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Enquête

DES BASSINS D'EMPLOI QUI SOUFFRENT

Enquête | publié le : 01.02.2003 | Valérie Devillechabrolle, Stanislas du Guerny, Hubert Heulot, Frédéric Rey

Sur le terrain, milieux économiques et collectivités locales ont bien du mal à faire face à la défaillance souvent brutale des employeurs. Enquête à Soissons, Lannion, Cholet et Vire, où l'on panse les plaies du tissu industriel en cherchant à attirer de nouveaux emplois.

Textile, chaussure, métallurgie, équipements automobiles, télécommunications, ameublement, abattage… Partout les restructurations vont bon train, frappant au cœur les régions trop dépendantes d'une filière ou d'un secteur d'activités. Dans les Vosges, le taux de chômage a ainsi progressé de 14 % entre 2001 et 2002. Après la crise du textile et du meuble s'annoncent aujourd'hui des difficultés dans la métallurgie, où les entreprises commencent à recourir au chômage partiel. Pour Claude Viet, P-DG d'Europe Airpost, chargé par le gouvernement d'animer une cellule de veille interministérielle, les solutions traditionnelles ne suffisent plus face à ces nouvelles menaces sur l'emploi : « Elles reposent toujours sur l'idée que les restructurations sont un événement exceptionnel. Ainsi, lorsque des projets de réindustrialisation sont mis en œuvre, il faut généralement attendre plus de deux ans avant que ces nouveaux emplois profitent aux personnes qui ont perdu leur emploi. Pour éviter de répéter des erreurs du genre Moulinex, il est désormais nécessaire de construire des dispositifs permanents adaptés à une économie de l'incertitude et de la mobilité, en nous donnant les moyens d'aller plus vite dans l'anticipation. »

Deux outils permettraient, selon lui, de prévenir efficacement ces mutations. Tout d'abord, la création d'observatoires régionaux qui auraient pour mission d'analyser les évolutions des différents secteurs d'activités afin d'anticiper les difficultés à venir. Leurs travaux aideraient à mettre les qualifications professionnelles des salariés en adéquation avec les mutations économiques en cours. L'autre instrument, plus spécifiquement destiné aux PME, serait la mise en place de tableaux de bord permettant de détecter les problèmes de ces entreprises et les risques d'accident à l'échéance d'un an. « Pourquoi ne pas imaginer aussi, dans les situations de forte crise, une démarche comparable aux plans Orsec ou Polmar, s'interroge Claude Viet, car il n'existe pas de mesure équivalente dans le domaine social. » Ces dispositifs pourraient rapidement montrer leur utilité. Près de 70 bassins d'emploi, dont certains en situation de monoïndustrie, vont être en effet confrontés à des difficultés importantes dans les mois à venir. Comment s'organise sur le terrain la contre-attaque face aux restructurations destructrices d'emplois ? Coup de projecteur sur quatre de ces bassins.

Soissons

Le sud de l'Aisne paie la facture de sa trop tardive conversion

À Soissons, on l'appelle l'« avenue des sinistrés » ! Trois des quatre entreprises qui ont annoncé leur fermeture, au printemps 2002, entraînant le licenciement sec de 580 salariés en l'espace de quinze jours, sont en effet installées le long de cette portion de nationale reliant la sous-préfecture de l'Aisne à Reims. Sept mois après, il ne subsiste plus de BSL (l'ex-fleuron de la chaudronnerie fine soissonnaise, victime de la chute de ses marchés dans le nucléaire) que des locaux désaffectés. En face, sa filiale Berthier vient de fermer à son tour, après sa mise en liquidation mi-janvier. À quelques centaines de mètres de là, les salariés d'A & R Carton font de la résistance. Livrés à eux-mêmes depuis que leur propriétaire suédois les a lâchés, ils continuent, sous l'égide de la CGT, à occuper, jour et nuit, l'un des deux sites de cette imprimerie. « Pour mettre l'outil industriel à l'abri des pillages », précise Alain Beaudon, chef de file de la CGT, qui travaillait ici depuis quarante ans. Quant à Pecquet Tesson, l'ancienne fabrique de bouteilles de gaz installée à l'autre bout de la ville, « il y a longtemps que ce n'était plus une entreprise, mais un musée, tant ses installations étaient vétustes », reconnaît Jean-Marie Paulin, l'élu PS qui préside la communauté d'agglomération du Soissonnais.

Prévisible ou pas, le coup est rude pour le bassin d'emploi. D'autant que cette nouvelle vague de désindustrialisation intervient moins de deux ans après la déconfiture de Wolber, filiale de Michelin. Les friches industrielles laissées par le dernier fabricant européen de pneus de vélo témoignent de la déchirure brutale faite au tissu local. Arrivé peu après la fermeture de Wolber, Frédéric Sienko, le directeur de l'agence locale de l'ANPE, a pu en mesurer l'impact sur les chiffres du chômage : « Alors qu'en 1998 Soissons affichait, avec 13,7 % de demandeurs d'emploi, le deuxième meilleur taux d'emploi du département, elle se retrouve désormais à la traîne, juste devant la ville de Saint-Quentin, sinistrée par la crise du textile. » Dans cette agglomération semi-rurale de 50 000 habitants, cette série noire a fait l'effet d'un électrochoc. « Entre 1990 et 1997, le chômage avait déjà beaucoup augmenté mais personne ne s'en était soucié, se désole Alain Dessein, de la section locale CFDT. La disparition de Wolber a, en revanche, affolé tout le monde à cause de la taxe professionnelle perdue. Cela a permis de poser enfin la question du développement économique local. »

Il était temps ! Car, avec la politique « malthusienne » conduite par les prospères betteraviers et céréaliers qui ont longtemps dominé la région, « le territoire était bien mal préparé à l'inéluctable diminution des emplois industriels », reconnaît Jean-Marie Paulin, citant des projets d'installation de Renault et de Colgate boudés par les élus… Ou encore les bâtons dans les roues mis par le tribunal de commerce au projet de reprise d'A & R Carton déposé par d'anciens salariés.

Depuis Wolber, la communauté d'agglomération essaie d'inverser la tendance. Non sans mal. Deux ans et demi de palabres ont été nécessaires pour libérer les terrains destinés à l'aménagement d'une nouvelle zone industrielle de 158 hectares. Sa commercialisation devrait enfin débuter cette année. Pour quels emplois ? « On n'a pas les moyens de faire la fine bouche ! » s'exclame Jean-Marie Paulin. Autre projet en souffrance, celui de l'aménagement de l'ancienne caserne, désertée par l'armée depuis une dizaine d'années. « C'est un pari fou qui vise à transformer Soissons en capitale du logiciel libre, via la création d'un centre européen de certification du logiciel libre, d'une technopole et de centres de formation en lien avec les universités d'Amiens et de Compiègne, de logements et d'un hôtel digne de ce nom ! » s'enthousiasme Jean-Marie Paulin. En attendant, le projet concocté par l'architecte parisien Jean-Michel Wilmotte, fils d'un pharmacien de Soissons, « ne sortira pas de terre à temps pour reclasser les gens », observe Jean-Yves Kerhervé, ancien secrétaire CGT du comité d'entreprise d'A & R Carton.

Constatant la défaillance des employeurs, l'État, la région et le conseil général de l'Aisne se sont, avec le concours de fonds sociaux européens, mobilisés pour concocter un plan social trois-étoiles pour les quatre entreprises : mesures d'âge exceptionnelles à 53 ou 54 ans, réindustrialisation et aides au reclassement et à la mobilité confiées à la Sodie. Des possibilités de reclassement existent, « mais à la condition de faire sa valise, car il n'y a rien à moins de 100 kilomètres à la ronde », reprend Jean-Yves Kerhervé. Une cinquantaine d'anciens de BSL ont déjà sauté le pas en répondant favorablement à des offres en provenance d'Arles, Lyon, Grenoble ou Reims… Mais « si 300 familles s'en vont, cela aura des effets sur le commerce de Soissons », s'inquiète Jean-François Javier, secrétaire général du Medef Sud Aisne. « Dans nos métiers d'imprimeurs, c'est beaucoup plus dur de retrouver du travail », observe le délégué CGT d'A & R Carton, Alain Beaudon, qui se bat depuis cet été à la tête d'un petit groupe de salariés pour défendre un projet de reprise déposé par un négociant du Nord. Il pourrait, selon lui, sauvegarder 26 emplois, voire 70 à terme. « Sur 110 à reclasser, ce n'est pas négligeable. »

En dehors de quelques formations longues financées sur le plan social, les emplois proposés, en particulier dans la logistique et le transport, ne suscitent pas l'enthousiasme des licenciés : « On ne va pas cracher dans la soupe, mais pour des imprimeurs ou des chaudronniers, cela ne représente pas des savoir-faire », se désole Alain Beaudon. Chef de mission reclassement de la Sodie, Joëlle Bianchini-Mallet se montre optimiste : « On aura toujours des emplois à proposer aux licenciés, car Soissons n'est pas le fin fond de la Creuse et Roissy n'est qu'à 70 kilomètres. Mais à la condition toutefois que les pesanteurs locales ne viennent pas freiner l'efficacité de notre action. » Les élus du Soissonnais sont au pied du mur…

Lannion

Se sortir du marasme des télécommunications

Il n'aura pas fallu plus de six mois pour que le rêve se transforme en cauchemar. Au début de l'année 2002, le secteur des télécommunications employait encore plus de 7 000 salariés à Lannion, devenue en moins de dix ans la capitale européenne des technologies optiques. Mais, dans le courant de l'été 2002, le retournement brutal du marché des télécoms s'est traduit par 1 700 suppressions d'emplois dans cette petite ville bretonne de 25 000 habitants. En particulier chez Highwave Optical Technologies, qui a multiplié les plans sociaux pour ramener ses effectifs de 1 000 à… une soixantaine de personnes. Spécialisée dans les fibres optiques, cette start-up créée en 2000 à partir d'un transfert de technologies de France Télécom n'a pu surmonter les baisses de commandes de l'italien Marconi, son principal client. Autre victime de la crise des télécommunications marquée par l'arrêt des investissements mondiaux dans les réseaux, la société américaine Corvis-Algety s'est séparée d'une centaine de collaborateurs pour tomber à moins de 50 personnes. Quant à l'usine Alcatel Optronics de Lannion, elle a maintenu son effectif autour de 300 personnes mais doit impérativement réussir sa diversification, notamment dans le domaine médical, pour conserver une chance de survie ! Enfin, Lucent a fortement réduit son implantation lannionnaise alors que Siemens a mis un frein à ses projets d'investissement.

Autant dire que ces restructurations massives ont porté un rude coup aux sociétés de services en informatique et aux sous-traitants de l'électronique. Des effets induits qui se mesurent aujourd'hui dans les statistiques de l'ANPE. « Le taux de chômage à Lannion a augmenté de 25 % au cours des dix-huit derniers mois », note-t-on à la section locale CFDT. Certes, la ville a un genou à terre, mais elle ne s'avoue pas vaincue. « Nous avons su surmonter d'autres crises », affirme Patrick Jézéquel, directeur de l'Agence de développement industriel du Trégor (Adit), rappelant les 2 500 licenciements intervenus dans l'industrie du téléphone à la fin des années 80. Rodée aux campagnes de diversification, l'agence explore de nouvelles pistes, notamment dans le secteur des industries du plastique. Mais Patrick Jézéquel estime que « les compétences locales en télécommunications doivent être maintenues pour préparer à la reprise ». C'est pourquoi l'Adit accompagne financièrement les projets innovants comme celui de Raymond Le Bras, un spécialiste parisien des lasers optiques, qui vient de créer la société Oxxius spécialisée dans le biomédical et les télécommunications.

Pour utiliser pleinement le potentiel technologique de la région en matière de fibre optique, les pouvoirs publics et les collectivités territoriales ont mis en place le Pôle de ressources emploi-formation industrielle de Lannion (Prefil), chargé principalement de favoriser le reclassement des quelque 670 salariés restés sur le carreau après les déboires des entreprises de télécoms. Une trentaine de jeunes désormais sans emploi se sont inscrits à l'IUT de Lannion afin de préparer une licence d'optronique. Doté d'un budget de 500 000 euros, le Prefil est piloté par cinq permanents sous l'autorité du préfet, mais aussi du syndicat professionnel de la métallurgie. L'objectif est de monter rapidement des projets de réindustrialisation pour éviter des dommages collatéraux. Car un promoteur immobilier de Saint-Brieuc a déjà annulé un programme de bureaux prévu dans la zone d'activités de Pégase, à Lannion.

Toute la région croise également les doigts pour que France Télécom, qui a récemment fermé son centre de recherche spatiale de Pleumeur-Bodou, continue d'investir dans son centre de recherche et développement de Lannion. Véritable poumon de l'économie locale, il emploie 1 500 personnes, essentiellement des ingénieurs et des cadres. En guise d'avertissement, l'association Trégor Debout a organisé, en fin d'année dernière, une manifestation qui a réuni 7 000 personnes venues de tous les horizons interpeller la Commission européenne sur la situation particulière du Trégor.

Loin de céder au défaitisme, les élus de Lannion mettent en avant les nouvelles infrastructures susceptibles d'entraîner le sursaut de l'agglomération. La ville vient de gagner son désenclavement ferroviaire avec l'électrification des 30 kilomètres de la ligne Guingamp-Lannion. En matière de route, elle achève un axe rapide à deux fois deux voies, et gratuit, sur le même parcours. Reste les liaisons aériennes. Si Air Lib assure encore – mais pour combien de temps ? – une desserte quotidienne de Paris, France Télécom a supprimé le vol quotidien qu'il exploitait en direct entre la capitale et l'aéroport de Lannion-Trégor.

Cholet

Des salariés de la chaussure trop longtemps négligés

À Cholet, personne n'ose dire quand s'arrêtera l'hémorragie dans l'industrie de la chaussure. Dans ce fief historique de tisseurs et de tanneurs qui représente encore près de la moitié de la production française, 2 000 emplois ont disparu en deux ans chez Polygone, SAC ou Pindière. Les effectifs du secteur sont tombés de 12 000 à 8 000 et devraient fondre encore. Selon la chambre de commerce et d'industrie de Cholet, la chaussure demeure, certes, le deuxième secteur industriel local, mais avec seulement 15 % des actifs contre… 60 % il y a vingt ans. Il n'empêche, en sollicitant les autres entreprises de main-d'œuvre du Choletais, la plate-forme de reconversion professionnelle des industries de la mode du bassin de Cholet aura replacé près de 1 000 salariés de la chaussure en deux ans. Cette structure dirigée par Pierre Emeriau affiche ainsi un taux de réussite de 67 % depuis sa création il y a deux ans.

Une performance surprenante vu les moyens mis en œuvre : détaché à plein temps de l'Agence nationale pour l'emploi, Pierre Emeriau ne dispose même pas d'une secrétaire. Il est simplement aidé par un psychologue du travail à mi-temps, mis à disposition par l'Afpa. Ce dispositif s'est en tout cas révélé efficace. « Tout passe par moi. Les décisions sont vite prises. Je sais jusqu'où les administrations pourront suivre », souligne Pierre Emeriau. La plate-forme coordonne les différentes cellules de reclassement, dont dix-huit ont vu le jour en deux ans. Elle peut notamment débloquer des aides exceptionnelles versées par le département du Maine-et-Loire pour permettre aux salariés de se déplacer et des aides à la formation financées par la région des Pays de la Loire. « Quatre cents dossiers de financement de formations ont été signés. La totalité des frais de formation à la profession d'aide-soignante a, par exemple, été obtenue pour d'ex-ouvrières de la chaussure. En dehors de la plate-forme, cela n'aurait pas été possible », indique Pierre Emeriau.

Les deux responsables de la structure choletaise n'ont pas ménagé leur peine. Ils ont multiplié les visites dans les ateliers et observé les procédés de fabrication « afin de changer des métiers d'hommes en métiers ouverts aux femmes ». Car le développement de l'emploi féminin constituait l'un de leurs principaux défis. Les entreprises de la chaussure emploient en effet 70 % de femmes. Dans presque toutes les branches, la mécanique de précision, la plasturgie, la menuiserie industrielle ou l'agro-alimentaire, ils ont fait accepter l'arrivée de femmes à des postes nouveaux. Même si les entreprises ont dû surmonter leurs réticences ou investir dans un porte-charge ou un élévateur mécanique supplémentaire. Dans ce bassin de petites communes vivant autour d'« usines à la campagne », la démarche a payé. La preuve : le taux de chômage s'est stabilisé autour de 6 %. « On doit ce résultat à la diversité des secteurs d'activité et à l'esprit industrieux de la région. Ici, on travaille dur, même si les salaires ne sont pas élevés », indique Pierre Emeriau. Et les autres secteurs réclament ces ex-salariées de la chaussure qui « savent travailler ».

Mais, vu l'ampleur des restructurations, cette stratégie « de fourmi » risque bien de ne plus suffire. « J'ai 400 personnes à reclasser dans deux cantons seulement. Alors que jusqu'ici les salariés se répartissaient dans six ou sept cantons », s'inquiète Pierre Emeriau. D'autant qu'après trente ans sans formation la plupart des employés de la chaussure sont réembauchés à l'extérieur à des postes de niveau inférieur et à des salaires moindres. « Ils sont voués à monter les premiers dans les futures charrettes. Et ainsi de suite… », souligne un conseiller de l'ANPE. La plate-forme de reconversion les incite donc à repasser par la case formation. Mais les syndicats demandent aussi aux entreprises un véritable travail d'« anticipation » et de « prévention des licenciements » par un effort de formation. Notamment par la montée en charge des procédures de validation des acquis. Cela vaut en particulier pour les 40 % de salariés qui perdent leur emploi en dehors de toute procédure collective. Une demande syndicale qui commence à être entendue. Car les acteurs économiques du Choletais sont bien conscients qu'un bassin d'emploi à la population vieillissante et peu qualifiée réduit ses chances d'accueillir de nouvelles activités à plus forte valeur ajoutée.

Vire

Accumulation de mauvais coups et manque d'anticipation

Les mœurs évoluent, les listes de mariage aussi. La traditionnelle ménagère que l'on offrait aux jeunes mariés ne fait plus recette. La société Guy Degrenne, spécialiste des arts de la table, l'a appris à ses dépens. Dans les couverts, ses ventes ont diminué de 15 % alors que l'entreprise doit faire face à une concurrence asiatique de plus en plus rude. Après avoir fermé son établissement historique de Sourdeval et s'être séparée des boutiques déficitaires, elle a annoncé la suppression d'une centaine d'emplois. Un mauvais coup pour le bassin de Vire dont l'entreprise est, avec ses 714 salariés, le premier employeur. Cette sous-préfecture, située au milieu du bocage normand entre Caen et Rennes, semble pourtant témoigner d'une belle vitalité. La zone industrielle est promise à de nouvelles extensions. Et le taux de chômage (7,1 %) reste inférieur à la moyenne nationale. Mais, en 2002, les inscriptions à l'ANPE ont augmenté de 13 %. Une des plus fortes hausses enregistrées dans le département.

L'inquiétude est d'autant plus vive que la Basse-Normandie vit à l'heure des restructurations chez Moulinex, Philips, Bosch, Cogema ou encore chez Faurecia, où 250 intérimaires ont été renvoyés. « Nous sommes au croisement de plusieurs zones en difficulté, souligne Brigitte Bourry, directrice de l'ANPE de Vire. Or la situation dans les bassins limitrophes n'est pas meilleure qu'ici. »Ce qui s'est ressenti lors du reclassement des salariés de Sylea. En 2000, lorsque le groupe Valeo, propriétaire de cette usine spécialisée dans le câblage, annonce sa délocalisation au Maroc, tous les moyens sont mis en œuvre pour limiter les dégâts : appel à deux sociétés de reconversion, l'une pour le personnel, l'autre pour la réindustrialisation du site.

L'antenne de reclassement mise en place pour les salariés de l'équipementier automobile a fermé ses portes en décembre 2002 avec, comme chez Moulinex, un résultat très mitigé. Sur les 265 salariés, une soixantaine restent sans autre solution que l'Assedic et 60 autres sont en contrat à durée déterminée ou en mission d'intérim. « J'ai frappé à la porte de six entreprises et pas seulement pour des postes correspondant à mon métier d'origine, mais aussi dans la chocolaterie ou la fabrication de fromage pour pizzas. Mais je n'ai toujours pas de solution en vue, raconte Jacqueline Huard, ancienne salariée de Sylea. Et aujourd'hui on me reproche de faire la fine bouche parce que je refuse des CDD… »Elle ajoute que hormis les formations pour améliorer la qualité ou les rendements, durant les dix ans qu'elle a passés à Sylea, elle n'a bénéficié d'aucun stage qualifiant.

Cette colère, Jean-Pierre Brunet, le responsable de l'Union CFDT de la métallurgie pour la Basse-Normandie, la partage d'autant plus que le risque de délocalisation de Sylea était connu depuis longtemps. « Depuis plusieurs années, nous avions pointé la concurrence des pays à faible coût de main-d'œuvre dans les activités de câblage et les conséquences sur la pérennité de ces activités à Vire. Le bassin est d'ailleurs aujourd'hui une parfaite illustration des problèmes rencontrés actuellement par les entreprises. » Après la perte d'un marché avec Alcatel, le groupe Ariès, spécialisé dans l'équipement auto et la téléphonie, se trouve aujourd'hui en dépôt de bilan. « Le site de Vire, qui travaille pour Renault, Mercedes et PSA, n'est pas directement menacé, précise Brigitte Marie, déléguée CFDT, mais l'avenir dépend du profil du repreneur. »

Chez Filtrauto, un autre équipementier, ce sont les évolutions technologiques qui suscitent des inquiétudes. « Nous allons fabriquer dans les deux ans à venir 40 % de cartouches en moins, explique Serge Guilloche, de la CFDT. Nous sommes persuadés que nous allons vers des suppressions d'emplois, mais à quelle échéance ? » Le syndicat des Métaux plaide depuis longtemps pour la création d'un observatoire régional destiné à anticiper les mutations.

À la mairie, on trouve l'idée intéressante, mais difficilement réalisable. « Je n'ai pas encore trouvé d'exemple d'une telle structure démontrant son efficacité, souligne Jean Fédini, ancien préfet à la retraite, aujourd'hui premier adjoint chargé du développement économique. Il faudrait pouvoir pêcher les informations dans les entreprises, ce qu'elles risquent de percevoir comme une ingérence. » La municipalité se veut rassurante sur l'avenir : « Cinq cent cinquante emplois vont être créés dans les années à venir », précise l'élu. Une vingtaine d'emplois devaient l'être chez Ariès avant que le groupe ne dépose le bilan. Quant au fabricant de fromage Parmalat, son arrivée est annoncée, mais le chantier n'a toujours pas démarré.

« La plupart de ces emplois, s'ils voient le jour, ne profiteront pas aux salariés de Sylea, regrette Jean-Pierre Brunet. On persiste dans les solutions traditionnelles en traitant les restructurations à chaud, une fois qu'il est trop tard. » À Vire, l'année a bien mal commencé. On s'attend à une autre fermeture : celle du commissariat, prévue dans le cadre du redéploiement des forces de police et de gendarmerie.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Stanislas du Guerny, Hubert Heulot, Frédéric Rey