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Politique sociale

L'ANPE a des leçons à prendre chez nos voisins européens

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.02.2003 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Partenariat entre agences privées et organismes publics, création de guichets uniques, affectation de conseillers aux grandes entreprises : pour améliorer le placement de leurs chômeurs, nos voisins fourmillent d'idées. De quoi nourrir un projet de réforme de notre ANPE, dont la gestion et l'efficacité sont toujours autant critiquées.

Toujours rien à l'horizon ! Promis pour la fin de l'année dernière, le bilan attendu du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) n'a toujours pas été dressé. On ne sait donc pas si les quelque 3 000 emplois créés à l'ANPE et les 3,2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires se sont révélés utiles. Seule certitude, la conjoncture se dégradant, le chômage est reparti à la hausse et les critiques sur le service public de l'emploi ont repris de plus belle. Dès l'ouverture de la session parlementaire de juillet 2002, le député UMP Yves Nicollin a réclamé la suppression du « monopole de fait de l'ANPE », en autorisant des « organismes privés, rémunérés par les employeurs », à placer les demandeurs d'emploi. Il faut dire qu'en dépit de sa position privilégiée l'ANPE ne respecte qu'in extremis l'objectif du contrat de progrès 1999-2003, prévoyant une part de marché de 40 % pour la collecte des offres d'emploi, après un décrochage très net (36,7 %) en 2000, période de créations d'emplois massives.

Mais la charge la plus sévère reste celle de la Cour des comptes qui, en 2000, a épinglé l'ANPE pour la mauvaise gestion de son personnel, ses ratages informatiques, son opacité sur la disponibilité réelle des demandeurs d'emploi et ses résultats insuffisants dans la collecte des offres. Toujours en 2000, le rapport annuel de l'Igas, constatant notamment une altération des fichiers de l'ANPE et des conflits de frontières entre Unedic, administration de l'emploi et ANPE, préconisait une réaction vigoureuse, avec la mise en place d'un plan d'action s'appuyant sur des engagements réciproques des demandeurs d'emploi et du service public. Quant au rapport réalisé par le cabinet Bernard Brunhes à la demande de l'ANPE et de Martine Aubry en 1998, il notait que la France consacrait moins de moyens financiers et humains que ses voisins à la lutte contre le chômage. Mais il soulignait aussi qu'avec le New Deal en Grande-Bretagne, ou l'Arbeitsamt 2000 en Allemagne, plusieurs grands pays européens n'avaient pas hésité à réformer en profondeur la gestion du placement des demandeurs d'emploi.

L'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie ont privilégié très tôt le traitement individualisé des chômeurs, souvent assorti d'une obligation de recherche d'emploi ; les Pays-Bas ont mis en place un guichet unique, de même que nos voisins britanniques. Enfin, la plupart de ces pays favorisent les partenariats entre leurs services de l'emploi et des acteurs privés, à l'instar des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, où l'on compte respectivement 35, 87 et 580 agences privées de placement. Tour d'Europe des meilleures recettes pour doper le service public de l'emploi.

Grande-Bretagne

Un guichet unique pour les demandeurs d'emploi

Dans ce quartier populaire du nord de Londres, le taux de chômage est bien plus élevé que la moyenne nationale (9,5 %, contre 5,2 %) et le tout nouveau Job Centre Plus de Wembley ne désemplit pas. Ce « Plus » a été ajouté depuis la fusion de l'ancien Job Centre, l'agence pour l'emploi, avec le Benefit Agency, chargé des multiples allocations sociales, en une seule et même entité, le service « One ». « Jusque-là, le demandeur d'emploi remplissait ses formulaires, sans aucun contact avec les services de l'emploi. Désormais, il y a un véritable suivi », traduit Jashoda Pindoria, directrice du Job Centre Plus de Wembley. Car « nous plaçons le travail au cœur du système », ajoute-t-elle, respectant à la lettre la philosophie du gouvernement Blair : chacun peut prétendre à des aides de l'État, mais chacun a aussi le devoir de chercher un emploi.

Pour bénéficier de l'allocation chômage, le job seeker's allowance, il faut activement chercher un emploi. Un bilan est établi tous les semestres et peut aboutir à la suspension des allocations si les conditions posées par le conseiller pour l'emploi ne sont pas respectées. Au bout des six premiers mois, le chômeur est par exemple contraint d'élargir sa recherche hors de ses secteurs privilégiés. En 2001-2002, plus de 38 000 sanctions ont été prises après le refus d'une proposition d'emploi par les bénéficiaires de job seeker's allowances.

Il existe déjà 56 Job Centre Plus. À terme, l'ensemble des 1 400 agences (emploi et allocations) sera ainsi transformé. Une modernisation qui est aussi matérielle. En plus des bornes informatiques qui remplacent désormais les traditionnels panneaux d'affichage dans l'ensemble du réseau des Jobcentres, les Jobcentres Plus sont dotés de nouvelles installations : des téléphones, des ordinateurs connectés au Web, des bureaux pour les entretiens avec les employeurs… Le décor également a changé. Fini les murs gris et la moquette bleu foncé, remplacés par un design plus coloré, avec du parquet et des photos-portraits. Les vitres qui, dans les Benefit Agencies, séparaient les agents du public ont été supprimées. Une mesure qui avait provoqué la colère des syndicats, inquiets pour la sécurité des agents. Mais le réseau de caméras et d'écrans de contrôle a, en contrepartie, été renforcé. Et, à chaque étage, téléphone portable à la ceinture en cas d'incident, un manager fait la navette entre la file d'attente et les différents bureaux pour vérifier que chacun est satisfait. Un poste qui n'existait pas : la réforme du service de l'emploi britannique a créé de l'emploi !

Benjamin Quénelle, à Londres

Allemagne

Un conseiller de l'Office fédéral pour chaque grande entreprise

« Pourquoi mon gouvernement n'a-t-il pas initié plus tôt une réforme de l'Office fédéral et du marché de l'emploi ? C'est simple, il n'existait pas le consensus nécessaire pour lancer des réformes de cette ampleur. Il a fallu que la situation se dégrade pour qu'un tel consensus se dégage. C'est dommage, mais c'est comme ça », déclarait Gerhard Schröder lors du second duel télévisé de la campagne électorale. Au début de l'année 2002, un rapport de la Cour fédérale des comptes a révélé au grand jour les dérapages de la BA (Bundesanstalt für Arbeit) en matière de placement des chômeurs. Sur 5127 placements considérés comme réussis par les experts… 3 708 n'avaient jamais abouti ou étaient trop récents pour être comptabilisés comme tels. Pour le responsable d'un bureau de placement privé, l'Office fédéral a perdu de vue l'une de ses principales missions : « Seul un tiers des 93 000 salariés de l'Office s'occupent du placement. Gérant entre 600 et 750 dossiers, un conseiller n'a pas le temps de démarcher les entreprises et de faire du placement sur mesure. »

C'est après ce scandale que la commission Hartz a planché sur la modernisation du marché du travail. Parallèlement, Florian Gerster, le nouveau directeur général de la BA, a été prié de réformer le fonctionnement de l'Office. L'agence pour l'emploi a deux ans pour se transformer en une « agence moderne de prestation de services », sans générer de coûts supplémentaires. Pour y parvenir, Florian Gerster entend développer la coopération entre son administration et les agences de placement et d'intérim privées et renforcer la motivation des chômeurs par le biais de mesures de contrôle, d'incitation ou de sanction. Chacune des 181 agences de la BA sera par ailleurs équipée d'un « Centre pour l'emploi » (Jobcenter) qui centralisera l'ensemble des services en rapport avec le marché de l'emploi (conseil en formation, placement, suivi, etc.). Chaque grande entreprise disposera d'un référent chargé d'adapter l'offre à sa demande.

Actuellement, l'Institut de recherches sur le travail évalue seulement à un tiers le nombre des emplois vacants signalés à la BA par les entreprises. Parallèlement, des « agences des services pour le personnel » (ASP) fonctionnant selon le principe de l'intérim seront créées au sein des agences. Elles embaucheront une grande partie des chômeurs avec le placement durable comme objectif à long terme. Selon les cas, la gestion de ces agences sera mixte ou privée. Les méthodes de gestion du personnel vont devoir changer. Les cadres de l'Office pourraient être appelés à changer de mission tous les cinq ans. Enfin, les accords salariaux négociés à la Bundesanstalt für Arbeit pourraient être déconnectés de ceux de la fonction publique.

Jusqu'à présent, les réactions du personnel sont mitigées : « Mes collègues ne se sentent pas vraiment impliqués, ni dans la mise au point des mesures ni dans leur application », estime Angelika Neff-Lehmann, de l'agence de Nuremberg, sur le forum Internet ouvert à ce sujet par Verdi, le syndicat des services. « Les gens ont peur que la création des agences des services pour le personnel débouche sur une privatisation partielle », souligne pour sa part Siggi Bausch, de la Centrale pour le placement à Bonn (ZAV).

Ces craintes diffuses sont renforcées par le plan d'austérité du nouveau gouvernement de Gerhard Schröder. Pour 2002, Berlin a promis de combler le déficit de 4 milliards d'euros de la BA. Mais, dès 2003, celle-ci devra non seulement se passer de l'aide gouvernementale mais encore… réaliser près de 4 milliards d'économies. Saluée par beaucoup comme une révolution culturelle incontournable, la réforme, dont certaines modalités doivent encore être soumises à l'approbation du législateur, est cependant loin d'être mise sur les rails.

Thomas Schnee, à Berlin

Pays-Bas

Les tâches annexes transférées aux sociétés privées

Exit l'ancienne agence pour l'emploi à la française, vive le nouveau Centre pour le travail et les revenus (CWI) ! Dans le cadre d'une réforme générale de la sécurité sociale aux Pays-Bas, les services néerlandais de l'emploi ont été réorganisés de fond en comble. Un nouveau système qui, en dépit de sa nature complexe, est censé garantir aux chômeurs plus de clarté et d'efficacité dans le traitement de leurs dossiers. Mis en place le 1er janvier 2002, le nouvel organisme, fort de ses 131 agences dans le pays, poursuit la tâche de son prédécesseur en matière d'aide aux chômeurs, mais s'est vu aussi attribuer de nouvelles compétences comme le versement des indemnités ou l'évaluation des handicaps. De fait, les CWI s'adressent non seulement aux demandeurs d'emploi, mais aussi aux bénéficiaires de minima sociaux et aux personnes en incapacité de travail, à qui ils offrent une sorte de guichet unique.

Car tous les services concernés, y compris les départements municipaux de l'aide sociale, sont désormais réunis sous le même toit. « Cette réforme a pour but de rendre notre système de solidarité sociale plus clair, plus efficace et plus soucieux de l'usager », explique-t-on au ministère des Affaires sociales et de l'Emploi. Par ailleurs, la concentration géographique des services va de pair avec une centralisation administrative et politique. Si l'ancienne agence pour l'emploi était gérée de façon tripartite par les représentants des municipalités, du patronat et des syndicats, le Centre pour le travail et les revenus se voit placé sous l'autorité directe du ministère des Affaires sociales.

Même chose pour l'UWV, une nouvelle entité qui résulte de la fusion des cinq organismes chargés de recueillir les cotisations sociales et de verser les allocations chômage et d'invalidité. Toutes ces transformations s'accompagnent également d'une plus forte influence des lois du marché. Ainsi, certaines tâches sont transférées à des sociétés privées, comme la réintégration des personnes en incapacité de travail. L'ancienne agence nationale pour l'emploi a elle-même confié au secteur privé son propre service spécialisé dans ce domaine, appelé Kliq. Reste maintenant aux employés des CWI à affronter un nouvel afflux de demandeurs d'emploi : le taux de chômage, qui depuis près d'une décennie était particulièrement bas, se met à remonter en flèche.

Emmanuelle Tardif, à Utrecht

Belgique

Un « pilotage » centralisé

En Belgique, le chômeur n'est plus un « bénéficiaire » mais un « client ». L'Onem, l'Office national de l'emploi, vit ainsi une petite révolution depuis qu'il s'est engagé, en 1995, dans la voie du « cockpit management », cité en exemple au Sommet européen de Lisbonne en 2001. La salle de direction, dont les murs sont tapissés d'écrans, à l'image de la cabine de pilotage d'un avion, illustre cette nouvelle approche. Plus de 96 % des données fournies par les 30 bureaux de chômage sont centralisées ici, des statistiques du chômage aux dépenses énergétiques des locaux en passant par le taux d'absentéisme. « Nous pouvons suivre l'évolution de nos objectifs et rectifier les erreurs » grâce à des informations « utilisables au niveau, à la fois de la gestion interne et des inflexions politiques à donner », précise Jean-Marie Delrue, administrateur général adjoint. Grâce à ces données, l'Office national de l'emploi adopte chaque année un plan stratégique, décliné en une vingtaine de projets et d'objectifs à atteindre.

L'organisme public avait prévu, en 2002, de réduire le nombre de renvois de dossiers incomplets, sachant que le délai de traitement d'un dossier ne doit pas dépasser quatorze jours. Les tableaux de bord permettent de comparer les bureaux afin de déceler les meilleures pratiques mais aussi de rectifier le tir en cas de problème. Quand la compagnie aérienne nationale Sabena a fait faillite l'automne dernier, des équipes volantes ont été dépêchées dans les bureaux qui recevaient beaucoup de demandes. Les indicateurs sont aussi un moyen de recueillir des informations sur le travail de chaque agent. « C'est pourquoi la direction de l'Onem s'est engagée à ce que les données individuelles ne soient pas utilisées pour sanctionner ou faire pression sur le salarié », se félicite Michel Markey, du syndicat socialiste FGTB. La réforme semble bien passer auprès des 4 000 salariés, dont 7 sur 10 se déclarent satisfaits. L'Office souhaiterait d'ailleurs récompenser les plus compétents par un système collectif de gratification, mais la proposition est restée lettre morte au ministère.

En juillet 2002, le comité de gestion paritaire de l'Office s'est donné un an pour mesurer l'efficacité des mesures de remise sur le marché du travail des plus de 50 ans. L'Onem a également proposé de réformer l'allocation d'attente pour les jeunes sortis d'études, en en restreignant les conditions d'accès, jugeant trop nombreux les jeunes qui restent des mois sans décrocher un premier emploi.

Le débat sur l'activation des mesures pour l'emploi n'en demeure pas moins vif. La Fédération des entreprises belges trouve curieux que l'Onem recense peu de procédures de sanctions contre les chômeurs qui refusent un emploi. Les syndicats rétorquent que les bureaux de placement mis en cause font des propositions très ciblées. Inversement, c'est sur la base d'informations récoltées par le cockpit que les visites au domicile des chômeurs pour contrôler leur situation familiale ont été supprimées en 2000.

Anne Renaut, à Bruxelles

Rome tente une ambitieuse réforme des agences pour l'emploi

Un système « passif, bureaucratique et inefficace ». Le sévère jugement sur le système public italien des agences pour l'emploi est du gouvernement Berlusconi. C'est pourquoi celui-ci entend modifier en profondeur la relation entre offre et demande de travail au moyen d'un décret-loi qui devrait prochainement entrer en vigueur. Les gouvernements précédents s'étaient déjà attaqués au problème en abolissant notamment le monopole des agences pour l'emploi et en ouvrant la voie à des sociétés privées triées sur le volet. Mais sans véritable succès.

Le gouvernement entend donc agir sur deux fronts : d'un côté, la réforme du système public (selon une étude de 1997 de la Banque centrale italienne, il ne procurait un emploi qu'à 2 % de ses utilisateurs !) ; de l'autre, une plus grande ouverture au privé de façon à favoriser la concurrence.

Les agences devront par ailleurs se lancer dans une « action de prévention et de soutien actif aux personnes à la recherche d'un emploi ». En organisant notamment des entretiens d'orientation avec chaque chômeur, au maximum trois mois après son inscription. En parallèle, le secteur privé sera encouragé. Il en avait besoin : trois ans après la fin du monopole, moins de 25 sociétés ont ouvert leurs portes… Et l'une des expériences les plus réussies n'est pas privée au sens strict du terme : Unimpiego a été lancé par l'Union des industriels de Turin, branche locale du Medef italien.

Une mesure très attendue – contenue dans un autre projet de loi – ouvrira par ailleurs le placement des demandeurs d'emploi aux sociétés d'intérim qui ont fait la preuve de leur efficacité depuis leur lancement en 1998. « Les sociétés de travail temporaire deviendront un point de référence pour les chômeurs », se félicite-t-on chez Adecco, qui table sur une plus grande affluence de candidatures.

Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants