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Vie des entreprises

Mises à pied

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.02.2003 | Jean-Emmanuel Ray

Arme délicate à manier, la mise à pied recouvre trois mesures aux conditions de recours et aux conséquences différentes : la mise à pied disciplinaire, qui interdit tout licenciement ultérieur ; sa fausse jumelle, la mise à pied conservatoire, qui peut constituer le préalable à celui-ci ; et la mise à pied du représentant du personnel, qui nécessite une faute grave.

Infamante sanction pour un officier de cavalerie que d'être jadis littéralement « mis à pied » et devoir ainsi rejoindre les simples fantassins. Mais cette sanction banale est aujourd'hui moins utilisée que les deux mesures avec lesquelles elle est trop souvent confondue : mise à pied conservatoire, mais aussi mise à pied spéciale du représentant du personnel.

Que de confusions sont commises en ce domaine, entretenues il est vrai par une rédaction défectueuse des textes légaux : ainsi de l'article L. 122-41 du Code du travail indiquant qu'« aucune sanction définitive, relative à cet agissement… », laissant penser que la mise à pied conservatoire serait une sanction provisoire.

L'erreur la plus onéreuse côté patronal est bien sûr l'oubli de l'adjectif « conservatoire » dans la lettre voulant simplement écarter de l'entreprise le salarié fautif pendant la procédure. Non qualifiée, cette mise à pied devient alors disciplinaire : la règle non bis in idem interdit désormais tout licenciement – y compris pour faute lourde avérée – puisqu'une sanction est déjà intervenue.

1° Mise à pied disciplinaire et mise à pied conservatoire

Bien qu'elles se rattachent toutes deux à l'exercice du pouvoir disciplinaire et que leurs effets soient identiques (suspension de l'exécution du contrat, interdiction de venir travailler entraînant perte de salaire), ces deux notions procèdent d'une logique toute différente.

Depuis l'officier de cavalerie, la mise à pied disciplinaire est l'une des bonnes vieilles sanctions devant figurer au règlement intérieur, soumise à de rigoureuses obligations de procédure et de fond depuis la loi du 4 août 1982.

À l'inverse, la mise à pied conservatoire n'a rien d'une sanction, même si elle en constitue souvent un préalable. Comme son nom l'indique, c'est une mesure d'attente à durée indéterminée (mais non indéfinie : Cass. soc., 18 décembre 2001) dès sa notification, par opposition à sa fausse jumelle disciplinaire, nécessairement à durée déterminée (cf. Cass. soc., 6 novembre 2001). Malgré l'article L. 122-41 du Code du travail évoquant « la sanction définitive » finalement prise, « la mise à pied étant conservatoire, le salarié n'avait pas été sanctionné deux fois », indique logiquement la Cour de cassation : la règle non bis in idem ne s'applique donc pas.

La mise à pied conservatoire visait deux buts :

– Permettre la recherche de la vérité en écartant les protagonistes de l'entreprise pendant la durée de l'enquête. Les exemples ne manquent pas : rixe sans témoin (qui est l'agresseur, qui est la victime ?), multiples disparitions de matériel, découverte de curieuses manipulations comptables, etc. Quand la lumière sera faite, la mise à pied du non-fautif devra bien sûr être payée malgré l'absence de travail décidée par l'employeur. Cette solution d'apaisement semble aujourd'hui remise en cause (voir infra).

– Soit en cas de faute avérée d'un collaborateur identifié, « lorsque l'agissement du salarié a rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat » (C. trav., art. L. 122-41, 3° alinéa). Il s'agit d'éviter que le maintien à son poste d'un salarié en voie de licenciement ne conduise à de nouveaux problèmes. Ainsi d'un collaborateur ayant évoqué après un entretien préalable passablement orageux sa volonté de se servir largement de la messagerie électronique de l'entreprise pour faire savoir ce qu'il pense de son éviction (exemple : « certains indices laissent supposer qu'un prochain peloton d'exécution se prépare », en diffusion générale).

Procédures

Le Code étant muet sur ce point, il n'est pas illégal d'y pourvoir par fax, voire par courriel. Mais, pour des raisons probatoires, il est souhaitable de remettre en main propre contre décharge deux lettres distinctes : la première notifiant la mise à pied nettement qualifiée de conservatoire dans l'attente de l'accomplissement de la procédure ; la seconde convoquant dans les formes légales le collaborateur à l'entretien préalable au licenciement.

Le salarié ainsi dûment informé peut-il passer outre et se présenter à son poste ? Ne donnant légalement lieu ni à procédure ni à motivation obligatoires, la décision de mise à pied s'imposait a priori à lui : il ne peut plus pénétrer dans l'entreprise. Mais, depuis l'arrêt du 14 novembre 2001, confirmé par celui du 3 décembre 2002, la chambre sociale évolue. Dans cette dernière affaire, elle a récusé la qualification de faute au refus d'une mise à pied conservatoire, car non liée à une faute grave avérée. Il faut à notre sens distinguer deux terrains. Si, pour un comportement inférieur à la faute grave, la mise à pied conservatoire doit être payée, le salarié pouvant même obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice moral que lui a causé cette éviction immédiate et vexatoire (Cass. soc., 26 février 1996), admettre qu'il se présente en violation de la décision patronale ne peut qu'envenimer (jusqu'à l'accident de travail si, par exemple, la rixe reprend dans l'entreprise) une situation déjà passablement confuse.

Est-elle possible en deçà de la faute grave ou lourde ?

Alors que, le 2 mars 1993, la chambre sociale avait reproché au juge du fond d'« ajouter une condition à la loi », en exigeant d'avoir atteint le seuil de la faute grave, l'arrêt précité du 3 décembre 2002 reprend cette idée. Or le Code n'évoque ce degré élevé de faute que pour la mise à pied spéciale des représentants du personnel (voir supra), l'article L. 122-41 qui se situe dans la section « Règlement intérieur et droit disciplinaire » se contentant « d'un agissement ayant rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied ».

La limiter à la commission d'une faute grave évite certes de devoir payer in fine cette absence de travail. Mais elle interdit aussi : d'avoir recours à cette application du principe de précaution si l'entreprise n'est pas certaine de la gravité de la faute en cause ; d'éloigner provisoirement, pendant la durée de l'enquête, un salarié sur lequel pèsent de graves doutes. Or si, dans nombre d'hypothèses de faits fautifs sinon délictueux, il est impossible de déterminer immédiatement le(s) coupable(s), il est impensable de maintenir les choses en l'état.

Est-elle obligatoire en cas de faute grave ou lourde ?

La jurisprudence est constante : « Aucun texte n'oblige l'employeur à procéder à une mise à pied conservatoire avant d'engager une procédure de licenciement pour faute grave. » Et elle rappelle le 18 décembre 2002 que « le court délai de réflexion (trois semaines tout de même) que l'employeur s'était accordé pour prononcer la sanction n'avait pas pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité ».

Mais la prudence élémentaire incite l'entreprise à adopter cette mesure conservatoire en cas de faute grave, particulièrement en cas de rupture avant terme d'un CDD, qui n'est admise qu'à partir de ce seuil. Mais également en cas de licenciement pour ce même type de faute, où la charge de la preuve revient à l'entreprise, le juge prud'homal pouvant être surpris par son absence.

2° Mise à pied disciplinaire et mise à pied spéciale d'un représentant du personnel

« En cas de faute grave, l'employeur a la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé en attendant la décision de l'Inspection du travail. En cas de refus de licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit. » (C. trav., art. L. 425-1, L. 436-1, L. 412-18.) Cette mise à pied, souvent qualifiée de « spéciale » car propre aux représentants du personnel, a historiquement précédé la mise à pied conservatoire créée le 4 août 1982 pour les simples salariés. La procédure de licenciement d'un délégué étant forcément longue entre la convocation à l'entretien individuel, la consultation du CE, puis la demande d'autorisation de l'inspecteur du travail, il convenait de permettre à l'employeur d'écarter le représentant ayant commis une faute grave, et a fortiori lourde.

Trois conditions très dissuasives

a) La mise à pied spéciale est automatiquement liée à une procédure de licenciement pour faute, autorisation expresse de l'inspecteur du travail à la clef (C. trav., art. L. 412-18 pour le délégué syndical : « la décision de mise à pied est, à peine de nullité, motivée et notifiée à l'inspecteur du travail dans le délai de quarante-huit heures à compter de sa prise d'effet »).

b) Elle n'est légalement possible qu'en cas de faute grave, guère éloignée – mais non identique – à la « faute d'une gravité suffisante » permettant à l'inspecteur du travail de délivrer son autorisation. Mais la faute lourde étant le seuil de rupture en cas de grève, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son arrêt Disneyland Paris du 6 mars 2002, une faute grave ne suffit alors plus à permettre une telle mise à pied pour un délégué gréviste.

c) Si l'inspecteur refuse son autorisation, elle est « annulée de plein droit » : réintégration immédiate « dans les fonctions qu'il occupait auparavant » (Cass. crim., 11 décembre 2001) et versement intégral des salaires dont il a été privé.

Mais si le délégué est gréviste, donc déjà privé de son salaire ? La protection statutaire l'emporte : « Lorsque l'autorisation de licenciement a été refusée, l'employeur se trouve de plein droit débiteur du salaire correspondant à la mise à pied, la suspension du contrat de travail en résultant ayant alors sa cause non dans la grève, mais dans la décision de l'employeur rétroactivement anéantie. » (Cass. soc., 17 décembre 2002.)

Suspension du contrat et suspension du mandat

Alors que, s'agissant de la mise à pied disciplinaire, la chambre sociale avait reviré le 23 juin 1999, décidant que désormais elle ne suspendait plus le mandat du délégué, s'agissant de sa fausse jumelle, la chambre criminelle a repris dans son arrêt du 5 mars 2002 sa légitime et constante jurisprudence. Dans l'attente de l'autorisation de l'inspecteur du travail (qui doit alors répondre plus rapidement), la mise à pied spéciale suspend à la fois contrat et mandat, avec des conséquences importantes, y compris en termes tactiques : refus d'accès justifié, impossibilité de prendre des heures de délégation, non-convocation aux réunions ayant lieu pendant cette période. D'où le succès considérable – et donc parfois frauduleux – de la mise à pied spéciale pendant un conflit du travail : les délégués grévistes voulant entrer dans l'entreprise au titre de leur mandat vont rarement faire du tricot dans le local syndical…

Mais cette différence de traitement ne doit pas étonner : si la mise à pied disciplinaire relève du pouvoir patronal, bénéficiant du privilège du préalable, la mise à pied spéciale s'insère dans une procédure statutaire de licenciement soumise à un contrôle très étroit de l'Inspection du travail au titre du mandat, qui peut en cas d'abus donner lieu à un contentieux pénal pour entrave à fonctions.

Il paraît difficilement pensable que la chambre sociale, qui ne s'est pas encore prononcée sur cette délicate question, adopte une position contraire à celle de la chambre criminelle et… à l'esprit de la loi voulant interdire au délégué l'accès à l'entreprise en cas de faute avérée.

FLASH

Licenciement économique d'un représentant du personnel

« Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l'entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société en cause relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe œuvrant dans le même secteur d'activité que la société, sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France, ni aux établissements de ce groupe situés en France. »

L'arrêt Food Machinery rendu par le Conseil d'État le 8 juillet 2002 semble aligner le contrôle administratif du motif économique sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui n'hésite pas à sortir du cadre national.

1° On imagine la facilité avec laquelle l'inspecteur du travail de Quimper va pouvoir obtenir puis analyser, dans les délais qui sont les siens, les comptes d'une société anglaise.

2° Cet alignement va-t-il aller au-delà, et étendre l'obligation de reclassement des délégués à l'ensemble du groupe international ?

3° Le Conseil, plus modeste (réaliste ?) que la Cour de cassation, évoque la seule réalité du motif économique, et évite depuis 1981 de porter une appréciation sur le sérieux des choix de gestion.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray