du marché, l'atelier protégé peut être amené à licencier son personnel, comme n'importe quelle autre entreprise. En effet, contrairement aux CAT qui vivent surtout de subsides publics, les ateliers protégés doivent compter essentiellement sur les commandes de leurs clients et n'empochent que 1 372 euros d'aide par travailleur et par an, contre 10 000 euros pour les CAT.

« Parmi les structures d'insertion, les ateliers protégés sont justement les moins… protégés, fustige Vincent Assante, secrétaire général de l'Adapt. L'État ne leur a jamais donné les moyens de faire de l'insertion vers le milieu ordinaire. Pour cela, il faudrait tripler le montant de leurs subventions. » Serge Dessay, secrétaire national du GAP-Uneta, qui regroupe 57 % des ateliers protégés, préfère d'ailleurs parler d'« entreprises adaptées, dans la mesure où nous nous adressons à des personnes qui ont besoin d'un cadre professionnel adapté ». Aujourd'hui, alors que les CAT connaissent les orientations du gouvernement, les ateliers protégés attendent encore de savoir quel sort va leur être réservé.

Auteur

  • Sarah Delattre