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Débat

Que penser des propositions de François Fillon pour réformer la négociation collective ?

Débat | publié le : 01.03.2003 |

Fin janvier, le ministre du Travail remettait aux syndicats et au patronat un « document de travail » sur l'« approfondissement de la négociation collective » inspiré de la position commune conclue le 16 juillet 2001 par les partenaires sociaux, à l'exception de la CGT. La concertation engagée sur ce texte doit déboucher sur une réforme législative. Trois universitaires nous livrent leur analyse critique de ce document.

« Pauvre en idées neuves, le document de travail du gouvernement reste au milieu du gué. »

GÉRARD LYON-CAEN Professeur émérite à l'université Paris I.

Simple décalque de la position commune du 16 juillet 2001, ce « document de travail » ne saurait constituer un avant-projet de loi. Pauvre en idées neuves, il suggère tout au plus un ravaudage. On espère plus d'imagination du législateur, le moment venu.

1° L'objectif affirmé est d'agrandir la place du « négocié » au détriment du « légiféré » – en somme, de conduire à une loi qui s'autolimite. La position commune énonçait malgré tout que la négociation future devait « respecter les prérogatives du législateur et l'ordre public social ». Échange de politesses… La loi pourrait affirmer qu'il est interdit de légiférer sur ce qui relève des partenaires sociaux…

2° Les parties ayant compétence pour négocier et conclure changent très légèrement. Dans la branche, un syndicat minoritaire conserve sa faculté de conclure un accord valable, avec maintien du correctif paradoxal : le droit d'opposition (opposition de la majorité à la minorité). Mais la convention de branche peut décider pour l'avenir d'adopter le principe de la conclusion majoritaire. Dans ce domaine, on reste au milieu du gué.

Dans l'entreprise, c'est une rare complexité qui triomphe : conclusion par les syndicats majoritaires ; ou minoritaires en l'absence d'opposition ; application des règles figurant dans la convention de branche ; approbation par référendum. Quatre modes de conclusion ! Le plus neuf, c'est l'octroi du pouvoir de négocier aux élus. Pourvus d'une compétence traditionnellement consultative, les voilà investis d'un pouvoir décisionnel. Le bouleversement peut être de vaste conséquence.

3° Ce que le texte appelle l'« articulation » des niveaux consacre en fait la règle contraire : l'autonomie de chaque niveau. Il s'agit sans le dire de faire sauter le principe de faveur. Mais selon quelle formule tranchera-t-on le conflit entre conventions concurremment applicables ? C'est à cela que servait le principe de faveur, rien de plus. On lui substituerait un principe de différence : à situations différentes, règles différentes. Mais ce qui manque, c'est une claire définition de ce qui se traite à chaque niveau (y compris européen), car c'est alors qu'on peut à bon droit parler d'articulation.

4° Bien qu'il soit consacré à la seule négociation collective, le document de travail aborde, par la bande, la présentation des listes de candidats aux élections professionnelles. Erreur de méthode.

C'est l'occasion d'aborder la question clé de la représentativité.

Pour les élections, disparition de l'exigence de représentativité. Tout syndicat pourra présenter des candidats et le scrutin sera à un tour. Mais plus loin, on doute : n'est-ce pas la simple présomption de représentativité qui est exclue ? La clarté triomphe moins encore pour la négociation : la représentativité par affiliation à une confédération représentative semble conservée, en complément de la représentativité prouvée.

Est-ce le statu quo ? On aurait perdu une belle occasion de réfléchir à ce point central des relations professionnelles ; il eût été opportun de s'inspirer de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2002 ; car la question demeure : à quelles conditions un groupement peut-il par sa signature engager d'autres que ses adhérents ? Hors toute mesure administrative d'extension.

« Le projet est très éloigné de la position commune sur des points cruciaux. »

JEAN-FRANÇOIS AMADIEU Professeur à l'université de Panthéon-Sorbonne (Paris I).

L'année 2003 aurait pu être celle du renouveau de notre démocratie sociale, or tout indique qu'il n'en sera rien. Le document de travail remis aux partenaires sociaux et la méthode de dialogue social suivie laissent en effet mal augurer de la suite. Sur tous les dossiers du nouveau gouvernement (temps de travail, contrats jeunes, modernisation sociale, retraite, etc.), aucun n'emprunte les chemins de la négociation préalable entre les partenaires sociaux. Il s'agit pourtant de domaines qui ressortissent pleinement à leur compétence. Le chantier de la réforme de la démocratie sociale prend ainsi la forme d'une simple consultation des syndicats et du patronat. Ce choix est particulièrement révélateur parce que, cette fois, un accord préalable existait entre les partenaires (la position commune de juillet 2001).

Mieux, il s'agissait d'un texte signé par une majorité de syndicats et par des syndicats majoritaires dans le pays. Les signataires avaient pris soin de demander aux pouvoirs publics de reprendre ce compromis sans en modifier l'équilibre. Or le projet du ministre est très éloigné de la position commune sur des points cruciaux. En premier lieu, alors que la « position commune » posait les bases d'une clarification du rôle respectif des partenaires et de l'État, il n'en est plus question. Les signataires avaient avec précision et audace dégagé un accord sur les moyens de garantir aux partenaires sociaux une autonomie normative en certains domaines. Un aménagement de la Constitution aurait sans doute été nécessaire compte tenu de l'ambition de ces propositions. Le document de travail juge au contraire « inutile de modifier la Constitution » et avance rechercher « un nouvel équilibre entre l'État et les partenaires leur garantissant une réelle autonomie ».

Le paradoxe est total entre cette affirmation de principe et le silence du projet sur ce sujet essentiel.

D'autre part, le projet du gouvernement ne prévoit pas de modifier les règles de validité des accords interprofessionnels (ce que préconisait la position commune) alors qu'il le fait au niveau des entreprises et des branches. Ce choix est cohérent avec le souci affiché de ne pas « restreindre les prérogatives du pouvoir législatif ». L'accord interprofessionnel ne doit pas risquer de faire de l'ombre à l'État. Par ailleurs, alors que les partenaires sociaux avaient imaginé une articulation et une hiérarchisation, de l'interprofessionnel au local, le projet consiste à développer, via les accords de branche, des aménagements du principe de faveur. Le problème est évidemment que ces accords de branche seraient valablement conclus avec une simple majorité en nombre de signataires, donc souvent minoritaires en voix. En outre, aucun garde-fou n'est prévu. Enfin, il est incohérent de vouloir passer à une logique d'accords majoritaires tout en acceptant la notion de « majorité des signataires » . De même comprend-on mal la logique du référendum dans les entreprises pour contourner le refus de signer des syndicats majoritaires ce qui contrevient au principe majoritaire et menace la légitimité syndicale.

« La réforme de l'accord collectif prime sur la nécessaire réforme des acteurs. »

PAUL-HENRI ANTONMATTEIProfesseur de droit à la faculté de Montpellier et directeur du Laboratoire de droit social.

Qu'on se le dise ! Le législateur va répondre à l'appel répété des partenaires sociaux pour réformer le droit de la négociation collective. Qui pourrait s'en plaindre tant le système pratiqué n'est plus satisfaisant ? Reste à traduire l'ambition. Le document de travail s'inscrit dans les pas de la position commune du 16 juillet 2001, sans pour autant tout « photocopier ». S'agissant de la validité des accords, c'est la règle majoritaire qui s'imposerait aussi bien pour la branche que pour l'entreprise. La légitimité est à ce prix. Elle est gage de sécurité singulièrement pour la négociation dérogatoire (pour une négociation classique d'amélioration, une telle exigence majoritaire n'est pas, en revanche, vraiment justifiée). Mais ce bouleversement du régime des accords ne doit pas occulter l'impérieux débat sur la représentativité. Or les calculs de majorité proposés ne remettent pas fondamentalement en cause une situation syndicale pourtant dégradée. La réforme de l'accord prime sur la réforme des acteurs. Pourtant, la véritable légitimité résulte de l'élection, mais pas forcément de celle concernant les institutions représentatives du personnel. Pourquoi ne pas organiser une élection spécifique des négociateurs de la branche ? Pour l'entreprise, notre préférence va clairement en faveur d'une formule plus novatrice : une instance unique de négociation composée d'une représentation élue (des élus du CE par exemple) et d'une représentation désignée. Quant aux entreprises sans délégué syndical, le document de travail retient des solutions déjà pratiquées : « négociation avec des représentants élus ou des salariés mandatés selon des modalités définies par accord de branche ». Si cette volonté de « généraliser la possibilité de négocier » mérite entière approbation, les solutions retenues nous paraissent timides. Pourquoi systématiquement la tutelle de la branche et la subsidiarité de la négociation avec les élus ? Utilisons à nouveau l'instance unique dont la composition s'adapterait à la taille de l'entreprise mais pour autant que les nouveaux négociateurs au sein des petites entreprises disposent réellement de la compétence et des moyens de négocier, faute de quoi la tutelle de la branche est plus sûre. Autre motif de satisfaction : la possibilité de rendre l'accord de branche subsidiaire en valorisant ainsi l'accord d'entreprise. Cette subsidiarité est en effet nécessaire à l'épanouissement de la négociation d'entreprise. Elle n'est pas dangereuse pour autant qu'elle ne devienne pas la règle. Le document de travail souligne aussi la nécessité de développer le dialogue social au niveau territorial. Pourquoi pas ! Mais il est plus urgent de reconnaître le niveau groupe de sociétés pratiqué depuis des années mais qui se contente, pour l'heure, d'une reconnaissance judiciaire provisoire. Enfin, profitons-en pour non seulement toiletter certaines règles de fonctionnement de la convention ou de l'accord collectif (révision, mise en cause des avantages acquis…), mais aussi pour densifier la négociation de bonne foi par une généralisation des accords de méthode. N'oublions pas non plus de rééquilibrer les relations entre loi et négociation et de clarifier les rapports entre le juge et l'accord collectif et entre ce dernier et le contrat de travail. Bref, soyons ambitieux !