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Vie des entreprises

Les parachutes dorés dans la tourmente

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.12.2002 | Anne Fairise

Depuis l'affaire Jaffré, à l'automne 1999, et la crise boursière aidant, les généreuses indemnités de départ versées aux dirigeants débarqués fondent à vue d'œil. Ceux-ci ne peuvent guère désormais espérer plus d'un ou de deux ans de salaire. Et le déclenchement automatique du « golden parachute » n'est plus assuré.

Coup de théâtre lors de la dernière assemblée générale d'Air liquide : le géant industriel français a révélé, au printemps dernier, devant un parterre fourni de petits actionnaires, l'attribution à Benoît Potier, président du directoire, d'une indemnité s'élevant à « 35 fois sa rémunération mensuelle », s'il était mis fin à ses fonctions. En clair, d'un golden parachute ou parachute doré, cette substantielle indemnité versée en cas de départ d'un haut dirigeant et jusqu'ici placée sous le sceau de l'ultra-confidentialité. « C'est un grand pas dans l'amélioration de la transparence des pratiques » s'enthousiasme Pierre-Henri Leroy, de la société d'analyse financière Proxinvest, qui décortique les comptes des sociétés françaises cotées en Bourse. Magnanimes, les petits porteurs de titres Air liquide ont approuvé à 92,84 % cette attribution. Un « mauvais score », au dire des experts, puisque les résolutions dans les assemblées générales sont généralement votées à 98 % en moyenne…

Fin mai, c'est le géant de la chimie Rhodia qui a joué à son tour la transparence et annoncé le versement, en cas de licenciement, d'une indemnité à Jean-Pierre Tirouflet, P-DG de l'entreprise alors soumise à de fortes turbulences dues à la fusion avortée avec le groupe néerlandais DSM et aux menaces de désengagement d'Aventis, l'actionnaire de référence. Sans préciser, toutefois, le montant du chèque potentiel. La nouvelle a fait bondir Colette Neuville, l'infatigable présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam), vent debout contre les fameux parachutes dorés : « Les dirigeants mettent déjà en avant le fait qu'ils sont sur un siège éjectable pour justifier leur rémunération importante. Si, en plus, ils obtiennent des indemnités de licenciement, on n'en sort plus ! Qu'est-ce qui les incite à ne pas faire d'erreurs s'ils sont sûrs d'assurer leurs arrières ? » Cela n'a pas empêché la résolution d'être approuvée à… 88,42 %. Les cabinets-conseils des actionnaires avaient pointé la belle augmentation de salaire accordée en 2001 (+ 16 %) au numéro un de Rhodia, passé à 1,026 million d'euros annuels. Sans même parler de la hausse de sa dotation de stock-options…

Cette soudaine transparence fait sourire un spécialiste en rémunérations : « Faire approuver l'attribution d'un golden parachute par les actionnaires, c'est aussi se prémunir, par la suite, contre les critiques. » Aux États-Unis, la contestation n'a cessé d'enfler ces derniers mois, alimentée par le feuilleton des dernières faillites : 100 millions de dollars d'indemnité de départ prévus pour l'ex-P-DG du conglomérat Tyco et 1,5 million par an jusqu'à la fin de ses jours pour celui de WorldCom. Sur fond de krach boursier et de soupçons sur la sincérité des comptes, les investisseurs américains surveillent aujourd'hui de près salaires, stock-options et autres primes de P-DG quand ils ne les poursuivent pas en justice pour leur gestion. En Europe, la nouvelle vague de restructurations a également mis sur la sellette les parachutes dorés. Devant le choc créé par la suppression de 4 400 emplois, Luc Vandevelde, P-DG de Marks & Spencer, a dû ainsi renoncer à une prime de départ de 1,3 million d'euros négociée lors de son débauchage de Promodès.

Le prix du risque

On n'en est pas encore là dans l'Hexagone. Mais la contestation monte néanmoins depuis l'affaire Jaffré, à l'automne 1999. À l'époque, l'ancien P-DG du pétrolier Elf Aquitaine, poussé vers la sortie à la suite de l'OPA lancée sur son groupe par son concurrent Total, avait obtenu une indemnité exceptionnelle estimée entre 18,2 et 19,8 millions d'euros, outre ses stock-options (23 à 30 millions d'euros). De quoi susciter un vif débat sur ces fameuses clauses, généralement négociées lors de leur embauche par des cadres dirigeants soucieux de monnayer le risque qu'ils prennent en changeant de société. Le « prix de la flexibilité de l'emploi des dirigeants », dit-on du côté des bénéficiaires. Une « assurance injustifiée contre la révocation », estiment un bon nombre d'administrateurs de société, voire de dirigeants. Comme l'expliquait récemment Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d'Axa, dans une interview au magazine Challenges : « Un P-DG ne doit pas être assuré de la stabilité de son emploi. S'il est mauvais, il faut le virer, et toujours sans golden parachute. » Car le versement d'indemnités généralement somptuaires s'apparente, dans certains cas, à une « indemnisation de l'échec ». « Le versement de parachutes dorés en cas de défaite lors d'une OPA est choquant. Le bon sens s'oppose à la récompense d'un échec », estime ainsi Pierre-Henri Leroy, de Proxinvest.

Cet été, la révélation des exigences de Jean-Marie Messier, ex-président de Vivendi, laissant derrière lui un groupe exsangue, qui réclamait pas moins de 20,44 millions d'euros, soit deux ans de salaire, en guise d'« indemnité de licenciement », a remis de l'huile sur le feu. D'autant plus que, fin 2000, dans son livre J6m.com, il s'était érigé contre le principe : « L'éventualité d'être viré par ses actionnaires fait partie des risques normaux du métier de patron. […] On est payé pour ça. Et bien payé. Les indemnités spéciales ne se justifient donc pas, selon moi, pour les mandataires sociaux. » Et de conclure que son contrat « ne prévoyait aucune clause de ce genre. Et je m'engage à ne pas en négocier ». « Il n'a rien touché, si l'on en croit les administrateurs qu'on interpelle régulièrement », expliquait, fin octobre, Colette Neuville, de l'Adam, bien décidée à engager une procédure pour abus de bien social si Messier obtient « le moindre euro d'indemnité », compte tenu de la « perte qu'ont dû subir les (petits) actionnaires ». Revenu en France en novembre pour assurer la promotion de son nouveau livre, Mon vrai journal, Jean-Marie Messier répète à qui veut l'entendre qu'il n'a pas touché un sou de Vivendi, comme Jean-René Fourtou, son successeur, l'a confirmé.

Retour de manivelle

À Canal Plus, en tout cas, la reprise en main par l'actionnaire majoritaire s'est déjà traduite par un changement de pratiques. Arrivé en mai, Christian Sanchez, le nouveau DRH du groupe audiovisuel, s'est arraché les cheveux, dit-on au sein de la chaîne cryptée, au vu des indemnités de départ prévues dans les contrats des cadres dirigeants. Ce transfuge de Vivendi Universal Publishing (VUP) tente aujourd'hui de les revoir. « Canal Plus n'a jamais eu la réputation de lésiner sur les montants », note Élisa Perrot, déléguée CGT. Denis Olivennes, ex-directeur général démissionnaire en avril, qui a refusé les conditions de départ proposées par le nouvel état-major, en a appelé à un juge arbitral et serait parti, au final, avec 3 millions d'euros. Plusieurs autres dirigeants, partis depuis plusieurs mois, attendraient toujours leur chèque. « Des litiges, il y en a chez nous », se contente-t-on d'expliquer à la DRH, où l'on se montre peu disert sur la question, invoquant la « protection de la vie privée » et… le « faible nombre de personnes concernées ».

Ce retour de manivelle n'est pas un cas exceptionnel, selon les cabinets de recrutement. Les chasseurs de têtes notent, avec la crise boursière, une tendance à la modération des golden parachutes, après une bonne décennie d'inflation. « À l'origine, c'était un usage pour éteindre les actions de recours des dirigeants face à ce qui pourrait apparaître comme des licenciements abusifs, rappelle Éric Rohmer, du cabinet Search Partners International. Cette clause a été utilisée, au début, pour compenser l'absence de protection des mandataires sociaux révocables ad nutum et, donc, assis sur un siège éjectable sans pouvoir prétendre à des indemnités. Puis, pour compenser la difficulté des dirigeants de plus de 50 ans à rebondir s'ils perdaient leur poste. L'accélération des fusions-absorptions, entraînant souvent des changements de dirigeants, l'a développée. »

À partir de 150 000 euros par an

« Il n'y a pas qu'une minorité de dirigeants médiatisés, hors marché, qui en bénéficie. Mais aussi les cadres de haut niveau effectuant leur carrière dans les directions générales », renchérit Éric Salmon, du cabinet de chasse de têtes éponyme. Cas classique d'attribution d'un parachute doré, pour Charles-Henri Le Chevalier, du cabinet Towers Perrin : le jeune dirigeant qui, après avoir été chassé, arrive à la quarantaine au comité exécutif et veut compenser la perte de sa plus-value latente en stock-options résultant de la démission de son ancienne entreprise. Ou qui cherche à couvrir le risque pris. Quand on arrive à la direction générale de Cegetel, tiraillé entre Vivendi et Vodafone, on cherche à assurer ses arrières.

« Si le dirigeant chassé est appelé pour redresser une situation de crise ou combler une carence dans l'entreprise, celle-ci aura tendance à accepter un golden parachute », souligne Alain Mitrani, de Hay Group, qui voit apparaître ces clauses à partir de 150 000 euros de salaire annuel. Et plus rarement au-dessous de ce seuil. Pas de diffusion plus large, donc, sauf cas exceptionnel, comme celui des « hommes clés ». Par exemple, un « nez » dans le secteur de la parfumerie qu'une entreprise concurrente de moindre taille souhaite attirer ou assurer de sa fidélité. Ou ce directeur de fabrication de Valeo débauché par une grosse PME qui a compensé la perte des avantages liés à ses quinze ans d'ancienneté par un parachute doré. « Son existence est fonction de l'importance du poste et des risques qui y sont liés mais aussi de la situation du candidat : son âge et les avantages de son poste précédent. Puisque le golden parachute a une qualité d'indemnité compensatoire, il faut montrer que le préjudice est important », résume Éric Rohmer.

Privilège d'une minorité, ces indemnités contractuelles de rupture de contrat le deviennent plus encore depuis le ralentissement économique. Certains cabinets de chasse de tête rient sous cape des questions naïves de jeunes dirigeants. « De brillants X-Insead de 35 ans qui arrivent à des postes de direction générale ou à la tête du centre de profits d'un grand groupe du CAC 40 faisant 100 millions d'euros de chiffre d'affaires » et qui s'enquièrent des possibilités de clauses dorées. Fini les largesses des années 1995-2000, place à la sélectivité, au rapport de force dans une négociation au cas par cas. Désormais, « les entreprises se protègent, car cela pèse potentiellement sur les comptes », reprend Éric Rohmer.

Conséquence : le montant de l'indemnité est revu sensiblement à la baisse. Il ne faut plus compter que douze, dix-huit ou vingt-quatre mois de salaire au maximum. Et les groupes, de plus en plus, ont tendance à conditionner les clauses dorées, note Thierry de Beyssac, de Hewitt Associates France, « en mettant en place une dégressivité, ou en précisant la raison du déclenchement : fusion-acquisition, changement d'actionnaire, etc. ». « Le conditionnement est fréquent pour les mandataires sociaux, note Charles-Henri Le Chevalier, de Towers Perrin. En cas de révocation faisant suite à une OPA, la règle est de trois ans de salaire. Si la révocation intervient parce que les actionnaires ont désavoué les axes stratégiques du dirigeant, l'indemnité est plutôt de deux ans. Elle est inférieure encore si la révocation intervient à la fin du mandat social. »

Un bel avenir, après 2004-2005

Les clauses se déclenchant « pour toute raison que ce soit » sont plus rares aujourd'hui. « Il y a une volonté de réguler. Il est plus difficile qu'il y a trois ans d'obtenir un golden parachute en cas de démission », renchérit Denis Sesboüé, d'Alexander Hughes France. Mais Éric Rohmer estime que « le golden parachute reste encore, globalement, une assurance tous risques. Beaucoup d'entreprises jugent les pratiques de conditionnement compliquées. Comme les candidats ».

C'est pourtant l'unique façon d'assurer aux bénéficiaires éventuels qu'ils toucheront leur indemnité et qu'elle ne sera pas vidée de sa substance par les tribunaux, mettent en garde les cabinets d'avocats (voir encadré ci-contre). Les juges ont vu arriver un petit nombre d'affaires – négociation et ultraconfidentialité sont privilégiées en cas de litige. Mais ils n'ont pas été tendres dernièrement avec certaines indemnités de fin de contrat jugées excessives. « C'est le Loto judiciaire », plaide Françoise de Saint Sernin, avocate spécialisée sur cette question. Mieux vaut donc, selon elle, encadrer sérieusement les conditions de la clause.

Une sécurité supplémentaire pour les parachutes dorés, auxquels on prédit de nouveau, après ces années de « glaciation », un bel avenir. Car, à partir de 2004-2005, les entreprises, confrontées à la pénurie de candidats, risquent de repartir dans la guerre des talents et la surenchère des salaires, des primes et des clauses parachutes. De quoi donner, encore, de sacrées sueurs froides aux actionnaires !

Le couperet des juges

Un dirigeant d'une société d'équipement qui voit chuter son indemnité contractuelle de licenciement de 196 911 à… 15 000 euros. Un responsable de services administratifs qui obtient quatre mois de salaire au lieu des 39 640 euros attendus. Ces récentes mésaventures de bénéficiaires de « golden parachute », cette indemnité de licenciement supérieure aux montants prévus par la convention collective, traduisent bien l'insécurité juridique entourant ces clauses. Depuis 1996, les juges les réduisent s'ils estiment leur montant excessif. « L'issue dépend de la sensibilité de la juridiction devant laquelle l'affaire est présentée », note l'avocate Françoise de Saint Sernin. Peu de dossiers – hors liquidation judiciaire – arrivent devant les tribunaux, la règle étant celle d'un « gentlemen agreement ».

Mais « les entreprises peuvent agiter la menace d'une requalification pour renégocier l'indemnité. Le bénéficiaire n'est donc pas en situation dominante. Tout dépendra du rapport de force et du potentiel de nuisance du bénéficiaire », ajoute l'avocate.

Inutile de négocier un parachute exorbitant (plus de deux ans de salaire) susceptible de passer sous le couperet des juges. Sans compter que le fisc et l'Urssaf, de plus en plus vigilants, peuvent requalifier une partie de l'indemnité en salaire et réduire les avantages liés aux golden parachutes (exonération d'impôts, de charges sociales dans la limite de deux ans de salaire et de 358 300 euros). Pour Jacques Brouillet, du cabinet Fidal, la solution est de « préciser explicitement les motifs justifiant l'attribution d'une indemnité de rupture supérieure à celle offerte par la convention collective de l'entreprise d'accueil ». Bref, il faut qualifier les causes du futur préjudice : perte de l'ancienneté dans la société quittée, abandon de clientèle, apport particulier (brevet, savoir-faire), circonstances (changement capitalistique).

Car « les clauses doivent être individualisées au maximum ». Des dirigeants ont trouvé une autre voie, la clause étant contractée par une holding située en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne.

Trois pays où les juges ne réduisent pas les golden parachutes !

Auteur

  • Anne Fairise