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Débat

Comment sauver le système hospitalier ?

Débat | publié le : 01.02.2003 |

Des urgences saturées, des services fermés par manque de personnel, des médecins et des infirmières découragés… l'hôpital est malade. Pour endiguer la crise, le ministère de la Santé table sur une relance des investissements, un assouplissement des 35 heures et une autonomie accrue des agences régionales de l'hospitalisation. Est-ce le bon remède ? Trois orfèvres exposent leur vision d'une nécessaire réforme hospitalière.

« Il faut tout d'abord diminuer le nombre d'établissements et donner la gestion aux médecins. »

BERNARD DEBRÉ

Chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin.

Il y a plus de vingt ans, l'hôpital entrait dans une zone de turbulences que certains prévoyaient, mais que la plupart des hommes politiques niaient. Après de longues années d'aveuglement volontaire, comme aucun véritable traitement n'a été entrepris, la crise est là, violente et dévastatrice. Pour bien l'évaluer, il faut s'en tenir aux faits. L'hôpital est déserté par les médecins. Il est à l'heure actuelle impossible de recruter un gynécologue-obstétricien, un anesthésiste-réanimateur ou un chirurgien généraliste. L'hôpital est également déserté par les infirmières, qu'il a fallu faire venir d'Espagne pour combler les vides. L'hôpital, du moins certains petits établissements, sont désertés par les malades, tandis que d'autres sont surchargés. L'hôpital est vétuste : seulement un quart des 1 000 hôpitaux sont neufs ou rénovés. Si le constat est sans appel, ses causes sont connues. Tout d'abord, il y a trop de lits, mal répartis. Plus d'un lit pour 100 Français, deux à trois fois plus qu'en Grande-Bretagne ou qu'aux États-Unis. Les médecins et les infirmières sont mal payés, beaucoup moins que dans tous les pays européens, et sont soumis à une administration tatillonne et pléthorique. Le nombre d'administratifs a souvent été multiplié par cinq ou dix ces dernières années. S'il y a trop d'hôpitaux, suradministrés, ils sont impossibles à gérer. Chaque année, les budgets sont augmentés de 0,5 à 3 %. Un taux quasiment uniforme, que l'hôpital soit actif ou non. Compte tenu de l'inflation, des augmentations automatiques de salaire, les budgets diminuent en réalité de 0,5 à 3 % par an. Et voici maintenant les 35 heures, une mesure idéologique et stupide qui a probablement donné le coup de grâce à l'hôpital.

Il faut donc une grande réforme hospitalière, qui doit s'inscrire dans celle de notre système de soins. Ses axes sont clairs. Il faut tout d'abord diminuer le nombre d'établissements. Certains hôpitaux de proximité sont devenus dangereux. Les gestes techniques demandent de l'expérience et du matériel performant. Quant aux urgences, elles sont maintenant traitées par des centres spécialisés, dotés de médecins et d'infirmiers entraînés. Il faut donc transformer en établissements de moyen ou de long séjour près de 30 % de nos hôpitaux de soins aigus, puis confier la gestion des hôpitaux aux régions.

Il faut avoir le courage politique de diminuer de façon drastique le nombre d'administratifs et donner la gestion hospitalière aux médecins. De toute évidence, il faut « sortir » le maire ou les élus du conseil d'administration de l'hôpital, qui n'ont aucun véritable pouvoir… Il faut redonner aux chefs de service leur véritable fonction. Il serait naturel qu'elle soit contractuelle et évaluée périodiquement. En contrepartie, le chef de service doit définir et gérer son budget, recruter et gérer son personnel, proposer et avoir les moyens d'appliquer son projet de service, ce qui est actuellement impossible. Il faut redéfinir les réseaux hospitaliers. Les services ne seraient plus enfermés dans un hôpital, mais engloberaient plusieurs entités géographiquement distinctes. Il faut enfin que la médecine de ville intègre l'hôpital public. Les médecins libéraux doivent avoir des vacations à l'hôpital. Cette réforme est nécessaire et urgente. Car ne rien faire serait tuer définitivement notre système hospitalier public.

« Il faut doter les hôpitaux des structures classiques des entreprises. »

JEAN DE KERVASDOUÉ

Titulaire de la chaire d'économie et gestion des services de santé au Cnam.

Oui, on peut sauver le système hospitalier. Le fera-t-on dans les mois qui viennent ? Cela parait peu vraisemblable. L'État, les acteurs du système de santé et l'opinion publique devraient, pour y parvenir, changer leur manière d'analyser cette « crise ». Tout commence par une erreur de diagnostic. Avant la mise en place des 35 heures et de la directive européenne sur le plafonnement de la durée hebdomadaire du travail, la crise avait, dit-on, deux composantes. L'une financière : les hospitaliers sont mal payés ; l'autre démographique : les professionnels de santé ne sont pas assez nombreux pour répondre aux besoins. Entre 1985 et 2000, le nombre de médecins hospitaliers a augmenté de 24 %, celui des infirmières a doublé ! Nous ne disons pas qu'il y a trop de médecins ou d'infirmières, nous constatons simplement qu'il y en a plus qu'il y a dix-sept ans, sans tenir compte des ouvertures de postes annoncées.

En ce qui concerne les salaires, avant les très substantielles augmentations récentes, les médecins hospitaliers étaient la catégorie professionnelle dont le revenu avait le plus augmenté. Si l'on prend pour base 100 le pouvoir d'achat des revenus de 1985, les agents de l'État atteignent l'indice 109 en l'an 2000, les salariés du secteur privé 112, les infirmières salariées 121 et les médecins hospitaliers du secteur public 165 !

Soyons sérieux. On peut continuer à jeter l'argent que l'on n'a pas pour tenter de résoudre une crise qui n'est pas financière. L'hôpital est un mélange de rigidité bureaucratique et de désorganisation. Une grande partie de la politique hospitalière est définie à l'échelon national. Le ministre de la Santé nomme les chefs de service de chaque hôpital. Tous les agents ont une double allégeance, à leur hôpital et à leur corps, et elles sont souvent contradictoires. La rémunération est définie par le grade et l'échelon atteints dans un statut. La fausse démocratie interne de l'hôpital, imposée par de nombreux textes, ne fonctionne pas, coûte cher et aboutit à des jeux de rôle syndicaux et statutaires sans que les véritables sujets soient abordés ! Les hôpitaux croulent sous des réglementations aussi nombreuses qu'inapplicables en vertu d'un absurde principe de précaution…

Que faire ? Décentraliser vraiment ; assouplir ; abandonner toutes les règles dont l'efficacité n'a jamais été démontrée ; contrôler les hôpitaux non plus sur l'application de procédures, mais sur la qualité des soins qu'ils prodiguent et leur efficacité ; instaurer le paiement à l'activité ; accepter que les salaires soient négociés ; revenir aux structures classiques des entreprises avec, pour seul ajout, la commission médicale d'établissement, dont le président serait nommé par le conseil d'administration (CA) et non plus élu par ses pairs ; donner la responsabilité civile et pénale au président du CA et le rémunérer… En attendant, le ministère de la Santé s'immisce de plus en plus dans la vie des établissements et, paradoxalement, il ne peut pas les contrôler de dehors. Or c'est ce qu'on lui demanderait.

« En sortant d'une gestion publique infantilisante et d'une gestion locale clientéliste. »

ÉLIE COHEN

Directeur de recherche au CNRS.

Dans le dictionnaire des idées reçues, au chapitre hôpital public, on lisait, au moment de la réforme Juppé, qualité des soins, sacerdoce des hospitaliers, offre surabondante de lits, inégalités régionales et variabilité des coûts. Sept ans plus tard, il n'est question que de pénurie, de files d'attente, de matériel vieilli ou inadapté, de « lutte des classes » entre des professionnels démotivés. Même la sécurité du patient serait en cause. Que s'est-il donc passé ? Le diagnostic est complexe, mais l'hôpital souffre d'abord de « malgouvernance publique ». Il est victime de réformes mal conçues et non assumées. L'économie de la réforme Juppé se résume ainsi : pour rationaliser l'offre de soins et éviter d'affronter élus, syndicats et professionnels, il suffit d'objectiver la contrainte financière, de restreindre l'offre de soignants par numerus clausus, de désigner un pilote, l'ARH, et d'inciter au regroupement par des sanctions. Cette réforme a échoué pour de bonnes raisons. L'ARH a vite perdu son crédit. Des élus capables d'arrêter les fermetures décidées, des schémas grossiers et non articulés, une agence d'accréditation n'ayant pas le pouvoir de sanctionner les pratiques professionnelles inadaptées, une gestion exaspérante pour les hospitaliers, car incapable de valoriser les bonnes pratiques, il n'en fallait pas davantage pour que la paralysie et le découragement s'installent.

Après 1997, la gauche a tenté dans un premier temps de faire les 35 heures à effectifs constants, sauf pour les infirmières. Elle a tenté de troquer de meilleures conditions de vie et de salaire contre une rationalisation de l'offre hospitalière, mais elle a reculé et a fini par consentir à la revalorisation sans la restructuration. La réforme Mattei consiste aujourd'hui, pour éviter l'asphyxie des hôpitaux, à promettre une relance de l'investissement et à racheter aux soignants le temps libre accordé dans l'attente de la restructuration. Mais l'incitation en l'absence de sanction par le marché, par le régulateur indépendant ou par la défection du patient est vouée à l'échec : les moyens nouveaux calment, ils ne soignent pas. Alors que faire ? Il faut que chaque acteur réapprenne son rôle et s'y tienne. L'État est dans le sien quand il fixe le budget de la santé et les modalités de son financement. Il l'est quand il définit une politique de santé publique. L'État doit par ailleurs déléguer à une autorité indépendante les fonctions d'évaluation des pratiques médicales et des performances comparées des organisations de soins. Dans un système de soins mixte, l'État régulateur doit enfin veiller à une concurrence saine : les mêmes pathologies doivent être tarifées sur les mêmes bases dans le public et le privé, ce qui suppose d'évaluer et d'indemniser les missions de service public de l'hôpital. La région est le bon niveau pour rationaliser l'offre de soins, mettre en réseau les praticiens publics et privés et veiller à la sécurité des soins. Les hôpitaux doivent être organisés en établissements autonomes à but non lucratif, afin de les sortir d'une gestion publique infantilisante et d'une gestion locale clientéliste. Le choix pour l'avenir est simple, il est entre la quête impossible de la régulation par l'économie administrée et un système solidaire mobilisant les incitations pour responsabiliser les acteurs et orienter les comportements.