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Politique sociale

Comment nos voisins dégraissent le mammouth étatique

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.11.2002 | Valérie Devillechabrolle, avec nos correspondants

Réduction des dépenses publiques oblige, les effectifs des administrations maigrissent partout en Europe. Sauf en France, où l'État a bien du mal à se serrer la ceinture. Ce n'est pourtant pas faute de pistes. Départs naturels, externalisation, décentralisation… Nos partenaires européens, eux, n'hésitent pas à panacher les solutions.

Beaucoup de bruit pour rien. Le gouvernement Raffarin n'a pas fait preuve d'une grande audace pour réduire les dépenses publiques dans son projet de budget 2003. Avec seulement 1 089 emplois de fonctionnaires de l'État supprimés sur 2 180 240, soit une diminution de 0,05 %, la baisse est franchement homéopathique. À croire qu'il est, en France, impossible de gagner en productivité dans un secteur qui représente tout de même, toutes fonctions publiques confondues, la bagatelle du quart des actifs de l'Hexagone. D'autant que cette modeste décrue intervient après plusieurs années d'accroissement du nombre des fonctionnaires. Au cours de la précédente décennie, les effectifs de l'État ont augmenté de 10 %, alors qu'ils ont reculé presque partout ailleurs en Europe.

Il était sans doute prématuré pour un gouvernement nommé de fraîche date de trancher dans le vif, sans réflexion approfondie sur les besoins des différentes administrations. Mais Jean-Pierre Raffarin bénéficie d'une opportunité historique de réorganiser la fonction publique en douceur. D'ici à 2010, 800 000 fonctionnaires, ex-enfants du baby-boom, partiront en retraite, ce qui ouvre à l'équipe actuelle des marges de manœuvre dont aucun gouvernement n'a jamais disposé en France. Le Premier ministre saisira-t-il cette chance ? Il ne l'a pas fait en tout cas en 2003, en ne profitant guère des 58 000 départs en retraite prévus dans la fonction publique d'État. Le non-renouvellement des départs en retraite n'est pas la seule arme dont dispose le gouvernement. Décentralisation de missions de service public auprès des collectivités territoriales, délégation de services à des opérateurs privés… Confrontés au même défi de réduire leurs dépenses publiques, nos voisins ne se privent pas de jouer sur différents leviers pour diminuer leur nombre de fonctionnaires. Inventaire des recettes de nos partenaires européens pour faire maigrir leur État providence.

Allemagne

Un régime minceur à base de privatisations

Modernisation de l'administration, efficacité et proximité de la gestion publique, émergence d'un État « activateur » : depuis le milieu des années 90, le secteur public allemand est prié d'obéir à ces nouvelles « Tables de la Loi ». « Personne n'insiste trop sur la réduction des emplois, liée à cette démarche », remarque Claus Precht, spécialiste de l'administration publique au cabinet de consultants Igus e.V. Mais, selon la Fédération des fonctionnaires allemands (DBB), le secteur public n'emploierait plus que 4,2 millions de salariés, contre 4,9 millions en 2000. « Avec nos structures fédérales, il est difficile d'avoir une vision claire de la situation, souligne Egbert Biermann, responsable du secteur public à la Confédération des syndicats allemands (DGB). Au niveau de l'État fédéral, la principale réduction de personnel prévue concerne l'armée allemande, qui devrait être ramenée de 320 000 hommes à 280 000. Parallèlement, l'État s'est engagé, depuis 1993, à alléger chaque année ses effectifs de 1,2 %. »

Mais ce sont les communes qui sont les plus actives pour réduire leur masse salariale. À Berlin, qui croule sous une dette colossale de 30 milliards d'euros, toutes les méthodes sont bonnes pour faire des économies de personnel, les plus couramment utilisées étant la sous-traitance et la privatisation. Les régies communales des eaux et de l'électricité ont été depuis longtemps cédées à des investisseurs privés. Les crèches vivent sous la menace de la privatisation. Et l'administration communale n'est pas épargnée. Confiée au cabinet Roland Berger, la restructuration du département de l'urbanisme devrait déboucher sur une « rationalisation » des services, avec à la clé 475 emplois supprimés sur 1 000. Pour tailler dans la masse salariale, le Land de Berlin a déjà supprimé 60 000 emplois publics depuis 1992 et compte économiser encore 15 000 postes dans les années à venir. Certains Länder transforment leurs départements spécialisés, comme le cadastre ou les statistiques, en sociétés régionales publiques à gestion propre. Ou encore privatisent piscines ou hôpitaux, comme à Göttingen ou à Mayence, où « les centres hospitaliers sont désormais gérés par des fondations de droit privé », explique Claus Precht.

Ces privatisations s'accompagnent rarement de licenciements secs. En effet, près de 40 % des emplois du service public sont occupés par des Beamte, des fonctionnaires bénéficiant de la garantie de l'emploi à vie. L'essentiel des suppressions de postes se réalise donc sous forme de départs en retraite, souvent par le biais d'un plan de départs anticipés. Un dégraissage en douceur facilité par l'âge moyen très élevé des fonctionnaires allemands. Lorsque les privatisations concernent d'autres agents que les Beamte, leur sort varie suivant leur nombre d'années d'ancienneté. Si les employés ont plus de dix ans d'ancienneté, ils bénéficient, comme les Beamte, de la garantie de l'emploi. Quant aux plus jeunes, ils tombent dans le droit commun.

Thomas Schnee, à Berlin

Italie

Contractualisation de l'emploi et gel des embauches

Le régime minceur suivi au tournant des années 90 a produit son effet : avec 3,3 millions de fonctionnaires contre 3,7 millions en 1992, l'État italien a fortement maigri. Le statut de fonctionnaire ne concerne plus que l'administration centrale, les 990 000 enseignants et agents de l'éducation, les 680 000 médecins, infirmières et aides-soignants de la santé, les personnels de la justice, de la police, les forces armées et les collectivités locales. Tous les autres agents relèvent désormais du droit commun applicable au privé, à commencer par ceux des grandes sociétés publiques privatisées dans le cadre du programme lancé en 1992.

Gérée en étroite consultation avec les syndicats, cette « contractualisation » de l'emploi s'est déroulée de façon à éviter licenciements secs, baisses de salaire et coupes claires dans les avantages acquis. « À l'exception de quelques cas particuliers, comme le transfert actuel au privé du Comité national olympique, où des suppressions d'emplois très importantes ont été annoncées, nous n'avons jamais eu de gros conflit à l'occasion de ces privatisations », confirme Alfredo Garzi, de la branche fonction publique de la CGIL. Le plus important syndicat italien fait notamment référence à la façon dont a été « privatisé » l'emploi des salariés de l'Enel (l'EDF italien) ou encore celui des employés de la Poste. Le gouvernement Berlusconi ne souhaite pas en rester là : depuis l'année dernière, les lois de finances ont arrêté le principe de nouvelles vagues d'externalisation d'activités…

Mais le nombre de fonctionnaires « régaliens » est, lui aussi, sous haute surveillance : depuis plusieurs années, un gel des embauches est observé, avec de rares dérogations pour les magistrats ou les enseignants. Les plans de recrutement – conçus par le ministère de la Fonction publique de manière à respecter un objectif légal de réduction annuelle de 1 % de la masse salariale – sont formellement approuvés chaque semestre en Conseil des ministres. Pour tenir cet objectif, les ministères n'hésitent pas à transférer les personnels d'une administration à l'autre, suivant les besoins. Des échanges de personnels ont également eu lieu entre les ministères et l'INPS, l'établissement public chargé de la gestion des retraites et du chômage technique. Dans le même ordre d'idées, le projet de loi de finances 2003 prévoit de répartir dans les autres administrations publiques les 5 300 enseignants et directeurs d'établissements scolaires sans affectation en raison de leur état de santé, leur refus entraînant leur licenciement au bout de cinq ans.

Enfin, Franco Frattini, ministre de la Fonction publique dans le gouvernement Berlusconi, vient de lancer un nouveau pavé dans la mare pendant l'été en proposant d'introduire davantage de flexibilité, sous forme de CDD et d'intérim, dans l'emploi des personnels administratifs des services régaliens. Si les accords signés avec les syndicats prévoient déjà cette possibilité, les grandes organisations de fonctionnaires restent très vigilantes, à l'instar de la CGIL qui refuse toute « précarisation stable » de l'emploi public.

Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Belgique

Un remplacement au compte-gouttes

Nom de code : Copernic. C'est sous cette appellation que le gouvernement belge a lancé en juillet 2000, à l'issue d'une longue phase de négociation, un plan de modernisation de l'administration centrale. Bien que le plan Copernic ne se soit officiellement fixé aucun objectif chiffré, la réduction de l'emploi public en fait partie intégrante. D'ores et déjà, les départs naturels, qui représentent 3 % du volume de l'emploi chaque année, ne sont remplacés qu'« au compte-gouttes », précise Guy Biamont, le représentant de la FGTB, syndicat socialiste hostile au plan gouvernemental. Idem pour les agents qui prennent une pause-carrière, le congé sabbatique d'outre-Quiévrain. Les contractuels (10 000 actuellement) ne sont pas épargnés non plus. « À chaque fois qu'un contrat arrive à terme, on ne le renouvelle plus », ajoute le syndicaliste.

Dans les catégories D, le gouvernement souhaite accélérer les suppressions de postes par un plan de départs anticipés. Inquiets du risque de disparition de services entiers comme les brigades motorisées ou les douanes « accises », les syndicats ont certes obtenu, au printemps 2001, des remplacements « là où cela serait formellement nécessaire ». Mais, selon les intéressés, cet accord ne serait pas respecté…

Parallèlement, de plus en plus d'activités sont confiées au secteur privé. Pour recruter, le gouvernement fait désormais appel à des cabinets tels qu'Andersen ou Accenture, avec pour objectif de réduire de moitié les effectifs de l'agence publique de recrutement Selor. Les audits internes, la formation ou la gestion du patrimoine public pourraient également passer dans les mains du privé. L'accompagnement social de ces réorganisations ne suit pas toujours : ainsi, les agents statutaires concernés par la suppression, en mai dernier, du bureau central des achats et dont l'emploi est garanti à vie, attendent toujours leur réaffectation.

Mais l'étape décisive du plan Copernic est encore dans les cartons des nouveaux présidents des services fédéraux et des 400 top managers, recrutés à grands frais et pour une durée déterminée afin de piloter cette modernisation. Ceux-ci sont en train d'élaborer les projets de restructuration par service et de réévaluer le nombre d'agents nécessaires, en lien notamment avec la montée en puissance du portail interactif fédéral qui sera mis en place à partir du printemps 2003. L'avenir dira si l'administration belge entend appliquer au pied de la lettre le nouveau système d'évaluation, mis en place au printemps, qui prévoit le licenciement d'un fonctionnaire dès sa deuxième évaluation annuelle « insuffisante ». Par précaution, l'administration belge vient de l'assortir d'une indemnité de licenciement.

Anne Renaut, à Bruxelles

Suède

Liberté d'embauche… et de licenciement

Depuis le début des années 90, la fonction publique suédoise est passée au laminoir. Alors qu'ils étaient 400 000 à la fin des années 80, les fonctionnaires ne sont plus que 220 000 à présent. Si une partie des emplois a été transférée dans les entreprises privatisées, comme la Poste ou Telia (télécoms), plus de 70 000 fonctionnaires, surtout à des emplois subalternes, ont été licenciés. Victimes des réductions budgétaires brutales ordonnées par des gouvernements sociaux-démocrates, soucieux de sauver « l'essentiel » de l'État providence.

Standardiste depuis vingt ans, Annica Samland a ainsi perdu son emploi à 50 ans, en 2000, lors de la privatisation de SJ, les chemins de fer suédois. Comme les autres, elle a alors été dirigée vers le Fonds de sécurité de l'État suédois, créé en 1990 pour accompagner les rationalisations et administré par les partenaires sociaux. Financé par les employeurs sur la base d'un pourcentage de la masse salariale (initialement fixé à 0,7 % et aujourd'hui descendu à 0,3 %), ce fonds de sécurité prend à la fois en charge l'indemnité de chômage, le coût des mesures de reclassement et la compensation des éventuelles pertes de salaire découlant de la reprise d'emploi. Par l'intermédiaire de ce fonds, Annica a pu profiter d'un préavis durant lequel elle a touché 100 % de son salaire avant de suivre un stage de recherche d'emploi. Elle a finalement retrouvé, fin 2001, un emploi à l'Agence de l'immigration, augmentant au passage son salaire mensuel (passé de 15 750 à 17 000 couronnes). Si elle est à nouveau licenciée dans les cinq ans à venir, elle pourra toujours bénéficier de l'aide du fonds.

En dehors de cet accompagnement social, les réductions d'effectifs ont par ailleurs été facilitées par le fait que, depuis le milieu des années 70, le droit du travail du secteur public est calqué sur celui du privé, au nom de l'« égalité des chances ». Depuis 1990, chaque administration, en fonction de la mission et du budget qui lui sont assignés tous les ans par le gouvernement, a une liberté totale sur les embauches et les licenciements, sur les politiques salariales et les évolutions de carrière de ses salariés. Si bien que les possibilités de mobilité et de renouvellement de l'administration sont beaucoup plus étendues qu'en France.

Olivier Truc, à Stockholm

L'Espagne peine à maigrir

Depuis le 1er janvier 2002, infirmiers, médecins, brancardiers, personnel soignant et administratif de l'hôpital San Millan, à Logrono, auparavant payés par l'État, sont des fonctionnaires de la région de La Rioja. Comme les 140 000 salariés des 83 hôpitaux confiés aux régions.

Depuis vingt ans, l'État a déjà transféré l'éducation, la gestion de la justice, la formation professionnelle, les services sociaux, la culture, et plus récemment les agences pour l'emploi aux régions.

Pour le personnel « transféré », rien de dramatique : « Dans les régions, les salaires sont souvent meilleurs que dans l'administration centrale où les augmentations sont gelées depuis 1997, explique Pilar Navarro, responsable du secteur santé du syndicat UGT. Nous avons négocié un ajustement en trois ans, ce qui pourra signifier à terme une revalorisation allant jusqu'à 6 % ou 8 % selon les régions. »

Gagnant aussi, l'État. « Le nombre d'employés de l'administration centrale s'est considérablement réduit entre 2001 et 2002, passant de 756 693 à 563 989. Sa part de l'emploi public a ainsi été ramenée de 33,7 % à 24,5 % », affiche fièrement le ministère de l'Administration publique.

Ce tour de passe-passe n'est pas la seule façon de comprimer les finances publiques. « Depuis 1997, un départ en retraite sur quatre seulement est remplacé, affirme Francisco Angulo, au syndicat Commissions ouvrières. Les autres postes sont couverts par des emplois temporaires de manière à faire baisser le nombre de fonctionnaires. On atteint ainsi un taux de précarité de l'emploi de 22 % dans l'ensemble de l'administration et de 32 % au niveau de l'État central. »

Malgré cette politique draconienne, l'Espagne peine à réduire le poids de son administration, devenue pléthorique dans les régions. Les chiffres sont éloquents. Tous niveaux confondus, l'administration espagnole totalisait 2,24 millions de postes en 2001. Elle en compte près de 60 000 de plus cette année…

Cécile Thibaud, à Madrid

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, avec nos correspondants