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Vie des entreprises

Secours populaire ou catholique… bénévoles contre professionnels

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.11.2002 | Catherine Lévi

Mobilisés sur les mêmes causes, les deux poids lourds de l'aide aux démunis divergent sur le management de leurs équipes. Organisation du travail, gestion des compétences, dialogue social… le Secours catholique joue à fond la logique d'entreprise, tandis que le Secours populaire compte avant tout sur l'engagement de ses bénévoles.

Septembre 2002. Devant l'ampleur des inondations dans le Gard, le Secours populaire se met immédiatement en action, apportant un soutien psychologique, matériel et financier aux victimes. Mobilisation également très rapide au Secours catholique, dont les bénévoles accueillent les sinistrés et aident au nettoyage des quartiers envahis par les eaux.

Fondées juste après la Seconde Guerre mondiale, ces deux associations caritatives, dont les noms favorisent souvent leur confusion, font cause commune dans l'aide aux personnes âgées, aux SDF ou aux enfants déshérités. Pour mener cette guerre contre la précarité, elles ont toutes deux besoin de spécialistes (médecins, psychologues et logisticiens), mais aussi de gestionnaires, d'informaticiens ou d'experts en communication. Pourtant, leurs modes de fonctionnement sont radicalement différents. « Nous sommes à la fois une association de bénévoles, un service de l'Église et une grande entreprise », explique Philippe de Belsunce, responsable du recrutement et de la communication interne du Secours catholique. Pour professionnaliser son action, cette association créée par le père Jean Rhodain s'appuie sur une solide équipe de permanents et sur des méthodes de management modernes. « Nous cherchons à prendre le meilleur des pratiques de l'entreprise pour être le plus efficace possible dans notre mission », argumente le DRH, Hugues de l'Escalopier.

En revanche, s'il a complètement divorcé du parti communiste au milieu des années 50, le Secours populaire, descendant du Secours rouge, puis du Secours populaire de France et des colonies, a bien du mal à épouser une logique d'entreprise. Sa priorité est davantage de professionnaliser le bénévolat que d'étoffer ses effectifs permanents. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Alors que les deux associations animent un réseau équivalent d'environ 72 000 bénévoles, le Secours catholique emploie 800 salariés en France, contre seulement 350 pour le Secours populaire.

Une question de moyens, tout d'abord. Le budget du Secours catholique (117 millions d'euros en 2001) est en effet deux fois plus important que celui du Secours populaire (52 millions d'euros). Mais, par philosophie, ce dernier rechigne aussi à consacrer une partie trop importante des dons à ses frais de structure. « Je ne fais pas de distinction entre salariés et bénévoles ; ce qui compte, c'est la mission exercée », souligne Joëlle Bottalico, la directrice des ressources humaines du Secours populaire. Le fonctionnement du siège parisien, rue Froissart, en est la parfaite illustration. Une centaine de bénévoles cohabitent avec les 80 salariés permanents, sans aucun domaine réservé. Ils assurent de concert la coordination des fédérations, la gestion administrative et financière et l'impulsion des projets d'entraide. « Les bénévoles ne sont pas là pour jouer les petites mains. C'est leur engagement régulier qui permet à l'association de bien fonctionner », précise Joëlle Bottalico, entourée de trois bénévoles auxquels elle a confié certaines tâches comme le recrutement. Dans les structures locales, les bénévoles ont un rôle encore plus important.

Des experts bénévoles

Organisation radicalement différente au Secours catholique. Le siège de la rue du Bac fonctionne quasi exclusivement avec ses 200 permanents. Ses activités sont très structurées. Par exemple, les 22 salariés de la direction des ressources humaines se répartissent par grands départements : recrutement et bénévolat, formation, emploi et études, mobilité et évolution professionnelle, gestion du personnel… Sur le terrain, les délégations emploient également des permanents. La délégation du Val-d'Oise compte ainsi 7 salariés pour 720 bénévoles. Et la délégation de Paris dispose d'une équipe permanente d'une cinquantaine de personnes. Le partage des tâches est clair. Aux salariés la gestion administrative et l'expertise, aux bénévoles les missions « opérationnelles ». Le Secours catholique déploie également une escouade de 150 animateurs de terrain, de niveau bac + 2 à bac + 4. À la demande des responsables de délégation, tous salariés, ils interviennent sur des thèmes précis : les jeunes en difficulté, le travail social ou la communication. « Ils viennent en soutien des équipes de bénévoles pour les écouter, les conseiller et les épauler », précise Franck Dubois, responsable de la délégation du Val-d'Oise, qui emploie quatre animateurs. La tête du réseau parisien met également ses experts au service des délégations. Christian Wintenberger, un spécialiste du marketing, a ainsi été recruté pour guider leur politique de communication à l'égard des donateurs.

Rien à voir avec le Secours populaire, qui préfère puiser ses experts dans le vivier du bénévolat, à l'image d'un ancien directeur de la communication de la Fnac qui fait profiter de son expérience. Les fédérations procèdent de façon rigoureusement identique. Marie-Joëlle Delisle, médecin retraitée qui accomplit des missions de prévention santé pour la fédération de la Marne, incarne parfaitement le « bénévole professionnel », cher à l'association. Elle se consacre à mi-temps à cette activité et fait également partie du secrétariat fédéral.

Le Secours catholique ne voit guère d'avenir dans ce double statut. « Quand on veut des compétences, il faut les payer, estime Benoît Legris, responsable de la formation, des emplois et des études. Pour certaines fonctions, nous sommes en concurrence directe avec le privé. Nous comprenons d'ailleurs très bien que des personnes viennent travailler trois ou quatre ans chez nous avant de repartir. » Christian Wintenberger se sent parfaitement en phase avec ce discours. « Il y a beaucoup de choses intéressantes à faire au Secours catholique et c'est très gratifiant d'y travailler. J'y suis entré pour apporter mes compétences, mais je ne veux pas être marqué à vie association. Je suis certain, en tout cas, que cette expérience représente un plus dans mon CV, car, de nos jours, les entreprises recherchent des gens de valeur désintéressés. »

Des valeurs communes

Ce genre de profil n'est pas rare au siège de la rue du Bac. Hugues de l'Escalopier, le DRH, a travaillé chez Bayard Presse et Valoris, Benoît Legris a passé quinze ans chez Bull. Tous sont venus pour servir, un certain temps du moins, une cause proche de leurs convictions. Plusieurs, mais pas tous, sont catholiques. Mais ils sont réunis autour de valeurs communes et prêts à sacrifier une partie de leur rémunération pour bénéficier d'une expérience forte. Car les salaires du Secours catholique sont nettement en dessous du marché, comme dans l'ensemble du milieu associatif. Pour les postes les plus pointus, le décrochage va jusqu'à 40 %.

« Nos recrutements sont deux fois plus longs que dans une entreprise », admet Philippe de Belsunce. D'autant que les procédures de sélection, largement axées sur les compétences requises, sont aussi rigoureuses que dans le privé. Or, en 2001, en tenant compte des créations de postes, des départs et de la mobilité, l'association a embauché 125 personnes. Le choix des bénévoles fait l'objet d'une même attention. Toutes les candidatures sont étudiées avec soin et les postulants reçoivent une lettre de mission cadrant leur activité. Le siège fournit aussi aux délégations des outils d'aide à la décision. « Si un délégué cherche un responsable de communication bénévole, nous pouvons l'aider à définir sa mission et à bâtir un plan de recherche », indique Philippe de Belsunce.

Le Secours populaire rencontre les mêmes difficultés d'embauche, d'autant que sa grille de salaires est un peu moins généreuse. Le salaire moyen brut annuel d'un cadre est de 30 759 euros, contre 31 465 pour le Secours catholique. La politique de recrutement est sensiblement moins élitiste. En accord avec sa vocation sociale, l'association recherche d'abord ses futures recrues dans les fichiers de l'ANPE et dans le secteur de l'économie sociale. Pour limiter les charges, 100 emplois jeunes ont également été embauchés depuis 1998.

L'autre filière d'intégration du Secours populaire, c'est le vivier des bénévoles. De nombreux responsables de l'association en sont d'ailleurs issus. Malgré leur changement de statut, un grand nombre de permanents restent bénévoles dans l'âme. « Je suis au Secours populaire parce que je suis un militant », affirme ainsi René Ledermann, formateur. « Beaucoup s'investissent comme militants ou bénévoles et se reconnaissent comme des salariés atypiques », note Bruno Lesauvage, délégué syndical CFDT du siège. Les plus jeunes n'échappent pas à la règle, tant le souci d'abnégation est institutionnalisé. Bénéficiaire d'un emploi jeune après avoir été en contrat de qualification, Karine Vanloup travaille dans la cellule bénévolat. Elle a décidé de rejoindre le Secours populaire car le monde de l'entreprise ne l'attirait pas, alors qu'elle possède un diplôme d'école de commerce. À ses yeux, le siège est trop professionnalisé et elle ne se sent pas suffisamment proche du terrain. « J'espère que nous ne deviendrons pas une grosse machine », dit-elle.

Disponibles avant tout

Pour Bruno Lesauvage, cette sacralisation du bénévolat présente des limites. « Le Secours populaire ne s'admet pas comme employeur et ne veut pas se positionner par rapport au marché du travail. C'est la disponibilité qui compte avant tout. La notion de gestion des compétences et des emplois passe très mal. Il y a beaucoup de flou dans la définition des postes. Résultat, les salariés les plus anciens peuvent douter de leur employabilité, de leur capacité à évoluer dans l'association et à se recaser sur le marché du travail. Quant aux plus jeunes, on n'arrive pas toujours à les fidéliser. »

À la tête d'une direction des ressources humaines qui compte seulement deux années d'existence, Joëlle Bottalico mesure bien ce risque. Mais l'association se trouve un peu prise dans ses contradictions. « C'est vrai que nous accordons davantage d'importance à notre mission qu'à la gestion de carrière, reconnaît-elle. Le Secours populaire n'évalue pas les compétences individuelles et préfère juger les résultats collectifs. Quand un objectif n'est pas atteint, on pointe les manquements de la structure. » Au nom de ces principes, l'association a longtemps hésité à se séparer de ses collaborateurs, quitte à les placardiser. « Certaines personnes ne sont toujours pas bien à leur place, mais ce n'est pas rendre service à l'association ni au salarié concerné, estime Christian Wintenberger, du Secours catholique. De toute manière, on ne peut pas faire n'importe quoi avec l'argent des donateurs. » Pas question, en revanche, de remercier un bénévole. Pour éviter les mauvaises surprises, les postes de bénévoles à responsabilités, par exemple celui de trésorier de délégation, font l'objet d'un mandat de trois ans, renouvelable.

Un pari sur la formation

Au Secours catholique, les parcours individuels sont beaucoup mieux pris en compte. « L'entretien d'évaluation qui avait lieu tous les deux ans va passer sur un rythme annuel et concerner l'ensemble de la carrière, les augmentations de salaire, mais aussi les objectifs, la formation et la mobilité », indique Hugues de l'Escalopier. Un plan de mobilité a été lancé. En 2001, une soixantaine de personnes ont changé de poste. Par exemple, le délégué de Toulon est devenu directeur de l'action France. L'association met également l'accent sur la formation pour booster les compétences individuelles et collectives. Elle est centrée sur le management et les spécialités professionnelles. Des réunions mixtes, associant salariés et bénévoles, rassemblent une vingtaine de personnes pendant deux jours. Des rencontres sont également organisées au niveau national pour faciliter les échanges d'expérience. Au programme : l'alimentaire, les urgences, les quartiers difficiles…

Le Secours populaire aussi mise gros sur la formation, dispensée au niveau régional, sans distinction entre salariés et bénévoles. Des missions pédagogiques axées sur la connaissance de l'association, la transmission des valeurs et le partage d'expériences complètent le dispositif sur le terrain. Afin de démultiplier son action, René Ledermann s'appuie également sur une vingtaine de formateurs bénévoles.

Pour donner du tonus à sa politique de RH, le Secours catholique a entrepris de revoir sa classification des emplois, vieille de vingt ans, ainsi que sa grille de salaires. Un chantier ambitieux, ouvert avec les partenaires sociaux. Passer d'une logique administrative à une gestion participative des ressources humaines axée sur les compétences ne fait pas que des heureux. Surtout parmi les plus anciens, habitués à l'avancement à l'ancienneté. « Il faut du temps pour changer de culture », avoue Benoît Legris. Le Secours populaire a engagé le même exercice avec sa grille des salaires et des métiers. « C'est une première », se réjouit Bruno Lesauvage. Les difficultés ne sont pas moindres qu'au Secours catholique, car il faut convaincre l'association du bien-fondé d'une telle réforme. Autres obstacles : les moyens financiers de l'association sont limités et sa pratique contractuelle encore embryonnaire.

Délégué unique

C'est bien simple, au siège de la rue Froissart, les 35 heures sont entrées en vigueur sans qu'un accord en bonne et due forme ait été signé. Élu seulement depuis mars 2000, Bruno Lesauvage a du mal à faire passer ses revendications. Délégué unique du siège, il n'intervient pas dans les fédérations, qui n'ont pas d'élus, faute de troupes en nombre suffisant. Au Secours catholique, en revanche, le dialogue social est consistant. La CFDT, largement majoritaire, partage les 40 mandats d'élus dans toute la France avec la CFTC et FO. « Nos relations avec la direction sont très constructives, indique Marie-Madeleine Darcon, déléguée CFDT depuis 1990. Nous avons signé notamment un très bon accord 35 heures prévoyant 18 jours de congé en plus, sans baisse de salaire, et l'embauche de 36 animateurs. Il faut dire que nous n'arrivons jamais les mains vides en réunion. Les élus, dispersés dans 106 villes, se réunissent deux jours par mois pour travailler ensemble. »

Indéniablement en retard dans la bataille de la professionnalisation, le Secours populaire espère, en retour, conserver plus longtemps intacte la « flamme » de ses troupes. Tandis que le Secours catholique s'expose à un risque de clivage entre salariés et bénévoles. De par ses liens avec l'Église, l'association se sent pourtant à l'abri de ce danger, d'autant que des garde-fous ont été mis en place. « Nous avons un chargé du bénévolat qui conseille les délégations et les aide à définir leurs besoins », souligne Hugues de l'Escalopier. Un comité de bénévoles composé de 40 personnes fait remonter leurs « revendications » au niveau national. Enfin, le Secours catholique réfléchit à une charte du bénévolat. Une réponse très pro, que ne désavouerait pas une grande entreprise !

Fédérations contre délégations

Si la décentralisation est la voie royale pour l'action caritative, les deux associations en ont néanmoins une conception très différente. Le Secours populaire, qui fait de l'autonomie son fer de lance, se présente comme une myriade d'associations dont orientations communes sont décidées en congrès tous les deux ans. Il compte 5 000 implantations locales, dont 800 dotées d'une personnalité juridique et morale, qui sont cordonnées par 98 fédérations départementales. On trouve localement des comités animés par des secrétaires généraux regroupant les bénévoles dans un quartier, une commune, un ou plusieurs cantons et des antennes, un petit groupe de personnes exerçant une action de solidarité sur leur lieu de travail ou d'études. La fédération de la Marne apporte ainsi son soutien à une trentaine de structures autour desquelles gravitent 2 000 bénévoles. « Le terrain a une liberté totale, ce qui favorise la réactivité. Il est vrai que c'est plus compliqué pour la remontée de bilans et la transmission d'informations, souligne Joëlle Bottalico, la DRH. Il faut aussi de la rigueur au niveau du siège. »

Le Secours catholique, de son côté, compte 106 délégations départementales qui animent plus de 4 200 équipes locales. Celle du Val-d'Oise, par exemple, comprend 36 implantations locales. Toutes fonctionnent sous la houlette de délégués encadrant bénévoles et salariés. Ces structures dépendent de l'Église. Leurs présidents sont appelés par les évêques après concertation du bureau, l'équipe animatrice de la délégation. Le vice-président est un aumônier bénévole et le délégué est lui-même agréé par l'évêque et le président de délégation. Ce dernier nomme également le trésorier bénévole après avis du bureau et des services du siège. Les délégations ont néanmoins beaucoup de latitude pour prendre leurs décisions, mais elles sont nettement plus encadrées que les fédérations du Secours populaire parce qu'elles agissent dans un cadre strictement défini et dépendent directement de Paris.

Auteur

  • Catherine Lévi