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Vie des entreprises

L'héritage social de Jean-François Bigay à Eurocopter

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.01.2003 | Isabelle Moreau

En avril prochain, le président du fabricant franco-allemand d'hélicoptères laissera une société en bonne santé financière et sociale. À son actif, une gestion souple des effectifs, un dialogue social de qualité, une politique salariale attractive. Et le pari interculturel de l'entreprise est en bonne voie.

Dans trois mois, le 1er avril, Eurocopter, le premier groupe industriel de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, va tourner une page importante de sa jeune histoire. Après quelques mois de pilotage en double commande, Jean-François Bigay va céder, en effet, à tout juste 60 ans, la présidence du premier fabricant européen d'hélicoptères à Fabrice Brégier, un quadra qui dirigeait auparavant MBDA, une autre filiale d'EADS spécialisée dans les missiles de croisière. Un événement à Marignane, siège et site principal du groupe, avec quelque 5 500 salariés sur les 10 000 personnes qu'emploie Eurocopter dans le monde, dont 4 000 en Allemagne. Car c'est Jean-François Bigay qui a porté sur les fonts baptismaux cette entreprise, née en 1992 de la fusion des activités hélicoptères du français Aerospatiale-Matra et de l'allemand DaimlerChrysler Aerospace. Cet ingénieur sorti de Sup'aéro laisse une société en bonne santé financière, qui livre chaque année environ 300 appareils civils et militaires. Marquée par plusieurs plans sociaux, la vie à Marignane n'a pourtant pas toujours été un long fleuve tranquille. Il n'empêche que le président d'Eurocopter lègue à son successeur un solide héritage social, unanimement salué en interne. À charge pour Fabrice Brégier et la nouvelle équipe de direction, puisque Marignane va également hériter d'un nouveau directeur de site et d'un nouveau DRH, de poursuivre la même voie.

1 MAÎTRISER L'ÉVOLUTION DES EFFECTIFS

Un joli succès. Avec 25 000 à 30 000 visiteurs, invités par le personnel de l'entreprise, la dernière journée portes ouvertes d'Eurocopter, le 8 septembre 2002, a battu son plein. L'occasion pour les 5 500 salariés de faire découvrir à leurs proches une entreprise qui fait désormais partie intégrante du patrimoine industriel provençal. Mais qui n'est pas, loin s'en faut, un gros recruteur local. Arrivé en 1986 à la tête de l'ancienne division hélicoptères d'Aerospatiale, Jean-François Bigay a dû mettre en œuvre, dès l'année suivante, son premier plan social. Un épisode douloureux que personne ne souhaite revivre. C'est pourquoi lorsqu'en 1996 l'entreprise a connu de grosses difficultés financières, à la suite de la chute du dollar, les organisations syndicales ont proposé d'elles-mêmes des solutions alternatives, notamment une réduction du temps de travail assortie d'une baisse des salaires, une récupération au lieu d'un paiement des heures supplémentaires et le recours aux dispositifs de préretraite (type FNE) proposés par l'État. « Il n'y a eu aucun licenciement sec », se souvient un syndicaliste. L'épisode a fait mûrir les esprits : « En matière d'embauches, nous sommes prudents. Nous voulons éviter le stop and go », explique Jean Loubat, le directeur des ressources humaines. « Si on gonfle le personnel à outrance, renchérit Christian Pastorelli, secrétaire général du syndicat CFTC des personnels d'Eurocopter Marignane, on sera à un moment ou à un autre obligé de licencier, et nous voulons éviter cela. »

Direction et syndicats sont bien sur la même longueur d'onde. Résultat, Eurocopter fait appel autant que possible à la sous-traitance, générant 20 000 emplois indirects chez ses 800 partenaires, et utilise l'intérim comme « variable d'ajustement des effectifs », explique Éric Arcamone, le directeur des relations sociales. Si José Garcia, secrétaire de la section CFDT d'Eurocopter, « comprend la position de la direction de ne pas embaucher à tout-va », il se montre en revanche plus critique sur la gestion du travail temporaire : « Un volant de 300 intérimaires, c'est beaucoup trop, on ne pourra pas tous les embaucher. » Car la politique de recrutement de l'entreprise, largement approuvée par les organisations syndicales, est très claire. Elle privilégie l'embauche des intérimaires formés par son centre technique. 95 % des jeunes embauchés sont ainsi passés par ce sas, qui constitue un bon sésame sur le CV d'un câbleur ou d'un électricien. « C'est un partenariat gagnant-gagnant pour tout le monde. Le jeune a un contrat d'intérim et il est payé pendant qu'il se forme », résume Joëlle Dousse, responsable du département compétences et formation. Dûment testés, les meilleurs d'entre eux se voient proposer un contrat à durée indéterminée. Car ici, on ne peut pas se permettre l'approximation. La sécurité et la satisfaction du client passent avant tout. Et l'enjeu est colossal : le Colibri, le plus petit des appareils assemblés à Marignane, coûte environ 1 million d'euros…

2 METTRE L'ACCENT SUR LA FORMATION

Nerf de la guerre chez Eurocopter, la formation des intérimaires assurée dans son centre est financée par les sociétés de travail temporaire. À l'instar de VediorBis. « Nous avons répondu en janvier 2002 à un appel d'offres concernant un ensemble de formations allant d'électricien câbleur à technicien d'essai en vol », explique Éric Rossello, chargé du recrutement de la zone Sud-Est pour VediorBis. « Notre but est de faire en sorte que ces personnes pas ou peu diplômées intègrent le milieu de l'aéronautique, soit chez Eurocopter, comme c'est le plus souvent le cas, soit chez l'un de ses sous-traitants. » Le fabricant d'hélicoptères y trouve largement son compte puisqu'il dispose ainsi d'un personnel formé sur mesure.

Ce mode de formation des intérimaires est d'autant plus important qu'à Marignane on ne travaille pas à la chaîne. Dans le grand bâtiment où l'on assemble des appareils « légers », comme les EC 120, EC 130 et des Écureuils, chaque compagnon – ils sont plus de 800 au total – construit sa propre machine. En moyenne, en quatre mois. « Auparavant, le travail était répétitif, explique William Scott, 51 ans, responsable de production hélicoptères légers. Mais, petit à petit, on a qualifié les personnes. Et, aujourd'hui, les compagnons peuvent tout faire sur un hélicoptère, sauf la partie sécurité. » Cet ancien compagnon qui affiche trente-trois ans de maison n'est pas peu fier de son travail : « On fait du sur-mesure, et à dimension humaine. »

Pour son personnel titulaire, l'entreprise consacre 3,7 % de la masse salariale à la formation, soit près de 1,5 million d'euros pour l'année 2002. Pour 2003, « des négociations sont engagées avec les partenaires sociaux », explique Joëlle Dousse. Les formations dispensées sont liées aux métiers d'Eurocopter, mais elles portent également sur le développement personnel et les langues, car l'anglais est la langue officielle de cette entreprise européenne.

Eurocopter développe aussi l'alternance. Assis dans l'Écureuil qu'il a construit de A à Z, Grégory, 23 ans, est arrivé il y a huit ans à Marignane par le biais de l'apprentissage, comme beaucoup d'autres jeunes âgés de 15 à 17 ans qui suivent une formation en alternance sur deux ans. À raison d'une semaine dans le centre de formation technique d'Eurocopter et de deux semaines en situation professionnelle. « On les prépare à intégrer l'entreprise », explique Bernard Dantin, responsable de la formation de ces jeunes. Le succès est au rendez-vous : entre 98 et 100 % des jeunes sont diplômés à l'issue de la formation et près de 97 % d'entre eux intègrent Eurocopter par concours. Au total, ce sont plus de 60 apprentis qui sont formés chaque année sur le site de Marignane, qui a fourni 66 meilleurs ouvriers de France en l'espace de vingt-cinq ans. Mais l'alternance s'est aussi ouverte à des titulaires de diplôme de niveau bac + 2 et plus en filières techniques, comme des DUT de génie mécanique. Une bonne façon d'apporter du sang neuf dans l'entreprise tout en recrutant exactement les profils recherchés.

3 RAJEUNIR LES TROUPES

« Recherche H/F, âgé(e) de préférence de 28 à 32 ans, disposant d'un solide bagage technique, motivé(e) pour travailler sur une technologie de pointe. Poste basé à Marignane. » À Eurocopter, ce type d'annonce devrait se multiplier dans les années à venir. Car la moyenne d'âge est de 46-47 ans. « Si on laisse traîner les choses, il y aura des wagons entiers de papy-boomers », commente Ludovic Andrevon, de la CFE-CGC. « Aujourd'hui, les gens veulent partir de plus en plus tôt », explique Patrick Dubessé, de l'Ugict CGT. Selon lui, ils seraient entre 350 et 400 à pouvoir prétendre à une préretraite maison dès 55 ans. « La direction peut dire qu'elle n'en a pas les moyens, les départs de gré à gré lui ont coûté très cher… » Des négociations sur des cessations anticipées d'activité ayant été ouvertes au niveau du groupe EADS, certains syndicats, CGT en tête, souhaitent qu'Eurocopter lui emboîte le pas. La CFDT, pour sa part, propose une équation simple : une embauche pour un départ. Mais le rajeunissement de l'entreprise s'opère déjà par l'apprentissage ou l'intérim. Généralement, dans les ateliers, la moyenne d'âge n'est plus que de 33 ans.

Eurocopter pratique aussi le recrutement familial. À Marignane, on vient souvent travailler de père en fils. « On se bat pour maintenir cet usage car cela contribue au bon climat social », explique Armand Giraud, de FO. Les autres syndicats tiennent peu ou prou le même discours, tout en reconnaissant que la préférence familiale doit jouer à qualifications égales. « On ne peut pas non plus vivre en autarcie », reconnaît Christian Pastorelli, de la CFTC. Les 400 ou 500 stages, autrefois quasi réservés aux enfants du personnel, sont désormais répertoriés sur le site d'EADS, www.eads.net. « Les partenaires sociaux m'ont suivi », se réjouit Patrick Bertin, responsable du recrutement, qui aimerait étendre cet affichage aux CDI.

4 SOIGNER LE DIALOGUE SOCIAL

Les élections du personnel, qui ont eu lieu le 5 décembre 2002, n'ont pas créé de surprise. À Eurocopter, le résultat était d'autant plus attendu que près de 90 % des salariés (80 % sont syndiqués) se sont rendus aux urnes. FO (45 %) devance nettement son partenaire de l'alliance, la CFE-CGC (26 %), suivie de la CFDT, de la CGT et de la CFTC. Le leadership de FO s'est affirmé dans les années 1967-1968. « À cette époque, explique Éric Arcamone, le DRS, par ailleurs ancien syndiqué de la CGC, la CGT mettait en péril l'entreprise. On comptait alors 200 jours de grève par an. Pour une question de survie, la direction a soutenu officiellement FO, ouverte au dialogue social, plutôt que d'opter pour la création d'un syndicat maison, comme l'a fait l'automobile. »

Résultat, la CGT s'est retrouvée marginalisée à Marignane, après y avoir régné sans partage pendant des décennies. Du même coup, elle a perdu le contrôle du comité d'établissement, qui dispose d'une manne financière colossale : 9,8 millions d'euros. « C'est le CE qui gère la restauration des salariés, soit au total 4 800 repas par jour », indique Claude Mazet, le secrétaire FO du CE, qui a un budget de 20 millions d'euros et emploie 45 salariés. Une gestion assurée depuis trente ans par un tandem FO-CGC. Aujourd'hui, la situation de la CGT s'est cependant normalisée. « Grâce à Jean-François Bigay, car c'est un patron ouvert au dialogue », souligne Patrick Dubessé, de l'Ugict.

Chez Eurocopter, les relations sociales sont plutôt bonnes. « Ici, le dialogue social existe vraiment », confirme Christian Pastorelli, secrétaire général de la CFTC de Marignane. Dans l'entreprise, confirme Éric Arcamone, « un bon accord est celui qui est signé par le maximum de syndicats. On y passe du temps, chacun doit y retrouver ses positions initiales ». Parmi les nombreux accords signés par les partenaires sociaux (droit syndical, intéressement, emploi des personnes handicapées…), c'est sans conteste l'accord sur les 35 heures qui a le plus suscité de jalousie au sein du groupe EADS, où chaque filiale dispose d'une certaine autonomie.

Signé le 26 mars 1998, l'accord sur la RTT permet aux cadres et non-cadres (à l'exception des cadres dirigeants, soit 150 personnes) de travailler quatre jours sur une semaine de six jours. La contrepartie à cette réduction du temps de travail (de deux heures) étant une réduction des salaires correspondant aux deux heures perdues, compensée à 60 % par l'entreprise qui s'était engagée à procéder à 360 embauches. « Nous avons bien géré l'organisation collective », reconnaît Éric Arcamone. Pour les clients qui auraient pu s'inquiéter de trouver une activité ralentie le vendredi, où seules 800 personnes (sur un effectif de 5 000) travaillent, le fabricant d'hélicoptères a trouvé la parade, avec Eurocopter Customer Assistance, un service d'assistance fonctionnant 24 heures sur 24 avec du personnel volontaire pour travailler le samedi. En 2002, l'accord RTT a été aménagé, sans trop de résistance du côté syndical, pour tenir compte des forfaits jours prévus dans la loi Aubry II et des réalités du terrain. Un accord a donc été signé, avec effet au 1er janvier 2003, concernant les 70 à 80 commerciaux, qui prévoit de porter le nombre de jours travaillés de 190 à 205, en contrepartie d'une augmentation de salaire de 10 %. Le but de la direction étant d'étendre à terme cet avenant à quelque 200 cadres supplémentaires, les globe-trotters et les chefs de département.

5 PEAUFINER LA POLITIQUE SALARIALE

Mais, chez Eurocopter, le texte qui fait office de bible, c'est l'accord d'entreprise signé le 13 février 1992, régulièrement enrichi par des avenants et accords signés par les partenaires sociaux. Le dernier accord salarial de décembre 2002 introduit ainsi la notion de garantie de progression individuelle des salaires, qui ne pourra pas être inférieure à 40 euros. Dans ce domaine, le personnel d'Eurocopter, qui relève de la convention collective de la métallurgie, n'est pas mal loti. En 2001, un ingénieur gagnait, en moyenne, primes incluses, 4 473 euros par mois, un technicien 2 707 euros, un ouvrier 2 023 euros. Les cadres touchent en moyenne une prime de 9,5 % du salaire annuel, et les cadres supérieurs un bonus de 13,5 %, avec un minimum garanti de 7 % pour les uns et les autres. La CGC milite pour que ce gros treizième mois soit remplacé par l'introduction d'une part variable de rémunération, beaucoup plus conséquente, à l'instar de ce qui est en vigueur pour les cadres dirigeants d'EADS. Et pour que cette part variable soumise à objectif soit appliquée à l'ensemble de l'encadrement. Les négociations se sont ouvertes à la mi-décembre chez Eurocopter.

Toujours au chapitre des rémunérations, les salariés d'Eurocopter touchent une prime d'intéressement importante, en vertu d'un accord signé en 2001. Il prévoit la distribution de 10 % du résultat d'exploitation aux salariés, voire 11 ou 12 % au-delà d'un certain seuil. Cette enveloppe est versée à hauteur de 60 % en prime fixe et de 40 % en prime variable selon le salaire. « Cela représente environ un mois de salaire pour les plus bas revenus. Nous voulons que l'intéressement soit un outil de motivation, et plus la part fixe sera importante, plus ce sera significatif pour les plus bas salaires », précise Éric Arcamone. Au total, l'accord conclu en 2001 permet aux salariés de toucher un intéressement moyen de 1 187 euros. Quant à la participation, dont le montant moyen s'est élevé à 219,85 euros en 2001, elle se décompose en 50 % de part fixe et 50 % de part variable. Dernier élément de rémunération, le plan d'épargne d'entreprise est largement abondé par l'entreprise « afin d'encourager les salariés à acheter des actions EADS », explique Armand Giraud, de FO.

6 CRÉER UNE CULTURE FRANCO-ALLEMANDE

Entreprise franco-allemande, avant de devenir européenne, Eurocopter a très vite mis en place des stages de management interculturel. « Quand le groupe est né en 1992, rappelle Jean Loubat, le DRH, il a fallu marier deux cultures. » Cette double appartenance se traduit dans de nombreux domaines. Ainsi, dans les trois usines allemandes de Donauwörth, Ottobrunn et Kassel, il existe un syndicat unique, IG Metall. Sur les deux sites français (Marignane et La Courneuve), cinq organisations syndicales sont représentées. Autre différence, le Betriebsrat, l'équivalent du comité d'entreprise allemand, est présidé par un salarié, tandis qu'en France c'est la direction qui préside le CE. Quant au comité de groupe européen, les représentants français et allemands y communiquent depuis dix ans en anglais. Une initiative prise bien avant que la directive de Bruxelles sur les CE européens ne voie le jour.

Si certains cadres font régulièrement la navette entre Marignane et Donauwörth, d'autres ont choisi de s'installer outre-Rhin. « Il est possible de faire bouger les gens, explique Bertrand Coutier, directeur des affaires internationales au sein de la direction des ressources humaines, soit par le biais de l'expatriation, soit par le biais du détachement pour une courte durée. Le salarié aura un contrat de travail avec la société d'accueil, un contrat local… avec des garanties concernant la Sécurité sociale et la retraite. C'est un peu artificiel, mais c'est le prix de la mobilité. » Une mobilité qui concerne encore essentiellement les cadres.

Difficile de comparer le sort des salariés français et allemands d'Eurocopter. Bertrand Coutier reconnaît qu'il existe une différence de salaire de l'ordre de 15 % à l'avantage des Allemands, mais indique qu'il faut aussi tenir compte des préretraites, des conditions de départ en retraite, voire des indemnités de licenciement « moins avantageuses » en Allemagne. Les syndicats l'admettent : « Nous ne sommes pas si mal lotis que cela en France, convient Armand Giraud, de FO, et parfois même les Allemands nous envient. » Entre l'usine de Marignane, située à proximité de la mer et de la montagne, dans la douceur provençale, et l'usine allemande de Donauwörth, installée en plein champ de betteraves, au fin fond de la Bavière, à deux pas du Danube, beaucoup ont vite fait leur choix ! Même les 4,5 % d'augmentation salariale obtenus avant l'été par le puissant IG Metall ne font pas rêver les syndicalistes français. « Nous avons une bonne politique salariale et nous ne sommes pas loin des avantages salariaux obtenus en Allemagne », estime Ludovic Andrevon, de la CFE-CGC, qui pointe cependant un avantage côté allemand : « le droit de veto que les syndicats peuvent exercer lors d'une restructuration. C'est plus efficace que l'avis négatif exprimé par des syndicalistes français ».

La mobilité peut aussi s'exercer dans l'une des 15 filiales mondiales d'Eurocopter. Aujourd'hui, 1 250 personnes ont fait ce choix de carrière. « Pour un cadre, c'est une occasion inespérée d'avoir un parcours formateur dans une petite structure à l'étranger, avec un poste de chief executive officer ou de directeur financier », explique Bertrand Coutier, qui pointe cependant un risque : celui de faire des ponts d'or à des expatriés qui auront ensuite du mal à réintégrer l'organigramme à leur retour, tant en termes de poste que de rémunération. « Attention à la fuite en avant, ajoute-t-il, car si le package proposé est trop important cela peut devenir une source d'inflation. C'est pourquoi il faut que nous soyons plus performants dans la gestion des carrières. » C'est l'un des chantiers auxquels devra s'atteler Fabrice Brégier. Toute la question est de savoir si la double culture Eurocopter résistera à l'arrivée d'un homme d'EADS.

Entretien avec Jean-François Bigay
« Les Français sont bien payés, mais ce n'est pas une raison pour délocaliser. Il y a d'autres solutions »

Dix ans après avoir présidé à la création d'Eurocopter, Jean-François Bigay va céder en avril les rênes de l'entreprise franco-allemande à Fabrice Brégier, actuellement président du fabricant de missiles MBDA. Un changement d'époque pour le personnel d'Eurocopter et notamment pour le site historique de Marignane, puisque cet ingénieur diplômé de Sup'aéro, qui a fait toute sa carrière à Aerospatiale, hormis un bref passage à la direction générale de Roux Combaluzier, va être remplacé par un X-Mines. Connu pour son franc-parler, Jean-François Bigay devrait rester un temps conseiller du groupe EADS. Mais il est également pressenti pour prendre la présidence de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille.

Diriger une entreprise franco-allemande pose-t-il des problèmes particuliers de management ?

Notre binationalité franco-allemande n'est pas un problème. La culture d'Eurocopter est un mélange des deux. Au sommet de la hiérarchie, l'intégration est totalement réalisée. À la base aussi, car les ouvriers communiquent entre eux via les produits sur lesquels ils travaillent. C'est au niveau intermédiaire qu'il convient d'être attentif pour s'assurer que personne ne se sente victime de sa nationalité dans ses évolutions de carrière.

Êtes-vous satisfait du dialogue social ?

Chez Eurocopter, pratiquement tout le monde vote lors des élections des représentants du personnel. Plus le fait syndical est fort, sous réserve d'avoir des partenaires syndicaux responsables, plus le dialogue dans l'entreprise est facile. En Allemagne, la situation est assez similaire. Il est vrai que nous avons fait des efforts. À Aerospatiale, il y avait, historiquement, des administrateurs salariés. Quand le groupe EADS a été créé, nous avons décidé de les conserver. Et lorsque Eurocopter Deutschland est devenu filiale à 100 % de la société mère française, nous avons nommé au conseil d'administration le patron des syndicats allemands, sur le quota de sièges attribués aux actionnaires !

Vous avez procédé à plusieurs plans sociaux. Est-ce plus difficile en France qu'en Allemagne ?

Paradoxalement, je trouve qu'il est moins difficile de supprimer des emplois en France qu'en Allemagne. Transférer des salariés d'un site à un autre ou les faire partir est extrêmement difficile outre-Rhin, car il y a des lourdeurs et des recours possibles en justice.

Pourtant, 56 patrons français ont, en 2001, publiquement dénoncé le renforcement de la législation sur les licenciements économiques…

La solidarité voudrait que je dise la même chose que mes pairs. Mais je ne veux pas m'associer à ce type de comportement, que je trouve néfaste pour la France. Chez Eurocopter, j'ai mis en œuvre trois plans sociaux. Les obstacles administratifs que j'ai rencontrés étaient sensiblement moins forts que ceux que m'a dictés ma conscience. Sous réserve qu'on ait discuté et expliqué ses choix en interne, la législation sur les licenciements collectifs ne met pas l'entreprise en danger.

Une récente enquête du forum de Davos indique un net recul de la France en termes d'attractivité. Est-ce justifié ?

Là encore, je ne suis pas d'accord avec mes collègues. À force de dire que l'attractivité de la France est lamentable, les gens finissent par le penser. Mais qui forge cette perception ? C'est nous. Et c'est inacceptable. Qu'il y ait des débats entre les pouvoirs publics et les patrons sur les charges sociales, les 35 heures, c'est légitime. Ce qui me gêne davantage, c'est que patrons et politiques utilisent l'image de la France pour régler des querelles nationales.

Mais le site France est-il, selon vous, attractif ?

Dans l'attractivité, il y a deux aspects. Sur le plan qualitatif, le site France est extraordinairement attractif. Dans quel autre pays les lycées internationaux, les transports, les loisirs, le système de santé sont aussi performants ? Il y a ensuite l'attractivité économique. Il est vrai qu'en France le coût du travail est trop élevé. Mais cela résulte d'un choix de modèle social. Alors, nous devons orienter nos concitoyens vers des métiers à plus haute valeur ajoutée. Certes, les Français sont bien payés, mais ce n'est pas une raison pour délocaliser dans des pays où le coût du travail est moins élevé. Il y a d'autres solutions. Concernant le poids des charges sociales, la véritable question est celle de l'efficacité de l'administration. On ne peut pas accepter que les salariés du secteur public ne veuillent pas faire d'efforts d'adaptation, alors que les chefs d'entreprise passent leur temps à essayer d'optimiser la productivité.

Êtes-vous optimiste sur la réforme des retraites engagée par le gouvernement Raffarin ?

L'histoire ne rend pas optimiste. Je ne comprends pas pourquoi un salarié du privé doit cotiser quarante ans pour toucher sa retraite à taux plein, alors qu'un salarié du public cotise moins longtemps. Les Français doivent être traités peu ou prou de la même manière.

Si l'intérêt de la nation ou l'équilibre global des retraites réclame une solidarité, celle-ci doit s'appliquer à tout le monde. À terme, chaque Français choisira sa retraite à la carte. Encore faut-il que le choix soit équitable.

Quel bilan faites-vous des 35 heures ?

Je suis tout à fait contre… mais j'ai été l'un des premiers à les appliquer. Je pense que les 35 heures sont une hérésie totale. À un moment où la France s'ouvre à la compétition internationale, on ne doit pas dire que les loisirs priment sur le travail. Or je pense que l'on peut travailler largement plus de 35 heures sans en mourir. Quant aux créations d'emplois que devait générer cette loi, c'est un leurre absolu. Si un chef d'entreprise veut maîtriser sa masse salariale, il le fera que ses salariés soient à 35 ou à 37 heures. En France, quand on n'arrive pas à convaincre, on essaie de contraindre. C'est une erreur fondamentale.

Pourquoi, alors, êtes-vous passé aux 35 heures ?

Lors de la crise de 1996, nous avons, à la demande des syndicats, réduit pendant deux ans le temps de travail à 32 heures, tandis que le personnel – y compris le président – acceptait de réduire son salaire afin de limiter le nombre des départs. Après, il était convenu qu'on revienne à 37 heures, avec des salaires revalorisés. Entre-temps, le débat national sur la RTT a été lancé. En accord avec les syndicats, nous avons prolongé la situation pendant une année, puis nous sommes remontés à 35 heures, avec une compensation de 60 % des heures et un réexamen des paramètres de productivité.

Le regrettez-vous ?

Je regrette que le contexte politique ne nous ait pas laissé d'autres solutions. J'aurai préféré revenir à 37 heures. Mais je ne le ferai pas contre l'avis des syndicats. Le débat sur les préretraites est identique. On a réussi à donner le sentiment que quelqu'un qui continue à travailler après 55 ans n'est plus dans le coup. En 2000, nous avons accepté des départs en préretraite. L'an dernier, j'ai tenu bon, et cette année aussi. Je ne veux pas d'une préretraite maison généralisée, mais des départs pourront intervenir selon certains critères, par exemple pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes.

Comment se passe votre succession ?

Dans des conditions idéales pour la société. Nous sommes dans la période la plus stable qu'elle ait connue. C'est le moment de changer l'équipage. Nous remplaçons une équipe de plus de 60 ans par une équipe de 40-45 ans. Je ne vois aucune raison pour que mon successeur change de mode de relation avec le personnel car c'est une des clés du système. On ne peut pas toucher à la confiance sans la perdre.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau