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Vie des entreprises

Essais

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.12.2002 | Jean-Emmanuel Ray

Moment de très grande précarité pour le nouvel embauché, la période d'essai est l'objet d'une étroite surveillance de la Cour de cassation. Parce qu'elle déroge au droit commun du licenciement, sa mise en œuvre, sa durée, le recours à un nouvel essai et sa rupture sont strictement encadrés par la jurisprudence. Illustration avec de récents arrêts…

« Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître, et pour leurs coups d'essai veulent des coups de maître. » (Le Cid.)

Si en ces temps Internet la fonction de l'essai reste la même qu'au temps de Germinal – le salarié fait-il l'affaire ? –, la nature de l'exercice a beaucoup évolué : il s'agit moins de savoir si le nouveau collaborateur a le tour de main ou peut respecter les cadences que de vérifier son savoir-faire, sa capacité à s'insérer dans son collectif de travail, à s'entendre avec ses collègues ou à diriger son équipe.

Volumineuse jurisprudence, sur trois terrains.

A. – Existence de l'essai

« Une période d'essai ne se présume pas ; elle doit être fixée dans son principe et dans sa durée dès l'engagement du salarié. » L'arrêt du 26 septembre 2002 rappelle que la norme reste l'absence d'essai : sans stipulation expresse, le salarié n'en a donc pas, même si « on a toujours fait comme ça ». L'usage ne peut en effet tacitement fonder une période d'essai (Cass. soc., 23 novembre 1999).

Mais si elle est souvent prévue par le contrat de travail, l'absence de stipulation en ce sens ne signifie pas toujours absence d'essai : car la convention collective peut en imposer une, à la double condition fixée par l'arrêt du 26 septembre 2002 :

1° L'essai doit être institué « de façon obligatoire par la convention ». Tout dépend donc de la formulation retenue : « Tout cadre niveau III aura une période d'essai de trois mois renouvelable une fois » n'est pas du tout la même chose que « une période d'essai de trois mois pourra être prévue pour les ingénieurs ». Dans cette dernière hypothèse, l'absence d'essai dans le contrat signifie absence d'essai tout court.

2° « Nul n'est censé ignorer la loi » ? Cette fiction, de plus en plus fictive au pays des 300 000 textes, ne concerne pas la convention collective applicable. L'essai n'est opposable au salarié que s'il « a été informé, au moment de son engagement, de l'existence de la convention et mis en mesure d'en prendre connaissance » : bref, remise en main propre. En l'espèce, le salarié avait rempli une fiche d'embauche signalant l'existence de la convention collective, et donc de l'essai : inopposable.

Essai sur essai ne vaut : la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation est d'encadrer strictement cette période d'absolue précarité qui déroge au droit commun de la rupture, en insistant sur l'unique but que peut avoir l'essai : la vérification de l'aptitude du salarié au poste concerné. Ainsi, le 26 février 2002, avait-elle rappelé qu'en cas de renouvellement d'un CDD à un même poste, une seconde période d'essai était illégale, tout comme l'indique le Code du travail lorsqu'un CDI fait suite (plus ou moins volontairement) à un CDD pour un même emploi.

Même sanction, mais pas même motif pour une promotion assortie d'un nouvel essai : il s'agit alors de protéger le salarié contre une rupture aussi facile que rapide puisque n'étant pas un licenciement. Mais une période probatoire peut être prévue d'un commun accord. Si le salarié ne donne pas satisfaction au nouveau poste, il reprendra le précédent, ce qui n'a rien à voir avec une rupture d'essai visant le contrat lui-même.

Unique et logique exception : une totale novation du contrat. Ainsi, dans l'arrêt du 13 mars 2002, où un éducateur spécialisé est nommé psychologue : pour des fonctions et des responsabilités aussi différentes, le nouvel essai était valable et la rupture fondée. Même raisonnement du Conseil d'État le 26 juin 2002 s'agissant du reclassement d'un salarié protégé dans le cadre d'un projet de licenciement pour motif économique, dans une espèce très particulière. Un délégué à un poste à dominante technique se voit proposer une affectation de commercial créée pour lui, mais avec essai : « En l'absence de possibilités de reclassement plus favorables, la circonstance que l'offre soit assortie d'une période d'essai n'est pas, à elle seule, de nature à la priver de son caractère sérieux. »

B. – Durée de l'essai

La durée doit être fixée dès l'embauche, éventuel renouvellement prévu dès l'origine. Acte téméraire, donc, que de « donner sa seconde chance » à un jeune collaborateur, aussi prometteur que fâché avec les horaires, arrivé en fin d'essai. En l'absence de clause, ou si la convention collective n'en prévoit pas, il est illicite de lui faire signer un quelconque renouvellement : l'entreprise préférera donc s'abstenir et rompre, alors que donner une seconde chance se serait avéré plus favorable au salarié.

S'agissant d'un CDD, la durée de l'essai est naturellement très faible (un jour à un mois) pour éviter une précarité supplémentaire au sein d'un contrat déjà précaire. Il convient donc d'examiner très rapidement s'il fait l'affaire : au-delà, un reproche ne relevant pas de la faute grave ou lourde entraînera le versement intégral de l'ensemble des salaires à courir, plus l'indemnité de fin de contrat, passée à 10 %.

La Cour de cassation interdit de différer le début de l'essai : ainsi, en cas de stage en début de carrière, ce dernier s'imputera sur cette période particulière, alors que le salarié n'est pas au poste qui sera le sien et pour lequel il a été embauché.

L'essai étant destiné à vérifier les capacités du nouveau collaborateur, la suspension du contrat provoque l'allongement corrélatif de la période d'essai (Cass. soc., 22 mai 2002, en cas de congés), l'exemple souvent cité de la grève n'étant cependant pas le plus probant.

Le droit de la Fonction publique n'a pas vocation à s'appliquer aux salariés. Ainsi lorsque le nouveau collaborateur se voit indiquer qu'après l'essai il « sera en CDI », voire « titularisé ». Rien de tel en droit privé : l'essai est, au sein du contrat choisi par les parties, une période permettant la rupture immédiate, mais CDD comme CDI commencent dès le premier jour de travail.

C. – Ruptures d'essai

Ce thème est révélateur de l'état du marché du travail. Si, en période de crise, ce sont les salariés qui redoutent cette totale précarité, en cas de reprise, nombre d'employeurs craignent que leurs meilleurs collaborateurs chassés par la concurrence ne disparaissent du jour au lendemain. Il arrive même que certains happy few parmi les plus prometteurs, hésitant entre diverses propositions alléchantes, signent plusieurs contrats à temps plein légèrement décalés dans le temps, puis travaillent quelques jours dans l'entreprise pour sentir l'atmosphère avant de rompre l'essai pour aller voir dans la seconde comment cela se passe. On imagine les sueurs froides du DRH s'étant vanté d'avoir accroché trois grosses têtes.

Mais une rupture d'essai reste a priori une hypothèse marginale, ou il faut sérieusement s'interroger sur la compétence du service de recrutement. Le coût d'un « décrutement » suivi d'un re-recrutement est d'ailleurs tel que nombre de cabinets spécialisés ne sont payés par leur client qu'une fois la période d'essai passée.

Par définition, une rupture d'essai ne constitue ni une démission ni un licenciement. Employeur et salarié peuvent donc rompre sans préavis, ni procédure ni motif… à condition que l'essai n'ait pas expiré la veille. Car, dans cette hypothèse, le défaut de notification écrite et motivée du licenciement entraîne présomption irréfragable de défaut de cause réelle et sérieuse, il est vrai pour un salarié qui n'a que très peu d'ancienneté.

Rupture ni trop tôt…

Faut-il rappeler que la rupture avant essai ne constitue pas une rupture d'essai ? Ainsi, dans l'arrêt du 16 octobre 2002, une assistante pharmacienne ayant commencé son travail le 29 juin avait reçu le 30 juin par lettre recommandée avec AR signification de la fin de l'essai. « Le contrat de travail n'avait pas fait l'objet d'un commencement d'exécution à la date de notification de la rupture ; à défaut d'avoir pu apprécier les capacités professionnelles de la salariée, l'employeur ne pouvait se prévaloir d'une rupture d'essai. »

Qu'il s'agisse de CDD ou de CDI, un empressement excessif peut paraître destiné à contourner les arrêts du 12 mars 2002 (pour un CDD) ou du 6 mai 2002 (pour un CDI – voire la chronique de LSM d'octobre 2002), voulant sanctionner les entreprises ne donnant pas suite à des contrats dûment signés. Sauf faute grossière ou comportement vraiment étrange, quelques jours semblent insuffisants pour valablement juger un jeune cadre passé par le filtre très sélectif d'une procédure de recrutement.

… ni trop tard

Une rupture la veille du dernier jour d'essai fondée sur une « incompétence manifeste » laisse en effet songeur : si cette incompétence était aussi notoire, pourquoi diable avoir gardé le salarié plusieurs mois ? Pour des postes très pointus et concurrentiels, une telle pratique pourrait laisser penser qu'il s'agit plutôt d'un habile contournement des règles du CDD. S'agissant d'une mission ponctuelle mais essentielle, l'entreprise est prête à faire un pont d'or, en CDI, au collaborateur qui repoussera alors les offres alléchantes de la concurrence. Mais, curieusement, une fois la mission accomplie, il ne fait plus l'affaire. Faute.

Ruptures fautives

Rompre l'essai à tout moment, sans procédure ni motif, est un droit pour le salarié comme pour l'employeur. Encore faut-il que cette rupture intervienne dans des conditions convenables.

• Illégale : ainsi d'une rupture discriminatoire (cf. directive 2002/73 du 23 septembre 2002 mêlant discrimination et harcèlements, et C. trav., art. L. 122-45), souvent pénalement sanctionnée. Les exemples couramment cités (sexe, race, apparence physique) ne sont pas les plus probants : il est rare que l'employeur finisse par s'apercevoir de l'appartenance à tel sexe en cours d'essai. Quant au salarié présent depuis huit jours qui prend la tête d'une grève…

• Illicite, c'est-à-dire contraire à la convention collective, comme dans l'arrêt du 21 mai 2002 : nécessaire respect du délai conventionnel de prévenance, qui n'est pas inclus dans la période d'essai.

• Abusive : classique détournement de pouvoir (ex. : règlement de comptes très personnels), sanction du refus par le salarié d'une modification de son contrat (cf. Cass. soc., 4 juillet 2001 : refus d'insertion d'une clause de mobilité), ou tout simplement application de l'adage « Il y a de l'abus ». Ainsi, la Cour de cassation avait rappelé le 5 décembre 2001 qu'informer oralement le salarié de la fin de l'essai devant le reste du personnel constitue une faute. En attendant que le législateur aille au bout de sa renversante logique conduisant droit à une « société » de contentieux – tout décideur étant présumé coupable d'agir, à lui de démontrer qu'il s'est comporté en bon père de famille prudent et avisé, cf. en dernier lieu l'ébouriffante loi de modernisation sociale heureusement recadrée par le Conseil constitutionnel –, la preuve de l'abus repose encore sur le salarié.

• Collusion frauduleuse entre employeurs successifs : même un universitaire facétieux à la recherche d'un cas pratique original n'aurait pas osé soumettre à ses étudiants l'espèce jugée par la chambre sociale le 22 mai 2002. Désireux de se séparer habilement d'un collaborateur redouté, son employeur le fait débaucher par un concurrent complice, qui l'embauche à d'excellentes conditions… mais avec une période d'essai qui se révèle rapidement non probante. Découverte de la supercherie : le dol patronal initial annule la démission et la transforme en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et abusif.

FLASH

Fausse démission et autolicenciement

La Cour de cassation persiste et signe, hélas ! Comment partir à la concurrence tout en s'autolicenciant avec les indemnités de rupture, et sans cause réelle et sérieuse ?

Les craintes exprimées ici même (« LSM », septembre 2002 p. 65) sont hélas confirmées par l'arrêt du 26 septembre 2002 : « Une démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté de la part du salarié, laquelle n'est pas caractérisée lorsque le salarié prend acte de la rupture du contrat en reprochant à l'employeur de n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles même si, en définitive, les griefs invoqués ne sont pas fondés. »

Véritable filon qui intéressera nos 28 000 démissionnaires mensuels : 1° Partir avec fracas, en invoquant une insupportable modification du contrat de travail ou un harcèlement moral.

2° Prendre acte par écrit de la rupture en l'imputant à l'employeur qui, croyant bien faire, constatera le départ (Cass. soc., 30 octobre 2002).

3° L'assigner aux prud'hommes pour obtenir l'ensemble des indemnités de rupture et six mois pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en l'absence de lettre de notification.

4° Le temps du procès sera financé par l'Assedic puisqu'il n'y a pas de lettre de démission.

Voulant protéger le salarié contre les démissions provoquées, la Cour de cassation s'enferme depuis fin 2001 dans une logique binaire un peu primaire (absence de démission en droit, mais rupture tout de même : donc licenciement, forcément non fondé en l'absence de lettre).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray