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Repères

Les inconnues de l'après-Kessler

Repères | publié le : 01.12.2002 | Denis Boissard

Exit Kessler. Avec le départ surprise du vice-président du Medef, lequel prend en main les rênes du numéro un français de la réassurance, c'est le dernier acteur d'une ère mouvementée mais dense des relations sociales qui quitte la scène. Après les retraits successifs de Martine Aubry puis de Nicole Notat et, enfin, de Denis Kessler, c'est en effet une page qui se tourne.

Une page épique, pleine de bruit et de fureur, mais aussi riche en débats sans faux-fuyants sur des questions essentielles pour l'avenir de notre « modèle » social : Quelle stratégie pour l'emploi et contre le chômage ? Quel aggiornamento pour notre système de formation professionnelle ? Quelle architecture pour l'assurance maladie ? Quelle réforme pour les retraites ? Quelle place pour le paritarisme et le dialogue social ? Le bouillonnement d'idées, de propositions et de projets que nous avons connu ces dernières années (plutôt rafraîchissant pour les vieux routiers des questions sociales) n'aurait sans doute pas vu le jour sans la présence aux premiers postes du social de ce trio talentueux, conjuguant puissance de réflexion, force de conviction et, chacun à sa façon, vraie volonté réformatrice.

Qu'on partage ou non ses idées,

l'apport du remuant Kessler à l'appareil patronal est indéniable. C'est largement sous son impulsion que l'ex-CNPF est sorti de son discours monomaniaque sur la baisse des charges, qu'il a renouvelé son corpus idéologique, qu'il a – semble-t-il – définitivement rompu ses vieilles attaches avec le néocolbertisme hexagonal pour se convertir à la mondialisation libérale. On doit également à cet agitateur d'idées une véritable revitalisation de la négociation sociale interprofessionnelle dans notre pays. La politique contractuelle au sommet était un peu considérée comme une vieille lune. Paradoxalement, c'est le très libéral patron de la Fédération française des sociétés d'assurances qui l'a – avec la cédétiste Nicole Notat – réactivée pour contrer l'interventionnisme tous azimuts du gouvernement Jospin.

On peut disserter à l'infini sur le bilan de la refondation sociale.

S'agissant de l'assurance chômage, les premiers résultats du Pare sont mitigés, mais le nouveau dispositif pâtit du retournement de conjoncture et des aménagements exigés par Martine Aubry qui ont interdit tout contrôle efficace de la réalité des efforts du demandeur d'emploi. L'échec est, pour le moment, patent sur la formation professionnelle. En revanche, patronat et syndicats ont imposé aux politiques l'idée que l'État devait laisser une plus grande place au dialogue entre les partenaires sociaux et à la négociation collective dans la régulation du social, contraignant même le candidat Jospin à faire amende honorable sur le sujet. Un succès qui n'est pas mince dans un pays à forte culture étatiste. Preuve que le bilan n'est pas jugé aussi sévèrement dans les rangs du patronat que chez certains observateurs : la ligne Kessler est maintenue. Ernest-Antoine Seillière l'a récemment confirmé : le chantier de la refondation sociale continue, malgré l'absence de son principal artisan.

Le départ de Denis Kessler pourrait néanmoins changer la donne.

D'abord, et ce n'est pas forcément une mauvaise chose, sur les méthodes de négociation. Formidable brasseur d'idées et bon stratège, le numéro deux du Medef était, disons-le franchement, un négociateur plutôt médiocre. La façon de conduire les discussions de cet adepte du discours musclé et du diktat avait un peu la subtilité du bulldozer et de sa progression inexorable. Convaincu de la pertinence de ses propositions, il semblait refuser d'admettre que la négociation se construit par un échange de concessions réciproques, et que le point d'arrivée est forcément assez différent des positions de départ.

Mais le retrait de Denis Kessler comporte aussi un risque, celui que le Medef ne retombe dans les vieux travers de l'ex-CNPF : un retour en force des baronnies de branche, l'accent essentiellement mis sur le lobbying auprès de Bercy et l'utilisation des dossiers sociaux pour des arrangements de circonstance avec tel ou tel syndicat. L'UIMM, le puissant patronat de la métallurgie, qui pourrait revenir au premier plan dans les circonstances actuelles, milite déjà presque ouvertement – dans la dernière livraison de sa revue Actualité – pour un renversement d'alliance sur le plan syndical… au profit de FO, son partenaire privilégié au sein de la branche. Extraits : « Ne voit-on pas la CFDT chercher à se démarquer un peu de la ligne suivie depuis deux ans pour afficher des positions plus autonomes et plus dures, tandis que Force ouvrière paraît vouloir se réinsérer plus résolument dans le jeu contractuel. Il s'agit là d'impressions. Si elles devaient se confirmer, les contours du paysage syndical pourraient s'infléchir et un certain rééquilibrage s'opérer. » Voilà qui a le mérite de la clarté.

Auteur

  • Denis Boissard