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Vie des entreprises

La fin de l'âge d'or pour le petit monde de la formation

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.03.2003 | Valérie Devillechabrolle

Des budgets réduits, des sessions reportées, des règles d'attribution durcies… le ralentissement économique met les organismes de formation à rude épreuve. Exigeant réactivité et sur-mesure, les entreprises clientes accentuent leur pression et font le tri chez leurs partenaires. Les plus petits trinquent.

Une bonne dizaine de dépôts de bilan, cinq liquidations judiciaires, un chiffre d'affaires en baisse d'environ 10 % en 2002… Même si Jean Wemaëre, le président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), minimise la « légère régression du marché », le secteur est agité par de fortes turbulences. Certes, tous les organismes ne sont pas logés à la même enseigne. Certains ont conforté leurs positions, à l'instar de la Cegos, le poids lourd européen du secteur, qui a vu son chiffre d'affaires progresser de 3,7 % en 2002. « Notamment en récupérant des parts de marché sur les plus petits », précise Michel Ledru, directeur recherche et développement. D'autres ont tiré leur épingle du jeu. Président du cabinet C2A, spécialisé notamment dans les formations d'accompagnement au lancement de nouveaux produits, Yves Blanchard revendique une « assez belle année 2002 », avec un chiffre d'affaires en augmentation de… 30 %.

Mais le ralentissement économique enclenché en 2001 et accentué en 2002 a fait des dégâts : « En rupture avec l'explosion des années 1995-2000, les entreprises serrent aujourd'hui les boulons sur les budgets », reconnaît Jean Bourdariat, directeur du pôle ressources humaines du cabinet Orga Consultants, donnant l'exemple de France Télécom. « Alors que ce groupe était, avec EDF, l'un des plus gros consommateurs de formation en France, il a pratiquement arrêté tous ses programmes à partir de la mi-2002. » Autre indicateur alarmant, « le taux d'annulations ou de reports de formations est en augmentation sensible », observe Philippe Joffre, consultant en achat de formations, en citant le cas, « jamais vu dans la profession », d'un spécialiste des langues dont le taux de reports a grimpé à 30 % au second semestre 2002. Et les deux premiers mois de 2003 ne laissent guère entrevoir d'éclaircie : « Les entreprises semblent vouloir ouvrir leur budget de formation un peu plus tard que d'habitude », note Yann Houdent, P-DG de Learning Tree France, l'un des leaders mondiaux des formations informatiques.

Commande publique en baisse

Ceux qui souffrent le plus sont, sans conteste, les organismes qui vivent de la commande publique. Selon la FFP, ce marché a régressé de près de 20 % en 2001. « Alors que les prix d'intervention, calculés en heure/stagiaire, sont inchangés depuis des lustres, les pouvoirs publics ont réduit de façon drastique leurs engagements en nombre de stagiaires ces dernières années », déplore Daniel Croquette, ancien patron du Cesi, aujourd'hui délégué général de l'ANDCP. Secrétaire adjoint du Synafor-CFDT, Francis Beurion nuance ce diagnostic : « Si l'État a réduit de 20 à 30 % au cours des dernières années les subventions consacrées aux dispositifs encore à sa charge (Fonds national pour l'emploi et stages d'insertion et de formation à l'emploi), les conseils régionaux, qui financent depuis 1994 80 % de la formation professionnelle des jeunes et des demandeurs d'emploi, ont plutôt maintenu leurs enveloppes. » Avec de sérieux redéploiements : « Sur un budget en forte hausse, la région a développé ses dispositifs d'insertion (plates-formes linguistiques, chantiers-écoles, espaces de socialisation…) ainsi que ses programmes sectoriels (bâtiment, informatique) par redéploiement des crédits alloués aux actions de formation de longue durée », explique Paul Marie, chef du service de la formation continue de la région Ile-de-France.

Et la nouvelle étape de la décentralisation lancée par le gouvernement Raffarin risque de déstabiliser davantage les organismes de formation. « Les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui ne savent pas ce que vont devenir leurs compétences en matière de formation, hésitent actuellement à prendre position », constate ainsi Élisabeth Browaëys, directrice générale du Fafiec, l'organisme collecteur de l'ingénierie, des études et du conseil.

L'autre élément perturbateur pour les organismes dépendant des commandes publiques aura été la mise en œuvre du nouveau Code des marchés publics. Destinées à clarifier et à accroître la transparence des règles de concurrence, ces nouvelles modalités d'appels d'offres ont déclenché une véritable révolution copernicienne dans le petit monde de la formation, souvent régi par le statut associatif et encore imprégné de l'esprit militant des années 70. En imposant des cahiers des charges plus précis et des justifications de prix nécessitant des compétences pointues, « ces nouvelles règles ont remis en cause l'ancien mode d'attribution des subventions publiques, fondé sur des réseaux d'amitiés et des reconductions semi-automatiques de ces marchés », souligne le président de la FFP.

Terminé les rentes de situation

Directeur général de l'Association pour l'accueil et la formation des travailleurs étrangers, un organisme rouennais actuellement en redressement judiciaire, Pierre Groult confirme : « La nouvelle donne a modifié le comportement des acheteurs de formation. Avant, pour décrocher des marchés, il suffisait que l'offre rentre dans les clous en termes de tarifs, aujourd'hui cela ne suffit plus… » Pis, le système d'avances qui, jusqu'à présent, permettait à ces organismes de recevoir de 35 à 50 % des fonds avant l'arrivée du premier stagiaire a drastiquement ramené ce taux à 5 %. « Cela a occasionné un trou de trésorerie équivalent à six mois de chiffre d'affaires », observe Pierre Groult, aujourd'hui à la recherche d'un repreneur.

Comme elles l'ont fait avec tous leurs sous-traitants et fournisseurs, les entreprises ont accru la pression sur leurs prestataires de formations. « Alors qu'auparavant la fonction formation faisait partie de la régulation du climat social tout en bénéficiant d'un budget dédié et d'un solide cadre réglementaire, tout cela a été assez fortement remis en cause au milieu des années 90 par l'irruption des acheteurs dans la négociation des contrats », note Gérard Layole, directeur d'études spécialisé dans la formation à Entreprise et Personnel. Dans la vente de formation, « il n'est plus possible de raconter des histoires aux clients », observe Yves Blanchard, du cabinet C2A, se réjouissant de voir mettre fin « aux rentes de situation et de voir la demande s'orienter vers des offres à réelle valeur ajoutée ».

Mais ce durcissement de la négociation a fait fondre le nombre de prestataires agréés. La Société générale, qui a compté jusqu'à trente-cinq organismes de formation spécialisés dans la vente et le marketing, n'en a plus que quatre aujourd'hui. Chez Renault, la négociation des contrats d'achats, auparavant décentralisée au niveau de chaque unité de production, a été recentralisée. Objectif affiché : « une réduction très importante des quelque 2 000 organismes agréés », indique Jean-Michel Kerebel, directeur central des ressources humaines du constructeur automobile. Une politique qui lamine les petits organismes au profit des gros : « En échange de volumes plus importants, les acheteurs nous demandent de leur concéder jusqu'à 20 % de rabais », précise toutefois Michel Ledru, de la Cegos.

Réactivité imposée

Autre sujet d'inquiétude, les entreprises clientes réduisent la durée des formations. Alors que, selon la Dares, celle-ci avait maigri de 30 % entre 1994 et 1999, les 35 heures sont venues compliquer la donne : « Les salariés n'ont plus le temps de se former sur leur temps de travail », remarque Marie-Christine Soroko, déléguée générale de la FFP, qui espère voir « ce verrou » sauter lors de la grande négociation engagée par les partenaires sociaux en janvier. Enfin, les entreprises attendent de plus en plus de réactivité de la part des organismes de formation. « Nous devons désormais être capables de déployer 130 formateurs sur toute la France, moins d'un mois après le lancement d'un appel d'offres », résume Yann Houdent, P-DG de Learning Tree.

Pour Jean Bourdariat, du cabinet Orga Consultants, cela traduit une évolution sensible des besoins de formation : « Plutôt que des stages standards vendus sur catalogue, les entreprises achètent de plus en plus de formations d'accompagnement de leurs projets d'amélioration, tels que l'introduction de nouveaux progiciels, la professionnalisation de leur relation client ou de leur management, le lancement de nouveaux produits. » Alors qu'en 2001 le secteur pariait sur l'avènement du tout-e-learning, c'est apparemment le « cousu main » qui l'emporte. Nouvelle venue sur ce créneau, la Cegos a vu son chiffre d'affaires bondir de 40 % en un an. Une aubaine pour le numéro un de la formation continue, contraint de fermer par ailleurs sa filiale e-learning (voir encadré ci-contre).

Face à toutes ces contraintes, les organismes de formation travaillant pour le secteur privé sont, comme ceux vivant des marchés publics, amenés à faire leur aggiornamento : «Avec la fin de l'ère du toujours plus, nous entrons dans celle de la qualification et des gains de productivité », prévient Jean Wemaëre, le patron de la FFP. Pour Marie-Christine Soroko, sa déléguée générale, « l'ingénierie pédagogique, la logistique de formation et l'évaluation des dispositifs deviennent les principaux composants de la valeur ajoutée des organismes, en lieu et place de l'acte de formation lui-même ».

Conscient de ces enjeux, Laurent Boulanger, le directeur de l'Assofac, une association spécialisée dans l'accompagnement des premiers niveaux de qualification, consacre désormais 35 % de sa masse salariale à l'optimisation de la gestion des plannings, des locaux et de la constitution des groupes, pour répondre aux souhaits d'individualisation des formations de ses commanditaires. Seul problème, « ces coûts ne sont toujours pas pris en charge par les financeurs publics habitués à ne rémunérer que des heures/stagiaire ». Créateur, en 1996, de Foragora, première plate-forme de conseil en achat de formation, Philippe Joffre pense avoir trouvé la parade pour diminuer les coûts de gestion. Désormais adossé à Accor Services, il entend faire profiter ses clients de meilleurs tarifs sur l'hôtellerie et les transports et de l'infrastructure des centres d'appels d'Accor.

Fini les « formateurs-perroquets »

Pour rafler des marchés, les organismes de formation vont devoir redoubler d'imagination. Car les acheteurs exigent une diversification des modes de formation combinant stages en « présentiel » et nouvelles technologies (CD-ROM, intranet, centre d'appels). De nouveaux métiers apparaissent. Les anciens « formateurs-perroquets » cèdent la place à des gestionnaires de projets, concepteurs-réalisateurs de supports et autres tuteurs on line, chargés d'apporter une aide ponctuelle aux stagiaires en fin de stage. Mais ces nouvelles formes d'enseignement réclament de lourds investissements… largement hors de portée de la plupart des organismes de formation.

Sans compter que, dans ce secteur sous-capitalisé, « beaucoup de petites structures sont encore dirigées par un fondateur, souvent proche de la retraite et pas forcément soucieux d'investir », note Marie-Christine Soroko. Pour Yves Blanchard, directeur général de C2A, « le ticket d'entrée dans ce secteur, traditionnellement faible, va s'élever car il va falloir financer de nouvelles compétences rares et chères et de la technologie ». Autrement dit, les restructurations ont de fortes chances de s'accélérer. « À terme, il y aura beaucoup moins d'organismes, prévoit Jean Wemaëre. Quelles formes cela prendra-t-il ? Des rapprochements avec des SSII, des cabinets de consultants, des chambres consulaires ou des universités, tout est ouvert. » En attendant les opportunités offertes par le développement de la validation des acquis et de la formation tout au long de la vie, la tornade qui secoue le monde de la formation n'est donc pas près de passer…

La bulle de l'e-learning s'est dégonflée

Les professionnels de la formation en escomptaient une révolution, doublée de retombées faramineuses.

Mais, deux ans plus tard, il faut se rendre à l'évidence : la bulle de l'e-learning est en train de sérieusement se dégonfler. « En dépit des espoirs qu'il suscitait, l'e-learning n'a donné lieu qu'à des expériences restreintes », résume Gérard Layole d'Entreprise et Personnel. Symbole de ce désenchantement, la fermeture, cet automne, de la filiale dédiée de la Cegos.

« Le business et la rentabilité ne s'étant pas développés comme prévu, nous avons préféré rapatrier les 45 membres de l'équipe en interne plutôt que de perdre de l'argent », explique Michel Ledru, directeur de la recherche et du développement du numéro un européen de la formation.

Pour Marie-Christine Soroko, déléguée générale de la Fédération de la formation professionnelle, cet échec du « tout-e-learning » est à mettre en relation avec celui, quelques années plus tôt, de « l'autoformation ». « On s'aperçoit que ces modalités nécessitent de la part des salariés un investissement tel que cela ne correspond réellement aux besoins que d'une toute petite minorité. »

Autre reproche, l'inadaptation de ce mode de formation à tous les contenus de stages : « En matière de formation interentreprises, cela ne s'est avéré réellement adapté que pour les cours de langues ou de bureautique, deux matières extrêmement cadrées », note Daniel Croquette, ancien délégué général du Cesi.

Si la vente de modules tout-e-learning n'a pas décollé, ce mode de formation est en revanche de plus en plus intégré aux formations concoctées pour les entreprises. « Des entreprises se sont ainsi fixé pour objectif de dispenser 20 % de leurs formations internes en e-learning d'ici à trois ans », observe Michel Ledru, qui, du coup, ne se fait aucun souci quant à l'usage des « ressources » de l'ancienne filiale dédiée.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle