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Débat

Faut-il revoir la politique d'insertion professionnelle des handicapés ?

Débat | publié le : 01.01.2003 |

Le gouvernement doit, à la demande de Jacques Chirac, élaborer d'ici à cet été un projet de loi « donnant la priorité à l'insertion professionnelle et sociale » des handicapés. Leur taux d'emploi plafonne à 4 % en entreprise, au lieu des 6 % fixés par la loi de 1987. Comment améliorer leur accès au monde « ordinaire » du travail ? La réponse de l'Agefiph, de l'Adapt et de l'auteur d'un livre à charge contre le travail en milieu protégé.

« Il faut saisir l'opportunité démographique pour les handicapés et l'anticiper. »

CLAUDIE BUISSON

Directrice générale de l'Agefiph (fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés).

La loi du 10 juillet 1987 fixe à toute entreprise d'au moins 20 salariés une obligation de résultat, l'emploi de 6 % de personnes handicapées, sauf à verser une contribution à l'Agefiph, qui finance alors des actions d'insertion professionnelle au bénéfice des personnes handicapées et des entreprises qui les embauchent. On dénombre environ 1,5 million de personnes handicapées en âge de travailler : 650 000 d'entre elles – les moins de 20 ans relevant de l'éducation spécialisée, celles présentant un taux élevé d'incapacité, les personnes en attente d'une place en milieu protégé, celles retirées précocement de la vie professionnelle – ne sont pas à la recherche d'un emploi en milieu ordinaire de travail. 850 000 sont effectivement employées ou demandeuses d'emploi (dont 100 000 en milieu protégé qui ne relèvent pas de l'Agefiph mais de l'État).

L'Agefiph ne se prononce pas sur les raisons qui conduisent actuellement près de la moitié des personnes handicapées à ne pas se porter sur le marché du travail. En revanche, il entre dans sa mission de contribuer à réduire le chômage des personnes handicapées, qui est plus de deux fois supérieur à celui des personnes valides, et de s'interroger sur les enjeux de l'insertion.

Avant la loi de 1987, le flux d'entrée de personnes handicapées dans les entreprises était de l'ordre de 7 000 par an, principalement composé de personnes ayant contracté leur handicap alors qu'elles étaient déjà embauchées (accident du travail ou de la vie, maladie invalidante). Aujourd'hui, ce flux est de 107 000 et la population de personnes handicapées dans les entreprises est composée à 60 % de personnes recrutées avec leur handicap. La situation s'est donc inversée sous l'effet de la loi, qui a conduit à modifier la vision des entreprises à l'égard du handicap.

Les phénomènes démographiques et économiques en cours constituent aussi bien un risque qu'une opportunité. Le risque est lié au vieillissement programmé de la population active, qui va poser le problème du maintien dans l'emploi ; l'opportunité réside dans le fait que plusieurs métiers et secteurs d'activité vont être à la recherche de salariés et que la personne handicapée sera vue d'abord comme un collaborateur. Dans ce contexte, il faut, dès aujourd'hui, endiguer le risque et développer une approche active en direction des entreprises pour qu'elles apprennent à gérer en amont le vieillissement de leurs ressources humaines : les personnes handicapées en sont un indicateur avancé. Il faut aussi se préparer à saisir l'opportunité démographique et à l'anticiper. Les personnes handicapées des entreprises de demain seront principalement les jeunes et les demandeurs d'emploi handicapés d'aujourd'hui.

La formation et son adaptation aux besoins du monde économique deviennent prioritaires. L'Agefiph y consacre 60 % de ses actions et son conseil d'administration vient de renforcer cette priorité. En moins de quinze ans, la loi de 1987 a donc apporté des résultats et permet d'adapter les stratégies aux enjeux conjoncturels comme structurels. Il est toujours possible de faire mieux en théorie, mais la pratique a permis, au fil des ans, de faire effectivement progresser l'insertion professionnelle. Ne relâchons pas l'effort !…

« Il faut abolir la loi de 1987 qui permet aux entreprises de n'embaucher aucun handicapé. »

PASCAL GOBRY

Auteur de « l'Enquête interdite. Handicapés : le scandale humain et financier ». Le Cherche Midi Éditeur.

Jamais on a aussi peu embauché de personnes handicapées en milieu ordinaire. Et, au contraire, jamais on en a embauché autant en centre d'aide par le travail. Désormais, en dépit des chiffres officiels, 62 % des travailleurs handicapés reconnus tels par les Cotorep sont, ou bien au chômage, ou bien dans un CAT. Et ceci sans compter le million et demi de personnes handicapées en âge de travailler clouées chez elles, déclarées incapables de travailler, ce qui est bien commode pour les statistiques. Si on les intégrait dans les chiffres du non-emploi des personnes handicapées en France, le pourcentage cité plus haut deviendrait tout simplement… 90 %. C'est le terrible bilan de la loi de 1987.

Comment le gouvernement et une ou deux associations peuvent-ils continuer à affirmer à la fois qu'il y a 840 000 personnes handicapées en âge de travailler, donc de 16 à 60 ans, qu'il y a environ 400 000 enfants et adolescents handicapés, et au total 3,5 millions de personnes handicapées de moins de 60 ans ! Comment peuvent-ils continuer à dire qu'il y a 219 000 travailleurs handicapés dans les entreprises assujetties à l'obligation d'emploi (ce qui fait moins de 1 % de l'emploi salarié en France), estimer que cela donne 4 % de travailleurs handicapés, et affirmer que les chiffres que j'ai publiés dans mon livre, l'Enquête interdite, sont « tous faux » ?

Autre chiffre noir de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, celui du travail handicapé dans la fonction publique. Le taux le plus proche de la réalité que les 4 % officiels serait plutôt celui de 1,9 %. La loi de 1987 doit donc être abolie. C'est devenu au fil des ans « les sept méthodes pour éviter d'embaucher des Quasimodo ». Parmi ces méthodes, celle qui consiste pour les entreprises à pouvoir acheter, pour pas cher, auprès de l'Agefiph, le droit de n'embaucher aucun employé handicapé. Là encore, cynique abus de langage, on appelle ça une « amende ». Mais payer une amende pour excès de vitesse ne donne pas le droit de rouler à 150 jusqu'à la fin de l'année sur toutes les routes de France !

Autre détournement vers l'exclusion des mécanismes actuels d'insertion professionnelle : la loi de 1987 permet de délocaliser la production au sein d'une unité où sont regroupés les handicapés. C'est simple à mettre en œuvre, et cela rapporte gros (rien que les subventions officielles aux CAT s'élèvent à plus de 2 milliards d'euros). Le chiffre d'affaires délocalisé en CAT donne lieu au calcul d'un nombre de travailleurs handicapés que l'on n'est plus obligé d'embaucher en interne. Ainsi, la loi de 1987 incite à délocaliser l'embauche obligatoire vers des unités qui ne sont pas soumises au droit du travail, où le smic est à 55 euros par mois, où les 35 heures ne s'appliquent pas, etc. Bref, le capitalisme sauvage à côté de chez nous, au nom de la politique d'insertion ! Jacques Chirac l'a dit au gouvernement : il faut « revoir les fondements mêmes de notre politique » du handicap. C'était le 3 décembre dernier, devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées…

« Il faut éviter que les personnes handicapées ne travaillent de plus en plus entre elles. »

PHILIPPE VELUT

Délégué général de l'Adapt (Ligue pour l'adaptation du diminué physique au travail).

En dépit de trente ans de « politiques du handicap », le regard que nos concitoyens portent sur la différence n'a pas vraiment changé. Le « chantier » ouvert par le chef de l'État est donc de première nécessité. Le volet consacré à l'insertion professionnelle sera particulièrement difficile à réaliser. En effet, si le flux actuel des insertions en emploi n'augmente pas et si les entreprises ne compensent pas, dans les années à venir, les départs en retraite des personnes handicapées par des embauches de demandeurs d'emploi eux-mêmes handicapés, nous pouvons tabler sur une baisse de près de 20 % du nombre des personnes employées en milieu ordinaire !

Dans cinq ans, nous pourrions connaître alors une situation singulière : constater une baisse significative du nombre de personnes handicapées employées directement par les entreprises, mais compter, par contre, un nombre toujours grandissant de personnes handicapées prises en charge par l'État dans les centres d'aide par le travail ou les ateliers protégés. Des personnes handicapées travaillant de plus en plus entre elles pour réaliser des travaux confiés par les entreprises : notre société laisserait-elle s'installer de façon insidieuse un modèle inacceptable de « développement séparé » ?

Pour en finir avec la peur du handicap, il faut, au contraire, rendre enfin visibles les handicapés. Et utiliser les sommes considérables consacrées aux prises en charge et aux dispositifs qui se sont superposés. En particulier, les institutions médico-sociales, comme les structures spécialisées de rééducation professionnelle, doivent sortir de leurs murs pour rendre le milieu ouvert accessible. En bonne voie pour l'école, cela doit encore être mis en œuvre dans la formation professionnelle, et surtout pour l'aide à la recherche d'emploi, domaine dans lequel la montée en efficacité des structures spécialisées a été suivie d'un désengagement de l'ANPE.

Ensuite, il faut replacer les personnes handicapées en situation d'exercer une pleine citoyenneté. Les lois en vigueur, certes protectrices à beaucoup d'égards, les ont tout bonnement écartées de l'usage de droits fondamentaux comme ceux à l'instruction et à la scolarisation. Le fait de donner un statut de salarié aux personnes handicapées travaillant actuellement en CAT, et ce même si leurs rémunérations sont calculées selon des modes différents, consisterait ainsi simplement à appliquer un principe d'égalité en matière de représentation et d'expression, commun à tous les travailleurs européens.

Enfin, l'action à long terme doit porter sur le traitement des situations de handicap. L'intégration d'une personne handicapée ne se résume pas à la seule attribution de moyens de compenser sa déficience. La situation de handicap résulte également de l'existence de barrières physiques et psychiques de notre organisation sociale. Il faut donc réaliser le travail d'inventaire qui rendra les habitations moins dangereuses, les postes de travail plus ergonomiques, les routes plus sûres et les cités enfin accessibles. Ce volet d'action pourrait s'avérer le plus mobilisateur de tous. La preuve que « vivre avec et comme les autres » n'est pas seulement l'affaire des personnes handicapées et de leurs proches, mais de tout un chacun.