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Débat

Comment traiter les licenciés économiques ne bénéficiant pas d'un plan social ?

Débat | publié le : 01.04.2003 |

À l'invitation expresse du gouvernement et du législateur, patronat et syndicats ont engagé début mars une négociation sur « le traitement social des restructurations ». Que peut-on envisager pour les salariés licenciés par des entreprises de petite taille, les plus nombreux, qui n'ont pas droit aux mesures d'accompagnement du plan social ? Les solutions d'un avocat, d'un consultant spécialisé et d'un universitaire.

« En mutualisant des droits comme la prévoyance ou la retraite pour doper la mobilité. »

GILLES BÉLIER Avocat en droit social, cabinet Bélier et Associés.

Que faire pour les licenciements économiques de moins de 10 salariés, qui se situent hors des procédures dites de plan de sauvegarde de l'emploi ? Plus précisément, la question est de savoir ce qui peut être fait dans les petites et moyennes entreprises, un licenciement économique de moins de 10 salariés dans une grande entreprise trouvant généralement une solution appropriée, ne serait-ce qu'à l'occasion de la consultation du CE.

Force est de s'interroger sur la pertinence de textes ou d'accords collectifs qui finissent par buter sur l'éloignement de cette partie du monde du travail des moyens et des outils permettant d'appréhender ces problèmes. En clair, la satisfaction très française de créer de nouvelles dispositions normatives laisse perplexe. Un problème surgit ? Tournons-nous vers le législateur (ou vers les partenaires sociaux), chargé d'apporter des solutions. L'ANPE, les Assedic ou d'autres institutions se verront alors confier de nouvelles tâches qui finiront par sombrer dans la difficulté du quotidien. Pire encore, un dispositif d'indemnisation plus favorable sera mis en place, encourageant tous les arrangements sur la qualification de la rupture pour faire supporter aux autres le prix de la transaction.

En réalité, les questions d'une indemnisation spécifique, de moyens renforcés du service public de l'emploi et de l'appareil de formation pourront légitimement se poser. Pourtant elles ne pourront réellement et utilement être traitées que si la société s'en empare et bouge vraiment au niveau le plus décentralisé qui soit. Tant que la formation vers l'« employabilité » ne pourra pas se développer dans les PME, beaucoup d'initiatives demeureront illusoires. Que devient, en effet, un technicien qui passe quinze ans ou plus dans une PME sans être formé à de nouvelles technologies si un accident économique survient et le prive de son emploi ?

Ceci implique que soient abordés au moins deux thèmes centraux : la formation tout au long de la vie, surtout pas sur la base de l'acquisition de droits individuels, mais bien dans une démarche collective associant le patronat et les syndicats sur les évolutions technologiques prévisibles dans la branche ou le secteur d'activité. Les fonds mutualisés de la formation devraient alors favoriser les mises à niveau permanentes finalisées et admises comme pertinentes par les acteurs sociaux de la branche.

Ensuite, la mutualisation de certains droits dans la carrière pour éviter que toute évolution professionnelle accompagnée de la perte de tous les droits liés à l'ancienneté transforme la mobilité en abandon pour beaucoup de salariés. Les droits à indemnisation en cas de licenciement ou de départ en retraite, les prises en charge au titre de la prévoyance entrent, notamment, dans cette catégorie de droits.

Au-delà, il faudra réfléchir à la façon dont le départ en formation peut être plus facilement supporté dans les petites entreprises, notamment quand l'absence rend le remplacement nécessaire, entraînant des coûts réels rendant plus difficile l'accès à la formation. Si ces thèmes ne sont pas traités, et surtout si la société continue à s'en remettre aux textes et aux dispositions strictement normatifs, il est vraisemblable qu'une nouvelle occasion manquée viendrait orner notre droit du travail.

« Il faut mettre en place des cellules de reclassement interentreprises et mieux informer. »

OLIVIER LABARRE Directeur associé, groupe BPI.

Près de 70 % des licenciements économiques sont effectués dans des entreprises de moins de 50 salariés, non soumises à l'obligation du plan social et donc bien loin des dossiers médiatiques d'Air Lib, Metaleurop, Daewoo, etc. Dans ces conditions, la véritable question doit être : pourquoi le licenciement des salariés dans les petites entreprises intéresse-t-il aussi peu de monde ?

La réponse à cette question est à la fois simple et cruelle. En effet, quel est le poids, le pouvoir d'un salarié d'une entreprise de cette taille au regard de celui d'un salarié compris dans un projet de licenciement économique collectif d'importance et bénéficiant de l'appui de la collectivité ? Quel enjeu pour ce simple licenciement « anonyme » face à l'enjeu économique, social, syndical, politique, voire électoral, d'une fermeture de site industriel, d'une réorganisation d'une entreprise de taille internationale, touchant des centaines de salariés ?

Que ce soit les règles de droit du travail, l'accompagnement au reclassement, rien ou presque n'est et n'a été prévu pour accompagner la petite entreprise et son personnel. Cette indifférence de la société va même jusqu'à créer une inégalité de traitement pour le simple cas du licenciement individuel économique. En effet, alors que le salarié de la grande entreprise se verra offrir un congé de reclassement lui permettant de bénéficier d'un temps précieux indemnisé pour travailler à sa recherche d'emploi, le salarié de la PME ne bénéficiera d'aucun appui ou dispositif lui permettant de reprendre son souffle. Dans ces conditions, à l'heure où s'ouvre, à l'initiative du gouvernement, la discussion entre le Medef et les centrales syndicales pour débattre du cadre et des conditions du licenciement économique, n'est-il pas temps de se pencher sur cette profonde injustice et d'y apporter de vraies solutions ? Certains diront qu'avant de réfléchir à un dispositif social de plus il serait plus efficace de libérer l'entreprise pour qu'elle puisse créer de l'emploi. Si cette remarque reste pleine de bon sens, il n'en demeure pas moins que l'on ne peut se limiter à cette réponse et se résigner à la fatalité.

Les solutions doivent tourner autour des deux difficultés les plus immédiates que rencontre le salarié au chômage : trouver le soutien indispensable pour ne pas être seul face à son problème ; enfin, se repérer dans l'étendue des dispositifs publics. La première passe par la mise en place de cellules de reclassement interentreprises. Ce type de dispositif a été institué ces dernières années en région parisienne avec succès. La seconde passe par un renforcement de l'accès à l'information. Les dispositifs existent, il faut faire en sorte de les rendre accessibles et compréhensibles.

Il est temps que les acteurs politiques et sociaux, mais aussi l'ensemble des différents intervenants dans ce domaine, prennent la mesure de l'enjeu, s'intéressent enfin à ces milliers de salariés livrés à eux-mêmes. À défaut, la collectivité aura détruit un peu plus encore un des ciments de notre société : la solidarité.

« Des groupements d'entreprises pourraient employer successivement les salariés…»

FRANÇOIS GAUDU Professeur de droit privé à l'université Paris I.

La tendance durable du droit est à l'alourdissement des procédures en cas de « grand licenciement économique », quels que soient les avatars de la législation. Mais 85 % des licenciements économiques ont lieu hors plan social et ne sont donc pas concernés. La nullité du licenciement pourrait devenir la sanction générale de l'inexécution de l'obligation de reclassement. Solution du droit allemand : si l'employeur néglige les possibilités de reclassement, le licenciement socialement injustifié est nul. Le droit français, de l'arrêt Samaritaine à la réintégration des salariés malades ou victimes d'accident tant que leur situation n'a pas été examinée par le médecin du travail, paraît se diriger vers cette solution.

L'acclimatation du droit de veto du comité d'entreprise sur les licenciements économiques est une voie illusoire. C'est ce qu'illustre, par son inefficace complexité, la loi de modernisation sociale. Celle d'un contrôle des élus du personnel sur la légalité des embauches peut sembler plus prometteuse.

Certains grands groupes calment les ardeurs de leurs filiales en interdisant pendant un an de recruter après un licenciement économique. En permettant aux élus du personnel de bloquer une embauche qui bafouerait les priorités de réembauche ou les règles qui encadrent le recours aux CDD, on freinerait indirectement les licenciements économiques…

Ce qui précède ne concerne pour ainsi dire pas les TPE, dépourvues de possibilités de reclassement et d'élus du personnel. La seule façon d'améliorer la situation des salariés des TPE est sans doute d'intégrer la relation du travail dans un ensemble plus vaste.

Par intégration du contrat de travail, comme le réalisent déjà les groupements d'employeurs : on pourrait concevoir que plusieurs entreprises se groupent pour employer successivement des salariés. C'était l'un des sens de la proposition de « contrat d'activité » du rapport Boissonnat.

On pourrait aussi concevoir que de nouvelles « Bourses du travail », cogérées localement, prennent en charge les salariés licenciés en s'appuyant sur la ressource que fournit l'adhésion d'une collectivité d'employeurs. La cotisation des entreprises à l'assurance chômage pourrait être modulée de façon que les entreprises qui choisissent les solutions « intégratives » paient moins que les autres.

La nouvelle stabilité de l'emploi requiert sans doute que les syndicats s'entendent directement avec les petites entreprises. À court terme, l'optimisme n'est donc pas de mise. Aussi bien le législateur ignore visiblement (puisqu'il a suspendu l'article 109 de la loi de modernisation sociale) que dans tous les pays où les priorités de réembauche jouent un rôle véritable les critères de l'ordre des licenciements sont « aveugles », de type last in, first out. L'employeur a intérêt à reprendre ceux qu'il a licenciés, car ce sont ceux qu'il a le plus récemment sélectionnés. En revanche, à partir du moment où l'ordre tient compte de la valeur professionnelle, le licenciement économique devient une opération de sélection du personnel à rebours, et les priorités de réembauche sont mortes. C'est pourtant l'un des seuls avantages des licenciés ordinaires…