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Politique sociale

L'ex-meilleur candidat fait plutôt grise mine

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.03.2003 | Isabelle Moreau

Santé, retraite, Code du travail… le premier des pays en passe d'intégrer l'UE a mené d'ambitieuses réformes. Son talon d'Achille : un taux de chômage de 20 %.

Une mesure de rétorsion. Les Polonais y croient dur comme fer : la décision récente de PSA d'installer une usine en Slovaquie plutôt qu'en Pologne tient du règlement de comptes. Varsovie serait sanctionnée après avoir préféré le F16 américain à un avion européen pour renouveler une partie de sa flotte aérienne. Ceci quelques jours seulement après le sommet de Copenhague de décembre 2002 sur l'élargissement, qui avait vu l'Union européenne faire un pont d'or au pays du président Aleksander Kwasniewski. Forte de ses 38 millions d'habitants – la moitié des futurs adhérents –, la Pologne avait en effet réussi à imposer ses conditions, notamment sur les aides agricoles. Un point crucial pour ce pays où plus de 20 % des habitants travaillent encore dans l'agriculture.

À vrai dire, aucun pays membre ne souhaitait que la Pologne reste à la porte de l'Europe. Car, des dix candidats, c'est celui qui a longtemps été considéré comme le bon élève de la région. « Le pays a mené de front un grand nombre de réformes. Cela témoigne d'une espèce de courage et d'inconscience. Réussir à stabiliser la monnaie est, ainsi, un véritable tour de force. On a même parlé un temps de miracle polonais », explique Marc Bouteiller, conseiller économique à l'ambassade de France à Varsovie. Mais le miracle a aujourd'hui du plomb dans l'aile : le chômage s'élève à 20 %, les plans de licenciements se multiplient – la Banque centrale vient d'annoncer le licenciement de 1100 salariés sur 6 200 –, la croissance stagne autour de 1 %, au lieu de 7 % entre 1994 et 1997, les réformes sont gelées, le voisin allemand et principal partenaire commercial est mal-en-point…

Bref, le gouvernement social-démocrate de Leszek Miller, un ancien apparatchik communiste, a bien du mal à conserver la place de meilleur candidat à l'Union européenne, d'autant qu'il dispose de marges de manœuvre budgétaires très faibles. Le pays a en effet dû faire face aux dépenses liées à l'adoption de la législation communautaire et aux réformes de structure engagées en 1997. Décentralisation, assurance santé, retraites et éducation, « ces ambitieuses réformes ont révolutionné le pays, entraînant dans la foulée une période de vaches maigres », explique Michal Kurtyka, directeur de Bernard Brunhes Polska.

« Certaines réformes n'ont pas porté leurs fruits », reconnaît Andrzej Adamczyk, responsable du secteur international de Solidarnosc. C'est vrai pour l'assurance santé. « Nous avons créé des caisses autonomes, mais, au bout de quatre ans, nous sommes obligés de recentraliser », explique Ewa Borowczyk, directrice du bureau de l'intégration européenne de ZUS, l'institut polonais d'assurance sociale. Un fonds national de santé va voir le jour, alimenté par les cotisations des salariés, qui passent de 7,75 à 8 %. Mais, comme les cotisations sont faibles et assises sur des bas salaires, l'assurance maladie souffre d'un déficit de financement. Résultat : le système ne satisfait pas la population, confrontée à des listes d'attente importantes. Et les ménages aisés préfèrent souscrire à une assurance privée.

Menée tambour battant, la réforme des retraites a été inspirée par la Banque mondiale. Le schéma retenu est un régime public par répartition à cotisations définies, auquel s'ajoute un étage de capitalisation. Sur une cotisation de 19,2 %, une petite moitié (7,2 %) est placée dans un fonds de pension. « Même les Suédois ne sont pas allés aussi loin, explique Ewa Borowczyk. De plus, nous n'avons eu que deux mois pour préparer la réforme. » Une bien courte période, marquée par de nombreux couacs, pour instaurer une individualisation des cotisations. Andrzej Adamczyk, de Solidarnosc, reste prudent : « Cette réforme était obligatoire et nous espérons qu'elle procurera, grâce à la capitalisation, des retraites d'un montant supérieur. Mais il est encore trop tôt pour en faire un bilan. » Le nouveau système, dont sont exclus les plus de 50 ans, n'est en effet obligatoire que pour les Polonais de moins de 30 ans. Quant aux 30-50 ans, ils ont le choix entre l'ancien et le nouveau système. C'est donc à partir de 2009 que les premiers « bénéficiaires » partiront à la retraite. Mais, déjà, les Polonais qui en ont les moyens épargnent de leur côté…

Un droit du travail peu respecté

Cédant à un libéralisme tempéré, le Parlement polonais a également adopté une réforme du Code du travail. Après de vives discussions avec les partenaires sociaux, la dernière mouture concoctée par Jerzy Hausner, le ministre du Travail, bombardé dernièrement ministre de l'Économie, prévoit un paiement moins avantageux des heures supplémentaires, la possibilité de recourir plus largement aux CDD ou encore le non-paiement par les entreprises de la première journée de maladie. Si Thomasz Kiewisz, DRH de Powszechny Zaklad Ubezpieczen (PZU), compagnie d'assurances qui emploie 17 000 personnes, se montre satisfait de la réforme, il redoute les effets pervers de la modification du congé de maladie : « Les salariés pourraient être tentés de demander à leur médecin un arrêt supérieur à six jours, car, dans ce cas, ils sont payés dès le premier jour. » Au PKPP, la confédération de l'industrie polonaise, Tadeusz Sulkowski, directeur du département des relations du travail, préfère mettre en avant « les sérieuses économies que va entraîner cette disposition pour les entreprises qui vont aussi, grâce à davantage de flexibilité, créer plus d'emplois et réduire le chômage ».

Reste que, selon Jacques Robert, conseiller social à l'ambassade de France à Varsovie, « la réforme du Code du travail est de l'affichage. Car, excepté dans les grandes entreprises où les syndicats sont présents, le droit du travail n'est guère appliqué ». Comme le chômage est élevé et mal indemnisé – un chômeur perçoit 120 euros par mois, quels que soient ses revenus précédents, pendant au maximum six mois, ou dix-huit mois s'il vit dans une région connaissant un taux élevé de chômage –, les gens ne se font pas prier pour reprendre un travail.

Mais il est facile, aussi, de travailler au noir en Pologne ou de compléter ses revenus dans l'économie grise, ce qui entraîne un sévère manque à gagner pour la sécurité sociale. Or, dans ce domaine, les entreprises d'État vont voir leur dette gommée par le gouvernement. La société des chemins de fer polonais a ainsi demandé l'annulation d'une dette de 500 millions d'euros. Et elle n'est pas la seule. « C'est malsain », estime Tadeusz Sulkowski, du PKPP, qui regrette qu'entreprises privées et secteur d'État ne soient pas traités sur un pied d'égalité. Mais il s'agissait avant tout de ne pas plomber davantage les comptes d'entreprises d'État bien mal-en-point. Car si les gouvernements polonais ont engagé la dénationalisation de l'économie, « il y a encore plus de 2000 entreprises à privatiser, rappelle Michal Kurtyka. On a commencé par vendre les fleurons. Restent les secteurs les moins attractifs, qui ne trouvent guère preneur ».

À l'instar des mines de charbon, « danseuses des gouvernements sous l'ère communiste », selon Henri Wrzesinski, DG de France Télécom Polska, aujourd'hui sinistrées. « On a regroupé les mines qui marchaient bien avec celles qui étaient en difficulté, ce qui a permis, du moins pour le moment, de ne pas licencier », indique Solidarnosc, qui estime que le gouvernement va trop loin dans la privatisation. Cette vague de dénationalisations a largement profité aux investisseurs français. Ils sont aujourd'hui les premiers dans le pays grâce à l'énorme prise de participation de France Télécom, associée au groupe polonais Kulczyk Holding, dans TPSA, l'opérateur national, dont ils détiennent 47,5 %. Une opération qui a porté, à elle seule, sur quelque 3 milliards d'euros.

Des charges très élevées

Pour France Télécom, la localisation géographique de la Pologne, en plein cœur de la nouvelle Europe, était un atout. Son marché de 38 millions de consommateurs aussi. Les enseignes françaises ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. Difficile de rater les hypers Carrefour, Auchan, Leclerc ou Hypermarché lorsqu'on arpente les rues de Varsovie. Si les Polonais redoutent la mort du petit commerce, le sklep, ils n'hésitent pas à remplir leurs Caddie dans les grandes surfaces, dont l'installation ne s'est pas faite sans heurt. Arrivés en « conquérants », en proposant des salaires modestes, raconte un observateur français, ils ont imposé de curieuses méthodes de management. Une anecdote a fait les choux gras de la presse polonaise : une enseigne française a demandé à ses caissières de porter des couches pour éviter de leur octroyer des pauses-pipi…

La modicité du coût du travail entre également en ligne de compte dans la décision des entreprises étrangères de s'installer en Pologne. « Le salaire moyen est d'environ 500 euros, pour une durée hebdomadaire de quarante heures », observe Michal Kurtyka, de BBP. De 3,5 fois inférieur au niveau de salaire en France, même si c'est 10 fois plus qu'en Ukraine. Mais cette moyenne cache de grandes disparités. Arrivé en Pologne pour racheter la vodka Wiborowa, Pernod Ricard en sait quelque chose. « Ici, explique le président de Wiborowa SA, Yves Flaissier, les salaires sont de 40 % supérieurs au salaire moyen. Un ouvrier en production gagne environ 1 200 euros net par mois, ce qui est au-dessus du smic français, alors que le coût de la vie est moins élevé. » Un héritage dont il se serait bien passé.

« Petit à petit, la Pologne connaît une perte de compétitivité par rapport à ses voisins, comme la République tchèque, où les coûts salariaux sont inférieurs de 20 % », observe Michal Kurtyka. Le patron de Sofrer Polska le confirme : « Les charges sont aussi élevées qu'en France, sauf qu'ici la protection sociale n'offre pas les mêmes garanties. » Au siège du patronat polonais, une magnifique maison Art déco dans laquelle a naguère habité Lech Walesa, le discours est classique : « Le niveau toujours croissant des charges sociales est un véritable problème, surtout pour les petites entreprises », explique Tadeusz Sulkowski. Dommage, « car les PME et les microentreprises sont la locomotive de l'économie polonaise », explique Marek Pliszkiewicz, professeur de droit, ancien conseiller auprès du ministre du Travail.

Dans ces petites structures, difficile de trouver un syndicaliste. Si, avec environ 15 % de syndiqués, les Polonais ont la tradition syndicale chevillée au corps, celle-ci perd du terrain chez les jeunes et dans le tertiaire. DRH de PZU, Thomasz Kiewisz négocie la convention d'entreprise avec les deux syndicats les plus représentatifs, présents dans l'entreprise. Sa stratégie est très claire : « OPZZ et Solidarnosc doivent avoir des revendications communes, sinon la direction ne négocie pas. » Chez Accord Polska, qui compte 12 hôtels dans le pays, Marzanna Rutkowska, la DRH, note que « la présence de syndicats favorise les contrôles des inspecteurs du travail. Or, ici, nous respectons la législation du travail ».

Négocier le « paquet social »

S'ils sont parfois perçus comme des empêcheurs de tourner en rond, les syndicats restent des interlocuteurs incontournables des investisseurs étrangers pour négocier le « paquet social », une clause par laquelle le repreneur s'engage pendant une durée déterminée à conserver la majeure partie du personnel. Ce scénario, Pernod Ricard le connaît bien. Lorsqu'il a racheté Polmos Poznan, distributeur de la vodka Wiborowa, Yves Flaissier a négocié un « paquet social » sur quatre ans avec les syndicats. « C'est une bonne chose, car cela nous a permis de comprendre l'entreprise », même s'il estime que cette disposition handicape les privatisations. « Si le gouvernement veut les accélérer, il faudra qu'il assouplisse les conditions, ou réduise d'autant le prix de vente. »

La signature d'un telle clause n'empêche toutefois pas les repreneurs de réorganiser l'entreprise. Le producteur de vodka comptait 650 salariés lors du rachat ; ils ne sont plus que 480 deux ans après. Près de 270 personnes travaillant dans la production ont été licenciées, tandis qu'une centaine ont été embauchées dans les secteurs de la vente, du marketing et du management. Une pratique assez classique. « Chaque entreprise d'État avait un surplus de salariés, note Marek Pliszkiewicz. Car, auparavant, c'était le plein-emploi avec du chômage caché. » L'État polonais assortit la vente de ses entreprises de conditions sociales afin d'éviter les licenciements massifs. Pour Yves Flaissier, « c'est reculer pour mieux sauter », car il faut de toute façon revoir l'organisation du travail. « Les Polonais ne savent pas travailler en groupe. C'est pourquoi nous proposons aux entreprises que nous conseillons des concepts simples, comme efficacité, innovation et respect des autres », explique Michal Kurtyka, de Bernard Brunhes Polska.

Qualifiés et polyglottes

Dans l'immeuble moderne de la compagnie d'assurances PZU, installée avenue Jean-Paul II, au centre de Varsovie, Thomasz Kiewicz, costume gris bien coupé et anglais impeccable, a tout d'un DRH d'Europe de l'Ouest. Il parle de training, de gestion des hauts potentiels et vante les vertus de la récente Académie PZU. Lorsqu'il doit recruter, il ne rencontre guère de difficulté à trouver la perle rare, sauf peut-être « sur des postes spécialisés, comme les actuaires ». En Pologne, « un juriste ou un responsable RH qui parle une ou deux langues étrangères est rapidement embauché par une entreprise étrangère », indique Jean-Philippe Savoye, président des conseillers français du commerce extérieur. Petit à petit, les cadres expatriés ont cédé la place à des Polonais deux fois moins chers mais très qualifiés et polyglottes. « Ici, explique Martin Lawniczak, P-DG de Sofrer Polska, les jeunes sont dynamiques et travailleurs. Ils combinent très souvent études et activité professionnelle. » Reste que ces exemples ne doivent pas cacher l'autre Pologne. « Quand nous voulons ouvrir un hôtel dans une ville retirée, comme Chestochowa, affirme Marzanna Rutkowska, DRH d'Accor Polska, nous avons plus de mal à recruter », bien que le chômage y soit très élevé.

Et il ne devrait pas baisser. Car le secteur privé ne pourra pas absorber le million et demi de jeunes qui arriveront d'ici à 2010. Pas d'espoir non plus dans la fonction publique, « pléthorique et mal payée », note Marc Bouteiller. Les infirmières gagnent 900 zlotys par mois (216 euros) et les policiers, guère plus. Ce qui conduit les derniers à dresser des contraventions injustifiées… que l'on peut régler en espèces. Toutefois, le tableau n'est pas si sombre. Pour Henri Wrzesinski, DG de France Télécom Polska, « on ne peut pas demander à la Pologne de faire en dix ans ce que d'autres pays ont réalisé en vingt ou trente ans ! ».

Le dialogue social sur les rails

Solidarnosc fait sa mue. Créé en août 1980 à la suite des grèves qui ont secoué les chantiers navals de Gdansk, le syndicat fondé par Lech Walesa a longtemps louvoyé entre l'option politique (Lech Walesa a présidé le pays de 1990 à 1995) et la position revendicatrice, laissant ses adhérents indécis. Plutôt étiqueté à droite, Solidarnosc semble vouloir rompre avec la vision politique du mouvement. Arrivé à sa tête depuis quelques mois, Januz Snadek devrait recentrer le syndicat sur une démarche militante. Avec l'OPZZ, né à la suite de l'état de siège décrété le 13 décembre 1981 par le général Jaruzelski, Solidarnosc est l'une des grandes forces syndicales en Pologne.

Ce sont aujourd'hui les principaux interlocuteurs du patronat et du gouvernement au sein de la commission tripartite chargée d'élaborer la législation sociale du pays. « Si ce système tripartite est relativement solide, ce n'est pas vrai pour le dialogue social, qui permet notamment de négocier les conventions collectives », analyse Andrzej Adamczyk, de Solidarnosc. Celles-ci existent dans des secteurs comme les mines, la métallurgie ou encore la chimie, mais « il n'y en a pas assez », estime Marek Pliszkiewicz, professeur de droit, ancien conseiller auprès du ministre du Travail. Et d'expliquer : « Si les syndicats sont plutôt bien organisés, les organisations patronales ne sont pas encore assez représentatives et structurées pour négocier. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas si longtemps les chefs d'entreprise n'existaient pas… »

Autre constat : les multinationales n'étant pas membres des organisations patronales, elles sont exclues du champ d'application de ces textes. Elles préfèrent pour le moment avoir leurs propres accords d'entreprise. Si « le gouvernement a toujours la possibilité d'étendre les conventions collectives à l'ensemble des entreprises du secteur, il ne l'a jamais fait jusque-là », explique Andrzej Adamczyk. Histoire de ne pas fragiliser le tissu économique polonais.

Auteur

  • Isabelle Moreau