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Vie des entreprises

Heures d'équivalence : le retour providentiel !

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.09.1999 | Paul-Henri Antonmattei

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation autorise la mise en place d'heures d'équivalence par simple accord d'entreprise dérogatoire. Cette voie pourrait être utilisée lors des négociations sur les 35 heures pour minorer certaines périodes de travail comportant des temps d'inaction. À condition toutefois que la seconde loi Aubry ne vienne pas s'y opposer.

Quarante-quatre heures = trente-neuf heures. Tour de magie à la David Copperfield ? Non : heures d'équivalence. On avait fini par les oublier, ces fameuses heures d'équivalence. Il est vrai que leur mort semblait programmée au lendemain de l'ordonnance du 16 janvier 1982. Qui plus est, le Code du travail n'en parle pas expressément : l'alinéa 2 de l'article L. 212-4 se contente d'exclure du temps de travail effectif les périodes d'inaction dans les industries et les commerces déterminés par décret ; l'article L. 212-5 du même code relatif aux heures supplémentaires se réfère de manière elliptique à une « durée considérée comme équivalente ».

On sait toutefois que la prise en compte de ces temps d'inaction s'opère par la technique de l'équivalence qui consiste à fixer un nombre d'heures de présence correspondant à la durée légale du travail. Cette technique était jusqu'à présent exceptionnelle. Les secteurs concernés étaient peu nombreux (hôpitaux, cliniques, magasins de vente au détail de denrées alimentaires, hôtels, cafés, restaurants, débits de boissons…). La Cour de cassation affirmait que l'équivalence était une exception qui ne saurait être appliquée en dehors des activités ou des emplois visés par les textes réglementaires et les conventions collectives étendues (Cass. soc. 16 juill. 1997 : Bull. civ. V, n° 279).

La vie des heures d'équivalence était ainsi un petit fleuve tranquille jusqu'à un arrêt Hecq du 9 mars 1999 (n° 1393 P + B) qui, après avoir qualifié de temps de travail effectif un temps de repos compris entre 23 heures et 4 heures (au motif que, pendant cette période, la salariée devait se tenir à la disposition de l'employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles), rajoute – ce qui n'était pas nécessaire pour censurer la cour d'appel – que ce temps de travail effectif « devait être pris en compte en totalité à défaut pour l'employeur d'invoquer un décret ou un accord collectif prévoyant un horaire d'équivalence ». Exit donc la précision selon laquelle la convention ou l'accord susceptible de mettre en place des heures d'équivalence devait être conclu suivant la procédure de l'article L. 133-5 du Code du travail, c'est-à-dire celle qui est relative à l'extension. Suppression fortuite ? Certainement pas, d'autant que, le même jour, la chambre sociale admet un régime d'équivalence mis en place par une convention collective agréée (Cass. soc. 9 mars 1999, n° 1083 P). Mais surtout la formule de l'arrêt Hecq est réitérée dans deux décisions du 6 avril et du 4 mai 1999.

Le doute était toutefois permis sur la nature des accords autorisés à mettre en place des heures d'équivalence (cf. notre article : « Durée du travail : la Cour de cassation conserve la main », RJS 1999, 475). La chambre sociale de la Cour de cassation l'a rapidement dissipé en affirmant dans un long attendu à haute dose pédagogique qu'« un horaire d'équivalence ne peut résulter, en dehors du cas où il est prévu par un décret conformément aux dispositions de l'article L. 212-4 du Code du travail, que d'une convention ou d'un accord dérogatoire conclu en application de l'article L. 212-2 du même code ; [qu']une telle convention ou un tel accord ne peut être, d'une part, qu'une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel étendu, d'autre part, qu'une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement soumis aux dispositions de l'article L. 132-26 du Code du travail ; [qu']une convention collective agréée ne remplit pas ces conditions » (Cass. soc. 29 juin 1999, n° 3341, P + B + R, Juris. Hebdo. n° 640, 12 juillet 1999).

Cette solution n'est pas vraiment surprenante. Comme dans des arrêts du 14 novembre 1990 (RJS 1990, n° 978) et du 16 juillet 1997 (op. cit.), la Cour de cassation vise de nouveau l'article L. 212-2 du Code du travail qui prévoit dans son alinéa 3 qu'« il peut être dérogé par convention ou accord étendu ou par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement à celles des dispositions de ces décrets qui sont relatives à l'aménagement et à la répartition des horaires de travail à l'intérieur de la semaine ». Cette lecture combinée des articles L. 212-2 et L. 212-4 du Code du travail conduisait Jacques Barthélémy à écrire dès 1990 que, « si c'est par référence au troisième alinéa de cet article (C. trav., art. L. 212-2) que la Cour de cassation justifie le recours à la seule convention étendue, il conviendrait d'admettre qu'une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement pourrait créer également une équivalence sous réserve du droit d'opposition, dès lors que la dérogation à une disposition réglementaire est ici possible soit par convention étendue, soit par accord d'entreprise ».

Mauvaise nouvelle toutefois pour les conventions collectives agréées. Mauvaise nouvelle, en l'espèce, pour la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 16 mars 1966. Les systèmes d'équivalence sont décapités, à moins qu'un décret intervienne ou que des négociations aboutissent à l'échelon des établissements. Mais, indépendamment de ces scénarios aux chances de succès au demeurant limitées, on n'ose imaginer les conséquences financières nées des rappels de salaires. La solution peut paraître sévère : juridiquement, l'agrément n'est certes pas l'extension. Mais cette solution ne présente-t-elle pas les mêmes garanties ?

Il ne serait pas inutile que le législateur, lors de la discussion du projet de la seconde loi Aubry, examine cette question, d'autant que la référence à l'article L. 212-2 du Code du travail est assez discutable. L'alinéa 3 de ce texte n'autorise, en effet, que les dérogations aux dispositions des décrets qui sont relatives « à l'aménagement et à la répartition des horaires de travail à l'intérieur de la semaine, aux périodes de repos, aux conditions de recours aux astreintes, ainsi qu'aux modalités de récupération des heures de travail perdues lorsque la loi permet cette récupération ». Cette liste exhaustive ne mentionne pas une dérogation aux dispositions prévoyant l'équivalence, sauf à considérer que ce thème relève de l'aménagement des horaires de travail, ce qui est discutable. Mais surtout, en matière d'heures d'équivalence, la question n'est pas tant de la licéité d'une dérogation à des équivalences réglementaires que de mettre en place des équivalences conventionnelles en l'absence de décret. Or ce texte ne prévoit que des dérogations à des dispositions réglementaires déjà existantes. Un toilettage des textes conduisant à une reconnaissance légale des heures d'équivalence conventionnelles ne serait donc pas un luxe.

Cela étant, l'intérêt premier de l'arrêt du 29 juin 1999 est de permettre, par accord d'entreprise, la mise en place d'heures d'équivalence pour autant qu'un droit d'opposition ne soit pas valablement exercé, accord dérogatoire oblige. Voilà du grain nouveau à moudre pour les négociations des 35 heures déjà très riches ! Mais gardons-nous de toute euphorie ! L'équivalence ne constitue pas une technique miracle permettant de résoudre des situations délicates comme celles des cadres. Il serait, par exemple, outrancier d'affirmer que quarante-sept heures équivalent à trente-cinq heures pour ces derniers. En revanche, l'équivalence permet de traiter des temps d'inaction dont la qualification est discutable. On songe aux longs trajets liés à des déplacements à l'étranger. Prenons l'exemple d'un salarié envoyé en mission en Australie. Dans l'avion, chacun sait que plusieurs phases animent le voyage : film, repas, sieste, lecture de dossiers. Qualifier toute la période de temps de travail effectif est excessif comme l'est sans doute aussi la solution inverse. Mieux vaut définir une équivalence conventionnelle que de plaider un jour devant un conseil de prud'hommes. On songe aussi aux repas d'affaires.

Mais la chambre sociale de la Cour de cassation va plus loin. Elle permet le jeu de l'équivalence pour des périodes qualifiées de temps de travail effectif. Dans l'arrêt du 9 mars, un temps de repos pendant lequel la salariée pouvait être dérangée en cas d'urgence ; dans l'arrêt du 6 avril, des heures passées par un ambulancier sur le circuit de Magny-Cours ; dans l'arrêt du 4 mai, une période de garde dans l'entreprise. L'analyse n'est plus surprenante dès lors qu'est clairement affirmé le caractère dérogatoire des accords d'entreprise susceptibles de mettre en place des heures d'équivalence. Mais, dès lors qu'un temps de travail effectif peut ainsi être minoré, n'est-il pas tentant de ne plus exiger la présence de temps d'inaction ? Cette tentation doit être écartée. À notre sentiment, la période pouvant donner lieu à équivalence doit nécessairement comprendre des temps d'inaction. Il n'y a plus en revanche à réserver les équivalences aux seules industries ou commerces comme le prévoit expressément l'article L. 212-4 alinéa 2 du Code du travail. L'avenir des heures d'équivalence conventionnelles semble prometteur, à moins que cette relance jurisprudentielle soit contrariée par le législateur. Ce scénario se murmure déjà dans les couloirs du ministère de l'Emploi et de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. La seconde loi Aubry réserverait ainsi l'équivalence aux décrets et aux conventions ou accords de branche étendus. Cette solution serait une erreur.

Auteur

  • Paul-Henri Antonmattei