logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Repères

Une guerre sans merci se profile

Repères | publié le : 01.02.2003 | Denis Boissard

Metaleurop, Daewoo, Solectron, Arcelor, ABN Amro, Noos, Palace Parfums, Testut, ACT Manufacturing, Alcatel CIT, Philips, CFC Daum, EGT, Bayer CropScience, Orangina… Après quelques années euphoriques où l'on s'était pris à rêver de plein-emploi, la triste litanie des entreprises qui dégraissent, coupent, taillent, élaguent, rabotent dans leurs effectifs s'allonge à nouveau. Au point que l'on a bien du mal à s'imaginer que, d'ici trois à quatre ans, les employeurs – publics et privés – se livreront une bataille sans merci pour se disputer une main-d'œuvre dont la rareté se fera alors cruellement sentir. Et ceci pendant plusieurs décennies. Car si le débat autour du papy-boom se focalise aujourd'hui sur les retraites, le retournement démographique que notre pays connaîtra à partir de 2006 aura un impact redoutable sur la population en âge de travailler.

La conjugaison des départs massifs à la retraite

des générations pléthoriques nées au lendemain de la guerre (650 000 personnes se retireront chaque année, contre 480 000 aujourd'hui) avec l'arrivée sur le marché du travail des générations maigrelettes des années 80 va avoir un effet destructeur sur la population active : dans trois ans, celle-ci pourrait diminuer de 20 000 personnes par an, alors qu'elle croît de 130 000 actuellement. Sauf à parier sur une longue période de récession économique ou sur des gains colossaux de productivité, les entreprises, l'État, les collectivités locales, les hôpitaux vont manquer de bras. Selon les calculs de l'excellent rapport du Plan réalisé sous la houlette de Claude Seibel sur l'« avenir des métiers », il faudra recruter près de 8,5 millions de salariés dans la décennie 2000-2010 : un peu moins de 2,9 millions pour occuper les emplois générés par la croissance et… 5,6 millions pour remplacer les salariés partis à la retraite.

C'est peu dire que les entreprises ne s'y préparent guère

Le nez dans le guidon, enfermées dans des logiques de court terme, la plupart ont adopté la politique de l'autruche. Pis, sur le mode « encore une minute, monsieur le bourreau ! », beaucoup se précipitent sur les quelques dispositifs de préretraite qui subsistent encore. Malgré son anachronisme, la préretraite, cette drogue inoculée de longue date dans le tissu économique hexagonal, ne connaît apparemment pas d'antidote : le sévère coup de frein donné par les pouvoirs publics aux conventions d'AS-FNE a, par un jeu de vases communicants, été immédiatement contrebalancé par la création de régimes similaires par les partenaires sociaux (comme l'Arpe). Début 2000, les constructeurs automobiles ont même arraché au précédent gouvernement la création d'un mécanisme, la Cats, en principe réservé aux salariés usés par la pénibilité du travail, dans lequel se sont aussitôt engouffrées bon nombre de branches d'activité et d'entreprises.

Les quelques DRH qui commencent à sonner le tocsin

ne rencontrent qu'un maigre succès d'estime au sein des comités exécutifs. Il est vrai que c'est un véritable changement de culture qui attend les entreprises. Sauf à recourir de façon massive à l'immigration – mais il faudra alors compter avec la concurrence de nos voisins européens également vieillissants – ou à jouer la carte hasardeuse d'une surenchère salariale, elles vont devoir remettre en cause leurs préjugés à l'égard des chômeurs et des salariés grisonnants. Et convaincre ces derniers qu'ils ont encore un avenir professionnel. Profondément ancré dans la mentalité de nos dirigeants (sauf pour eux-mêmes), le jeunisme est condamné à l'obsolescence. Les entreprises vont devoir substituer aux dispositifs couperets des transitions progressives vers la retraite, favoriser la promotion interne, imaginer des seconds cycles de carrière au-delà de 50 ans, veiller à ce que les conditions et l'organisation du travail préservent le potentiel physique et mental de leurs collaborateurs, et réinvestir dans la formation des quinquas.

De ce point de vue, les partenaires sociaux n'ont plus droit – après leur pitoyable échec de l'automne 2001 – à l'erreur. La négociation qu'ils ont rouverte le mois dernier sur la formation professionnelle doit rapidement aboutir. L'enjeu est considérable. L'efficacité de notre dispositif de formation permanente est en effet l'une des conditions sine qua non de la capacité de l'économie française à absorber correctement le choc démographique des années à venir. À condition que patronat et syndicats ne se contentent pas d'un simple dépoussiérage, mais qu'ils rebâtissent un dispositif permettant de respecter – enfin! – le premier objectif que s'était fixé la loi Delors de 1971 : offrir une seconde chance à ceux qui sortent sans diplôme ou peu qualifiés de leur scolarité. À l'inverse du système actuel qui profite en priorité aux plus diplômés et aux jeunes, c'est-à-dire à ceux qui ont tiré le meilleur profit de leur formation initiale. Pallier les pénuries de compétences qui se profilent demain suppose un effort massif de requalification de la population active, salariée ou au chômage. La balle est dans le camp des partenaires sociaux.

Auteur

  • Denis Boissard