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Débat

Quelles suites faut-il donner au rapport Charpin sur les retraites ?

Débat | publié le : 01.09.1999 |

Très controversé, le rapport du commissaire général au Plan préconisait au printemps un allongement à 42,5 années de la durée de cotisation pour tous les salariés, afin de sauvegarder les retraites par répartition. Après un premier tour de table fin juillet auprès des syndicats et du patronat, Martine Aubry doit poursuivre, dès la rentrée, la concertation sur une éventuelle réforme. Laquelle mettre en œuvre ? La réponse de trois experts.

« Trouver un minimum de cohérence entre RTT, temps partiel, fin de carrière et retraite. »

XAVIER GAULLIER Sociologue, auteur des « Temps de la vie : emploi et retraite », Éd. Esprit, 1999.

Toute réforme de la retraite implique d'allonger la durée de cotisation : il fallait 37,5 années pour une pension à taux plein dans le secteur privé et, maintenant, il en faut 40. Le Commissariat général du Plan envisage 42,5 années et le patronat 45 années. En même temps, la France se singularise par un taux d'activité de plus en plus faible pour les plus de 55 ans. Et la tendance continue : les raisons qui expliquaient les cessations anticipées d'activité pendant trente ans demeurent.

Incohérences, contradictions : peut-on rompre le consensus paradoxal d'intérêts divergents qui a réuni les employeurs, les salariés et leurs représentants ainsi que les pouvoirs publics pendant trois décennies ? L'enjeu est de taille : le développement, en amont des retraites, d'un risque « fin de carrière » de moins en moins couvert socialement à cause du désengagement de l'État et, pour les retraites, le développement d'inégalités et de pensions plus faibles.

Il est illusoire de croire à une solution spontanée du problème des fins de carrière par les départs massifs à la retraite de la génération du baby-boom à partir de 2005 ou par le retour à un quasi-plein-emploi : rien ne dit que cela profitera aux salariés âgés. L'expérience américaine le confirme : en situation économique favorable, l'augmentation du taux de participation des salariés âgés au marché du travail signifie emplois à temps partiel, temporaires, précaires.

Il est illusoire de croire que la situation des fins de carrière ne s'explique que par la faible productivité individuelle des salariés âgés et qu'il suffirait donc d'améliorer les conditions de travail, d'aménager les horaires, de développer la formation pour faire disparaître le problème ; comme il est illusoire de réfléchir sur les fins de carrière sans s'interroger sur une gestion des ressources humaines qui privilégie les 30-40 ans, réduit la période « utile » des carrières, rajeunit l'âge d'accès aux postes à responsabilité. Et sans s'interroger de façon critique sur la notion quantitative et qualitative du rajeunissement de la pyramide des âges et sur la notion d'ancienneté. Il est dangereux pour les salariés de défendre un modèle de carrière qui, à moyen terme, sera nécessairement transformé, la carrière linéaire jusqu'à une retraite de plus en plus précoce, avec des revenus de remplacement ne dépendant que du système de retraite obligatoire.

Ne pas se préparer à l'avenir, c'est augmenter le danger de précarité. Il est difficile pour les pouvoirs publics de ne plus encourager les préretraites. Ils ne peuvent pas ne rien faire sur le problème carrières-retraites compte tenu de l'attente de la majorité et de l'opposition ; ils ne peuvent supprimer les préretraites compte tenu de leurs avantages dans la lutte contre le chômage ; ils ne peuvent continuer à les financer à cause de leur coût pour la collectivité et de la nécessaire réforme des retraites.

Avant toute mesure nouvelle, ne faut-il pas organiser la réflexion entre le patronat, les salariés et leurs représentants et les pouvoirs publics sur l'avenir des 50-70 ans, sur les liens entre carrière et retraite ? Ne pas trouver un minimum de cohérence entre réduction du temps de travail, développement du temps partiel, fins de carrière et retraite aurait à moyen terme de graves conséquences.

« Élargir l'assiette ou relever les cotisations, si les Français le veulent et pour une durée limitée. »

ALAIN PARANT Démographe à l'Ined, conseiller scientifique de la revue « Futuribles ».

Alors que la vie active se déroule sur quelque quarante années et est suivie d'une retraite qui s'étend, en moyenne, sur près d'un quart de siècle, le premier mérite de la commission Charpin est d'avoir scruté des horizons très lointains. Elle a insisté sur l'inéluctabilité et la proximité d'un choc démographique sans précédent, lié à l'agencement très particulier de la pyramide des âges. Dans un contexte de baisse de la mortalité par âge, les trente générations très fournies du baby-boom vont, à partir de 2006, brutalement succéder à des générations de retraités originellement beaucoup moins nombreuses.

La commission a enfin démontré que, face à un tel choc et même dans l'hypothèse d'une réduction très importante à terme du taux de chômage, les besoins de financement des régimes augmenteront très fortement à compter de 2005. Le rapport Charpin explore deux voies de réforme possibles : l'allongement progressif, pour tous les régimes, de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension à taux plein et le provisionnement partiel des charges futures de retraites.

La première est en totale rupture avec une tendance longue d'un quart de siècle à une éviction toujours plus précoce des actifs vieillissants et requiert une tout autre situation du marché du travail, qu'il est sans doute vain d'espérer avant qu'intervienne le choc démographique. Même mise en œuvre à très brève échéance, une telle réforme, qui revient à reporter majoritairement le surcroît futur de la charge vieillesse sur les générations qui se présentent sur le marché du travail depuis la fin des années 70, ne produirait ses premiers effets véritables qu'à moyen ou à long terme.

La seconde, qui consiste dans le développement d'une épargne collective alimentant le fonds de réserve créé en 1999, présente la même limite. Il en irait ainsi même si le fonds n'était configuré que pour être rapidement épuisé. En regard des sommes nécessaires, celles à ce jour collectées sont trop dérisoires. Parce que le vieillissement démographique est un cas d'école pour la volonté politique, il faut redouter que la France aborde plus démunie que certains de ses voisins ce choc démographique. Au pied du mur, elle pourra toujours improviser un élargissement de l'assiette de financement des retraites ou un relèvement brutal des cotisations. Mais si les Français sont d'accord et pour une durée forcément brève !

« Réorienter l'affectation des gains de productivité, condition de l'équité entre générations. »

JEAN-MARIE HARRIBEY Professeur agrégé de sciences sociales à Bordeaux-IV.

Le rapport Charpin s'inscrit dans la longue suite de plaidoyers en faveur du remplacement progressif partiel ou total des systèmes de retraite fondés sur la répartition par la capitalisation. En réalité, à partir du moment où l'on est à peu près sûr que les progrès de la productivité du travail compenseront la détérioration du rapport actifs-inactifs, le seul problème à résoudre est d'ordre social : comment répartir les gains de productivité entre, primo, le niveau de vie des salariés et des actifs en général, secundo, leur temps de travail, tertio, le niveau de vie des inactifs et, quarto, les profits, ceux d'entreprises ou ceux versés aux propriétaires du capital.

Il est significatif que la part prise par les profits dans la valeur ajoutée est considérée comme définitivement figée au niveau élevé actuel, conformément aux exigences de la rentabilité du capital. Autrement dit, la manne à répartir dans l'avenir entre les travailleurs et les anciens travailleurs doit continuer d'évoluer tendanciellement à un rythme inférieur à celui de la croissance de l'économie. Voilà pourquoi on peut annoncer que les caisses de retraite seront en faillite à partir de 2006. C'est vrai dès lors qu'on tient la répartition des revenus pour immuable : d'abord, celle entre revenus du travail et revenus du capital, mais aussi celle entre hauts et bas salaires et celle entre travailleurs employés et chômeurs.

Les hypothèses du rapport Charpin prévoient des taux de chômage élevés de 6 %, voire de 9 %, alors même que la population active en âge de travailler diminuera. Ce parti pris indique a contrario la voie radicalement opposée qu'il faudrait suivre : la réorientation de l'affectation des gains de productivité sera dans les prochaines années la condition sine qua non, d'une part, de la résorption du chômage et, d'autre part, de l'équité entre les générations.

En filigrane, le rapport Charpin légitime la captation des richesses par les actionnaires puisqu'il postule que la solution au financement des retraites des salariés les plus aisés, capables d'épargner en abondance, consisterait à aller en Bourse. Mais la capitalisation ne procurerait aucun supplément de ressources globales. Seule une minorité verrait sa part grandir. Répartir autrement les gains de productivité ne signifie pas tout miser sur le niveau de cette productivité. À l'heure où le contenu de la croissance est en question, le modèle de développement est à repenser en même temps que la répartition du résultat de l'activité productive.