logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

La vraie-fausse réforme de la politique de l'emploi

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.02.2003 | Anne Fairise

Avec sa mesure phare, le contrat jeune en entreprise, le gouvernement a – c'est juré ! – réorienté la politique de l'emploi vers le secteur marchand. Au moins en apparence… car, alors qu'il stigmatise les CES et autres emplois jeunes, le traitement social du chômage continue de plus belle. Pragmatisme oblige.

Haro sur les contrats aidés du secteur non marchand et vive l'entreprise ! Depuis le retour de la droite aux affaires, c'est une spectaculaire réorientation de la politique de l'emploi qui est affichée. D'une circulaire, François Fillon, le ministre du Travail, a tiré un trait sur les emplois jeunes qui, en cinq ans, ont mis le pied à l'étrier à quelque 360 000 jeunes dans les administrations, les collectivités locales et les associations. Tandis que des coupes claires dans le budget de l'emploi pour 2003 ont traduit le désengagement annoncé des aides dans les secteurs public et associatif : non-renouvellement de 51 900 emplois jeunes, soit près d'un quart des 213 000 en poste en 2002, et baisse de près de 40 % du nombre de contrats emploi solidarité (CES), tombés de 260 000 en 2002 à 160 000 en 2003…

Parallèlement, le nouveau locataire de la Rue de Grenelle a réorienté l'effort public vers les entreprises, en créant le « contrat jeune en entreprise », un CDI exonéré de charges sociales adopté tambour battant cet été par le Parlement. Finies, les « situations sans issue des emplois jeunes », place aux « vrais emplois », avec de « vraies perspectives de carrière » offertes aux jeunes sans qualification ou titulaires d'un simple CAP ou BEP. La ligne de partage entre politique de droite et politique de gauche est donc claire : elle passe entre l'emploi marchand et le non-marchand… CQFD. Jean-Pierre Raffarin a d'ailleurs profité de l'inauguration du nouveau siège de l'UMP, à la fin de l'année dernière, pour se féliciter d'un premier succès de cette politique : le cap des 30 000 contrats « Fillon » sera dépassé en 2002, a-t-il annoncé. Un résultat bien meilleur que les 18 000 espérés. Pour maintenir l'élan, François Fillon est allé mouiller sa chemise, dès les premiers jours de janvier, pour vendre sa mesure sur le terrain, à Montbéliard (Doubs) notamment. 90 000 contrats sont attendus en 2003 et 250 000 d'ici à 2005.

Effet d'aubaine et de substitution

La carotte de l'exonération de charges (100 % les deux premières années) a de quoi séduire les chefs d'entreprise. D'autant que, pour peu qu'ils entrent dans les critères d'âge et de qualification, les salariés présents dans l'entreprise depuis un an, en CDD, en intérim ou en alternance, peuvent basculer sur un contrat Fillon. À Valenciennes-Onnaing, dans le Nord, Toyota a sauté sur l'occasion pour recruter 60 opérateurs de production en 2002, dont « quelques-uns » étaient en CDD ou intérimaires. « La mesure favorise la transformation des contrats d'intérim en CDI. Il n'y a pas photo quand on compare les coûts », commente Jean-Paul Bollier, chargé du recrutement, qui annonce, pour 2003, d'autres embauches de travailleurs temporaires en contrat Fillon.

Si le contrat jeune en entreprise chasse sur les terres de l'intérim, il semble profiter, sans surprise, davantage aux plus qualifiés, les titulaires de CAP-BEP. Dans le bâtiment, on ne s'en cache pas. « D'après les premières remontées de terrain, la mesure est surtout utilisée pour recruter définitivement les jeunes ayant achevé leur contrat d'apprentissage », note Alain Papon, responsable social de la FFB pour le Puy-de-Dôme, qui ne mâche pas ses mots. « Si elle n'avait concerné que des publics prioritaires, elle n'aurait pas intéressé. Ce que les chefs d'entreprise veulent, ce sont des exonérations pour du personnel déjà formé, même si les titulaires de CAP ne sont pas complètement opérationnels, ni au top des qualifications. Cela a levé, pour certains, un frein à l'embauche. » Chez les petits artisans du bâtiment, par contre, on compte bien puiser dans les fichiers de l'ANPE. « La mesure peut inciter à se tourner vers des non-diplômés et à les qualifier dans le cadre de la formation continue », souligne Jean Lardin, président de la Capeb. Initiative notable, le FAF-SAB, fonds d'assurance formation du secteur, a décidé de réserver une ligne budgétaire aux bénéficiaires de contrats jeunes. De quoi rassurer ceux qui craignent que le contrat Fillon, dépourvu de toute obligation de formation, n'enferme les jeunes dans une non-qualification payée au smic, bref dans des petits boulots.

Le bon démarrage de ce contrat new-look laisse pourtant les experts du marché du travail de marbre. Anticipant des effets massifs d'aubaine ou de substitution, avec des salariés plus âgés ou déjà en poste, beaucoup restent sceptiques sur son impact sur l'emploi net. « Les contrats jeunes vont jouer marginalement sur la courbe du chômage », assène l'un d'eux. « Si 50 000 emplois nets sont créés, ce sera le maximum », reprend Xavier Timbaud, de l'Observatoire français des conjonctures économiques. « Le résultat sera moins la création d'emploi que la modification de la file d'attente des demandeurs d'emploi au profit des jeunes peu ou pas qualifiés. Cette mesure a plutôt une vertu de lutte contre l'exclusion et participe à la restauration d'un climat psychologique positif chez les chefs d'entreprise », note Dominique Balmary, ancien délégué à l'Emploi.

Du traitement social quand même

Conscient des limites du contrat jeune, au moment même où la conjoncture se dégrade nettement, le gouvernement s'est semble-t-il rallié à un certain pragmatisme. Tout en stigmatisant officiellement « l'illusion d'un recours massif » aux contrats aidés du secteur non marchand, François Fillon est loin d'avoir baissé la garde sur les outils classiques du traitement social du chômage. Le gouvernement a ainsi revu à deux reprises sa copie initiale, godillant entre ses contraintes budgétaires et les récriminations des élus de sa majorité et des acteurs de l'insertion, descendus en octobre dans la rue.

Ainsi, alors qu'il ne prévoyait, l'été dernier, que 80 000 contrats emploi solidarité pour 2003, il en a finalement inscrit 160 000 au budget, puis en a annoncé « 20 000 par mois ». Ce qui permettra de maintenir, sur les huit premiers mois de 2003, le même volume d'entrées dans le dispositif qu'en 2002. Et le ministre du Travail, qui a, en outre, recentré l'attribution de CES sur les publics prioritaires et les « employeurs luttant efficacement pour l'insertion », se laisse des marges de manœuvre. « Nous adapterons au fur et à mesure des besoins notre budget aux nécessités », a-t-il expliqué à l'automne. Autre illustration de cette méthode louvoyante, l'État a d'abord décidé de réduire sa part de financement des CES à 85 %, voire 65 %, contre 90-95 % auparavant. Mais un mois à peine après l'avoir signalé par voie de circulaire, le ministère a fait marche arrière, rétabli un taux de prise en charge de 90-95 % pour certains CES… jusqu'en juillet 2003, laissant aux directions départementales du travail le choix de cette majoration.

Alors, rupture dans la politique de l'emploi ? « On est plutôt, à ce stade, dans le domaine de l'inflexion et des réglages, si l'on excepte la fin du programme emplois jeunes ou l'assouplissement des 35 heures. Certes, le nouveau gouvernement a renforcé le traitement économique du chômage en multipliant les exonérations de charges et baissé en les recentrant les mesures d'emplois aidés. Mais, en 1997, le gouvernement Jospin avait fait de même, dans une moindre mesure », reprend Dominique Balmary. Dans l'entourage de François Fillon, on impute d'ailleurs les coupes dans les crédits de l'emploi aux contraintes budgétaires : ayant dû lâcher beaucoup de lest sur les allégements de charges liés à la sortie des 35 heures et des multiples smics, Bercy se serait montré drastique sur les chapitres où il y avait des marges d'intervention.

Précipitation et tâtonnements

François Fillon a dû aussi tenir compte du mécontentement du secteur de l'insertion, qui dénonçait, fin 2002, la précipitation, l'absence de concertation et des « mesures d'attente ». « On a du mal à discerner quelles sont les orientations », souligne Philippe Louveau, du réseau des chantiers d'insertion, néanmoins soulagé du recentrage décidé par le gouvernement. « S'il n'était pas revenu sur sa décision, beaucoup de chantiers d'insertion se seraient retrouvés au tapis. Baisser le financement des contrats aidés, sans laisser le temps de trouver des financements de substitution, c'était mettre en péril nombre de chantiers et, par ricochet, de parcours d'insertion. » De fait, près de 60 000 personnes en CES ou en contrat emploi consolidé (25 % du volume total), en majorité des RMIstes, reprennent pied dans l'emploi au sein des chantiers. Mais, face à la baisse du volume de CES, beaucoup craignent sur le terrain des empoignades avec les collectivités ou les hôpitaux, qui en sont de gros consommateurs.

Mais c'est la mort programmée du dispositif emplois jeunes, lancé en grande pompe par Martine Aubry au moment où le chômage des jeunes atteignait un niveau record, qui suscite le plus d'inquiétudes. Encore une fois, le gouvernement a donné le sentiment de tâtonner, en accordant un traitement de faveur à l'Éducation nationale, qui a prolongé jusqu'en juin les contrats de 20 000 de ses 60 000 aides-éducateurs. Même sort pour les 14 000 adjoints de sécurité du ministère de l'Intérieur. Mieux, en annonçant une « sortie progressive » du dispositif, les derniers contrats prenant fin en 2007, François Fillon a repris le dispositif de consolidation mis au point par Élisabeth Guigou pour aider les associations n'ayant pu obtenir l'autonomie financière des nouveaux services lancés grâce aux emplois jeunes.

Reste que les moyens ont été revus à la baisse. « La dotation ne permet d'accorder une aide qu'à 25 % des associations au plus qui ont besoin d'un soutien », note Hubert Prévost, président de la Conférence permanente des coordinations associatives. Or 36 444 contrats emplois jeunes arrivent à terme dans les associations cette année. Et la circulaire d'application n'était toujours pas publiée fin décembre, donnant des sueurs froides à nombre d'employeurs associatifs. Comme Pulsar, qui fait la chasse aux incivilités et à la violence avec ses 80 agents de prévention, à pied d'œuvre dans les bus et les trams de l'agglomération strasbourgeoise, et ses équipes de correspondants de nuit gérant les conflits de voisinage dans les quartiers sensibles de Strasbourg (Hautepierre et cité de l'Ill) et de Schiltigheim (cité des Écrivains). « Trente-quatre contrats arrivent à terme en mars. L'équipe de médiation va se retrouver amputée de 60 % de ses effectifs », s'agace Jacques Bresson, son dirigeant. Même crainte à l'association Le Chaînon manquant, qui permet en Alsace à 186 enfants handicapés de rejoindre les bancs de l'école grâce à ses 130 auxiliaires de vie scolaire. « Comment allons-nous continuer de répondre à la demande de nos parents avec 40 % d'effectifs en moins en 2003 ? » commente Élisabeth Kruczek, sa présidente.

Le Civis, clone de l'emploi jeune

Qu'à cela ne tienne, François Fillon s'apprête à mettre en œuvre un clone des emplois jeunes, mais moins ambitieux que la copie originale : le contrat d'insertion dans la vie sociale. Promis par le candidat Chirac, le Civis, attendu en janvier, ne devrait pas, vu le calendrier parlementaire, être opérationnel avant plusieurs mois (dans la version initiale, 30 000contrats étaient prévus en 2003 et 100 000 à terme). Il devrait permettre de compenser la perte de certains emplois jeunes, mais pas seulement. Outre le volet « emplois d'utilité sociale dans les associations » (pris en charge en partie par l'État), il servirait aussi de support à un « accompagnement vers la création et la reprise d'entreprise », ou « vers l'emploi »... reprenant ainsi le dispositif Trace, mis en place par Martine Aubry pour les jeunes très désocialisés. Autre analogie avec les emplois jeunes : le Civis serait étendu à l'Éducation nationale pour 5 000 contrats concernant des postes de surveillants ou d'éducateurs et, dans ce cas, pris en charge financièrement à 100 % par l'État. Cherchez la différence !

Quant au RMA (revenu minimum d'activité), qui pourrait être adopté d'ici à fin 2003 pour « responsabiliser les allocataires » du RMI et non les « sanctionner », il devrait s'appuyer sur le dispositif si décrié par le gouvernement des contrats emploi solidarité. Autant dire que, même repeinte aux couleurs d'un libéralisme tempéré, la politique publique de l'emploi ne bouge qu'à la marge. Pour l'instant.

Radiations de chômeurs à tour de bras

La nouvelle a cueilli à froid le gouvernement à son retour de vacances : après trois mois de stabilisation, le chômage est reparti à la hausse en novembre (+ 0,6 %). Et ce n'est qu'un début selon l'Insee, qui table sur un regain du chômage au premier semestre 2003, avec un taux de 9,3 % de la population active en juin. Fini, donc, « l'état de grâce » qui, sur le front de l'emploi, a accompagné les premiers pas du gouvernement et en a étonné plus d'un, l'économie faisant du surplace.

Il faut dire que l'explosion spectaculaire des radiations dans les fichiers de l'ANPE est tombée à pic. De quelque 17 000 début 2001, elles sont passées à près de 30 000 en novembre. Et en 2002 elles ont dépassé les 335 000, soit 64 % de plus qu'en 2001 !

Pour l'ANPE, l'explication a pour nom « plan d'aide au retour à l'emploi ». « Dans le cadre du Pare, qui se décline en PAP (plan d'aide personnalisé), chaque demandeur d'emploi doit se présenter au moins une fois par semestre dans son agence. Multiplier les convocations, c'est multiplier le nombre de non-présentations, et donc de radiations. » D'autant que l'ANPE a informatisé ses méthodes. Sitôt le PAP signé, voilà le chômeur entré dans la mémoire du logiciel. Il sera ainsi convoqué pour des entretiens et réunions. S'il ne répond pas, il reçoit une lettre d'avertissement, à charge pour lui de se justifier sous quinzaine. Faute de quoi il reçoit une seconde lettre l'avertissant de sa radiation. « Même si la lettre est faite de manière automatique, le directeur de l'agence a donné son accord au préalable.

L'humain décide, non la machine », commente l'ANPE. Ce n'est pas l'avis du Syndicat national unitaire (SNU). « On est dans une mécanique de gestion administrative, loin de la prise en compte des problèmes individuels des demandeurs d'emploi », note Noël Daucé, du SNU-ANPE. Et de pointer les « mesures punitives » générées par ce dispositif. Car « le nombre de radiations faisant suite à un refus d'emploi ou de formation est très faible ». Réponse en février : l'ANPE attend les résultats d'une étude sur les motifs des radiations.

Auteur

  • Anne Fairise