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La « capi » progresse à petits pas

Dossier | publié le : 01.12.2002 | S.B.

De plus en plus d'entreprises françaises mettent en place des régimes de retraite à cotisations définies. En multipliant les garde-fous, pour limiter l'exposition aux fluctuations boursières.

Sale temps pour les fonds de pension. C'est peu dire que la dégringolade boursière ne redore pas le blason des régimes de retraite par capitalisation. Mais à quelque chose malheur est bon. Et, du côté des organisations syndicales, on se félicite que la réforme des retraites n'ait pas été lancée voilà trois ans, en pleine euphorie des marchés financiers. Car ces tenants de la répartition auraient eu fort à faire. « La bulle Internet avait semé beaucoup d'illusions. La croissance artificielle des valeurs boursières permettait d'escamoter le besoin de financement des retraites. Si on avait pris des décisions à cette époque, on aurait opté pour un système par capitalisation important », estime ainsi Jean-Christophe Le Duigou, chargé des questions économiques à la CGT. Une analyse partagée par son homologue de la CFDT, Jean-Marie Toulisse, qui se souvient qu'il y a deux ans tout le monde se moquait du « faible » rendement de la Préfon, le régime de retraite par capitalisation réservé aux fonctionnaires (voir encadré page 66). « Aujourd'hui, plus personne n'en rit », constate-t-il. Dans les entreprises aussi, on reconnaît que l'ivresse de la bulle Internet n'aurait pas été forcément bonne conseillère. « Le contexte boursier d'il y a deux ans pouvait susciter pas mal de dérives et de délires, estime Christian Bourreau, DRH d'Unilever, tout en regrettant qu'aucune décision n'ait été prise dans les années 90, sitôt posé le diagnostic du Livre blanc de Michel Rocard.

Les partisans de la répartition ont d'autres arguments à faire valoir que la seule déroute des marchés. Jean-Christophe Le Duigou rappelle que dans presque tous les pays industrialisés l'évolution démographique ne s'annonce pas favorable à la capitalisation, avec des départs massifs à la retraite de salariés qui vont commencer à toucher leur pension. « Les fonds de pension américains vont être vendeurs nets d'actifs d'ici deux à trois ans, prévient-il. C'est la raison pour laquelle des gens comme Bill Crist, le patron de Calpers, voudraient voir très vite la création de fonds de pension en France, pour racheter les titres américains. » Porte de Montreuil, la priorité ne va pas à l'introduction d'une dose de capitalisation, mais bien à la consolidation des régimes existants. Côté CFDT, on est grosso modo sur la même longueur d'onde. « En dix ans, seule la répartition est capable d'offrir un taux de remplacement suffisant, rappelle Jean-Marie Toulisse. Pour la capitalisation, il faut au moins vingt ans devant soi. »

À long terme, les actions demeurent rentables

Les défenseurs de la « capi » ne désarment pas. « Sur les moyen et long termes, chacun s'accorde à penser que les produits financiers restent un des placements les plus rémunérateurs », assure Philippe Dupont, président de Natexis Banques populaires, qui mise sur le développement de l'épargne salariale pour résoudre une partie du « problème des retraites ». « Il est toujours difficile de s'abstraire du court terme. Mais, demain, les actions, qui sont indexées sur la croissance, rapporteront toujours plus que les obligations », abonde Gilbert Gurcel, directeur de La Mondiale Entreprises. Des convictions que vient conforter l'une des dernières études de la CDC Ixis, rédigée par Patrick Artus. D'après celle-ci, « malgré la correction boursière », le rendement nominal des fonds de pension américains entre 1972 et 2002 s'est élevé à 12 % par an, contre 7,5 % pour la répartition. Un écart qui, selon la CDC Ixis, « pourrait ne pas beaucoup bouger dans le futur, le vieillissement démographique affectant de manière voisine le rendement des deux systèmes »…

Dans les entreprises aussi, on fait preuve de discernement. « Notre vision n'a pas changé. Un salarié qui fait aujourd'hui un placement à l'horizon de quinze ans a tout intérêt à acheter des actions », affirme ainsi Patrick de Vanssay, directeur retraite, prévoyance, épargne salariale à la direction des ressources humaines de PSA. Preuve que le constructeur automobile croit fermement aux vertus de la capitalisation, il a mis en place, le 1er juillet dernier, un régime de retraite à cotisations définies (article 83 du Code général des impôts) auquel cotisent tous les salariés qui ont un revenu supérieur au plafond de la Sécurité sociale. Auparavant, seuls les cadres bénéficiaient d'un régime à prestations définies (article 39).

Selon les assureurs, le cas de PSA n'est pas isolé. « La capitalisation se développe. Et elle est de moins en moins réservée aux cadres dirigeants et supérieurs, observe Gilbert Gurcel. On voit aujourd'hui des entreprises mettre en place des plans pour des collèges entiers de salariés, voire pour l'ensemble de leur personnel. » À La Mondiale Entreprises, le nombre de dossiers individuels à gérer a, ainsi, augmenté de 50 % entre septembre 2001 et septembre 2002. Une tendance qui se confirme pour la profession tout entière. Selon les chiffres de la FFSA, les cotisations des contrats de retraite d'entreprise sont passées de 2,1 milliards d'euros en 1996 à 5,1 milliards d'euros en 2001.

« Jusqu'à maintenant, le développement s'est concentré pour l'essentiel sur les très grandes entreprises, précise Martine Rapoport, directrice du centre de partenariat Entreprises à la CNP. Mais, depuis un peu plus d'un an, on voit apparaître des initiatives nouvelles. » C'est notamment le cas des Autoroutes du sud de la France (ASF), qui ont mis en place, voilà un an, un régime à prestations définies pour les cadres nés avant le 1er janvier 1948 et un régime à cotisations définies pour tous les autres. « Il serait anormal que les entreprises se désintéressent de la question des retraites, alors même qu'elles ont en interne ce type d'expertise », justifie Yann Charron, le DRH. « L'idée s'est répandue parmi les sociétés qu'il ne fallait plus attendre que les pouvoirs publics se saisissent du sujet, confirme Gilbert Gurcel. Pour éviter de prendre de plein fouet le choc de la baisse des taux de remplacement, elles ont compris qu'il fallait agir. Car plus elles attendent, plus cela leur coûtera cher demain. »

Un message qui, depuis quelques mois, aurait plus de mal à passer. Si l'on en croit Véronique Brunel, de la direction financière de la CNP, « ce n'est pas un problème de marché boursier mais de cash. En cette période d'incertitude économique, les entreprises hésitent à se lancer dans ce type d'opération ». Et pour cause : la mise en place d'un régime à cotisations définies coûte, généralement, de 1 à 3 % de la masse salariale. Pas franchement prioritaire quand on envisage, par ailleurs, de passer des provisions pour financer un éventuel plan social…

Dans les entreprises déjà dotées de ce type de plan, la chute des cours ne provoque pas d'affolement particulier. « Les régimes viennent de démarrer. Pour les salariés, les investissements en actions sont plus devant eux que derrière », explique Gilbert Gurcel. Cette relative sérénité provient aussi des pratiques françaises en matière d'investissement, beaucoup moins risquées que celles en cours dans certains pays étrangers. « La culture française est plutôt orientée vers la prudence. Une bonne partie de nos clients ont choisi, pour leurs régimes de retraite d'entreprise, des solutions sécuritaires, avec des allocations d'actifs massivement obligataires », confie Pierre Andrieu, directeur de Cardif Entreprises. « En France, les compagnies d'assurances sont beaucoup moins exposées au risque actions », confirme Gilbert Gurcel. Les titres d'entreprise ne dépasseraient pas 20 % dans leurs portefeuilles, contre deux à trois fois plus en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas.

« Éviter tout risque de boursicotage »

Reste que les déboires du CAC 40 ne laissent pas les dirigeants totalement indifférents. « Lors de la flambée des cours, les entreprises offraient divers supports financiers à leurs salariés, qui pouvaient choisir librement leurs placements. Aujourd'hui, elles demandent des schémas beaucoup plus encadrés pour guider les choix et éviter une forte exposition aux risques », souligne Martine Rapoport. Chez PSA, par exemple, on a décidé de ne pas laisser le choix au personnel dans la gestion des fonds du régime de retraite. « On a voulu éviter tout risque de boursicotage, justifie Patrick de Vanssay. Les salariés qui prennent de mauvaises décisions pourraient, sinon, se retourner contre nous. » Le constructeur automobile a donc opté pour une gestion obligatoire par horizon – qui tient compte de la date prévue de la liquidation de la pension –, avec une révision des allocations d'actifs tous les trimestres. Au fur et à mesure que le salarié se rapproche de son départ à la retraite, le gestionnaire « désensibilise » les capitaux accumulés pour les prémunir contre d'éventuelles variations boursières.

Une technique qui a les faveurs de la CFDT. « Les bons produits sont ceux qui sécurisent les investissements à l'approche de la retraite, explique Jean-Marie Toulisse. Les pires ? Ceux qui font que vous dépendez complètement de la conjoncture au moment de la sortie. C'est alors le banco ou le krach. » Un discours que ne renient pas les assureurs. « La plupart des salariés ne sont pas des gérants d'actifs. Le choix de placement doit donc être manié avec beaucoup de précautions », plaide Pierre Andrieu, de Cardif Entreprises, qui s'efforce de faire passer le message auprès des directions. « Récemment, on a plutôt senti une demande pour de la souplesse. Mais, à l'avenir, je pense qu'on nous écoutera davantage », ajoute-t-il.

Aux ASF, en revanche, on revendique la liberté de choix pour les cotisants, qui peuvent opter pour une gestion pilotée ou des arbitrages individuels. « C'est l'argent des salariés », justifie Yann Charron. En contrepartie, le DRH insiste sur les « efforts pédagogiques à faire » pour développer la culture et la formation économiques du personnel. Dans la branche pétrole de TotalFinaElf, la philosophie est proche. Les 18 500 salariés qui cotisent à Recosup – le régime « article 83 » mis en place au printemps dernier – peuvent déléguer le pilotage du compte à l'assureur, la CNP, ou faire eux-mêmes leurs arbitrages entre un support « en euros » et trois supports en « unités de compte ». Un garde-fou a cependant été prévu pour les plus de 55 ans, qui n'ont d'autre choix que d'opter pour le support « en euros ». Une façon de sécuriser au maximum leur capital à quelques années de leur départ en retraite. Et d'éviter, ainsi, les déboires connus de certains fonds de pension américains ou britanniques.

Une Préfon pour le privé ?

La Caisse nationale de prévoyance de la Fonction publique, plus connue sous le nom de Préfon, fait des envieux.

Créé en 1967 à l'initiative de quatre centrales syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC et CGT-FO), ce régime de retraite facultatif par capitalisation permet aux fonctionnaires d'épargner pour leurs vieux jours. Et de compenser, ainsi, la non-prise en compte de leurs primes dans le calcul de leur retraite. Un véritable fonds de pension dont la généralisation a souvent été promise par les politiques tout bord. À y regarder de plus près, la Préfon n'est pourtant pas un grand succès. Investi à 80 % en obligations, ce système « tunnel » – dont on ne peut sortir qu'en rente, au moment de la retraite – est peu rémunérateur : dans les meilleures années, le rendement financier ne dépasse guère les 7 %. Une prudence qui lui a valu nombre de critiques pendant la flambée boursière… et lui vaut aujourd'hui quelques éloges.

L'intérêt majeur de la Préfon réside, en fait, dans son régime fiscal très favorable, les cotisations étant entièrement déductibles du revenu imposable. Un avantage qui explique qu'elle soit surtout utilisée par les fonctionnaires du haut de l'échelle comme outil de défiscalisation. Résultat, la Préfon ne compte que 260 000 affiliés, dont 60 000 retraités. Un chiffre marginal si on le rapporte aux bénéficiaires potentiels.

Auteur

  • S.B.