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Politique sociale

Matignon laisse le Commissariat général en plan

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.04.2003 | Stéphane Béchaux

En crise existentielle depuis la fin des lois de planification, concurrencé par le Conseil d'analyse économique et le Conseil d'orientation des retraites, le Commissariat du Plan est aujourd'hui sur la sellette. Privé de patron et, depuis un an, de commandes de l'État, ce lieu d'expertise créé par le général de Gaulle attend que Matignon décide de son sort.

Rien de mieux qu'un annuaire des anciens pour juger du prestige d'une institution. En la matière, celui du Commissariat général du Plan a fière allure. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn y côtoient Jacques Delors, Pierre Moscovici, Marie-Thérèse Join-Lambert, Jean Pisani-Ferry, Yannick Moreau, Jean-Baptiste de Foucauld ou encore Lionel Stoleru… Reste à savoir si ce « Who's who » politico-administratif va continuer à s'enrichir. Car le Commissariat général du Plan, créé en 1946 par le général de Gaulle pour penser et organiser la reconstruction de la France, vit des heures sombres.

« Pour les libéraux, le Plan est aujourd'hui une tache dans le paysage, une quasi-provocation. Ils verraient sa disparition comme une victoire symbolique », constate, amer, l'un de ses responsables. « Ça fait bien de tirer sur le Plan, c'est dans l'air du temps », complète un autre. Depuis la fin des lois de Plan, en 1993, l'organisme est l'objet d'interrogations récurrentes sur son utilité. Et l'arrivée de la nouvelle majorité n'a fait qu'aggraver la situation. La première salve est partie de l'Assemblée, en novembre dernier. François Goulard, député UMP du Morbihan, dépose un amendement au projet de loi de finances 2003 pour réclamer la suppression des crédits du Plan. « Nous sommes nombreux à nous interroger sur la pérennité d'organismes comme celui-là, explique l'intéressé. On souffre, en France, d'un monopole de l'administration dans l'expertise des politiques publiques. Il faut, à l'évidence, redéfinir la vocation du Plan et envisager des rapprochements. » Rejetée, la proposition ne reste pas sans suite. Début janvier 2003, la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la Commission des finances décide de plancher sur « la dispersion des outils de prospective de l'État ». Son champ d'investigation couvre, outre le Plan, la Datar, le Conseil d'analyse économique et le Conseil d'orientation des retraites. « Il s'agit de se livrer à une revue de l'existant, sans aucune forme de tabou, explique Georges Tron, député UMP de l'Essonne et rapporteur spécial de la mission. Dans un souci d'optimisation de la dépense publique, nous voulons vérifier que certains organismes ne font pas doublon ou ne sont pas devenus obsolètes. » Une menace à peine voilée contre le Plan, qui concentre l'essentiel des tirs des députés UMP.

Autant dire que les 160 salariés de la Rue de Martignac attendent avec une certaine appréhension les conclusions des parlementaires prévues pour la fin mai. « La MEC a demandé au Plan la liste de l'ensemble des cadres A, avec leur âge et leur date de fin de contrat », s'inquiète Annick Guilloux, chargée de mission et déléguée syndicale CFDT. De quoi alourdir le climat de la maison, orpheline depuis le départ, fin janvier, de son patron, Jean-Michel Charpin, pour la direction générale de l'Insee. Une vacance prolongée qui ne présage rien de bon, tout comme l'absence de commandes gouvernementales depuis l'arrivée de Jean-Pierre Raffarin à Matignon.

L'emblématique rapport Charpin

« Depuis dix ans, on vit une crise existentielle à chaque changement de gouvernement, explique un chef de service. Mais, cette fois-ci, on est vraiment dans l'attente. » D'autant que le Premier ministre n'a pas mâché ses mots, à la mi-janvier, devant l'assemblée générale du Medef : « Quand vous pensez qu'en France il existe encore une institution qui s'appelle le Commissariat général du Plan », a lancé le chef du gouvernement devant un auditoire ravi de voir brocarder une administration parisienne. Pour Olivier Passet, l'un des économistes de la maison, « le Plan ne vit pas une crise de l'offre, mais de la demande ». Et pourtant, les sujets sur lesquels le Premier ministre aurait pu le faire plancher sont légion. À commencer par la convergence des smics ou l'amélioration de l'attractivité du site France, deux dossiers confiés au Conseil économique et social. « Le CES ne devrait pas être un lieu où l'on bâtit des rapports, concède son secrétaire général, Patrice Corbin. Sa richesse, c'est de rassembler des gens venant d'horizons divers qui peuvent donner leur point de vue sur des expertises faites ailleurs, notamment au Plan. »

Des travaux récents du Commissariat, le rapport Charpin sur l'avenir des retraites remis à Lionel Jospin en 1999 reste le plus emblématique. « Le succès ne se mesure pas seulement à la couverture médiatique. Certains rapports, plus confidentiels, peuvent aussi avoir une grande influence sur le débat public », plaide la commissaire adjointe, Véronique Hespel. Celui de Bernard Cieutat sur la fonction publique, qui révélait en mars 2000 que 50 % des fonctionnaires allaient partir en retraite à brève échéance, en fait partie. « Aujourd'hui, c'est une tarte à la crème. Mais à l'époque nous étions les premiers à parler de ce choc démographique », rappelle Nicolas Tenzer, ancien rapporteur général du groupe de travail. Autre exemple : le rapport de Jean-Louis Quermonne sur l'avenir des institutions européennes, publié en 1999, a été ignoré par le gouvernement Jospin, mais a largement circulé, de la Commission européenne à l'Élysée. « Le discours de Jacques Chirac à Berlin, en juin 2000, sur sa vision de l'Europe en reprend des passages entiers », assure-t-on dans la maison.

Ici, les gens se parlent librement

Les experts du Plan comprennent donc d'autant moins l'indifférence ou le dédain dont leur institution est actuellement l'objet. « Nos trois métiers d'origine, l'anticipation, la concertation, l'ancrage européen et mondial, restent totalement d'actualité, même s'il n'y a plus aujourd'hui de lois de Plan », affirme Véronique Hespel. « On vit un vrai paradoxe, complète Lucile Schmid, chef du service évaluation et modernisation de l'État. Le gouvernement se prive d'un lieu de concertation avec les acteurs sociaux, alors que l'État n'a jamais eu autant besoin de réfléchir sur sa relation avec le citoyen. » La grande originalité du Plan réside, en effet, dans sa méthode de travail. Ses commissions réunissent des experts de tout bord, universitaires, chefs d'entreprise, directeurs d'administration centrale, syndicalistes ou DRH. Ce qui en fait un lieu d'expertise concertée unique en son genre.

« Ici, les gens se parlent librement. Comme personne n'est en représentation, on voit des syndicalistes dialoguer ouvertement avec des patrons », abonde l'économiste Dominique Plihon, qui présidait, il y a peu, l'une des commissions du Plan. Des propos tempérés par Jean-Christophe Le Duigou, de la CGT. « La concertation sociale s'est singulièrement atténuée. Depuis une dizaine d'années, on nous demande surtout notre avis sur des travaux d'experts. » Comme le rapport Charpin, dont les préconisations allaient beaucoup trop loin pour les syndicats. « En l'absence de consensus, on n'a pas pu s'appuyer dessus pour lancer les négociations », reconnaît Pierre-Alain Muet, ex-conseiller économique de Lionel Jospin.

CAE et COR rivaux du Plan

Reste que la composition éclectique de ses commissions distingue clairement le Plan du Conseil d'analyse économique, souvent présenté comme son rival. « Le CAE, c'est d'abord un club de vedettes qui donnent leur avis au Premier ministre. Ça vole très haut. Mais je ne vois pas en quoi leur travail concurrence le nôtre », estime Olivier Passet. Ce que confirme Pierre-Alain Muet, le père fondateur du CAE, aujourd'hui adjoint au maire de Lyon : « Le CAE n'a pas vocation à construire des consensus mais à fournir au Premier ministre l'avis d'experts, y compris contradictoires. »

Concurrencé par le CAE, le Plan l'est aussi par le Conseil d'orientation des retraites, dont la création était l'une des recommandations du… rapport Charpin. Au point qu'à l'UMP on s'interroge sur l'opportunité de conserver un organisme pluridisciplinaire, alors qu'on pourrait créer des « mini-Plans » sur des sujets précis. Pour Yannick Moreau, présidente du COR, cette architecture ne serait pas sans risque : « Si on n'avait plus d'organisme comme le Plan, il y aurait des dossiers qu'on ne saurait plus où traiter. » Mario Dehove, le secrétaire général du CAE, plaide, lui aussi, pour le maintien du Plan. « Il manquerait un lieu pour faire les arbitrages et veiller à la cohérence des politiques », a-t-il expliqué lors d'une audition parlementaire. Avant de lancer une mise en garde contre la création d'« agences spécialisées » qui « migreront, à terme, vers les ministères relevant de leurs compétences et sortiront de la sphère du Premier ministre ».

Le flop du rapport de 2000

Le statu quo n'est pourtant guère envisageable. Ce qu'on reconnaît volontiers Rue de Martignac. « Actuellement, on fait des coups, on travaille sur commande. Ça ne peut pas fonder l'identité de l'institution », admet Olivier Passet. « Depuis la fin des lois de Plan, il n'y a plus de régularité dans la mobilisation des savoirs », abonde Pierre Vanlerenberghe, chef du service des affaires sociales. Un problème pointé dès 1994 par Jean de Gaulle dans un rapport sur l'avenir du Plan, commandé par Édouard Balladur. Le parlementaire parisien préconisait la rédaction, tous les trois ans, d'un « document de synthèse sur les grands défis de la nation et les problèmes de notre société ». Un exercice auquel le Plan s'est livré en 2000, avec un rapport sur les perspectives de la France. Résultat ? Un flop. « Le document était trop consensuel, sans axes forts ni propositions opérationnelles », rappelle Nicolas Tenzer, à l'époque chef du service évaluation et modernisation de l'État.

Pour relancer l'organisme, d'autres idées se font jour. Jean Boissonnat milite pour la création d'une « agence de prospective économique et de stratégie sociale » chargée non plus de « planifier l'avenir », mais de « l'éclairer et de le préparer ». Ancien commissaire au Plan, Michel Albert est favorable à la transformation du Plan en une « agence du futur qui s'occuperait, en particulier, d'évaluer la place de la France dans le monde et de réfléchir aux moyens de renforcer son attractivité ».

Autre proposition, celle de Jean-Baptiste de Foucauld, ancien patron du Plan, partisan d'un élargissement des missions de l'institution pour en faire un « Commissariat général du Plan et du développement durable ». Gaby Bonnand, secrétaire national à la CFDT, propose que la Rue de Martignac s'intéresse à des sujets peu abordés comme l'intégration, l'Europe ou la société de la connaissance. « Nous ne voulons pas que l'absence de réflexion éteigne le Plan. Or il n'y a pas de message politique clair ». « L'ardente obligation » du Plan est, décidément, bien loin.

Un fonctionnement à revoir en profondeur

En quête de son lustre passé, le Commissariat général du Plan a de plus en plus de mal à attirer les meilleurs jeunes universitaires ou les fonctionnaires des grands corps.

« Le Plan n'est plus suffisamment attractif pour ceux qui ambitionnent de devenir sous-directeurs dans une administration centrale », constate Nicolas Tenzer, en pointant du doigt « l'absence d'une politique active de gestion du personnel depuis de nombreuses années ».

Résultat, les « anciens » manquent de perspectives de carrière et les « nouveaux » (la moitié des 50 chargés de mission ont moins de cinq ans d'ancienneté) ne restent guère plus de trois ans. « Le Plan cristallise l'incapacité de l'État à se réformer, confie un fin connaisseur de l'institution. Il ne fonctionne qu'avec les gens décidés à travailler et souffre d'une trop grande dépendance de la personnalité du commissaire. » Dans la maison, on garde un mauvais souvenir des trois années (1995-1997) où Henri Guaino était commissaire. Une période au cours de laquelle le Plan, en porte à faux avec le gouvernement Juppé, s'est retrouvé en sous-régime, dans un climat interne délétère. Rue de Martignac, on sait gré à son successeur, Jean-Michel Charpin, loué pour sa rigueur intellectuelle, d'avoir remis l'institution sur les bons rails. Mais certains regrettent qu'il n'ait pas touché à son fonctionnement. « On a besoin de davantage de transparence et de transversalité entre les services, qui ont un peu tendance à défendre leur pré carré », estime Lucile Schmid. « Ce n'est pas d'un ravaudage à la marge dont le Plan a besoin, mais de nouvelles missions, d'une nouvelle organisation et d'un changement des modes de gestion interne », abonde Nicolas Tenzer, l'un des candidats au poste de commissaire. D'autres noms circulent : ceux de Claude Thélot, ancien directeur de l'évaluation et de la prospective à l'Éducation nationale, de Jean-Ludovic Silicani, ancien commissaire à la Réforme de l'État, ou d'Agnès Audier, directrice générale de Vivendi Universal Net et ancienne directrice du cabinet Raffarin au ministère des PME, du Commerce et de l'Artisanat.

Auteur

  • Stéphane Béchaux