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Vie des entreprises

Daniel Bour apprend la gestion aux salariés de la Générale de santé

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.02.2003 | Sarah Delattre

En cinq ans, grâce à une cascade d'acquisitions, Daniel Bour a fait de la Générale de santé le leader européen de l'hospitalisation privée. Avec des pratiques sociales, des méthodes de gestion et des politiques d'embauche communes, il entend imposer une logique d'entreprise à cette mosaïque de cliniques.

Mouvements sociaux à répétition, pénurie de personnel, bras de fer avec les assureurs… Alors que le monde hospitalier traverse une crise sans précédent, la Générale de santé affiche une croissance à toute épreuve. Sur les neuf premiers mois de l'année 2002, son chiffre d'affaires (830 millions d'euros) est en hausse de 17,7 % ! Créé en 1987 par la Compagnie générale des eaux, ce spécialiste des soins hospitaliers a été lâché dix ans plus tard par Jean-Marie Messier, qui voulait recentrer son groupe sur les services urbains et la communication. Reprise par le fonds d'investissement britannique Cinven et par ses managers dans le cadre d'un LMBO, la Générale de santé a été introduite en Bourse en juin 2001, rejoignant le club très fermé des groupes d'hospitalisation cotés, parmi lesquels figurent les allemands Rhöm Kliniken et MediClin.

Après plusieurs années de restructurations, le groupe s'est hissé au premier rang européen de l'hospitalisation privée, en poursuivant une politique d'acquisitions tous azimuts. Présente dans la médecine, la chirurgie et l'obstétrique, la Générale de santé s'est également développée dans la psychiatrie, la cancérologie, les soins de suite, l'hospitalisation à domicile. Plus récemment, le groupe a investi le marché des maisons de retraite, une activité rentable et promise à un bel avenir. Avec 168 établissements, 4 000 praticiens et 16 000 salariés, la Générale de santé regroupe 10 % des structures privées de l'Hexagone dans un secteur très atomisé, où plus de 75 % des cliniques sont indépendantes. Son objectif ? Doubler de taille d'ici à cinq ans, en multipliant notamment son activité par cinq en Espagne, en Italie et au Portugal. Tout en maintenant un réseau à taille humaine, pour les patients et le personnel.

1 HARMONISER LES PRATIQUES SOCIALES

En déambulant dans les allées du salon Infirmiers en novembre 2002, quelques blouses blanches ont découvert avec stupéfaction qu'elles dépendaient de la Générale de santé. « Au quotidien, les salariés travaillent pour leur établissement, pas pour la Générale de santé », confirme François Bouvart, délégué syndical CFDT à la clinique du Lac et d'Argonay (Haute-Savoie). Très attachées à leurs prérogatives, les cliniques disposent encore d'une large marge de manœuvre en matière de politique sociale. « Pour le recrutement ou la formation, par exemple, nous sommes relativement autonomes », reconnaît Françoise Lasselin, directrice de l'hôpital privé Armand-Brillard, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Résultat : d'un établissement à l'autre, les salariés bénéficient d'avantages sociaux ou d'accords 35 heures plus ou moins intéressants. Mais le groupe, qui entend fédérer son personnel autour de valeurs communes, s'efforce d'instaurer un maximum d'équité entre les collaborateurs de ses cliniques. Tout a commencé en 1997 lorsque des directeurs régionaux ont été nommés pour orchestrer l'offre de soins des établissements au sein d'un même bassin de vie. « Les neuf cliniques que je coordonne doivent travailler en bonne intelligence. Nous veillons à harmoniser leurs pratiques sociales pour qu'aucune ne soit en concurrence dans le domaine du recrutement ou des rémunérations, par exemple », explique Jean-Paul Homs, directeur régional pour la région Paca. De leur côté, les syndicats ont obtenu la création d'un comité de groupe qui sera sur pied dans les jours à venir. « Cette institution va nous permettre d'avoir une vision globale. Nous pourrons nous faire une idée plus précise de l'évolution des emplois, de la formation et des salaires au niveau du groupe », explique François Bouvart, de la CFDT.

En mai dernier, les syndicats d'employeurs – Fédération de l'hospitalisation privée et Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées – et de salariés – CFDT et CFTC – ont adopté une convention collective unique qui vise notamment à caler les salaires du privé sur ceux du public. L'occasion de clarifier les règles du jeu dans les établissements du groupe. « Non seulement la convention collective a permis de favoriser le dialogue, mais elle nous a aidés à constituer un socle social commun », analyse Georges Ichkanian, le DRH. Sur le terrain, la Générale de santé s'appuie sur ses managers pour diffuser une culture de groupe. « Directeurs régionaux, directeurs de filiale et d'établissement ont suivi une formation au management, qui devrait être dispensée aux membres des comités de direction et aux responsables de service du siège d'ici à 2003 », poursuit Georges Ichkanian. Au total, près de 470 cadres seront concernés. L'objectif ? « Faire en sorte qu'ils soient sur la même longueur d'onde », résume Françoise Lasselin.

2 APPLIQUER DES MÉTHODES DE GESTION RIGOUREUSES

Alors que le système hospitalier rechigne à sacrifier à la logique économique, la Générale de santé demande à son personnel d'appliquer des principes de gestion rigoureux. Un remède de cheval qui a remis sur pied plus d'une clinique moribonde. En témoigne Clairval, à Marseille, une imposante clinique de 480 salariés reprise par le groupe en 1999. Appartenant à une riche famille libanaise, l'établissement, endetté et, de surcroît, accusé de malversations comptables, était au bord du gouffre. Trois ans plus tard, ses comptes sont de nouveau à l'équilibre.

Pour atteindre ce résultat, la Générale de santé s'est recentrée sur les soins et a sous-traité des activités de second ordre comme la lingerie, la restauration ou la maintenance du matériel médical. La nouvelle direction a aussi investi dans le plateau technique et achève aujourd'hui la rénovation d'un ancien hôtel destiné à devenir un centre de rééducation cardiaque. Mais l'élaboration d'un business plan, la mise en place d'un système de reporting mensuel et de suivis budgétaires ont bousculé les pratiques du personnel soignant. « Les cadres infirmiers sont des soignants avant tout, ils ne sont pas formés à la gestion. Or ils doivent continuer à veiller à la qualité des soins tout en jonglant avec les plannings de leurs équipes et en tenant compte de contraintes économiques fortes. Du jour au lendemain, on leur demande de gérer l'ingérable, et ils sont sans cesse sous tension », reconnaît Sophie Beaurain, la directrice de Clairval. Pour développer les compétences managériales de ses cadres soignants, la clinique a discuté de leurs nouvelles missions avec une vingtaine d'entre eux et en a envoyé une douzaine en formation.

Infirmière en chef à l'hôpital privé Armand-Brillard de Nogent-sur-Marne, Pascale Bourguignon a vécu ce changement de culture lorsque la clinique, qui appartenait à des médecins, a été rachetée par la Générale de santé en 1995. « Nous avions affaire à des médecins actionnaires qui se comportaient un peu comme des monarques. Nous ne savions jamais trop quand leur parler et les règles de gestion étaient très olé olé. Au moins, aujourd'hui, les méthodes de management sont plus participatives et les impératifs de résultat nous donnent l'occasion de réévaluer nos pratiques. »

Dans une quête permanente de rationalisation de l'offre de soins, la Générale de santé n'hésite pas à fusionner les établissements, quand elle ne joue pas la carte de la spécialisation. C'est le cas pour la clinique d'Antony, qui regroupe quatre établissements ; de Pasteur, à Valence, qui en réunit trois ; et du futur hôpital privé Jean-Mermoz à Lyon. Parfois, la pilule a du mal à passer. À la clinique Pasteur, par exemple, l'accouchement du nouveau service maternité s'est fait dans la douleur. « En 1998, je travaillais sur un autre site quand la direction nous a appris que nous allions rejoindre nos collègues de Pasteur. Si l'ensemble du personnel a été conservé et si les statuts ont été harmonisés à notre avantage, les deux équipes ont mis du temps à s'entendre. Ceux de Pasteur nous prenaient pour des envahisseurs, chacun était attaché à sa méthode de travail, forcément la meilleure », témoigne une sage-femme.

À Dijon aussi, les salariés de la clinique de Chenôve voient d'un mauvais œil la probable spécialisation du site dans l'orthopédie et le transfert du service maternité à Sainte-Marthe, une clinique voisine. « On nous a promis que le personnel allait être reclassé mais il va forcément y avoir des doublons. Je ne vois pas comment nous allons pouvoir éviter les licenciements, s'emporte Irène Rémond, déléguée syndicale FO à Chenôve. De plus, les accords d'entreprise sont différents et rien ne nous dit que nous allons réussir à les harmoniser vers le haut. » Concentration, spécialisation, reporting, budget sévèrement contrôlé… grâce à ces méthodes musclées, la Générale de santé affiche un niveau de rentabilité nettement supérieur à la moyenne (3 % contre 1,2 % environ), dans un secteur où, pour de nombreuses cliniques, la situation financière se dégrade d'année en année.

3 ASSOCIER LES PRATICIENS LIBÉRAUX

Cette logique d'entreprise n'est pas toujours facile à appliquer avec les médecins, libéraux avant tout. « Le cardiologue, l'anesthésiste, le chirurgien-orthopédiste constituent à eux seuls des microentreprises. L'enjeu est de faire en sorte que l'activité de ces indépendants soit cohérente avec les projets de nos établissements », résume Jean-Paul Homs, directeur régional pour la région Paca. Afin de fidéliser les médecins, la Générale de santé les chouchoute. Mais sur la base du donnant-donnant : le groupe met à leur disposition un plateau technique, du personnel soignant et, en contrepartie, les médecins reversent un pourcentage de leurs honoraires, variable d'une clinique à l'autre. « Nous signons un contrat avec chaque praticien en lui assurant l'exclusivité sur sa spécialité. En retour, il s'engage à travailler en priorité pour notre clinique et nous reverse 5 % de ses honoraires », ajoute Jean-Paul Homs.

Pour les associer plus étroitement à la bonne marche de l'entreprise, la Générale de santé leur a aussi ouvert son capital lors de son entrée en Bourse, en juin 2001. Les 4 000 médecins ont ainsi pu bénéficier d'une décote de 15 %, à condition qu'ils conservent les titres au moins un an ; 30 % d'entre eux sont devenus actionnaires. « En plus de siéger aux conférences médicales d'établissement (CME), nous participons au comité médical scientifique, une instance créée en 2000 au niveau national et qui a pour mission de réfléchir à la médecine de demain », souligne Henri Escojido, cardiologue à Clairval. Ce n'est pas tout. Comme l'explique Françoise Lasselin, directrice de la clinique Armand-Brillard, « le recrutement de nouveaux praticiens ne se fait jamais sans l'aval du médecin président de la CME ».

4 PALLIER LA PÉNURIE DE PERSONNEL SOIGNANT

Alors que les cliniques recrutent sans mal des professeurs émérites, elles n'arrivent pas à endiguer l'hémorragie de personnel soignant. Infirmières, sages-femmes, mais aussi aides-soignantes spécialisées fuient vers le public, où les salaires sont plus attractifs (environ 305 euros d'écart sur la fiche de paie d'un infirmier) et les perspectives de carrière et de retraite plus alléchantes. Les 35 heures n'ont fait qu'aggraver la pénurie de personnel, et la Générale de santé, qui a augmenté ses effectifs de 8 % (1 180 postes supplémentaires) n'échappe pas à la règle. En 2001, de fortes poussées de fièvre revendicatrice l'ont amenée à combler des écarts de salaire avec les hôpitaux publics. Ainsi, au bout de neuf jours de grève, les sages-femmes de la maternité Pasteur à Valence ont décroché une augmentation de 152 euros, celles d'Armand-Brillard une revalorisation de 396 euros sur trois ans. « Mais, dans plusieurs services, les conditions de travail se sont dégradées. Avec les départs vers le public, les soignants se retrouvent moins nombreux à assumer la même charge de travail », note Gisèle Ferrier, déléguée syndicale CFDT à la clinique Pasteur.

Pour pallier le manque de personnel, la Générale de santé a embauché, depuis 2001, près de 130 blouses blanches espagnoles et libanaises triées sur le volet. « Deux infirmières espagnoles et deux sages-femmes libanaises travaillent chez nous, confie Françoise Lasselin, directrice de la clinique Armand-Brillard, de Nogent-sur-Marne. Nous avons pris en charge leurs quatre premiers mois de loyer, les avons accompagnées dans leurs démarches administratives et leur avons payé des cours intensifs de français. Preuve qu'elles apprennent vite, elles arrivent maintenant à râler dans notre langue ! » En amont, la Générale fait aussi du forcing dans les écoles d'infirmiers. « Nous avons signé un partenariat avec la Croix-Rouge pour réserver 50 % de nos stages à ses étudiants. Au total, d'ici à fin 2003, nous devrions en avoir formé 1 700 », indique Georges Ichkanian.

Dans l'optique de séduire les futures blouses blanches, le groupe tente de développer le tutorat. « Nous proposons également à des étudiants en deuxième ou troisième année de faire deux gardes par mois payées 884 euros. En contrepartie, à la fin de leurs études, ils s'engagent à travailler dans nos établissements un à deux ans minimum », explique Christophe Augier, DRH régional de Paca. Au final, la Générale de santé a réussi à panser ses plaies puisque, en 2001, elle est passée de 450 postes vacants à 150. Mais la politique de rattrapage salarial, conjuguée à la mise en œuvre des 35 heures, s'est traduite par une progression de la masse salariale de près de 14 % en 2001.

5 AMÉLIORER LA GESTION DES CARRIÈRES

Augmenter les salaires ne suffit pas. Plusieurs baromètres réalisés par la Générale de santé auprès des infirmières, aides-soignantes et puéricultrices ont diagnostiqué une réelle demande de formation et d'évolution de carrière. Depuis trois ans, le groupe a donc établi une charte de mobilité qui définit les règles de mutation d'un établissement à l'autre. « Une bourse à l'emploi est aussi consultable sur l'intranet du groupe », ajoute Philippe Souchois, directeur général de la clinique Jouvenet, à Paris. Reste que les soignants, souvent attachés à leur établissement, n'utilisent guère ces outils. « La mobilité reste à structurer. Si les infirmières déménagent facilement, les salariés moins qualifiés sont plus sédentaires », constate Sophie Beaurain, directrice de la clinique Clairval à Marseille.

Côté formation, la Générale de santé accentue aussi ses efforts. Depuis 2001, les formations d'adéquation à l'emploi (lutte contre la douleur et les infections nosocomiales, accompagnement en fin de vie, etc.) se sont multipliées. Surtout, le groupe tente de répondre aux demandes des infirmières qui veulent se spécialiser, notamment en anesthésie ou en bloc opératoire, ou suivre des cours à l'école des cadres. « Mais ces formations qualifiantes sont longues et coûteuses. On débourse facilement 53 357 euros en salaire du stagiaire, sans compter les frais pédagogiques et les frais de remplacement pour pallier son absence », calcule Françoise Lasselin. La Générale de santé s'efforce aussi de favoriser la carrière des moins qualifiés. « Dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience, 100 aides-soignantes pourront passer leur diplôme d'infirmière. Leur expérience professionnelle devrait leur permettre de valider plusieurs modules et de leur faire gagner un ou deux ans d'études », ajoute Georges Ichkanian. Ces efforts en termes de revalorisation salariale et de formation commencent à porter leurs fruits. Et le groupe se targue aujourd'hui de maîtriser son turnover.

Entretien avec Daniel Bour
« Le système hospitalier français risque de connaître une grave crise et de perdre sa qualité de service »

Rien ne prédestinait Daniel Bour, ingénieur agronome de formation, à faire carrière dans l'hospitalisation privée. Allergique à la technocratie du ministère de l'Agriculture, il décide, il y a seize ans, d'aller « pantoufler » à la Compagnie générale des eaux. Associé à la création de la Générale de santé en 1987, il fait son apprentissage de dirigeant en supervisant le développement du groupe en Angleterre. Nommé directeur général de la Générale de santé en 1997, puis P-DG un an plus tard, Daniel Bour a négocié la sortie du capital de la maison mère. Il a amélioré la rentabilité de son groupe en se débarrassant des établissements les moins performants et l'a lancé sur des marchés prometteurs comme les soins de suite, les maisons de retraite ou la chirurgie esthétique. Ce P-DG de 47 ans vise désormais à imposer une logique d'entreprise dans un secteur qui n'est guère habitué à compter.

Peut-on gérer une clinique privée comme une entreprise, alors que les médecins n'en sont pas salariés ?

Le rôle d'un chef d'entreprise est de trouver un bon équilibre entre ses actionnaires, ses clients et ses salariés. L'équation est d'autant plus difficile à résoudre que nous travaillons effectivement avec des praticiens libéraux, qui ne sont pas liés par un contrat de subordination. Notre seule chance d'attirer et de fidéliser ces partenaires est de créer un cercle vertueux où tout le monde est gagnant. Cela passe par la modernisation des plateaux techniques, l'acquisition de nouveaux équipements afin que les praticiens exercent dans de bonnes conditions, et la labellisation de l'ensemble de nos établissements, ce qui devrait nous permettre de nous différencier par la qualité.

Nous proposons ainsi aux médecins de rejoindre un établissement réputé, qui s'appuie sur la puissance d'un groupe. Le discours que nous leur tenons est le suivant : cessez d'agir individuellement et acceptez d'être partenaire d'une entreprise en vous intéressant à l'économique !

Les principes de gestion à l'anglo-saxonne et la logique de production de soins que vous appliquez sont-ils acceptés par le personnel soignant ?

Nombre d'entre eux ont compris que le système hospitalier était en train d'évoluer. D'abord, le patient a changé, il est devenu plus exigeant et laisse passer moins facilement une erreur médicale. Ensuite, la technique est devenue de plus en plus coûteuse et les charges d'exploitation ont littéralement explosé. En l'absence d'une gestion rigoureuse, les cliniques sont condamnées. Aujourd'hui, les médecins ne peuvent plus soigner comme ils l'entendent, car les contraintes économiques sont omniprésentes. À tel point que l'hôpital public se demande quelle logique d'entreprise il va pouvoir adopter.

Quitte à choquer, je considère le patient comme un client qui veut être bien accueilli, bien informé et bien soigné. C'est la raison pour laquelle je souhaite impulser une culture d'entreprise qui s'appuie sur des valeurs de progrès, d'amélioration de l'offre de soins et de services. Mais cela suppose un changement de mentalité qui risque de prendre du temps.

Comment insuffler une culture commune dans un groupe constitué d'autant d'établissements ?

La Générale de santé est le résultat d'une politique d'acquisition permanente. Chaque établissement rejoint le groupe en ayant sa propre histoire, sa propre culture, et harmoniser ces pratiques prend un temps fou. Mais, depuis 1997, notre objectif est clairement de passer d'une fédération de PME à un groupe, de mutualiser les moyens et de créer des synergies entre les établissements.

Pour cela, nous avons nommé des directeurs régionaux et commencé à former nos managers, qui distillent nos valeurs sur le terrain.

Quelles sont, aujourd'hui, les principales difficultés auxquelles sont confrontés les établissements privés ?

D'une part, le système de financement manque de visibilité : l'acheteur de soins, à savoir les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), est dissocié du payeur, la Sécurité sociale. D'autre part, nous n'avons aucun pouvoir de négociation avec l'acheteur, qui non seulement impose ses prix, mais se montre injuste en fixant des tarifs plus élevés, dans les faits, pour le public que pour le privé, toutes choses égales par ailleurs. Le manque de transparence sur la fixation des tarifs finit par devenir choquant.

Ce que je souhaiterais, c'est signer un contrat pluriannuel avec les ARH pour gagner en visibilité et mieux nous adapter aux besoins de soins de la population.

Mais on reproche aux cliniques de s'être recentrées sur les activités les plus rentables…

C'est une mauvaise polémique. Dans les faits, le secteur privé se développe surtout dans le domaine des pathologies les plus fréquentes, que le traitement soit sophistiqué ou pas.

Il a repris une part prépondérante dans l'activité chirurgie, plus de deux tiers des actes, car il a su s'adapter à l'évolution technique et organisationnelle de cette activité.

Mais il est vrai que quand les tarifs de prise en charge de certaines pathologies ne prennent pas en compte les charges réelles, le secteur privé, de fait, ne peut exister économiquement. En témoignent les services de maternité privés, qui ont fermé les uns après les autres en partie parce que l'acheteur de soins a laissé les tarifs se dégrader. En résumé, les cliniques interviennent là où elles y ont été incitées progressivement par l'état.

Est-il possible de créer, au niveau local, des complémentarités avec l'hôpital public ?

Sur le terrain, le partage se fait naturellement, même s'il n'est pas organisé au niveau national. Concrètement, le secteur privé prend progressivement en charge les activités qui exigent une adaptation permanente, comme la chirurgie ambulatoire. Le secteur public, en effet, n'a pas été capable de s'adapter à cette nouvelle forme d'hospitalisation, qui implique une meilleure gestion.

Comment s'est passée l'entrée en vigueur des 35 heures dans les cliniques ?

Dans le secteur hospitalier, la loi s'est avérée très dangereuse. Elle est en partie à l'origine de la crise que nous traversons aujourd'hui. Dans un secteur qui n'y était absolument pas préparé, l'État nous a fait créer des emplois qui n'étaient pas disponibles sur le marché. De nombreuses cliniques ont mis la clé sous la porte, incapables de faire face à ces coûts supplémentaires. D'autant que Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a choisi ce moment pour diminuer les tarifs des établissements privés.

Le secteur privé a dû négocier le gel des salaires, qui s'est avéré impossible à mettre en œuvre face à la concurrence du public. La Générale de santé a augmenté sa masse salariale de plus de 20 % en deux ans, à périmètre égal.

La mise en place par Élisabeth Guigou d'une enveloppe spécifique a assaini la situation et permis la négociation d'une convention collective unique beaucoup plus compétitive. Pendant deux ans, les cliniques ont bloqué les salaires, au moment même où le ministère accordait une rallonge budgétaire aux hôpitaux publics.

Par ailleurs, les 35 heures ont bien évidemment chamboulé toute l'organisation de nos établissements. Avec de vrais soucis pour assurer la continuité des soins.

L'assouplissement de la loi sur les heures supplémentaires est la bienvenue et permettra à ceux qui le veulent de travailler plus.

Il manque des infirmiers en France. Qu'en est-il des médecins ?

Pour les médecins, nous sommes encore épargnés, mais des tensions se font sentir dans des spécialités considérées comme contraignantes, à l'instar de la pédiatrie ou de l'anesthésie.

Quel jugement portez-vous sur le système de santé français ?

Il est encore bon. L'excellence de son corps médical, la saine concurrence entre le public et le privé en ont fait un système reconnu comme l'un des meilleurs. Mais la libre consommation de santé pour les Français a créé des abus que la maîtrise comptable de l'offre de soins n'a pas résolus, au contraire. Face à l'emballement des dépenses de santé, la classe politique est devenue méfiante à l'égard des médecins, accusés d'être dépensiers et incontrôlables.

En attendant, le système hospitalier français risque de connaître une grave crise de production et des listes d'attente. Nous risquons de perdre une qualité de service à cause de décisions qui n'ont pas été prises il y a dix ans.

Jean-François Mattei a annoncé qu'il allait abandonner la maîtrise comptable des dépenses de santé. L'approuvez-vous ?

La maîtrise comptable est un échec total. Bloquer les honoraires des médecins pendant cinq ans est anormal. Il aurait mieux valu négocier une hausse des tarifs et sensibiliser la profession à la gestion médicale en lui demandant, par exemple, pourquoi elle prescrivait autant.

Comme la Sécu ne va pas payer indéfiniment, il faut trouver un système de régulation des dépenses plus transparent.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Sarah Delattre

Auteur

  • Sarah Delattre