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Des bons et des mauvais élèves

Dossier | publié le : 01.01.2003 | F. G.

Le transfert de l'action sociale aux conseils généraux s'est traduit par la croissance des dépenses et la réduction des inégalités territoriales. Et si certains font moins bien que d'autres, c'est surtout par manque de volonté des élus.

Girondin convaincu, Jean-Pierre Raffarin peut être rassuré : les départements sont prêts à endosser de nouvelles responsabilités dans le domaine social. Dernier exemple en date, lors des assises locales organisées fin novembre en Picardie pour préparer la nouvelle étape de la décentralisation, les trois présidents des conseils généraux picards, toutes tendances confondues, se sont déclarés prêts à gérer les caisses d'allocations familiales de leurs départements respectifs ! En dehors de la voirie ou des collèges, les lois de 1982-1983 votées sous l'impulsion de Gaston Defferre ont confié aux conseils généraux l'essentiel de l'aide sociale, tandis que la loi du 6 janvier 1986 a adapté la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences concernant l'aide sociale et la santé. Dix-sept ans après ce passage de témoin, l'Assemblée des départements de France (ADF) dresse un bilan « globalement positif » de la décentralisation de l'action sociale. La montée en puissance des départements s'est traduite dans les chiffres. Depuis 1986, les dépenses d'aide sociale sont devenues un poids lourd dans les budgets départementaux représentant 12,9 milliards d'euros en 2000. C'est même le principal poste de dépenses des conseils généraux, dont les budgets de fonctionnement s'élèvent à 24,2 milliards d'euros. Une partie d'entre elles sont des dépenses obligatoires, comme l'aide sociale à l'enfance, l'aide aux personnes âgées et aux handicapés, et, depuis 1989, l'aide à l'insertion des bénéficiaires du RMI. Mais les lois de décentralisation de l'époque ont clairement incité les conseils généraux à innover, leur laissant carte blanche pour mettre en place, en fonction des besoins de leur population, des politiques complémentaires financées sur leurs propres deniers.

Des dépenses sociales doublées en quinze ans

À l'heure du bilan, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (Odas) classe les départements en trois tiers. Le premier regroupe ceux qui font mieux que la moyenne ; le deuxième, ceux qui sont dans la moyenne. Et le tiers restant est composé des mauvais élèves. « Il est difficile de comparer ce qui se faisait il y a vingt ans et ce qui se fait aujourd'hui, estime toutefois Dominique Barotte, de la Direction des interventions sociales du conseil général des Vosges. Seule certitude, les départements se sont approprié la définition des problématiques locales. » Parmi les effets pervers de la décentralisation figurait « le risque de voir les élus réduire les dépenses, poursuit Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Odas. Hors inflation, celles-ci ont doublé. En quinze ans, la dépense annuelle nette d'action sociale des départements a progressé de 120 % alors que le taux d'inflation a été de 45 % environ : les conseils généraux ont donc bien engagé les ressources nécessaires pour satisfaire les besoins nouveaux de ce secteur ».

En 1984, avant la loi fondatrice de 1986, les dépenses sociales représentaient à peine 6 milliards d'euros. En 2002, elles devraient atteindre 13,72 milliards. « Mieux, ce sont surtout des domaines électoralement peu porteurs, comme l'aide aux handicapés et l'accompagnement social, qui ont le plus progressé », ajoute le délégué de l'Odas. Le soutien aux personnes handicapées explique à lui seul la moitié de l'évolution de la dépense nette d'action sociale en 2000. Une partie de l'effort financier porte sur le développement des capacités d'accueil pour répondre à l'augmentation de l'espérance de vie des personnes handicapées. Dans le secteur de l'accompagnement social, c'est-à-dire notamment la protection maternelle et infantile, ou de l'action sociale facultative, l'envolée des dépenses correspond à une augmentation des frais de personnel, en raison de créations de postes d'assistantes maternelles et de travailleurs sociaux. Une dépense accrue en 2001 avec les premiers recrutements de personnels pour la mise en œuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie (voir encadré page 64). Au total, les départements ont plus que multiplié par deux les crédits engagés dans ce domaine par l'État, avant la décentralisation. Ils auront dépensé environ 2,8 milliards d'euros en 2002 pour l'accompagnement social.

Autre crainte exprimée par les jacobins, la perspective d'une aggravation des inégalités entre les départements. En particulier entre les plus riches, bénéficiant d'importantes ressources fiscales, et les plus pauvres. Pour Jean-Louis Sanchez, le spectre d'une France à deux vitesses s'est vite éloigné. « Les inégalités se sont réduites, dans tous les domaines, notamment ceux du handicap. Les départements qui faisaient beaucoup ont fait moins et inversement. » Mais gare aux effets d'optique ! Ceux qui dépensent le plus ne sont pas forcément les plus généreux ni les plus créatifs (voir tableau ci-contre). Plutôt que de comparer l'ensemble des crédits d'action sociale, qui incluent les dépenses obligatoires, mieux vaut s'intéresser à l'aide sociale facultative pour identifier les bonnes pratiques. Exemple, bien avant l'entrée en vigueur de la CMU, au 1er janvier 2000, quelques pionniers (Paris, le Doubs, la Haute-Vienne ou encore la Meurthe-et-Moselle) ont lancé des cartes santé. La décentralisation avait confié aux départements la tâche d'organiser l'accès aux soins de tous ceux qui ne peuvent être couverts par la Sécurité sociale ou ne peuvent assumer la totalité de leurs dépenses. Une aide médicale qui passait auparavant par le versement de bons. « C'était une procédure administrative lourde, blessante et contraignante. Avec l'entrée en vigueur du RMI, il a semblé urgent aux élus de trouver de nouvelles modalités d'attribution de l'aide médicale. D'où la création d'une carte permettant aux bénéficiaires d'accéder aux soins de base de l'assuré social et même au-delà pour l'optique et les frais dentaires », rappelle Jean-Luc Fauché, sous-directeur chargé des personnes âgées et handicapées et du budget au conseil général de Haute-Vienne. Ces initiatives ont fait des émules. En 1999, les deux tiers des départements s'étaient engagés dans une démarche similaire, ce qui a facilité la généralisation de la carte santé à l'échelon national.

Un foisonnement d'initiatives

Après le 1er janvier 2000, des départements ont cherché à maintenir la couverture maladie des personnes exclues de la CMU, grâce à l'aide sociale facultative et à des partenariats avec les caisses d'assurance maladie. À l'instar de la Meurthe-et-Moselle. « La carte santé du département était plus avantageuse que la CMU », indique Bernard Leyet, directeur de la solidarité et de l'action sociale au conseil général. L'assemblée départementale a donc mis en place un dispositif relais de protection complémentaire intitulé Camille (complémentaire assurance maladie individuelle) destiné aux plus de 60 ans et aux handicapés situés juste au-dessus du seuil de revenus fixé pour bénéficier de la CMU leur permettant d'adhérer à un tarif préférentiel. « Votée sur les ressources propres du budget départemental, cette dépense est en forte augmentation, souligne Bernard Leyet, puisque le nombre de bénéficiaires est passé de 67 en 2001 à 350 à la mi-2002. » Cependant, l'aide sociale facultative n'est pas l'unique indicateur du dynamisme des départements en matière d'action sociale. Le champ des missions obligatoires est suffisamment large pour laisser libre cours à des politiques ambitieuses. « Le Code de l'action sociale et des familles distingue les prestations financières, explique Marie-Christine Sarre, ancienne directrice du service d'action sociale de la Haute-Vienne (350 000 habitants), actuellement directrice adjointe de la solidarité départementale, chargée du développement social local, pour lesquelles il définit précisément des barèmes et procédures à suivre obligatoirement. En revanche, d'autres domaines d'intervention des départements sont présentés sans préciser leurs conditions de mise en œuvre. À charge pour le département de les imaginer et de les mettre en place. »

Dans ce domaine, les initiatives foisonnent. « Nous avons mis sur pied un partenariat interinstitutionnel, raconte Albert Gibello, maire d'Albertville et vice-président du conseil général de Savoie, à travers la réalisation d'un schéma départemental dépendance ciblé sur les personnes âgées et handicapées. Tous les acteurs de l'action sociale ont participé à son élaboration : la DDASS, la caisse d'allocations familiales, la MSA, la caisse primaire d'assurance maladie, les associations… » Cette démarche lancée par les élus il y a trois ans a notamment permis d'identifier les besoins d'accueil permanent ou temporaire des victimes de la maladie d'Alzheimer et a abouti à la création d'un second établissement d'accueil, financé aux deux tiers par le conseil général et pour le tiers restant par l'assurance maladie. En Meurthe-et-Moselle, le conseil général cherche à décloisonner l'action sociale. « Nous lions la culture et le social par des actions d'insertion par la culture, en collaboration avec le centre communal d'action sociale (CCAS) de Nancy », souligne Bernard Leyet, directeur de la solidarité et de l'action sociale du département. Le président du conseil général et le préfet ont planché sur un schéma d'aide sociale à l'enfance conjoint à celui de la protection judiciaire de la jeunesse, qui a contribué à diminuer le nombre d'enfants placés. Le département des Vosges privilégie des actions d'insertion au sens large, à l'image de chantiers artistiques ou de réhabilitation qui accueillent en permanence des RMIstes…

Solidarité territoriale chez les Bretons

Pour l'Association des départements de France, « les différences de résultats d'un département à l'autre dépendent souvent des réseaux locaux, des ressources qu'ils sont capables de faire valoir et de leur propre histoire ». Ainsi, les départements bretons font jouer de façon naturelle la solidarité territoriale. D'autres jouent la complémentarité avec les grandes villes. « Mais ce type de collaboration reste exceptionnel », confie un directeur des affaires sociales. « Le choc des cultures est souvent violent, ajoute un autre : les responsables des politiques sociales des grandes villes sont plus souvent des urbanistes que des spécialistes de l'action sociale. » Il arrive cependant que des CCAS aient envie d'investir dans le social et qu'une réelle collaboration se mette en place. La taille du département est également un paramètre important dans la politique de partenariat. « Plus le département est peuplé, plus les partenariats sont difficiles à mettre en œuvre, constate Marie-Christine Sarre, directrice adjointe de la solidarité au conseil général de l'Hérault. Nous avons mis en place il y a une dizaine d'années un partenariat avec la Direction départementale de la sécurité publique. L'idée est née d'un constat du directeur départemental de la sécurité publique de l'époque : beaucoup de personnes venaient évoquer leur détresse au commissariat central, notamment des femmes battues, sans déposer plainte. La main courante recelait une mine de renseignements sociaux inexploités. Afin d'y remédier, le conseil général a détaché un travailleur social au commissariat central de Limoges. » Nommé dans les Yvelines, qui comptent 1,360 millions d'habitants, l'ancien directeur départemental de la sécurité publique de Haute-Vienne a plus de difficultés à susciter une collaboration analogue. Alors qu'il avait, dans le Limousin, la responsabilité de cinq commissaires, il en a maintenant une trentaine sous ses ordres.

Reste que le facteur clé d'une politique sociale est la volonté des élus. Certains présidents de conseil général se sont illustrés dans l'engagement social, à l'instar de Jacques Barrot en Haute-Loire ou de Christian Proust dans le Territoire de Belfort. Tandis que d'autres considèrent l'action sociale comme une compétence subie. « D'autant que le mode d'élection des conseils généraux par canton tend à juxtaposer les égoïsmes infradépartementaux et que les conseils généraux subissent moins la pression des associations nationales que les ministères », constate Dominique Barotte. À l'occasion de son dernier congrès qui s'est tenu à la Réunion en septembre 2002, l'Association des départements de France a demandé que la révision constitutionnelle sur la décentralisation et la loi organique qui devrait être adoptée début 2003 énoncent clairement « une définition du droit à l'expérimentation fondée sur le libre choix des collectivités et la possibilité de contractualiser entre elles dans leurs champs de compétences respectifs ». La réponse est désormais entre les mains du législateur.

Le boulet de l'APA

Un an après le lancement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), le financement de cette nouvelle prestation pour les personnes âgées dépendantes continue de susciter la polémique. Car le coût total de cette mesure a été sensiblement sous-évalué, et son bouclage financier n'a pas été assuré par le gouvernement Jospin.

En raison d'une rapide montée en charge de ce dispositif destiné à couvrir une population plus large que l'ancienne prestation spécifique dépendance (PSD) à laquelle elle se substitue, le nombre de bénéficiaires se chiffrerait dès cette année à près de 800 000 personnes. Selon les projections, ce maximum ne devait être atteint qu'en 2004-2005. Du coup, la facture devrait s'élever cette année à 3,7 milliards d'euros, alors que l'équipe Jospin avait tablé sur 2,5 milliards. Mi-décembre, l'État a annoncé qu'il couvrirait un tiers du surcoût, un tiers étant à la charge des départements (qui financent d'ordinaire les deux tiers de l'APA). Les 400 millions restants seront obtenus par des mesures d'ajustement (modification du plafond de ressources, du barème de participation, voire recours sur les successions). La facture de l'APA est d'autant plus lourde pour les conseils généraux que les départements ne dépensaient que 1,1 milliard d'euros par an à travers les anciens dispositifs (la PSD, l'allocation compensatoire pour tierce personne, théoriquement réservée aux handicapés mais versée aussi aux personnes âgées, et l'aide ménagère).

Selon l'Odas, l'APA devrait entraîner une croissance annuelle de plus de 13 % de la dépense nette d'action sociale des départements. Certains départements voient leurs dépenses s'envoler encore plus brutalement. Ainsi, en Haute-Vienne, les dépenses liées à l'allocation d'autonomie ont été multipliées par trois entre 2001 et 2002, et seront quatre fois plus élevées cette année qu'en 2001.

En 2002, le département le plus « social », celui de l'Aude, aura consacré deux fois et demi plus de crédits par habitant que le dernier des départements métropolitains, en l'occurrence l'Oise. Mais, gare aux effets d'optique ! Car non seulement les plus dépensiers ne sont pas obligatoirement ceux qui dépensent le mieux, mais ces écarts importants trouvent pour partie leur origine dans la composition de la population de chaque département. Les départements ruraux qui comptent de nombreuses personnes âgées et les départements urbains et suburbains très peuplés, qui ont beaucoup de personnes en difficulté, ont un budget d'action sociale nécessairement plus élevé que les départements situés dans la moyenne. Selon l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (Odas), l'effet de taille commencerait à jouer au-delà de 1 million d'habitants. À partir de ce seuil, les conseils généraux ont plus de mal à faire face aux besoins des populations.

Auteur

  • F. G.