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Repères

L'attitude de la CGT sera déterminante

Repères | publié le : 01.01.2003 | Denis Boissard

Le verrou des prud'homales est enfin levé. Jusqu'au 11 décembre, le paysage social était en quelque sorte en apesanteur, suspendu à une échéance électorale dont on sait qu'elle n'est guère propice au lancement de réformes ambitieuses. Sagement, le gouvernement Raffarin s'était contenté de quelques hors-d'œuvre – l'assouplissement des 35 heures, le ravaudage de la loi de modernisation sociale –, deux chantiers de second œuvre qui n'étaient pas susceptibles de mettre le pays à feu et à sang. Il peut désormais aborder les plats de résistance. Au moins les enjeux électoralistes ne viendront plus polluer les débats.

L'autre point positif pour l'équipe au pouvoir

, c'est que le camp des syndicats dits réformistes sort plutôt renforcé de la bataille. Bonne nouvelle pour le jeunot François Chérèque : si la CFDT ne progresse pas, du moins n'a-t-elle pas pâti du départ récent de la très médiatique Nicole Notat. Divine surprise pour la CFTC et la CGC, qui gagnent respectivement un peu plus de deux points et d'un point. La centrale chrétienne a manifestement bénéficié du retrait de la CSL (4,2 % des voix en 1997) et la confédération des cadres engrangé les fruits d'une certaine radicalisation de son discours. Et, opération pleinement réussie pour l'Unsa, un regroupement de syndicats autonomes autour de l'ex-FEN, qui a accueilli en son sein nombre de transfuges de Force ouvrière, et aux positions assez voisines de la CFDT. Le syndicat d'Alain Olive peut se targuer de la plus belle percée des prud'homales, avec un gain de plus de quatre points (5 % des suffrages, contre moins de 1 % il y a cinq ans), ce qui lui donne un ancrage assez solide pour étendre son champ d'influence au secteur privé.

À mi-chemin entre sa traditionnelle posture protestataire

et une volonté d'ouverture manifeste d'une partie de sa direction, attestée par son adhésion à la Confédération européenne des syndicats, son investissement dans le Comité intersyndical de l'épargne salariale ou son pas de deux avec la CFDT sur le dossier des retraites, la CGT limite la casse. En soi, son léger tassement (moins d'un point) est déjà une performance, l'évolution sociologique du salariat – perte de vitesse de l'industrie et reflux du monde ouvrier – ne jouant pas a priori en sa faveur.

Pour Force ouvrière, en revanche, c'est la bérézina. L'omniprésence et l'abattage de Marc Blondel dans les médias n'y ont rien fait. Le cavalier seul de FO sur la plupart des dossiers, sa stratégie attrape-tout et opportuniste – jusqu'au-boutiste sur les retraites du public et prompte à signer chez les routiers, intransigeante dans son discours et contractuelle sur le terrain, donnant des gages à ses militants lambertistes tout en draguant les électeurs de la très droitière CSL – ont visiblement fini par désarçonner son électorat. Même effectué par un artiste talentueux, le grand écart finit par lasser.

On aurait tort d'en conclure que ces déplacements de lignes au sein du paysage syndical vont simplifier la tâche du gouvernement sur le dossier des retraites. Car, il ne faut pas s'y tromper, plus que le poids du syndicalisme réformiste, l'attitude de la CGT – fort bien implantée dans toute la sphère publique – sera déterminante pour la réussite… ou l'échec du vaste chantier que lance le gouvernement dans les toutes prochaines semaines. Pour Bernard Thibault, semble-t-il convaincu du caractère inéluctable de l'opération, la partie n'est pas gagnée. Les durs de l'appareil se recrutent précisément dans les secteurs « sensibles » pour la réforme à venir : la fonction publique, la santé (surnommés les « Khmers rouges » dans les couloirs de la confédération), les cadres et EDF. Et il ne faut pas compter sur les autres organisations présentes dans le public, FO, la FSU et SUD, pour aider la direction cégétiste à convaincre les bataillons du public des sacrifices nécessaires afin de rétablir un semblant d'équité avec leurs homologues du privé. Même modéré, le tassement de la CGT aux prud'homales ne facilitera pas forcément la tâche de son secrétaire général.

À cet égard, les atermoiements de la Fédération CGT de l'énergie

– laquelle a décidé de surseoir à la signature de l'accord sur les retraites à EDF-GDF qu'elle avait contribué à échafauder, pour prendre le temps de consulter tous les agents – ne sont pas de bon augure. Malgré un texte qui sauvegarde l'essentiel des avantages généreux dont bénéficient les électriciens-gaziers, il aura suffi d'une clause précisant que leurs prestations seront amenées « à évoluer dans le cadre de la négociation de branche, à l'initiative des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics, au regard des évolutions des régimes de retraite » pour mettre le feu aux poudres. Et permettre aux conservateurs de reprendre du poil de la bête. Du choix que fera la CGT – la date de signature a été repoussée au 10 janvier – dépendra en partie l'issue de l'ambitieuse réforme que s'apprête à lancer Jean-Pierre Raffarin.

Auteur

  • Denis Boissard