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Débat

Que faut-il penser du projet de révision de la loi de modernisation sociale ?

Débat | publié le : 01.12.2002 |

Comme promis, le gouvernement Raffarin a entrepris de défaire la loi de modernisation sociale, un texte très contesté adopté par l'ancienne majorité. Le projet de loi discuté au Parlement suspend les dispositions qui allongent la procédure des licenciements économiques et invite les partenaires sociaux à négocier un accord interprofessionnel. L'avis de trois consultants sur cette nouvelle réforme des plans sociaux.

« Ce texte crée des espaces nouveaux de négociation pour les organisations syndicales. »

ROSE-MARIE VAN LERBERGHE Associée et membre du conseil d'administration du groupe Altedia.

L'intitulé du projet de loi « relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant une incidence sur l'emploi » met en avant le souci de promouvoir le dialogue social dans un domaine pourtant extrêmement sensible. Tout d'abord, les dispositions de la loi de modernisation sociale concernant la procédure sont suspendues pendant une durée de dix-huit mois au cours de laquelle les partenaires sociaux sont invités à négocier. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne sent pas un grand enthousiasme de leur part pour se saisir de ce sujet difficile au niveau interprofessionnel. C'est davantage dans l'article 2 du projet que se trouve en germe un développement de la négociation sociale au niveau de l'entreprise par la possibilité, à titre expérimental, de conclure des accords de méthode.

Il faut rappeler que la loi de modernisation sociale n'a fait que rajouter des obligations d'information-consultation des comités d'entreprise, rallongeant les délais de procédure, sans véritable avantage pour le salarié autre que celui de retarder la date de son licenciement. En effet, avec cette loi, comme dans le droit précédent, une entreprise peut toujours parvenir à ses fins avec des avis négatifs tout au long de la procédure. Elle doit simplement respecter les formes de cette procédure et fournir toutes les informations requises.

La procédure ne garantit pas la qualité du dialogue, ou plus exactement elle produit souvent un dialogue de sourds. En revanche, la négociation d'un accord majoritaire exige la recherche d'un équilibre réel entre les parties. L'avantage de l'accord de méthode pour les organisations syndicales est d'obtenir un vrai dialogue et une véritable concertation, tant sur les aspects économiques que sur les mesures d'accompagnement social. La contrepartie, c'est que les syndicats sont mis devant leurs responsabilités, même si, bien entendu, il ne saurait être question de leur faire avaliser le fait même de la restructuration. Pour l'entreprise, l'intérêt de l'accord de méthode est d'obtenir que toutes les solutions, à la fois économiques et sociales (reclassements internes au groupe ou externes sur la base du volontariat), soient autorisées avant la fin de la procédure, ce qui présente le double avantage d'économiser sur les coûts et de dégonfler le problème social. A contrario, l'accord de méthode est plus exigeant pour l'entreprise, puisqu'il oblige à discuter véritablement des aspects économiques, en particulier des solutions alternatives.

Jusqu'à présent, les accords de méthode étaient extrêmement fragiles car un syndicat minoritaire pouvait les contester devant un juge alors considéré comme meilleur garant des intérêts des salariés que leurs représentants élus ! En effet, l'administration du travail, comme certains juges, a tendance à penser que, les organisations syndicales étant faibles, il convient de les protéger contre elles-mêmes et de les empêcher de céder trop facilement à la pression patronale. À l'inverse, une telle situation où il n'y a pas véritablement d'enjeu de négociation ne favorise pas l'émergence de syndicats forts et représentatifs. À cet égard, le texte, même s'il reste prudent, crée des espaces nouveaux de négociation dont pourront s'emparer les organisations syndicales dans les entreprises, ce qui leur redonnerait de la légitimité.

« Il manque une réflexion globale sur l'accompagnement social d'adaptations permanentes. »

JEAN-FRANÇOIS CARRARA Directeur d'Algoé Consultants.

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a installé les processus de licenciement dans une nouvelle dynamique, renforçant les lieux d'expression et d'information, les travaux préalables susceptibles de limiter les conséquences sociales des réorganisations, les scénarios alternatifs ou encore l'articulation des procédures légales. Tous les ingrédients semblaient être trouvés pour nourrir un véritable travail de fond sur la préparation et l'accompagnement du changement dans les entreprises en mutation. Car là se situe le défi que le législateur doit relever. Au-delà d'aménagements de circonstance, veut-on doter les entreprises françaises d'une législation leur permettant de faire face aux nouveaux mécanismes économiques d'adaptation permanente ? Ceci tout en sécurisant les parcours des salariés ? L'annonce récente d'une suspension provisoire de certains articles de la loi de modernisation sociale ne semble pas vouloir initialiser une réflexion d'ensemble. En effet, les six articles qui devraient être suspendus et la proposition invitant les employeurs à négocier des accords d'entreprise expérimentaux sur l'information-consultation du CE ne représentent ni un retour en arrière ni une avancée notoire. On retrouve une caractéristique quasi permanente de la législation qui privilégie une rédaction d'application générale à un texte, certes plus lourd, mais plus adapté aux réalités des entreprises. Autre suspension annoncée, celle concernant le droit d'opposition des CE. En réalité, c'est l'ensemble des textes relatifs aux propositions alternatives et saisines d'un médiateur qui est remis en cause. On serait même en droit d'y ajouter celui concernant l'intervention de l'administration. Car tous représentent des palliatifs autoritaires au dysfonctionnement prévisible et compréhensif du dialogue social en situation de crise.

L'idée de structurer préalablement cette consultation souvent conflictuelle par un accord majoritaire permettrait donc de l'encadrer et de la sécuriser dans le temps. Toutefois, l'avant-projet de loi semble vouloir limiter l'application de ce type d'accord aux seules négociations du plan de sauvegarde, sans l'ouvrir à la consultation relative notamment aux évolutions organisationnelles, alors même qu'elle constitue le lieu le plus propice à l'expression d'analyses économiques et sociales contradictoires.

Quant à la dissociation ou au chevauchement des procédures des Livres III et IV, il restera une décision stratégique de l'entreprise, prise en fonction de sa situation et du climat social qu'elle souhaite préserver. L'aménagement législatif proposé ne représente donc pas globalement une évolution significative du processus d'accompagnement social des réorganisations. Mais l'avant-projet ne semble pas non plus remettre en cause l'orientation essentielle donnée aux entreprises en ce qui concerne la prévention et l'anticipation, que celles-ci aient pour objet les parcours, la mobilité ou les ruptures, en période de crise ou d'évolution. Là se trouve le vrai travail que les employeurs vont devoir réaliser au cours des prochaines années.

« La réglementation n'est toujours pas assez tournée vers la négociation et l'action. »

DANIELLE KAISERGRUBER Présidente du directoire de Bernard Brunhes Consultants.

Les entreprises connaissent des difficultés, évoluent dans leur organisation, se restructurent. Il ne saurait donc être question d'interdire les licenciements. La collectivité a des devoirs de protection des salariés concernés : il ne s'agit pas de maintenir à tout prix des emplois, mais de favoriser la transition vers de nouveaux emplois. Protéger les salariés signifie leur donner des atouts pour la suite de leur vie professionnelle. En mettant l'accent sur la validation des acquis, la formation tournée vers l'emploi, plus que vers la procédure et les chèques-valises.

Les différents pays européens répondent de manière proche à ces crises de restructuration. Les directives européennes en la matière devraient contribuer à un « modèle continental » fait d'une certaine dose d'anticipation, de négociation et d'appui à la formation et au reclassement le plus rapide possible des salariés concernés. Dans les pays européens, les licenciements économiques entraînent une obligation d'information des représentants des salariés, de consultation, voire de négociation, souvent avec l'appui des pouvoirs publics, locaux ou nationaux. Du coup, les délais sont toujours un peu longs. C'est sur la philosophie d'action qu'il existe une « exception française ». Notre système pousse à attendre alors qu'il faut agir. Le reclassement des salariés, la recherche de nouvelles pistes professionnelles, la réalisation de projets personnels doivent pouvoir se traduire rapidement dans les faits. Pour cela, il est important que dès l'annonce d'une réorganisation ou d'un plan social il soit possible d'envisager des pistes positives. Les délais supplémentaires ne font qu'allonger les périodes d'incertitude des salariés, à moins qu'il n'y ait rapidement un projet de reprise ou une alternative crédible.

On voit aujourd'hui les entreprises françaises se tourner vers des « accords de méthode » : en l'absence d'une incitation réglementaire à la négociation, c'est une manière responsable pour les partenaires sociaux de gérer des projets socialement difficiles. C'est ainsi que l'on peut transformer la crise, la rupture que constitue le licenciement économique, en une transition.

Ce qui est vrai pour les salariés l'est également pour les territoires. Sur ce plan, c'est la France qui fournit l'exemple des meilleures pratiques : les obligations de « réindustrialisation » y sont importantes. Comme sur le volet social, c'est par la concertation au niveau local que les partenaires concernés doivent se regrouper pour travailler à des dynamiques de territoire.

La loi de modernisation sociale s'est trompée d'objectifs et sa suspension ne change rien, car c'est la réglementation d'ensemble du licenciement économique qui n'est pas assez tournée vers la négociation et l'action.

Il faut pousser à la négociation dans toutes les entreprises d'une certaine taille, et, à défaut d'accord, les obligations de procédure retrouveront leur place. Il faut pousser à des « tables rondes locales » entre les quatre acteurs concernés : entreprises, syndicats, responsables locaux et service public de l'emploi, dans la perspective de solutions et de projets concrets. Enfin, il faut impliquer directement le service public de l'emploi pour aider individuellement les salariés des PME.