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Vie des entreprises

Pourquoi le kaki fait un tabac chez les employeurs

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.09.1999 | Frédéric Rey

Avec la création d'une armée de métier et la réduction des effectifs de la défense, 27 000 personnes vont quitter l'uniforme chaque année, à partir de 2002. Mais les militaires n'ont guère de difficulté à se reconvertir dans le civil, où nombre d'entreprises apprécient leur professionnalisme et leur dévouement.

Frédéric Drujon n'en est toujours pas revenu. Après quinze années passées dans la Marine comme plongeur-démineur, il ne s'attendait pas à se voir dérouler le tapis rouge en quittant l'armée. « J'ai répondu à cinq offres d'emploi pour des postes d'encadrement dans des domaines très divers. J'ai eu quatre entretiens et, à l'issue, trois propositions fermes d'embauche », raconte cet ancien sous-officier. Il est aujourd'hui responsable d'une douzaine de centres régionaux au sein d'une société qui diffuse prospectus et journaux gratuits. « Mes interlocuteurs étaient fascinés par mon ancien métier, sur lequel ils ne cessaient de me questionner. » Il ne s'agit pas d'un cas à part : les militaires bénéficient auprès des entreprises et des responsables de recrutement d'un préjugé très favorable. En 1994, l'Observatoire social de la défense a sondé 5 000 militaires qui avaient quitté l'armée entre 1993 et 1995 après un engagement de six ans en moyenne. Les taux de reclassement atteignaient les 80 % au bout de quelques mois. Surtout, « à âge et diplômes comparables, les jeunes militaires présentent de meilleurs résultats que les civils », souligne Françoise Gaudin, sous-directrice de l'accompagnement professionnel et de la reconversion au ministère de la Défense.

Là aussi, l'effet 35 heures

Les entreprises apprécient le côté professionnel d'une armée moderne qui a troqué le fantassin contre le conducteur d'un char Leclerc. « Elle est aujourd'hui riche de très nombreux métiers requérant des compétences qui sont transférables dans le civil, à quelques exceptions près, comme le grenadier voltigeur », précise Françoise Gaudin. L'armée de terre a recensé dans ses rangs 1 400 professions, « ce qui exige un effort de simplification auprès de nos différents partenaires », reconnaît le colonel Béhoteguy, qui dirige le bureau de reconversion de l'armée de terre. Dans la Marine, tous les métiers, coiffeur, boulanger, maître tailleur, électricien ou informaticien, sont représentés sur les bateaux de guerre. On trouve même quelques spécialités rarissimes, comme dans la gendarmerie, avec les entomologistes spécialisés dans l'élevage de mouches. « Nous sommes surtout sollicités par des employeurs qui veulent des candidats expérimentés, poursuit Françoise Gaudin. Mais, depuis la loi sur les 35 heures, les entreprises font aussi appel à nous afin de pouvoir recruter des jeunes et modeler à leur guise leur pyramide des âges. »

Les plus demandeuses sont, bien entendu, les sociétés du secteur de l'armement. C'est le cas par exemple d'ITDS, une filiale de Thomson spécialisée dans l'ingénierie et l'assistance technique dans le domaine de la défense. « Nous utilisons les mêmes matériels et systèmes d'armes, les compétences sont identiques. Donc les anciens militaires sont immédiatement adaptables », souligne Bénédicte Constantin, responsable du recrutement et de la logistique. Mais Bouygues Offshore, filiale de Bouygues intervenant sur les plates-formes pétrolières, recrute régulièrement des techniciens ou des ingénieurs issus de la Marine. « C'est une filière intéressante, notamment pour l'international, explique Dominique Paris, directeur des ressources humaines. Ces hommes ont été habitués à vivre sur les navires ou dans les sous-marins dans des conditions difficiles. » La défense conclut également des partenariats avec des entreprises plus généralistes. Le groupe Accor est friand de marins cuisiniers, dont la réputation n'est plus à faire. Dassault Aviation courtise les ingénieurs ou les techniciens. Air France ouvre ses portes aux pilotes, la SNCF à des conducteurs d'engins. L'entreprise de messagerie Fedex recrute également des pilotes pour le transport, des gendarmes pour le conditionnement et des officiers pour l'encadrement. Les militaires se reconvertissent un peu partout, et même là où on s'y attend le moins. Dans l'un des fleurons du luxe, chez Hermès, six marins travaillent aux services généraux, sous la direction d'un ancien capitaine de vaisseau. À Brest, un cabinet immobilier a embauché à tour de bras, pour des fonctions de négociateurs, d'anciens militaires, considérés par le directeur de cette PME comme « des gens carrés qui inspirent confiance ».

Débouché plus traditionnel mais en plein développement, les secteurs de la sécurité, du gardiennage, voire de la logistique et du transport routier restent des filières de reconversion très actives. Dans ces secteurs, les compétences techniques sont directement transposables. « Il y a forcément une période d'adaptation, mais la base est connue », précise Thierry Loiseaux, responsable du recrutement chez ISD, une société d'ingénierie située en région parisienne. « Mais, avec les départs en masse d'ici à deux ans, nous cherchons à donner aux militaires le choix le plus vaste possible », affirme Françoise Gaudin. Alors, plutôt que de mettre en avant les qualifications ou les compétences de leurs personnels, les armées vantent leurs qualités comportementales : « Honnêtes, rigoureux, disponibles, mobiles, flexibles, dévoués, respectueux de la hiérarchie. » Une avalanche de qualificatifs que ne dénigrent pas les employeurs. « Tout cela se vérifie », explique Philippe Gouillaud, directeur commercial d'une société de services en ingénierie informatique qui a recruté un sous-officier pour un emploi de commercial. « J'apprécie aussi chez ces hommes leur entière adhésion à la culture d'entreprise. »

La défense n'hésite pas à rappeler que les militaires sont des combattants, qui « quittent une armée en paix pour entrer dans une entreprise en guerre économique ». Et ça marche. Invités par un Rotary Club en région parisienne, des représentants du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) sont rentrés de la soirée les poches remplies de cartes de visite de patrons fascinés par ces commandos. « La guerre au Kosovo est une formidable opération de relations publiques pour l'armée, explique sérieusement le colonel Deschamp, responsable du bureau de reconversion de la gendarmerie. La télévision nous montre des hommes dans un rôle de maintien de la paix, avec un armement sophistiqué, sous les ordres d'officiers qui s'adressent en anglais à la population civile. Ça a de la gueule. »

Gare à l'image d'Épinal !

En un mot, les militaires rassurent. Si aucune entreprise ne l'avoue publiquement, leur embauche correspond parfois à des besoins très particuliers. Fedex, par exemple, intègre d'anciens gendarmes dans les équipes de traitement de colis pour surveiller le vol. La mairie de Paris les recrute pour la collecte des fonds des parcmètres. Dans la région de Grenoble, une entreprise de travaux publics a embauché plusieurs militaires pour « stabiliser » des équipes en rébellion contre un plan d'automatisation. Depuis, cette société, qui apprécie leur fermeté, a continué de recruter d'anciens officiers pour des postes d'encadrement. Mais attention au retour de bâton !

Chez Citroën, à Rennes, les militaires ne sont plus tellement en odeur de sainteté. « L'entreprise avait passé une convention bilatérale pour des emplois de cadres au moment où elle réduisait ses effectifs. La rigueur de leur commandement est restée en travers de la gorge du personnel », raconte un salarié. Quelques entreprises se mordent parfois les doigts, déçues de ne pas avoir trouvé les qualités traditionnelles qu'elles escomptaient. Après de nombreux changements de poste au cours de leur carrière militaire, certains, une fois passés à la vie civile, montrent une grande lassitude à faire preuve de mobilité géographique. Chez Air France, on ne parierait pas sur la traditionnelle docilité des militaires. Jean-Charles Corbet, l'un des chefs de file du Syndicat national des pilotes d'Air France, à l'origine du bras de fer de juillet 1998, vient en effet de l'armée.

Les militaires sont victimes de l'image d'Épinal qui leur colle encore à la peau. Jean de Corbière l'a appris à ses dépens. Cet ancien officier de marine, qui a choisi une seconde carrière dans les ressources humaines à l'usine Sollac de Dunkerque, a dû surmonter beaucoup de préjugés : « Certaines personnes ne voient encore dans le militaire qui prétend à un emploi de responsable des ressources humaines qu'une caricature de colonel en retraite. Certains chasseurs de têtes refusent ainsi de prendre un tel risque avec leurs clients. » Enfin, il y a chez les cadres recruteurs une catégorie réfractaire à l'uniforme : « Ce sont les jeunes femmes qui ont vu leur petit ami en treillis et rangers, la boule à zéro, pendant leur année de service militaire, explique le lieutenant Gouret, du bureau de reconversion de l'armée de terre. Pas la peine d'essayer de leur vendre un militaire ! »

La Grande Muette fait des relations publiques

Avant la loi actuelle de programmation militaire, 14 000 hommes quittaient chaque année les armées. Avec le passage à une armée de métier et la réduction du « format » de la défense, les départs vont s'accélérer. En 2002, ils concerneront environ 27 000 personnes. Certains pourront faire valoir le droit à une retraite partielle à la condition d'avoir au moins quinze années d'activité. Mais, pour les contrats plus courts, il n'y aura pas d'autre solution que de chercher un nouvel emploi. La loi prévoit un droit à la reconversion. Le militaire dispose d'un congé spécifique de douze mois durant lequel il conserve sa rémunération pour se consacrer entièrement à sa reconversion. Les bureaux ad hoc des différentes armes commencent à se préparer à cette hémorragie. La gendarmerie transmet les propositions d'emploi en direct par Internet. Mais elle courtise aussi les chefs d'entreprise en leur concoctant des séjours d'une journée avec le peloton de Chamonix ou avec le groupement d'intervention spécialisé dans les opérations commandos. Tout aussi entreprenante, la Marine n'hésite pas à ouvrir aux chefs d'entreprise sa base de l'île Longue, près de Brest, haut lieu de la dissuasion nucléaire française. Au programme, une visite guidée du « Redoutable », le sous-marin lanceur de missiles à tête nucléaire. Les employeurs sont aux anges !

Auteur

  • Frédéric Rey