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Politique sociale

Couverture à deux vitesses pour les chômeurs transalpins

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.12.2002 | Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Pour un peu, les victimes du plan social de Fiat feraient figure de privilégiées. Car elles bénéficient, avec la Cassa integrazione, d'une bonne protection contre le chômage, dans un pays où la majorité des salariés ne dispose que d'un maigre filet de sécurité. Mais le pacte conclu cet été entre l'État et les partenaires sociaux ouvre la voie à une amélioration du système.

Quand Fiat tombe malade, c'est toute la Péninsule qui a de la fièvre ! Les quelque 8 000 suppressions d'emplois annoncées au début de l'automne par le géant industriel transalpin pour relancer sa filiale automobile sont devenues une véritable affaire d'État en Italie. Et l'objet d'âpres négociations entre les dirigeants de Fiat et le gouvernement Berlusconi. Car le constructeur, qui demande la déclaration de l'« état de crise », entend bien profiter des mesures de chômage technique de longue durée réservées à l'industrie italienne.

Au fil de ses restructurations, Fiat est devenu l'un des premiers utilisateurs, en Italie, de l'inusable Cassa integrazione, ce dispositif destiné à payer les salariés mis au chômage durant une certaine période sans pour autant que les bénéficiaires soient comptabilisés parmi les demandeurs d'emploi. Ce mois-ci, 5 550 salariés travaillant chez Fiat Auto et chez les équipementiers du groupe Comau et Magneti devraient être placés en chômage technique total (Cassa integrazione straordinaria) pour une durée d'un an. Une seconde vague d'environ 2 000 employés devrait suivre en juin 2003. Sans compter les 500 préretraites qui viendront s'ajouter aux 2 900 acceptées par les syndicats de Fiat, hormis la Fiom, branche mécanique de la CGIL, dans le cadre d'un accord signé avec le groupe turinois en juillet 2002. Âgés de 54 ou 55 ans, ces salariés percevront 80 % de leur dernier salaire pendant trois ou quatre ans avant d'être mis à la retraite.

Paradoxalement, les victimes des charrettes du groupe Fiat ne sont pas les plus mal loties. Car l'Italie n'a jamais imaginé de système global d'assurance chômage. Les filets de sécurité existants, tissés au coup par coup lors des grandes crises industrielles, à l'instar de la Cassa integrazione guadagni (CIG), laissent passer beaucoup de monde à travers leurs mailles. « Le système italien assure une protection très importante à certaines catégories de salariés, essentiellement ceux des grandes entreprises industrielles, à travers un instrument anormal comme la Cassa integrazione », estime Maurizio Ferrera, professeur à l'université de Pavie et spécialiste de l'État providence.

Clé de voûte du système italien d'assurance chômage, ce généreux dispositif absorbe le tiers des crédits destinés aux « amortisseurs sociaux », comme on les appelle en Italie. CIG « ordinaire » pour le chômage technique de courte durée ou « exceptionnelle », permettant de toucher 80 % du dernier salaire pendant un à deux ans, éventuellement prorogeables, ne s'appliquent qu'aux entreprises industrielles de plus de 15 salariés et aux entreprises de distribution employant plus de 200 personnes.

Très fermée Cassa integrazione

L'autre « avantage » accordé aux salariés dont les entreprises cotisent à la CIG est la « mise en mobilité », une forme de licenciement décidé directement par l'entreprise, ou à la suite d'une période de Cassa integrazione. Les personnels concernés perçoivent 80 % de leur salaire pendant un an, puis 64 % au-delà pour une période variant de un à quatre ans en fonction de l'âge du salarié et de sa région d'origine, l'indemnisation étant plus longue au sud, où le chômage est endémique.

Pas question d'élargir le cercle fermé des bénéficiaires de la Cassa integrazione. Surtout pas aux salariés du tertiaire. Selon les estimations des syndicats italiens, entre 15 et 30 %, au maximum, des 4 millions de personnes travaillant dans ce secteur sont couvertes par la CIG. Matrix, la plus grande société d'Internet italienne, l'a appris à ses dépens. Elle a versé à la Cassa integrazione des cotisations… qui lui ont été restituées. Motif : Matrix n'appartient pas au secteur de la distribution. Les salariés ne l'ont découvert qu'au début de 2002, lorsque l'entreprise a voulu licencier 100 de ses 300 salariés. Il n'existe que quelques rares exceptions à la règle. Depuis plusieurs années, le législateur autorise ainsi des agences de voyages, des tour-opérateurs et des sociétés de gardiennage à recourir à la Cassa integrazione. Pour un an seulement et uniquement les entreprises qui emploient entre 50 et 100 salariés. Et encore, dans la limite des fonds disponibles. Autrement dit, mieux vaut pour les salariés concernés que leur société traverse une mauvaise passe en janvier qu'en fin d'année !

Moins bien que la Grèce

Partout ailleurs, il ne fait vraiment pas bon être licencié. En cas de perte d'emploi, près de 70 % des travailleurs transalpins se retrouveraient sur le bord de la route, au mieux avec une allocation représentant 40 % de leur dernier salaire, et pendant six mois seulement, du moins tant que la réforme décidée en juillet 2002 n'aura pas été adoptée par le Parlement (voir encadré). Comme le rappelle l'étude que vient de réaliser l'universitaire Maurizio Ferrera, la couverture chômage est inférieure à celle de tous les autres pays européens, Grèce comprise !

Du coup, directions et syndicats cherchent à éviter à tout prix les charrettes en cas de restructuration. Alitalia, qui avait décidé de supprimer 2 100 emplois après les attentats du 11 septembre 2001 (très exactement 2 500 en comptant le non-renouvellement des CDD), a conclu un accord excluant tout licenciement. La compagnie aérienne a proposé aux salariés proches de la retraite un accompagnement en douceur jusqu'à ce qu'ils puissent faire valoir leurs droits. L'équivalent d'une préretraite financée par l'entreprise. « 900 personnes ont accepté cette solution et beaucoup d'autres auraient aimé faire partie de la liste », note Alberto Garzia, responsable des personnels au sol de la section transports de la CGIL, le plus grand syndicat italien. De leur côté, les syndicats ont accepté le principe de treize jours chômés non payés par an et ont renoncé à certains avantages.

De faux travailleurs autonomes

« Dans le transport aérien, les licenciements sont une véritable catastrophe parce que les salariés n'ont aucun filet de sécurité, résume Francesco D'Arrigo, commandant de bord chez Alitalia et responsable de la coordination nationale des pilotes du syndicat CISL. Dans les compagnies comme Alitalia, Meridiana ou Eurofly, toutefois, on arrive à conclure des accords pour éviter les licenciements. Mais dans les sociétés sous-traitantes qui fournissent, par exemple, les plateaux-repas, les salariés peuvent se retrouver sans rien du jour au lendemain. »

La situation est encore plus dramatique pour les nombreux travailleurs non salariés, qui n'ont droit à rien. D'après les propres statistiques de l'organisation patronale Confindustria, ces travailleurs autonomes représentent 26 à 27 % du total des personnes en activité, ce qui constitue un record dans l'Union européenne. Il ne s'agit pas uniquement d'avocats ou d'architectes. Pour éviter de passer le seuil fatidique de 15 salariés, qui les expose à une réglementation beaucoup plus contraignante, de nombreuses entreprises italiennes embauchent sous forme de « collaboration continue et coordonnée » et à titre de « consultant extérieur » des personnes travaillant à temps plein dans leurs locaux et dépendant de l'encadrement. « Toutes ces personnes n'ont aucune couverture au cours des périodes où elles ne travaillent pas ou en cas de licenciement », explique Emilio Viafora, secrétaire général du Nidil, branche créée par la CGIL pour protéger ces travailleurs atypiques, estimés à plus de 2,5 millions.

Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques, Marco, âgé d'à peine 30 ans, s'est ainsi fait licencier au printemps 2002 par l'agence de communication pour laquelle il réalisait un travail éditorial. « Je n'ai droit à aucune indemnité, juste au préavis de trois mois prévu dans mon contrat », raconte ce travailleur autonome. « Ce ne sont pas forcément des jeunes. L'âge moyen des collaborateurs extérieurs est de 40 ans. Ce sont des gens qui hésitent à se marier, à avoir des enfants… », souligne Emilio Viafora.

Pas de RMI à l'italienne

En dépit de l'insistance des syndicats, le patronat est resté inflexible lors des négociations du printemps dernier. Les chefs d'entreprise transalpins estiment que le risque de rester sans travail fait partie intégrante du statut « choisi » par les travailleurs autonomes : « Il faut bien sûr sanctionner les entreprises qui abusent du statut de collaborateur extérieur. Mais il est clair qu'une personne travaillant sur projet n'a pas à demander des indemnités de chômage », estime la Confindustria.

Contre les carences du régime d'assurance chômage, il n'existe pas de RMI à l'italienne. « Sauf à titre expérimental dans certaines villes. Du coup, la famille joue le rôle de caisse de compensation, indique Maurizio Ferrera. C'est un cercle vicieux, parce que cela bloque la mobilité géographique : les jeunes du Sud restent dans leur région où ils ne trouvent pas de travail parce que s'ils sont embauchés dans le Nord, ils sont privés du soutien de leur famille. » Résultat, pour certains jeunes Napolitains qu'on voit manifester contre la réforme des retraites, la pension du père ou du grand-père est un élément essentiel de survie !

Ce n'est pas le dernier plan social de Fiat, avec la fermeture prévue pour un an de l'usine sicilienne de Termini Imerese, qui va améliorer la situation dans le Sud. Sa réouverture, après une année de chômage technique, est la condition sine qua non posée par le gouvernement Berlusconi pour ouvrir les robinets de la Cassa integrazione.

Vers une nouvelle couverture chômage

Après plus de neuf mois d'une intense bataille, le gouvernement Berlusconi et les partenaires sociaux (sauf la CGIL) ont fini par signer le 5 juillet dernier, sous l'appellation pompeuse de Pacte pour l'Italie, un accord réformant partiellement les « amortisseurs sociaux ».

En contrepartie d'une suspension de l'article 18 prévoyant la réintégration des salariés indûment licenciés, les indemnités de chômage seront revues à la hausse. Au lieu de toucher 40 % de leur dernier salaire pendant six mois, les demandeurs d'emploi obtiendront, quand la réforme aura été votée, 60 % de leur salaire pendant six mois, puis 40 % pendant trois mois, et enfin 30 % sur les trois derniers mois de prise en charge. Le gouvernement devrait débloquer 700 millions d'euros pour financer cette mesure. La nouvelle indemnité sera conditionnée à la recherche active d'un emploi : les chômeurs risquent de perdre leurs droits en cas de travail au noir et de refus d'un emploi ou d'une formation. Les règles actuelles sur la Cassa integrazione ne seront pas modifiées. En revanche, les secteurs qui n'y cotisent pas actuellement (le tertiaire notamment) seront encouragés à mettre en place, sur une base volontaire et au moyen des conventions collectives de branche, un système de prestations qui devrait fonctionner de façon similaire. Enfin, un « revenu de dernière instance », sorte de RMI à l'italienne, financé par la fiscalité, sera versé aux citoyens les plus démunis. La Confindustria, le patronat italien, ne s'est pas opposée à l'amélioration de la couverture chômage. Deux syndicats sur trois, la CISL et l'UIL, ont signé l'accord. Quant à la CGIL, fer de lance de l'opposition syndicale à la politique sociale de Silvio Berlusconi, elle se bat pour la généralisation de l'indemnité de chômage aux collaborateurs extérieurs, aux employés de maison et aux apprentis. La centrale désormais dirigée par Guglielmo Epifani veut également rendre universelle la Cassa integrazione en cas de suspension temporaire d'activité.

Auteur

  • Marie-Noëlle Terrisse, à Milan