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Politique sociale

Les papas poules se ruent sur le congé paternité

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.02.2003 | Sandrine Foulon

Après les 35 heures, le congé paternité… À la grande surprise des DRH, ce congé de onze jours désormais accordé aux pères lors de la naissance d'un enfant connaît un franc succès. Et pourtant sa rémunération, calée sur le plafond de la Sécu, pénalise les cadres. Mais la paternité n'a pas de prix.

Hervé n'a pas attendu. Sa compagne est entrée un samedi 6 avril à la maternité et, le jour même, il entamait son congé de paternité. Pas question de manquer les premiers instants de Victoire, son premier enfant. Comme beaucoup de jeunes pères, cet employé d'une entreprise d'enseignes lumineuses n'a pas tout de suite compris le système de décompte des onze jours calendaires – « je n'avais pas intégré les week-ends » – et il a mis un bon mois à être remboursé par la Cnam, débordée par un problème informatique… Mais il ne regrette rien. Ces onze jours non fractionnables mis en place en janvier 2002 par l'ancienne ministre déléguée à la Famille Ségolène Royal, et cumulables avec les trois jours accordés traditionnellement aux pères, à prendre dans les quatre mois suivant la naissance de l'enfant, lui ont permis de faire amplement connaissance avec sa petite fille.

Et il est loin d'être un cas isolé. Ce congé new-look connaît un succès inattendu. En août, la Cnam comptabilisait 186 000 bénéficiaires pour le seul régime général, ce qui représente entre 40 et 50 % des pères susceptibles de le prendre. Au rythme moyen de 23 250 bénéficiaires par mois, le nombre total de pères pourrait avoisiner les 279 000 en 2002. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. D'autant qu'il faut encore y ajouter les salariés du secteur public qui devraient être nombreux à pouponner. Sans oublier les indépendants, libéraux, demandeurs d'emploi indemnisés et stagiaires en formation professionnelle également concernés par le dispositif. À l'époque, Ségolène Royal tablait sur 40 % de bénéficiaires, et la mesure avait été budgétée à hauteur de 107 millions d'euros pour 2002. Au vu des premiers résultats, il a fallu ajouter la bagatelle de 73 millions d'euros pour en assurer le financement. Pour 2003, le budget s'élève à 195 millions d'euros, soit une augmentation de 8,3 %.

Unanimement salué, le congé paternel est un symbole fort de l'engagement des pères. Depuis le succès des modèles scandinaves (voir encadré page 29), chacun sait que la réussite du partage des rôles dépend de l'investissement des pères. « L'intelligence de la mesure consiste à l'accorder au père et à lui seul, rappelle Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS, Iresco. Si le père choisit de ne pas le prendre, ce congé est perdu. » Laisser la possibilité aux parents de prendre indifféremment la mesure aurait débouché sur une énième rallonge des congés dévolus… à la mère. À l'instar de l'allocation parentale d'éducation, un « cache-sexe » selon Margaret Maruani, qui aurait pu tout aussi bien s'appeler allocation maternelle d'éducation puisque seuls 2 % des pères l'adoptent.

Ce n'est pas la fin du monde !

« Ce congé incite les femmes à laisser une place aux hommes », souligne Monique Sassier, directrice générale de l'Union nationale des associations familiales (Unaf). Olivier, père de Nell et de Léo, cadre dans une agence de communication, a pris ses dix-huit jours accordés en cas de naissance multiple. « Incroyable ! je ne comprends pas pourquoi, auparavant, les pères n'avaient droit qu'à trois jours. Avec deux nouveau-nés à la maison, on ne voit pas le jour. De toute façon, j'aurais pris des congés. Se libérer dès le début est indispensable pour apprendre à deux. Et, aujourd'hui, je ne me sens pas moins doué que Fabienne, la mère de mes jumeaux, pour changer les enfants ou leur donner à manger. » Et de fait, les pères nouvelle génération n'ignorent plus rien des vertus comparées de la tétine à trois vitesses en silicone et en caoutchouc. Et n'auraient pas non plus l'idée de proposer une tranche de pizza à un nourrisson à deux dents.

Seul reproche à cette mesure, son manque d'audace en termes financiers. Car si les entreprises l'accueillent plutôt favorablement, elles ne sont pas toutes enclines à mettre la main au portefeuille pour garantir le complément de salaire des employés dépassant le plafond de la Sécurité sociale, actuellement fixé à 2 432 euros. « Il serait intéressant d'aller plus loin, notamment en intégrant dans les conventions collectives la possibilité pour les pères de percevoir la totalité de leur salaire. Ce serait un engagement fort de la part des entreprises, explique-t-on à la Cnaf. Onze jours de congé dans une carrière, ce n'est pas la fin du monde ! » Mais du côté des accords d'entreprise, voire de branche, le congé de paternité fait figure de grand absent. « Je m'étais préparé une pochette spéciale congé de paternité et j'attendais de pied ferme les premiers accords dans ce sens, s'amuse Marie-France Boutroue, responsable du suivi des conventions collectives à la CGT, confédération qui, en passant, assure la bonification du salaire de ses permanents. Mais ma pochette reste désespérément vide, si ce n'est un accord d'entreprise de La Poste et de France Télécom qui prévoit pour leurs agents contractuels le versement du complément de salaire. Ailleurs, visiblement, le sujet n'est pas une grande priorité. »

Quant aux groupes qui assurent volontiers la bonification du salaire pour les mères, ils se montrent souvent moins magnanimes pour les pères. Au Crédit lyonnais, mieux vaut être salariée que salarié. Les jeunes mères bénéficient, notamment par l'accord de branche, d'un statut confortable (un mois et demi de congé de maternité supplémentaire rémunéré intégralement) ; les pères, eux, se contentent des quatorze jours rémunérés à hauteur du plafond de la Sécurité sociale.

Même discrimination sexuelle chez Dassault Aviation, dont la moyenne d'âge de la population, masculine à 80 %, atteint les 34 ans. « Nous avons très vite communiqué sur le sujet, expliqué les modalités, rédigé des fiches d'information, souligne Chantal Berton, responsable des relations sociales. Mais nous n'assurons pas le complément de salaire. C'est une demande syndicale qui sera sans doute reposée mais le groupe se montre déjà très généreux en termes de jours de RTT : nos cadres travaillent deux cent dix jours. » Arcelor (issu de la fusion d'Usinor, d'Arbed et d'Aceralia), groupe sidérurgique lui aussi éminemment masculin, n'accorde pas non plus la bonification du salaire.

La moitié du salaire en moins

De quoi décourager les jeunes papas. Félix, ingénieur dans l'une des filiales du groupe Siemens, a renoncé à son congé de paternité. « Je perdais environ la moitié de mon salaire, confie-t-il. Au départ, j'ai songé à le prendre. Le magazine interne du groupe a d'ailleurs communiqué sur le sujet. Mais si les salariés de certaines filiales perçoivent la totalité de leur salaire, ce n'est pas notre cas. Il n'existe pas d'harmonisation entre les différentes entités de Siemens. » Les cadres sont évidemment les plus touchés par cette perte de rémunération. Selon une enquête du ministère délégué à la Famille portant sur les trois premiers mois du congé de paternité, il s'avérait que seuls 10 % des cadres en bénéficiaient, contre 47 % des ouvriers et 31 % des employés.

Il est vrai que les sociétés n'ont guère intérêt à pousser leurs salariés les mieux payés à s'occuper de layette. « Nous ne défendons pas bec et ongles l'obligation pour les entreprises de maintenir la totalité du salaire. Si l'on veut provoquer un changement culturel, l'idée est d'imposer une mesure tout en laissant suffisamment de souplesse dans son application. De sorte que tous, employeurs et employés, s'approprient le dispositif, plaide Monique Sassier, de l'Unaf. Lors de la Conférence de la famille, il était question de porter ce congé à un mois. Mais, dans le contexte des 35 heures, les participants sont convenus qu'alourdir les charges des entreprises et surtout des PME n'était pas opportun. Du côté des pères, accepter d'y perdre un peu est aussi un choix fort. »

De fait, beaucoup n'hésitent pas à sacrifier ces quelques jours payés à moindre coût. Au Crédit lyonnais, sur 180 naissances déclarées à la direction des ressources humaines, 120 pères ont ainsi choisi de prendre leur congé. 66 % des jeunes pères de Dassault Aviation ont eux aussi décidé d'en profiter. Et, parmi eux, 80 % ont pris la totalité des onze jours. Record absolu chez IT Link, une SSII de 200 personnes dotée d'une majorité d'ingénieurs : tous les pères ont adopté le dispositif. « Les demandes affluent au rythme d'une tous les deux mois, constate Karine Barthélemy, la DRH du groupe. Le seul à ne pas en avoir profité est le directeur général. Sinon, tous les jeunes pères ont accepté d'y perdre financièrement. »

Un surcroît de travail au retour

Reste à braver des organisations du travail peu propices à l'épanouissement de la vie de famille. En plus d'une perte de salaire, Félix savait qu'il allait devoir affronter un surcroît de travail à son retour. « Je suis affecté à un projet et j'ai une tâche bien précise à réaliser. Si je m'absente, personne ne fait le boulot à ma place. C'est un peu comme les jours de RTT. C'est un droit. Libre à nous de les prendre mais aussi de travailler autant en moins de temps… »

Vincent, cadre dans un groupe d'édition, n'a pas pris son congé. « À la naissance de ma deuxième fille, je venais d'être promu au sein de la société et je ne me voyais pas annoncer à mes nouveaux chefs que je partais quinze jours. C'était comme une marque de motivation. En plus, ma fille est née pendant mes congés d'été et j'avais encore dix-sept jours à solder avant mai et douze jours de RTT à écouler… Si j'avais pu fractionner ces journées, en prendre une par semaine pendant trois mois, ce qui revient à un quatre-cinquièmes, j'aurais considéré la question autrement. Par ailleurs, les pères qui goûteraient à ce rythme là seraient sans doute plus nombreux à prendre l'APE. »

Dominique Méda, philosophe, auteur de l'ouvrage le Temps des femmes : pour un nouveau partage des rôles (Champs Flammarion, 2002), s'inquiète du changement idéologique concernant le temps libre. « Les 35 heures et les aspirations des salariés à équilibrer leur vie privée et professionnelle ont créé, à un moment donné, une configuration sociale qui était prête à porter le congé de paternité. Aujourd'hui, cette configuration est en train de se modifier. Les 35 heures, sans cesse attaquées, ne sont plus à la mode. L'arbitrage entre travail et famille a été détourné au profit de celui entre travail et loisirs. On stigmatise le salarié qui veut prendre du temps pour lui. Il est soupçonné de vouloir en faire toujours moins. Dans ce contexte, les pères pourraient hésiter à s'approprier ces quatorze jours. » Pourtant, rappelle Dominique Méda, il est utile de dissocier les tâches domestiques, qui restent dans leur ensemble l'apanage des femmes, des activités consacrées aux enfants qui sont, elles, grâce aux 35 heures, partagées de manière plus équitable par les parents.

Dans un environnement où les entreprises ne semblent guère soucieuses de modifier leur organisation, les pères, surtout les plus jeunes, seront sans doute les moteurs du changement. Hervé, promu depuis peu cadre dans sa PME d'enseignes lumineuses et président d'un club de plongée, emmène sa fille le samedi matin aux bébés nageurs et lui donne chaque soir le biberon et le bain, même si cela fait sourire quelques-uns de ses amis qui le traitent de fou. « Il est difficile de s'organiser, affirme Pascal, commercial chez Hitachi – une entreprise qui assure 100 % du salaire en cas de congé de paternité – et père d'un petit Lucien. Mais il faut savoir où sont les priorités. Il est important d'être présent, surtout à la naissance d'un troisième, pour s'occuper aussi des aînés. »

Grégoire, père de Thibault, n'a pas eu de chance. Il aurait bien voulu profiter de son congé de paternité, mais son fils est né quelques jours trop tôt, en décembre 2001. « Tant pis ! se console ce cadre employé à la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles. Ce qui compte, c'est de faire perdurer l'esprit de cette mesure, d'impliquer les pères jour après jour. » Et Grégoire s'y applique. Pour la première bronchiolite de son fils, il a pris des jours de congé pour enfant malade. Pas sa femme.

Deux mois de congé en Suède !

Heureux qui comme un père suédois bénéficie d'un congé de paternité de… deux mois rémunérés à hauteur de 80 % du salaire, cumulables avec les quatre cent vingt jours de congé parental à partager avec la mère jusqu'aux 8 ans de l'enfant. Idéal pour pouponner. La loi dont s'est inspirée l'ancienne ministre déléguée à la Famille Ségolène Royal stipule également que le congé de paternité est perdu si le père omet de prendre ses jours. « C'est un encouragement fort pour les pères, commente Erik, 37 ans, père de deux enfants et employé dans une administration de Stockholm. J'ai pris ce congé à la naissance de mon premier enfant ; cela permet de créer une relation privilégiée. » Avec deux enfants à la maison et une épouse qui va reprendre son emploi, Erik a opté pour un temps partiel très flexible – il fixe chaque mois avec son employeur le nombre de jours où il viendra travailler.

Pendant son congé de paternité, il a perçu l'intégralité de son salaire. « Beaucoup d'entreprises assurent le complément. C'est une bonne manière de fidéliser les salariés. Pour les autres, le manque à gagner les empêche d'en profiter pleinement. La situation suédoise n'est pas aussi idyllique que cela. Seuls un tiers des pères peuvent s'absenter aussi longtemps et beaucoup cumulent ces jours avec leurs congés d'été. »

Auteur

  • Sandrine Foulon