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Politique sociale

Pourquoi Raffarin ne reculera pas sur les retraites

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.01.2003 | Valérie Devillechabrolle

Politiquement incontournable, la refonte du système de retraites des fonctionnaires est financièrement indispensable pour le gouvernement Raffarin. Mais, avec comme seuls leviers la hausse des cotisations et l'allongement de la durée d'activité, le compromis avec les syndicats promet d'être périlleux.

Black-out sur la réforme. À quelques semaines de se jeter dans la fosse aux lions sur le dossier des retraites, le gouvernement observe un silence assourdissant. Tout en distillant çà et là de petites phrases destinées à rasséréner les uns… et à préparer les autres à l'inéluctable. L'obsession de l'équipe Raffarin ? Éviter toute étincelle susceptible d'allumer la mèche d'un embrasement social comparable à celui qui enterra les projets de réforme d'Alain Juppé à l'hiver 1995.

Le timing est à peu près arrêté : ce mois-ci, le gouvernement met la dernière main à sa copie. Début février, Jean-Pierre Raffarin présentera les grandes lignes du projet gouvernemental et une vaste concertation sera ensuite lancée pendant trois à quatre mois avec l'ensemble des partenaires sociaux : François Fillon devrait piloter les discussions sur le régime général des salariés du privé, tandis que Jean-Paul Delevoye, son collègue de la Fonction publique, s'attellera aux pourparlers concernant le Code des pensions civiles et militaires, autrement dit les retraites des fonctionnaires. Parallèlement, des conférences régionales seront organisées pour faire de la pédagogie auprès des Français et « permettre à chacun de s'exprimer ». À l'issue de cette concertation tous azimuts, un projet de loi sera transmis « au printemps », mais plus vraisemblablement à la fin du premier semestre, au Parlement.

Ne pas agiter le chiffon rouge

Conscient qu'il marche sur des œufs, le gouvernement a d'ores et déjà pris deux décisions destinées à atténuer et à circonscrire l'onde de choc prévisible. Pas question, tout d'abord, d'engager une réforme qui règle définitivement le problème de la bosse démographique des baby-boomers, laquelle ne devrait se dégonfler qu'à partir de 2040. Prudemment, l'équipe au pouvoir ne fera que la moitié du chemin, en limitant son horizon à 2020. Aux suivants d'assumer les sacrifices qui seront par la suite nécessaires.

Pas question non plus d'agiter le chiffon rouge devant les agents sourcilleux d'EDF, de la SNCF ou de la RATP. Lors de l'hiver 1995, c'est eux qui avaient paralysé le pays à la suite des déclarations imprudentes d'Alain Juppé. Si les fonctionnaires n'échapperont pas à la réforme, les régimes spéciaux des entreprises publiques seront laissés de côté, à charge pour chacune d'entre elles de négocier par la suite, en 2004 ou 2005, les adaptations nécessaires à l'équilibre financier de leurs régimes spécifiques. D'où les déclarations apaisantes du pouvoir à destination des intéressés. Le « système spécifique de retraite » des électriciens-gaziers ne sera « pas remis en cause », avait promis Jacques Chirac lors de son allocution du 14 juillet dernier. « Vous ne serez pas concernés ! » a d'ores et déjà garanti Gilles de Robien aux cheminots ; son secrétaire d'État, Dominique Bussereau, leur assurant qu'il est « hors de question de toucher » au départ anticipé à 50 ou 55 ans dont ils bénéficient. Même son de cloche à la RATP où la direction précise qu'elle « n'a pour l'instant aucun mandat de négociation et d'information sur le sujet ».

Ce souci de déminer au maximum le terrain piégé des régimes spéciaux s'est toutefois heurté à la nécessité de garantir le financement des engagements de retraite d'EDF et de Gaz de France (53 milliards d'euros), du fait de l'ouverture en 2003 du capital des deux entreprises et des nouvelles règles comptables internationales. Au terme d'une homérique partie de bras de fer et de multiples arbitrages au sein de l'État (le dossier est remonté jusqu'à l'Élysée), les partenaires sociaux de la branche énergie ont approuvé le mois dernier un relevé de conclusions, prélude à une loi réformant le financement de leur régime spécifique. L'équation n'était pas simple : comment sortir du bilan d'EDF et GDF l'écrasante charge des pensions sans toucher aux avantages acquis des électriciens-gaziers tout en laissant la porte ouverte à une réforme ultérieure de leur régime, condition sine qua non imposée par le gouvernement ? Résultat : un compromis laborieux, où chaque mot est pesé au trébuchet.

Une caisse de retraite ad hoc sera en quelque sorte adossée au régime général, moyennant une forte hausse des cotisations salariales qui seront alignées sur celles des salariés du privé, et le paiement d'une contribution des entreprises (dont la charge sera diminuée de plus de moitié). Seuls les droits spécifiques acquis par les agents avant l'entrée en vigueur de l'accord seront garantis par l'État, les droits « futurs » l'étant par les entreprises. Précision importante, les prestations seront amenées « à évoluer dans le cadre de la négociation de branche, à l'initiative des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics, au regard des évolutions des régimes de retraite ». Bref, les agents d'EDF et GDF ne seront pas, à l'avenir, exemptés d'une remise en cause de leurs avantages spécifiques. Une clause qui a mis le feu aux poudres au sein de la Fédération CGT de l'énergie et l'a conduite à demander un délai de signature supplémentaire pour consulter le personnel des deux entreprises. Réponse définitive le 10 janvier.

Faux pas du gouvernement

Si l'obstacle EDF-GDF n'est pas complètement levé, le gouvernement doit désormais s'atteler à la réforme des pensions des fonctionnaires. Celle-ci apparaît inéluctable. En particulier depuis le faux pas du gouvernement qui, en révisant cet automne les règles de compensation démographique entre les régimes de retraite, a ravivé la querelle entre privé et public. Adoptée en catimini, la mesure s'est en effet traduite par une ponction de 825 millions d'euros dans les excédents de la Cnav, principalement au profit des régimes de fonctionnaires. « Cela a troublé les copains du privé, y compris dans nos propres organisations », reconnaît Roland Gaillard, le bouillant responsable FO des fonctionnaires.

Pour le gouvernement, la persistance de cette inégalité de traitement constitue un puissant aiguillon de réforme. « D'abord parce qu'elle bloque l'adoption de toute nouvelle mesure pour le privé », prévient Jean-Marie Toulisse, le secrétaire confédéral CFDT chargé des retraites. Et surtout parce que, du fait d'un rapport démographique moins dégradé dans le privé que dans le public, cet écart va mécaniquement se creuser. « Dès 2004, les règles en vigueur en matière de compensation démographique vont obliger les régimes du secteur privé qui ont accepté de se réformer à cotiser davantage pour les régimes du public qui n'ont encore subi aucun changement », souligne un haut fonctionnaire, expert en la matière. Autrement dit, « cela revient à demander aux salariés du privé de payer deux fois. C'est impensable ! » renchérit Georges Tron, député UMP de l'Essonne, rapporteur spécial du budget de la fonction publique dans le projet de loi de finances pour 2003. « Tant que des écarts faussement justifiés subsisteront entre les régimes, cela générera des conflits entre les salariés », reprend Jean-Marie Toulisse, qui plaide en faveur d'une « nécessaire harmonisation des modalités d'accès à la retraite ».

Histoire de préparer le terrain et les esprits à la réforme, le gouvernement – François Fillon en tête – n'hésite donc pas à marteler l'argument massue de l'équité, laquelle nécessiterait que « tout le monde cotise sur la même durée ». Et, pour mieux montrer sa détermination, il a d'ailleurs joint le geste à la parole en annonçant l'extinction du congé de fin d'activité (CFA). Calqué sur le modèle de l'Arpe, le dispositif de préretraite financé par l'Unedic et supprimé en 2001, le CFA permettait aux agents qui avaient cotisé au moins trente-sept ans et demi pour les plus âgés de partir avant leur 60e anniversaire, moyennant un coût de plus en plus élevé pour l'État : en 2001, le départ des 12 300 bénéficiaires était revenu à plus de 400 millions d'euros, soit 75 % de plus que trois ans plus tôt, du fait de l'inflation des effectifs concernés.

À l'instar des directions d'EDF et de GDF l'État employeur n'a de toute façon plus le choix : ses contraintes budgétaires l'obligent à revoir les modalités de départ de ses troupes à la retraite. Car la mécanique infernale est d'ores et déjà enclenchée. Celle qui conduira à un doublement du coût des pensions des fonctionnaires de l'État d'ici à 2020 et à un triplement à l'horizon 2040. À raison de 1,5 milliard d'euros supplémentaires par an, la note (qui s'est élevée à plus de 31 milliards d'euros l'an passé) s'alourdit de plus de 4 % par an depuis 2001. Soit un rythme deux fois supérieur à ceux de la masse salariale des fonctionnaires et du budget général ! Un cauchemar pour les argentiers de Bercy… mais aussi pour certains représentants du personnel : « Si nous ne réglons pas maintenant le problème des retraites, les prochains arbitrages politiques sur les dépenses de personnel de l'État qui consomment 40 % du budget se feront forcément au détriment du nombre des fonctionnaires en activité ou encore de leur statut, ce qui est préjudiciable à la qualité du service public », prévient Jean-Marie Toulisse. Et de s'insurger contre tous ceux – FO en tête – qui sont tentés « de faire la politique de l'autruche et de mentir aux fonctionnaires » sur la nécessité d'une réforme.

Risque d'asphyxie à La Poste

D'autant que les retraites des agents de l'État ne sont pas les seules à peser sur le budget. Celles des fonctionnaires de La Poste aussi. à la différence de France Télécom qui s'est débarrassée du financement des pensions de ses fonctionnaires sur l'État, moyennant le paiement d'une soulte, La Poste est encore tenue d'assumer seule cette lourde charge. Résultat, les départs en retraite de quelque 140 000 postiers d'ici à 2012 risquent d'asphyxier totalement cette entreprise publique, par ailleurs confrontée à la libéralisation progressive du courrier. « Le coût de ces départs est estimé entre 12,2 et 13,7 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une année de chiffre d'affaires », rappelle Roland Bouyer, le secrétaire fédéral CFDT. Dans un tel contexte, l'État a déjà été contraint de mettre la main à la poche, dans le cadre du dernier contrat de plan (1997-2002), qui vient d'être prolongé jusqu'à la mi-2003. En échange d'une stabilisation de la charge pour La Poste, l'État supporte la différence, à raison de 100 millions d'euros supplémentaires par an et pour un coût total de 500 millions d'euros en 2002.

Autre boulet financier pour les caisses de l'État, la réduction, négociée en 2002, de la contribution de la Caisse de retraite des agents des collectivités locales et des hôpitaux au système de surcompensation démographique instauré entre les régimes spéciaux va produire ses effets dès cette année. Conséquence : pour soutenir les régimes spéciaux victimes d'un déséquilibre démographique (ceux des mineurs, des cheminots et des marins pour l'essentiel), l'État va devoir augmenter son effort de 130 millions d'euros cette année, soit au total 2,29 milliards d'euros.

Dernière bombe à retardement pour le budget de l'État, l'extension aux pères de famille fonctionnaires de la bonification d'ancienneté pour enfant accordée aux mères de famille pour le calcul de leur retraite. Une extension rendue obligatoire par un arrêt de la Cour de justice européenne, au nom de la parité hommes-femmes, mais dont « le gouvernement est fermement résolu à éviter les conséquences financières », précise Gérard Braun, sénateur UMP des Vosges, dans son rapport sur la fonction publique dans le projet de loi de finances 2003. On le comprend : en année pleine, cette extension représenterait la bagatelle de 3 milliards d'euros supplémentaires.

Au total, la dérive budgétaire liée au basculement démographique va rapidement faire des retraites du secteur public, qui aujourd'hui absorbent 11,5 % du budget, « le deuxième poste de dépenses de l'État », note Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT. Une perspective difficilement compatible avec les échéances de réduction du déficit budgétaire négociées avec Bruxelles. « La marge de manœuvre du gouvernement en sera d'autant plus réduite », en déduit Roland Gaillard, le responsable FO des fonctionnaires, qui parie sur l'échec de la réforme. D'autant que le gouvernement ne pourra pas trop compter non plus sur la progression du PIB pour amortir le choc… « sauf à considérer que l'économie se situe à l'aube d'une période de croissance exceptionnelle par son intensité et par sa durée », ajoute Gérard Braun. Selon le sénateur des Vosges, pour que le poids des pensions de l'État dans le PIB ne s'alourdisse pas, il faudrait que la France bénéficie, dès 2003, d'un taux de croissance moyen d'au moins 4,65 % par an jusqu'à 2010 !

Hausse inéluctable de cotisation

Face à cet édifiant constat, la hausse des cotisations salariales, aujourd'hui plafonnées à 7,85 % pour les fonctionnaires comme pour les autres régimes spéciaux, contre 10,35 % pour les cotisants au régime général, apparaît inéluctable. Du coup, selon Georges Tron, rapporteur du budget de la fonction publique, « l'État réaliserait une économie de 1,425 milliard d'euros par an ». Mais les contreparties seront difficiles à négocier avec les fonctionnaires. Effectivement, « l'intégration des primes dans les revenus soumis à cotisation fait grimper le budget au rideau car cela revient à relever le taux de remplacement », observe Jean-Christophe Le Duigou, de la CGT.

Autre levier d'économie possible, le mode de revalorisation des pensions peut changer. Alors que dans le privé les retraites sont indexées sur les prix, celles du secteur public sont calées sur l'évolution des salaires. Un alignement pur et simple sur le privé serait cependant à haut risque car il s'attaquerait au dogme selon lequel la pension des fonctionnaires s'apparente à un « traitement continué ». Un casus belli pour les syndicats, au demeurant pour une économie modeste : « Depuis 1993, les techniques de revalorisation indiciaire tendent d'ores et déjà à exclure les retraités », fait observer Gérard Aschieri, au nom de la FSU.

Dans ce contexte, l'augmentation de la durée d'activité apparaît bel et bien comme la principale variable d'ajustement. La plus rentable aussi, si l'on en croit les calculs du sénateur Braun : un allongement de cinq ans permettrait, selon lui, de réaliser un gain de 11 milliards d'euros d'ici à 2020. Sur la nature de cet allongement, le gouvernement n'a pas encore dévoilé ses intentions. Mais une chose est sûre, la mesure se heurtera à de fortes résistances syndicales : « Si c'est le seul critère retenu, il y aura conflit », prévient d'ores et déjà Gérard Aschieri, en se fondant sur « l'extrême sensibilité de ses troupes à la durée de cotisation ». De fait, les études réalisées dans l'Éducation nationale montrent que plus de 60 % des enseignants préfèrent bénéficier d'une retraite incomplète plutôt que d'augmenter leur durée d'activité. Georges Tron, le député de l'Essonne, l'a bien compris en soulignant dans son rapport que « l'accompagnement d'un éventuel allongement de la durée de cotisation en matière de gestion des ressources humaines est indispensable ».

Un ballon d'essai chez les matons

Pour favoriser l'allongement de la durée de cotisation, le gouvernement peut aussi proposer aux fonctionnaires qui le souhaitent de rester plus longtemps en poste. Une possibilité déjà offerte, pour cause de départs massifs en retraite sur fond de difficultés de recrutement, aux surveillants pénitentiaires n'ayant pas atteint, à 55 ans, les vingt-cinq années de cotisation requises pour une retraite à taux plein. Adoptée dans la loi de finances rectificative pour 2001, cette mesure mise en œuvre « sur la base du volontariat » reste en travers de la gorge de FO, majoritaire chez les « matons ». « Elle remet en cause les cinq années de bonification accordées au titre de la pénibilité de notre travail », précise Rémy Carrier, du Syndicat national pénitentiaire FO, en redoutant que ce « ballon d'essai » n'ouvre la voie à une remise en question des autres « services actifs ». À l'inverse, le gouvernement pourrait aussi adopter des mesures plus contraignantes, telles que le durcissement des pénalités imposées aux fonctionnaires liquidant leur retraite par anticipation : à raison d'un abattement supplémentaire de 10 % par année non effectuée, les « décotes » appliquées dans le secteur privé sont aujourd'hui beaucoup plus dissuasives que celles en vigueur dans le public.

Quelle que soit la méthode choisie, la potion sera amère. D'autant que la plupart des organisations syndicales de fonctionnaires semblent bien loin d'accepter de tels sacrifices. Entre celles qui, à l'instar de la FSU, pensent toujours que le financement des retraites « n'est pas inaccessible sur la durée » et les autres, comme Force ouvrière, arc-boutés sur le statu quo, le gouvernement aura bien du mal à trouver la voie d'un compromis. « Il peut s'y prendre n'importe comment, cela sera la guerre ! » promet Roland Gaillard au nom de FO. Le décor est planté : le gouvernement peut désormais se lancer dans la fosse aux lions…

« Pourquoi ne pas mixer allongement de la durée travaillée et nouveaux prélèvements ? »
Entretien avec Yannick Moreau, présidente du Conseil d'orientation des retraites

Nommée en mai 2000 à la tête du COR par Lionel Jospin, une structure rattachée à Matignon et composée notamment de représentants de l'État, des partenaires sociaux (sauf le Medef qui a refusé d'y siéger) et de parlementaires, la conseillère d'État Yannick Moreau a réalisé un gros travail de diagnostic et de concertation, en prélude à la réforme des retraites. Elle y a gagné la confiance de Raffarin.

La réforme des retraites est-elle inéluctable ?

Les travaux du COR montrent que, compte tenu de l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom et de la progression de l'espérance de vie, tous les régimes de retraite auront d'importants besoins de financement sur le long terme : environ 4 points de la richesse nationale d'ici à 2040. Il faut donc prendre de nouvelles mesures pour couvrir ces besoins. Comme il est indispensable que les mesures soient mises en application progressivement, il faut s'y mettre dès maintenant. Peut-être, cependant, les réformes devront-elles être effectuées en plusieurs étapes. Il est toutefois inutile de dramatiser la situation : ces besoins de financement pourront être couverts par des réformes appropriées.

Quels sont les systèmes de retraite pour lesquels il y a urgence à réformer ?

Le financement des retraites des fonctionnaires se dégrade de façon plus rapide et plus importante que celui d'autres secteurs. Les départs massifs à la retraite interviendront en effet plus tôt dans la fonction publique, en raison des forts recrutements effectués dans les années 1960-1970. Par ailleurs, le déséquilibre va s'accentuer en raison de l'absence de réforme dans ce secteur. Cette situation financière ainsi que le sentiment largement répandu dans l'opinion que les efforts doivent être partagés entre tous les cotisants conduisent nécessairement à poser des questions concernant notamment la durée de cotisation des fonctionnaires. Tous les membres du COR sont d'accord pour une égalité d'effort des cotisants mais des désaccords importants subsistent sur la manière de réaliser cette égalité.

La réforme Balladur de 1993 suffit-elle à garantir la pérennité des retraites du privé ?

En matière de réforme, il est inexact de dire que la France n'a rien fait. Non seulement des mesures de grande ampleur ont été prises pour le régime général en 1993, mais les régimes complémentaires ont aussi revu leurs paramètres de fonctionnement et un fonds de réserve a été créé. Ces mesures permettent d'éviter un déficit à court terme, mais l'équilibre n'est pas assuré à moyen terme. D'où la nécessité de mesures complémentaires.

La France n'a-t-elle pas pris du retard par rapport à ses voisins européens ?

Si le problème de financement des retraites se pose dans tous les pays européens, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Du point de vue démographique, l'Italie est dans une situation beaucoup plus dramatique que la France, dont le taux de fécondité s'est maintenu à un bon niveau. En revanche, en matière de taux d'activité, la France est mal placée. Les réformes sont difficiles dans tous les pays et, pour cette raison, elles connaissent des étapes successives. La France rencontre des difficultés particulières qui se caractérisent à la fois par une discontinuité du processus de réforme et par des crispations dues notamment à une certaine absence de lisibilité des réformes. Une large concertation ainsi que la négociation préalable des réformes devraient permettre de mieux les comprendre et les assumer.

Les travaux du COR ont-ils préparé le terrain ?

La concertation au sein du COR a permis aux différents partenaires de parvenir à un accord sur la réalité des besoins de financement et de proposer des orientations pour les réformes à venir. Nous avons pu mettre sur la table les différentes pistes et mesurer leur possible contribution respective à la couverture des besoins de financement. La suite relève maintenant de la négociation et des décisions politiques.

Sur quelles orientations y a-t-il eu un consensus au sein du conseil ?

Nous sommes d'accord sur les grands principes régissant les retraites en France. Les régimes de base par répartition doivent être maintenus – ce qui ne signifie pas que les compléments de retraite par l'épargne soient un sujet tabou ; le niveau de retraite doit être proportionnel au revenu d'activité, et non être une pension uniforme. Nous sommes aussi d'accord sur le fait que le droit à la retraite ne doit pas entrer en contradiction avec le droit au travail. Il faut veiller à ce que les salariés qui n'auraient pas acquis une retraite pleine ne puissent pas être mis à la retraite contre leur gré. Ces trois principes classiques du contrat entre les générations doivent, selon nous, s'accompagner de quatre principes nouveaux : des modes de gestion garantissant la solidité financière des régimes, une égalité d'efforts entre cotisants, une plus grande marge de choix sur la date de liquidation de la retraite et un véritable droit à l'information de chacun sur ses droits à la retraite. Deux autres points de consensus sont importants. En premier lieu, la nécessité d'adopter des politiques d'emploi et de ressources humaines permettant aux salariés de travailler jusqu'à l'âge de leur départ en retraite. Leur mise en œuvre nous apparaît aussi vitale que les réformes visant à modifier les paramètres des régimes. En second lieu, il faut que les Français sachent comment va évoluer leur niveau de retraite. Sinon, les jeunes craignent le pire : cotiser plus, travailler plus longtemps et avoir très peu de retraite.

Sur quels points y a-t-il eu divergence ?

Si tous les partenaires reconnaissent l'existence d'un problème de financement, des sensibilités diverses se sont exprimées sur le niveau du taux de remplacement, les modalités d'indexation des pensions, la nécessité ou non d'un allongement de la durée dé, les modalités de rapprochement des régimes privés et publics, ainsi que sur le recours à de nouveaux prélèvements… Tandis que les uns souhaitent ne faire porter l'effort que sur de nouveaux prélèvements, d'autres mettent uniquement l'accent sur l'allongement de la durée travaillée. Entre ces deux positions extrêmes, certains, et j'en fais partie, sont favorables à une solution mixte afin de répartir les efforts.

Un allongement de la durée de cotisation est-il incontournable ?

Dans un pays où la durée de vie en bonne santé augmente régulièrement et fortement, le partage des gains d'espérance de vie entre activité et retraite me paraît raisonnable. Mais il y a plusieurs manières de le réaliser, plusieurs calendriers possibles, et je ne crois pas que l'on couvrira ainsi tous les besoins de financement. En outre, on ne peut pas allonger la durée d'activité sans mettre en œuvre une politique active de l'emploi de nature à permettre aux salariés de travailler jusqu'à l'âge de la retraite. En l'absence d'une telle politique, l'allongement de la durée de cotisation n'augmente pas le taux d'activité et aboutit à accroître encore l'écart entre la date de cessation d'activité des salariés et celle de la liquidation de leur retraite. D'une durée moyenne de deux ans et demi, cet écart est actuellement financé par le régime d'assurance chômage et les dispositifs de préretraite.

Si la réforme revenait seulement à déplacer les besoins de financement vers l'assurance chômage, elle serait inutile et incompréhensible aux yeux des Français. Comment faire comprendre qu'il faudra, à un moment ou à un autre, une augmentation de la durée d'activité si les entreprises continuent à « pousser dehors » leurs salariés âgés ? Mais les employeurs ne sont pas les seuls à être un peu schizophrènes : l'État a sans doute été longtemps soucieux de faire baisser les chiffres du chômage par des préretraites et les syndicats y sont parfois poussés par leurs troupes. Chacun des partenaires convient aujourd'hui qu'il faut tendre à une pleine activité jusqu'à la retraite. La mise en place de politiques actives d'emploi et de gestion des ressources humaines est particulièrement urgente, car faire évoluer une politique de gestion des âges demande du temps.

À quelles conditions un assouplissement des conditions de départ est-il possible ?

Il faut maintenir une condition d'âge minimal de départ : si la possibilité de liquider sa retraite est ouverte trop tôt, on sort du registre de la retraite pour aller dans le champ de l'épargne et de la rente, ou de l'assurance vie. Ensuite, il faut bien réaliser que cet assouplissement ne constitue pas en lui-même une solution aux problèmes de financement des régimes. Enfin, il faut veiller à ce qu'il ne soit pas un « piège » pour les salariés et qu'il leur offre bien la possibilité de travailler jusqu'au niveau de retraite souhaité. À ces trois conditions, la retraite à la carte peut représenter un progrès réel.

Par quelle mesure conviendrait-il de consolider le régime des fonctionnaires ?

Si l'égalité des efforts entre cotisants constitue l'une des recommandations prises à l'unanimité du COR, le désaccord persiste sur la façon d'y parvenir. Certains estiment possible de revenir à trente-sept années et demie de cotisation pour tous, moyennant des financements supplémentaires, dont ils font valoir qu'ils ne seraient pas très importants. D'autres estiment que ce n'est pas raisonnable dès lors que l'espérance de vie augmente. Pour ma part, je ne crois pas que le régime des fonctionnaires puisse être rééquilibré uniquement par le biais de nouveaux prélèvements publics. Et, dans un pays où l'espérance de vie augmente de façon sensible, il ne me paraît pas raisonnable de revenir en arrière sur les conditions de départ.

Mais, dans l'hypothèse d'un allongement des durées de cotisation, il faudrait gérer autrement l'évolution des carrières dans la fonction publique. Si, à l'instar de leurs homologues du privé, les salariés du secteur public expriment le souhait de partir tôt, personne n'a jusqu'ici étudié les moyens de permettre pour tous des deuxièmes parties de carrière intéressantes, avec éventuellement des reconversions. Beaucoup de fonctionnaires ne souhaitent en effet pas faire le même métier toute leur vie.

La recherche d'équité entre les régimes suppose-t-elle des conditions de départ identiques de part et d'autre ?

Évitons de dresser les catégories les unes contre les autres. La recherche d'équité ne doit pas forcément déboucher sur un alignement millimétrique des conditions de départ entre les régimes, car il faut aussi tenir compte de leur histoire, de la différence des métiers et des conditions de gestion des carrières et de l'emploi.

Rien n'empêche de distinguer les mesures générales s'appliquant à tous, salariés du secteur privé et fonctionnaires, des mesures catégorielles, liées à la prise en compte des particularités. On peut, par exemple, expliquer le coût plus élevé de la retraite de certaines catégories de fonctionnaires – les policiers, les gardiens de prison ou les militaires – par leur contribution particulière à la collectivité.

Dans le secteur privé, des salariés occupent des emplois pénibles sans pour autant pouvoir partir de façon anticipée…

Jusqu'à pré sent, l'emploi sur des postes pénibles a été compensé par le recours à des préretraites. En revanche, la pénibilité n'est pas prise en compte dans le calcul de la retraite, ce qui est un facteur important d'inégalité. L'appréciation de la pénibilité pourrait faciliter l'acceptation d'une durée de travail progressivement plus longue. Le COR estime qu'il faut considérer la réalité des emplois occupés et la durée pendant laquelle ils sont occupés. Notre rapport avait également évoqué la possibilité de majorer le taux de cotisation des employeurs qui emploient des salariés sur des postes pénibles.

Sur quels points continuez-vous à travailler depuis la publication de votre premier rapport ?

Le COR est un organisme permanent. Il fera régulièrement des projections financières. Nous avons engagé la concertation sur de nouveaux sujets, comme les compléments de retraite par l'épargne, les avantages familiaux ou l'égalité entre les hommes et les femmes. Dans la perspective de notre prochain rapport, publié début 2004, nous allons travailler à un droit à l'information des assurés et développer les comparaisons internationales.

Propos recueillis par Denis Boissard et Valérie Devillechabrolle

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle