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Vie des entreprises

Les soldats du feu mieux traités en province qu'à Paris

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.03.2003 | Isabelle Moreau

Militaires à Paris, fonctionnaires départementaux ailleurs, les pompiers professionnels ne chôment pas. Et ce ne sont pas les nombreux départs à la retraite ni la fin de la conscription qui vont arranger les choses. Différence non négligeable : l'élite parisienne, certes mieux payée, ne bénéficie pas des 35 heures, à l'inverse des pompiers de province.

Le camion rouge, le casque clinquant, la grande échelle, ce rêve de gosse, c'est ce qui a motivé bon nombre de jeunes gens à entrer chez les sapeurs-pompiers. Mais si le travail est partout le même en France, tous les soldats du feu ne sont pas logés à la même enseigne. À la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), ils sont militaires, dépendant du génie civil ; en province, hormis le cas très particulier des marins-pompiers de Marseille, les sapeurs-pompiers professionnels sont des fonctionnaires territoriaux, intégrés dans les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), depuis la loi de départementalisation du 3 mai 1996. Souvent considérée comme l'élite de la profession, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris compte 7 500 militaires opérant sur Paris et la petite couronne. Dans le reste de l'Hexagone, le risque incendie est couvert par 30 000 sapeurs-pompiers professionnels, épaulés par quelque 200 000 pompiers volontaires.

En province, le concours de sapeur professionnel est ouvert aux titulaires d'un brevet, et celui d'officier aux bac + 3. « S'il est plus facile de trouver des candidats dans le sud de la France que dans le nord, reconnaît le colonel Philippe Vanberselaert, directeur adjoint du Sdis 59 (Nord), les groupements ne font pas état de crise des vocations. » « Depuis quelques années, il y a beaucoup plus de candidats au concours que de postes à pourvoir », confirme Jacques Simonet, secrétaire fédéral d'Interco CFDT. À Paris, le recrutement se fait uniquement sur dossier. « Ceux qui viennent ici sont motivés. Ils peuvent signer un contrat dès 18 ans mais, en général, ils ont entre 20 et 21 ans », indique le colonel Dominique Papart, chargé des ressources humaines à la BSPP. Le recrutement est assuré par les bureaux de l'armée de terre. Chaque sapeur-pompier signe un contrat de cinq ans, renouvelable deux fois. Mais tous les pompiers de Paris sont loin d'aller au terme des quinze ans.

145 gardes par an !

Car, qu'il s'agisse des militaires ou des civils, les sapeurs-pompiers ne chôment pas. « La brigade a effectué plus de 426 000 interventions en 2002, dont plus de 65 % sont des secours à victimes », explique le chef de bataillon Christian Decolloredo, chef du bureau information-relations publiques de la BSPP. À lui seul, le centre de secours de Parmentier, situé dans le 11e arrondissement de Paris, traite 10 000 départs sur l'année. Dans cette unité qui compte 57 pompiers et dont la moyenne d'âge est de 26 ans, « 19 sont de garde chaque jour », explique l'adjudant-chef Bruno Bonin, 42 ans et vingt-trois ans de service. Par services de 24 heures, voire, au maximum, 72 heures, ils assurent le quotidien de la caserne, vivant, comme la plupart de leurs collègues de province, en complète autarcie.

Au centre d'incendie de Tourcoing, à deux pas de la frontière belge, le quotidien des pompiers ressemble à celui de leurs homologues parisiens. Le capitaine Pierre-François Delzenne, le chef de centre, organise la répartition des tâches de l'équipe B (l'une des trois équipes) de garde ce jour-là pour 24 heures, avant d'être placée en repos pendant deux jours. En matière de temps de travail, les pompiers de province sont cependant beaucoup mieux lotis que les pompiers de Paris, qualifiés d'« esclaves des temps modernes » par Alain Brissiaud, pompier au Sdis 68 et délégué FO.

« À la BSPP, indique le colonel Dominique Papart, chacun a fait 145 gardes l'an dernier et le but est de parvenir à 125 gardes en 2007. » Il reste donc du chemin à parcourir… Les pompiers parisiens font en règle générale 48 heures de garde, suivies de 48 heures de repos, les rares gardes de 72 heures donnant lieu à trois jours de repos compensateur. Les pompiers de province ne sont théoriquement de garde que 12 ou 24 heures, et effectuent entre 100 et 105 gardes de 24 heures par an. Mais la réalité n'est pas toujours aussi rose. Au Sdis 59, les 1 740 pompiers font 140 gardes de 24 heures; à terme, ils devraient n'en faire que 102. La base du régime, « c'est 24 heures de garde, 48 heures de repos, ou 24 heures de garde, 24 heures de repos, plus récupération », résume le lieutenant colonel Yvan Forzano, chef du deuxième groupement du Nord.

Les 35 heures, un vrai pataquès

Si les pompiers professionnels de province effectuent moins de gardes dans l'année, c'est parce qu'ils bénéficient des 35 heures, contrairement aux militaires parisiens, qui n'en voient pas la couleur. Reste que la mise en place de la réduction du temps de travail a été « un véritable pataquès », affirme Jacques Simonet, de la fédération Interco CFDT. Le décret de décembre 2001 précise en effet que les pompiers peuvent travailler 24 heures de suite, mais avec seulement 16 heures d'équivalence. Autrement dit, le décret de 2001 est en contradiction avec la directive européenne sur le temps de travail – qui interdit de travailler plus de douze heures d'affilée. « Certaines professions ont eu des dérogations. Alors pourquoi pas les pompiers ? » s'étonne le Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP), majoritaire dans la profession. Pour Alain Brissiaud, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats de sapeurs-pompiers FO, c'est tout vu : « La France est en queue de peloton par rapport à ses voisins européens, où les pompiers travaillent à des rythmes de 12 heures. » Le syndicat a d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil d'État, il y a un an, imité ensuite par l'Unsa et SUD. Président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, le colonel Daniel Ory n'ose pas imaginer les conséquences si d'aventure la haute juridiction administrative annulait le décret !

Recruter en masse

Le SNSPP, affilié à la CFTC, défend, quant à lui, la garde de 24 heures, « au moins de manière transitoire », explique Patrice Beunard, secrétaire général du syndicat. Au nom de la continuité du service. Mais le syndicat n'ignore pas que si la durée de la garde est ramenée de 24 à 12 heures il faudra recruter en masse. Et les conseils généraux, qui assurent l'essentiel du financement des Sdis, n'en ont pas les moyens. « Il manque à ce jour 30 % de pompiers professionnels en France », estime Jacques Simonet, de la CFDT. Comme dans le Nord, où le Sdis doit faire face à des vagues de départs en retraite. Conséquence directe des recrutements massifs des années 70, environ 200 professionnels partent à la retraite chaque année et le pic sera atteint en 2005-2006. « En cinq ans, explique le capitaine Pierre-François Delzenne, chef du centre de Tourcoing, l'âge moyen dans la caserne est passé de 46 à 30 ans, en raison des départs à la retraite. » Un audit a pointé un besoin de 579 sapeurs-pompiers dans le département. Difficile, dans ces conditions, de tenir les engagements du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques, qui prévoit un délai d'intervention de quinze minutes au maximum.

À Paris, le principal point noir vient davantage de la fin de la conscription. « Certains faisaient leur service militaire chez nous, explique l'adjudant-chef Bruno Bonin, ils découvraient un métier, une vocation, ou tout simplement la confortaient. » Pour accompagner la professionnalisation des armées, un plan de modernisation a été adopté pour la période 2002-2007. « Nous engageons 170 personnes (130 engagés volontaires de l'armée de terre et 40 volontaires de l'armée de terre) tous les deux mois », explique le colonel Dominique Papart, le responsable des RH. Compte tenu de l'urgence, la Brigade de Paris a lancé une vaste campagne de communication. Bus, petites annonces, numéro vert, journées portes ouvertes, bals du 14 Juillet… tout est fait pour attirer les futurs soldats du feu à Paris. La BSPP n'hésite pas non plus à vanter sa fonction d'ascenseur social. « Chez nous, une personne qui a de l'ambition peut démarrer sapeur-pompier deuxième classe et terminer sa carrière au grade de lieutenant-colonel, à condition de réussir les concours », confirme un officier supérieur.

Depuis janvier 2001, la BSPP a élargi le recrutement en accueillant des femmes. Une petite révolution dans cet univers très masculin, qui nécessite d'adapter les locaux mais aussi de convaincre les troupes. Car beaucoup voient d'un mauvais œil l'ingérence de la gent féminine dans leur pré carré. Tout y passe : inaptitude physique à porter 17 kilos d'équipement sur le dos, difficultés à descendre une personne blessée sur une grande échelle de 30 mètres. « C'est un faux problème, estime l'adjudant-chef Bruno Bonin, car, homme ou femme, les plus faibles ne résistent pas. » Il craint, en revanche, l'aspect relationnel, beaucoup plus complexe à gérer au quotidien…

Pour pallier le manque d'effectifs, les groupements de province, contrairement à la Brigade de Paris, peuvent faire appel aux volontaires. Mais cela ne va pas toujours sans heurt. « La répartition des gardes entre professionnels et volontaires génère beaucoup de conflits », reconnaît Jean-Marie Ménard, directeur adjoint du Sdis 07, de l'Ardèche. Parfois, les sapeurs-pompiers de province ou ceux de Paris proposent leurs services dans la commune où ils résident. Sur leur temps de repos. « Il faut être cohérent, explique le sergent Jean-Luc Peeters, de Tourcoing, on ne peut pas dire en tant que professionnel qu'on fait trop d'heures et être en même temps volontaire. »

Salarié le jour, volontaire la nuit

« C'est tout le problème du double emploi, complète Jacques Simonet, de la CFDT. Car il y a une véritable galette à la clé. » Les pompiers volontaires perçoivent en effet des indemnités non imposables. En fonction du grade, l'heure de vacation varie de 6,71 à 10,08 euros, et elle est majorée de moitié les dimanches et jours fériés et de 100 % de minuit à 7 heures du matin. Imposés aux professionnels, les temps « de sécurité » ne concernent pas les volontaires, qui exercent souvent un métier la journée et… sont de garde de nuit dans un centre de secours. Certains départements, comme l'Ardèche, défendent cette répartition : aux pros la journée, aux volontaires la nuit. Ce qui n'est pas sans danger car les professionnels s'entraînent quotidiennement pour compléter leur formation initiale de quatre mois, tandis que les volontaires suivent des stages étalés sur trois ans et n'effectuent des manœuvres qu'une fois par mois. « Les volontaires ne restent pas plus de quatre ou cinq ans », note Jacques Simonet, de la CFDT. D'autant que la moitié des postes au concours leur est réservée. Le colonel Daniel Ory, président de la FNSP, préconise de fidéliser le corps des volontaires en sanctionnant par exemple leur formation par un diplôme.

Pas un « métier à risques »

Avantage à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris sur le plan salarial – les jeunes débutent à environ 1 500 euros net par mois –, bien que les traitements des pompiers de province aient été revus à la hausse depuis les grandes manifestations de la fin 1999 sur le périphérique et sous la tour Eiffel. Le salaire mensuel net de base d'un pompier professionnel s'élève à 1 142 euros, sans compter les primes, qui représentent environ 30 % de la rémunération totale, la plus importante étant la prime de risque (19 % du salaire de base).

Ces rémunérations plutôt attractives sont aussi le prix du risque, de la disponibilité et de la vie en caserne. Si l'explosion survenue l'an dernier dans une chambre de bonne de Neuilly-sur-Seine, qui a entraîné la mort de cinq pompiers parisiens, est encore dans toutes les mémoires, certains professionnels se refusent à mettre le risque en avant. « Le métier n'est pas dangereux en soi, note le colonel Dominique Papart. Il y a bien sûr des risques, mais une partie du métier consiste à les prévenir. Et l'évolution des équipements de sécurité, comme les nouveaux casques, y contribue… »

Certaines organisations syndicales, la CGT en tête, revendiquent depuis toujours le classement parmi les métiers à risques. « Cela nous permettrait de prendre notre retraite à 50 ans », explique Thierry Lemarchand, membre de l'Union syndicale nationale des personnels des Sdis CGT. Depuis février 1986, les pompiers peuvent partir dès 55 ans, grâce à un système de bonification d'un an tous les cinq ans, plafonné à cinq ans (à condition d'avoir été fonctionnaire pendant trente ans, dont quinze chez les pompiers). Une avancée qui s'est traduite par une augmentation de 2 % des cotisations de retraite.

Et, pour la première fois en 2002, les pompiers de province ont pu bénéficier du congé pour difficultés opérationnelles (CDO) qui leur permet de partir à 50 ans en percevant 75 % de la rémunération du salaire de base, jusqu'à l'âge effectif de la retraite. Une forme de préretraite qui n'a pas rencontré beaucoup de succès, car le dispositif est jugé peu attractif. « Pour nous, il n'est pas concevable de travailler plus longtemps, d'autant que d'après la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, les pompiers ont une espérance de vie qui tourne autour de 62-63 ans », affirme Alain Brissiaud, de FO. Renseignements pris auprès de la CNRACL, la durée de versement de la retraite était entre 1991 et 1998 de seize années en moyenne chez les pompiers, ce qui donne une espérance de vie voisine de 72 ans, moins élevée tout de même que l'espérance de vie estimée en France à 76 ans pour les hommes. Inutile de dire que le débat actuel sur l'allongement de la durée de cotisation pour les fonctionnaires suscite beaucoup d'inquiétudes parmi les pompiers qui étaient présents dans les rues des grandes villes françaises le 1er février dernier.

Reconversion

À Paris, ce n'est pas le dossier des retraites qui mobilise, mais plutôt les dispositifs de reconversion. « Environ 30 % des effectifs quittent la brigade à l'issue de leur contrat de cinq ans. Les deux tiers de ceux qui restent vont jusqu'à quinze ans, ce qui leur donne droit à une petite pension d'environ 730 euros par mois », indique le major Bernard Tomasetti, accompagnateur reconversion à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Les pompiers qui désirent quitter la brigade font un projet professionnel. Très souvent, ils travaillent ensuite dans le secteur de la sécurité ou dans les transports. Près des deux tiers d'entre eux trouvent un emploi dans leur région d'origine. Si une entreprise se montre intéressée par le CV d'un pompier, celui-ci pourra y travailler et continuera de toucher sa solde pendant six mois. Seule obligation, le contrat de travail doit être signé avant la fin du troisième mois, ce qui permet souvent aux employeurs d'effectuer gratuitement une période d'essai. Et ça marche. « Nous avons un taux de réussite de l'ordre de 90 %, car les anciens pompiers de Paris sont plutôt bien perçus par les chefs d'entreprise », se félicite le major Bernard Tomasetti.

Autre avantage, les pompiers de Paris ont également la possibilité de faire financer une partie de leur formation liée à un projet professionnel. Ils peuvent aussi passer le concours de sapeur-pompier professionnel dans un département de province. Car, si paradoxal que cela puisse paraître, il n'existe pas d'équivalence entre les deux corps. La vieille rivalité entre pompiers civils et militaires n'est pas près de s'estomper…

À Marseille, on est à la fois pompier et marin

Avec la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, le Bataillon des marins-pompiers de Marseille (BMPM) est la deuxième unité militaire chargée de la sécurité des personnes et des biens. Dépendants de la Marine, mais financés à 100 % par la ville, les marins-pompiers de Marseille sont également appelés à intervenir en complément des forces du service d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône, depuis la loi de départementalisation de 1996. Fort de plus de 1 800 hommes, répartis dans 24 casernes, le BMPM ne chôme pas : il intervient en moyenne 280 fois par jour, le plus souvent pour assurer un secours à des personnes, notamment des sauvetages en montagne ou en mer.

Pour devenir marin-pompier, deux filières sont possibles : soit s'engager en signant un contrat de dix ans renouvelable avec la Marine, soit devenir volontaire des armées en signant un contrat d'un an renouvelable quatre fois. Ici, pas de concours. La sélection des candidats se fait au vu des résultats d'un QCM et de tests psychologiques et sportifs. Une fois recrutés, les futurs pompiers suivent une formation militaire de quatre semaines, puis une formation professionnelle de vingt semaines.

Comme à Paris, le Bataillon des marins-pompiers de Marseille a dû faire face aux difficultés de recrutement liées à la disparition des appelés.

Mais « nous nous en sortons pas mal, explique un pompier chargé du recrutement au BMPM. Nous avons embauché cette année 400 volontaires des armées et 80 engagés ». Reste le problème épineux de leur coût pour la collectivité. Mieux rémunérés que les anciens appelés du contingent (environ 890 euros par mois pour les volontaires et 1 290 pour les engagés), les marins-pompiers coûtent plus cher à la ville de Marseille. Laquelle ne peut par ailleurs pas se permettre de tailler dans les dépenses d'investissement nécessaires pour moderniser des casernes et un parc de véhicules souvent très anciens…

Auteur

  • Isabelle Moreau