logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les camarades syndiqués ont les tempes grisonnantes

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.12.2002 | Sarah Delattre

Entre les restructurations industrielles et la crise des vocations militantes, les centrales syndicales ont pris un sacré coup de vieux. Dans les entreprises, certaines sections ferment après le départ en retraite de leurs délégués. Actions ciblées, communication ad hoc… tout est bon pour rajeunir les troupes. Mais plus question pour les jeunes recrues d'entrer en religion.

Dans une atmosphère de fête, plus de 20 000 militants CFDT font la ola en attendant l'arrivée de leur secrétaire général, François Chérèque. Scène vue au Palais omnisports de Bercy, le 15 octobre dernier. À la fin du meeting, les fidèles se trémoussent sur un air des Blues Brothers, dans un océan de ballons et de confettis argentés tombés du ciel. Une savante mise en scène destinée à galvaniser des troupes vieillissantes. Car la CFDT n'échappe pas à la loi du genre. D'année en année, les tempes de ses militants blanchissent. En 1973, au congrès de Nantes, plus du tiers des délégués avaient moins de 30 ans. Actuellement, ils sont à peine 1 % dans cette tranche d'âge. La base n'est guère plus fringante : « 8 % de nos adhérents ont moins de 30 ans et 28 % ont passé la barre des 50 », précise Jacky Bontems, secrétaire général adjoint de la confédération.

À la CGT aussi, les camarades prennent des rides. À l'Union départementale de Paris, la moyenne d'âge des délégués dépasse les 46 ans. Lors d'un congrès, en octobre, le doyen a soufflé ses 90 bougies. Autre signe révélateur de ce vieillissement, la revue cégétiste la Nouvelle Vie ouvrière a dénombré près de 60 % de plus de 50 ans parmi ses 60 000 abonnés, qui représentent le cœur de la confédération. Le temps est loin où les syndicats rassemblaient une foule de jeunes militants soixante-huitards, le poing brandi et la politique chevillée au corps. « En une vingtaine d'années, les syndicats ont pris un terrible coup de vieux », note Daniel Labbé, ancien délégué central CFDT de Renault, reconverti dans le conseil en relations sociales. Et, selon lui, c'est Force ouvrière qui mérite la médaille vermeille.

Les restructurations industrielles ont fait des ravages, en ébranlant les forteresses syndicales et en entraînant une véritable crise des vocations militantes. « Les années 80 nous ont fait perdre les deux tiers de nos adhérents. Cette vague de désyndicalisation se traduit aujourd'hui par une pénurie de responsables », constate Dominique Gillier, secrétaire national de la Fédération CFDT de la métallurgie. Les syndicats, qui ont grandi dans l'entreprise taylorienne, peinent en outre à s'adapter aux nouvelles organisations du travail – entreprise en réseau, travail à distance – et ont le plus grand mal à s'implanter dans les secteurs créateurs d'emplois du tertiaire.

Et si les négociations sur les 35 heures ont relancé la machine des adhésions, ce regain d'intérêt pourrait n'être qu'un feu de paille, car les jeunes salariés ne se bousculent pas au portillon. L'individualisation croissante des relations du travail, une précarisation plus grande de l'emploi et des méthodes de management plus « participatives » ne les incitent guère à s'engager. « Souvent aussi, ils refusent de se syndiquer car ils ont peur de subir des discriminations et de voir leur carrière bloquée », affirme Gérard Patacq, 55 ans, secrétaire FO chez Sollac Méditerranée, filiale d'Usinor. Et quand ils se décident à prendre leur carte, ils le font souvent à un âge plus avancé que leurs aînés, car ils sont entrés plus tard sur le marché du travail. Résultat, les sections syndicales finissent pas ressembler à des associations d'anciens combattants. Et la génération de 68, qui tient encore les rênes, s'inquiète de savoir qui reprendra le flambeau. À terme, le papy-boom risque bien de saigner à blanc les derniers bastions du syndicalisme.

Des sections menacées de mort

Chez Sollac Méditerranée, à Fos-sur-Mer, la CFDT se prépare à affronter les départs en retraite du tiers de ses délégués, âgés en moyenne de 48 ans. Même chose dans la banque, où le Syndicat national de la banque CFE-CGC s'attend à perdre le quart de ses syndiqués d'ici à cinq ans. « Dans les dix prochaines années, un adhérent sur cinq va nous quitter. S'ils ne sont pas remplacés, ces départs porteront un coup aux finances du syndicat et nous obligeront à revoir notre organisation », souligne Michel Faure, membre du Syndicat national des agents de la Direction générale des impôts CGT. Déjà sous perfusion, des sections sont, sans apport de sang neuf, carrément menacées de disparition. C'est le cas chez Michelin, où les vagues de licenciements des années 80 ont frappé de plein fouet la CGT. L'ancêtre des syndicats français ne s'en est pas remis. « Les anciens vont bientôt partir, mais nous craignons de ne pouvoir assurer la relève sur des sites comme Bourges ou Vannes », admet François Boisset, 55 ans, délégué syndical central CGT depuis 1989. Ce « Bib » avoue l'impuissance du syndicat à attirer de nouvelles recrues. « Avant, quand on descendait dans les ateliers, il y avait toujours des ouvriers qui participaient aux débats. Aujourd'hui, ils sont dispersés et lorsqu'on tente de rencontrer les techniciens dans les bureaux d'études, ils piquent du nez sur leur écran d'ordinateur. »

Pour couronner le tout, les délégués, qui cumulent souvent plusieurs mandats, s'épuisent dans les réunions et perdent ainsi le contact avec le terrain. « Dans l'industrie ou la banque et dans les PME, il n'est pas rare de voir une section mourir après le départ en retraite de ses délégués. À tel point que des entreprises comme Arcelor ou Alstom se préoccupent de savoir avec qui elles négocieront dans quelques années », ajoute Daniel Labbé.

Face à ce danger, la CFTC et FO ont adopté la politique de l'autruche. Leurs états-majors continuent de tenir des propos rassurants. « Certes, apporter du sang neuf est un souci permanent, mais je n'ai pas le sentiment que notre base vieillit, se félicite Roland Houp, trésorier confédéral de Force ouvrière. Au contraire, dans les unions locales, je rencontre beaucoup de nouvelles têtes. » Reste que, sur le terrain, la réalité est nettement moins rose. « La moyenne d'âge de nos adhérents se situe entre 47 et 53 ans », confie Jacky Laforest, secrétaire général de l'UD de la Creuse.

Femmes et jeunes bienvenus

Plus clairvoyantes, la CFDT, la CGT et, dans une moindre mesure, la CFE-CGC ont fait du rajeunissement des troupes une véritable priorité. À la CFDT, le mot d'ordre est d'ouvrir grandes les portes aux femmes et aux jeunes. La confédération du boulevard de la Villette à Paris, qui s'est donné comme objectif d'atteindre 1 200 000 adhérents d'ici à 2007, a lancé une véritable opération commando. Des groupes d'action pour la syndicalisation et des développeurs sont chargés de réfléchir aux moyens de booster les adhésions. Pour capter l'attention d'une jeunesse pressée et susceptible de passer d'une organisation à l'autre, les syndicats ont abandonné les discours trop idéologiques et adopté une attitude plus pragmatique. Ils expérimentent par ailleurs des services aux salariés. « En plus d'une assistance juridique gratuite, nous allons lancer en janvier prochain une plate-forme téléphonique avec des psychologues qui répondront aux questions liées au harcèlement et au stress », vante Régis dos Santos, vice-président national du SNB CFE-CGC.

Dans les instances supérieures, des structures confédérales sont aussi chargées de disséquer les attentes et les problèmes spécifiques des jeunes. Et, sur le terrain, les militants redoublent d'efforts pour aller à la rencontre d'une population décidément très courtisée. La CFDT mène ainsi une opération marketing en direction des saisonniers du tourisme et de l'agriculture. Chaque été, la centrale tient des permanences sur une cinquantaine de sites et sillonne les plages à bord de caravanes itinérantes. En amont, CFDT et CGT donnent aussi des leçons de syndicalisme aux étudiants en essayant de renforcer leur présence dans les centres de formation et les universités. « Nous participons par exemple à des forums d'étudiants, et lors de la campagne prud'homale, des conseillers se sont postés aux portes des facultés pour rencontrer les salariés étudiants. Après le congrès de mars 2003, une caravane de jeunes fera aussi un tour de France des principaux bassins d'emploi », ajoute Romain Altmann, responsable national du Centre confédéral de la jeunesse CGT.

Un vivier de futurs responsables

À la Fédération CFDT de la métallurgie, on s'est mis à raisonner comme un chef d'entreprise confronté à une pénurie de main-d'œuvre. Pour gérer au mieux la transmission des compétences syndicales, la fédé a réalisé un audit auprès de 300 délégués avant d'établir un plan de bataille. « Les adhérents d'aujourd'hui sont les militants de demain et les responsables d'après-demain, lance Dominique Gillier, le secrétaire national. Nous voulons constituer un vivier de futurs responsables, ce qui implique de les repérer longtemps à l'avance pour mieux les accompagner et baliser leur parcours de formation syndicale. Nous avons aussi identifié les savoir-faire syndicaux dont nous avons besoin et établi un référentiel de compétences. »

Sur le terrain, les sections mettent les bouchées doubles pour présenter systématiquement les actions du syndicat aux jeunes recrues. « En 2000, un plan de départs en retraite anticipés nous a fait perdre plus de 40 % de nos adhérents. Notre section risquait de mourir à petit feu, se souvient Daniel Gras, délégué syndical central CFDT chez Renault Trucks, à Bourg-en-Bresse. Dans le même temps, il y a eu de nouvelles embauches de jeunes. Une quinzaine de nos militants ont alors suivi une formation syndicale qui les a remotivés. On a réinvesti le terrain et appris à mieux communiquer sur les actions du syndicat et du comité d'entreprise. Au total, on a gagné une quarantaine de syndiqués, dont beaucoup sont âgés de moins de 30 ans. »

Il n'empêche que les syndicats ont du mal à appréhender les revendications plus complexes des nouveaux syndiqués. Aujourd'hui, la bataille ne se situe plus sur le seul champ des salaires. Outre les conditions de travail, les militants attendent des syndicats qu'ils s'attaquent à la formation, aux qualifications et à l'évolution professionnelle. « Un militant qui désirait s'engager dans la lutte contre le sida n'a pas été soutenu par son syndicat. Pourtant, il aurait pu se battre contre les discriminations dont souffrent les séropositifs au travail. Mais les syndicats fonctionnent encore sur de vieux schémas et commencent juste à saisir que les préoccupations des jeunes d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes qu'hier », note Romain Altmann.

Surtout, les jeunes ont une autre conception du syndicalisme ; ils veulent bien s'engager mais refusent d'entrer en religion. « Je suis l'incarnation même du permanent qui a sacrifié sa carrière professionnelle au nom du syndicat, confie Didier Niel, secrétaire général de l'UD CGT à Paris. De nos jours, il n'en est plus question. Les jeunes veulent bien consacrer cinq à dix ans de leur vie au syndicat mais souhaitent pouvoir réintégrer le monde du travail. » Ce qui suppose que les syndicats veillent à l'employabilité de leurs permanents et leur assurent des formations professionnelles autres que les sempiternels stages syndicaux.

Plus exigeants, les jeunes militants veulent concilier vie privée, vie professionnelle et vie syndicale. « Le militantisme a changé de visage. Il ne faut surtout plus prévoir des réunions tard le soir ou des actions le week-end », regrette Béatrice Sylvain, secrétaire générale FO de l'UD de l'Yonne. « Les jeunes n'ont pas la même vision du syndicalisme. Ils s'organisent différemment et plutôt que de se rencontrer, ils utilisent le mail ou le portable », abonde Régis dos Santos, du SNB CFE-CGC.

Encore faut-il que la vieille garde accepte de laisser les jeunes prendre des responsabilités. Dévoués corps et âme à la cause, les anciens ont tendance à s'accrocher à leurs mandats. D'autant qu'ayant souvent sacrifié leur carrière professionnelle ils ne savent plus rien faire d'autre que de militer. Chez Michelin, François Boisset, délégué syndical central CGT, admet volontiers que « les camarades sont en partie responsables de l'affaiblissement du syndicat, en ne faisant pas assez de place aux jeunes ». C'est pour obliger les équipes à se renouveler qu'à son arrivée à la tête de la CFTC, en 1993, Alain Deleu a modifié les statuts pour limiter à trois le nombre de mandats aux postes de président, de secrétaire général et de trésorier, tant à la confédération qu'au sein des fédérations professionnelles et des unions locales. Au niveau confédéral, la CFDT tente d'aider ses anciens à retomber sur leurs pieds et a créé une cellule de reclassement chargée de faciliter leur retour sur le marché du travail. Tout un symbole !

Le lobby des retraités

On les voit donner un coup de main pour tirer les tracts et les distribuer sur les marchés. Ils tiennent quelquefois l'accueil dans les unions locales et, sans eux, les manifestations seraient plus clairsemées. Si les jeunes ne sont pas légion dans les syndicats, les retraités y occupent une place prépondérante. Les syndicats cherchent d'ailleurs à convaincre davantage de salariés du privé de continuer à se mobiliser une fois la retraite sonnée. Un bon moyen de maintenir ouverte la vanne des cotisations. La CGT revendique plus de 128 000 retraités, soit un cinquième des effectifs. Si FO garde le silence sur le nombre de ses adhérents, elle admet approcher le même ratio de retraités. À la CFDT, en revanche, ceux-ci ne représenteraient que 6 % des effectifs. Issus généralement du secteur public, de la métallurgie ou de l'énergie, ils participent activement à la vie du syndicat et siègent souvent dans les comités de contrôle. Disponibles et expérimentés, ils s'activent aussi dans les associations de consommateurs des centrales et siègent dans plusieurs organismes paritaires. « Les retraités sont présents au Conseil national, l'instance chargée de veiller à l'application des orientations », explique Claude Lacour, à l'Union confédérale des retraités CFDT.

Organisés en unions de retraités au niveau des confédérations, mais aussi des fédérations professionnelles et des unions locales, ils finissent par exercer un puissant lobbying sur les thèmes de la retraite ou de la protection sociale. « Nos revendications portent essentiellement sur le pouvoir d'achat des retraités, les problèmes de santé et de dépendance. Et, sur toutes les questions d'environnement, de protection sociale et de qualité de la vie, nous exerçons incontestablement une influence sur les orientations du syndicat. Mais nous ne sommes pas les gardiens du temple et c'est la raison pour laquelle je veille à ce que nous n'empiétions pas trop sur les revendications des actifs », témoigne Michel Bruneau, secrétaire général de l'Union confédérale des retraités CGT, ancien salarié d'EDF.

Auteur

  • Sarah Delattre