logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

SEPT SALARIÉS SUR DIX S'ABSTIENDRAIENT AUX PRUD'HOMALES

Enquête | publié le : 01.11.2002 | Denis Boissard

Si l'abstention pourrait, malheureusement, être la grande gagnante du scrutin du 11 décembre, notre sondage exclusif « Liaisons sociales »-Altedia révèle d'autres surprises. Comme le recul de la CFDT, qui paie peut-être son forcing sur les 35 heures ou son pas de deux controversé avec le Medef.

Coup dur pour les syndicats. Photographie très attendue de leur représentativité – c'est le seul test à l'échelle nationale de leur audience auprès des salariés, depuis la suppression des élections des administrateurs des caisses de la Sécurité sociale –, les élections prud'homales du 11 décembre pourraient se solder par un nouveau recul de la participation. Selon notre sondage Liaisons sociales-Altedia, réalisé fin septembre par CSA auprès d'un échantillon de 800 salariés représentatifs de cet électorat, l'abstention pourrait encore progresser : atteignant 59,7 % il y a dix ans, puis 65,6 % il y a cinq ans, elle pourrait culminer à 69 % cette année. Seuls trois salariés sur dix se déplaceraient pour voter. L'abstention serait plus élevée dans les petites entreprises (77 % dans les entreprises de 1 à 10 salariés, 74 % dans celles de 11 à 50 salariés) que dans les grandes (57 % dans les entreprises de plus de 250 salariés), dans celles qui n'ont pas de représentation du personnel (77 %, contre 64 % dans les autres) ou syndicale (77 %, contre 60 %), ou chez les salariés au statut précaire (70 % des salariés en CDD et 89 % des intérimaires et autres salariés temporaires, contre 66 % des salariés en CDI).

Un blocage psychologique

Un résultat paradoxal puisque, au même moment, les salariés n'ont jamais été aussi nombreux à faire confiance au syndicalisme : 65 % selon notre sondage, contre 54 % en 1997 et une petite moitié (49 %) en 1992, selon nos précédents sondages. Et qu'ils sont encore plus nombreux (79 %, comme en 1997) à accorder leur confiance aux conseils de prud'hommes pour les défendre en cas de litige avec leur employeur. En revanche, lorsqu'on les interroge sur l'intérêt qu'ils portent à ce scrutin, la réponse est décevante : les deux tiers des salariés (67 %) avouent ne s'y intéresser pas ou peu, un score en progression de cinq points par rapport à celui constaté en 1997. L'institut de sondage CSA qui avait, à la demande du ministère du Travail, procédé en 1998 à une lourde enquête quantitative et qualitative auprès des salariés pour comprendre la montée du taux d'abstention, avance plusieurs explications : d'abord, le scrutin prud'homal est victime, comme les élections politiques, de la montée de l'individualisme (même s'il prend ses distances d'avec l'entreprise, le salarié se comporte comme un consommateur vis-à-vis du syndicalisme et des prud'hommes) ; ensuite, outre qu'élire un juge n'est pas un acte usuel en France, il y aurait une sorte de blocage psychologique, notamment des salariés les plus fragilisés, à élire le juge qui symbolise le divorce avec l'entreprise. Comme lors des précédents scrutins, la composition du paysage syndical français ne devrait pas connaître de profonds bouleversements le 11 décembre prochain. S'il ne faut pas s'attendre à une vaste redistribution des cartes entre les cinq « poids lourds » du syndicalisme hexagonal, quelques déplacements de voix significatifs pourraient toutefois intervenir au détriment des uns et au profit des autres.

La CGT creuse l'écart

Premier syndicat français, la CGT continuerait à réunir sur son nom un tiers des suffrages exprimés (33 %), affichant ainsi une étonnante stabilité puisque, s'il se confirmait le 11 décembre prochain, son score serait quasiment inchangé par rapport à 1997 (32,9 %) et 1992 (33,4 %). Rappelons que lors des scrutins antérieurs de 1979, 1982 et 1987, la CGT avait vu son audience s'éroder. Ses meilleurs scores, la CGT les ferait dans l'industrie (44 %), auprès des ouvriers (45 %), et – c'est plus surprenant – dans les entreprises de moins de 50 salariés (38 %), ainsi qu'auprès des salariés en CDD (38 % également) et des chômeurs (40 %). Tout en conservant un solide ancrage au sein de la « classe » ouvrière, la confédération cégétiste est devenue une sorte de valeur refuge pour les salariés isolés et fragilisés.

Si la centrale de Bernard Thibault ne progresse pas, elle creuse l'écart avec la CFDT. Mauvaise nouvelle en effet pour la confédération nouvellement dirigée par François Chérèque : elle perdrait 1,4 point par rapport à son score de 1997, reculant de 25,4 % à 24 %, et revenant ainsi pratiquement à son résultat d'il y a dix ans (23,7 %). Ses meilleurs scores ? Auprès des professions intermédiaires et des employés (29 % auprès des deux), des cadres (27 %), au sein des entreprises de plus de 50 salariés (27 %), ainsi qu'auprès des salariés en CDI (26 %). Bref, un électorat plutôt qualifié et stable, presque le négatif photographique de celui de la CGT. Signe préoccupant, son audience est très faible auprès des jeunes salariés : elle ne recueillerait que 10 % des suffrages des moins de 30 ans (contre 35 % pour la CGT). Sans doute la CFDT paie-t-elle son forcing sur les 35 heures, alors que faiblit l'engouement en faveur de la RTT, et son pas de deux controversé avec le Medef dans les négociations sur la refondation sociale.

Bien installée à sa troisième place, FO serait légèrement en retrait, mais dans des proportions bien moindres que la CFDT, refluant de 20,5 % il y a cinq ans à 20 % le 11 décembre prochain. Cela avec un électorat nettement plus proche de celui de la CGT que de celui de la CFDT. Et avec une particularité : un très bon score dans le secteur des commerces et des services commerciaux (29 %). Reste une inconnue pour Marc Blondel : combien de voix le ralliement de la CSL (4,2 % des suffrages en 1997), intervenu juste après notre sondage, lui rapportera-t-il ?

Alain Deleu laissera peut-être une agréable surprise à Jacques Voisin, qui lui succédera à la mi-novembre : la CFTC pourrait regagner une partie du terrain perdu en 1997, passant de 7,6 % à 8 % des suffrages. À noter, un score béton dans les entreprises de moins de 10 salariés (30 %). Résultat inchangé en revanche pour la CGC (6 %, contre 5,9 % en 1997). La radicalisation de son discours ne devrait pas lui permettre de regagner la première place perdue en 1997 dans le collège « encadrement » : elle n'y obtiendrait que 22 % des voix, contre 28 % à la CFDT. Quant aux nouveaux venus sur la scène syndicale, l'Unsa (0,7 % en 1997) et le Groupe des 10 (0,3 %), ils effectueraient une petite percée, plus significative pour le second, en obtenant chacun 1 % des suffrages.

Dernière question posée aux salariés : connaissez-vous les leaders des cinq grandes centrales syndicales ? Au hit-parade de la notoriété, Marc Blondel, le plus ancien au poste de numéro un, remporte la palme, mais avec un score modeste (22 %), qui tend à s'élever avec l'âge du salarié et la taille de l'entreprise. Son homologue, Bernard Thibault, a apparemment du mal à s'imposer sur la scène syndicale, puisque 9 % seulement des salariés l'identifie à la CGT. Récemment élu à la tête de la CFDT, François Chérèque a beaucoup de chemin à faire (4 %) avant de connaître la notoriété de la très médiatique Nicole Notat. Alain Deleu, partant de la CFTC, fait un score décevant (2 %). Quant à Jean-Luc Cazettes, le patron de la CGC, c'est un peu le « syndicaliste inconnu » (0 %).

Sondage exclusif « Liaisons sociales »-Altedia réalisé du 28 au 30 septembre 2002 par CSA auprès d'un échantillon représentatif de 800 salariés inscrits sur les listes électorales prud'homales, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge, profession, type d'employeur), après stratification par sections et régions.

Météo favorable
Raymond Soubie livre son analyse du sondage « Liaisons sociales »-Altedia

Le point sans doute le plus important de l'enquête concerne la confiance que les salariés font aux syndicats pour les défendre. Celle-ci est très majoritairement partagée (près des deux tiers des opinions exprimées), largement répandue dans toutes les catégories sociales, des ouvriers aux cadres, et surtout depuis dix ans sur une pente constamment et fortement ascendante.

Ce résultat va à l'encontre d'une idée reçue : le syndicalisme serait entré dans une phase de décadence lente mais inéluctable. En réalité, cadres, ouvriers et employés craignent une situation dans laquelle le libre arbitre des directions d'entreprise, même contraintes par une législation protectrice, ne serait pas suffisamment équilibré par un contre-pouvoir syndical. Pour eux, les syndicats ont aussi à transformer les rapports de force à travers la négociation. Ils doivent être à la fois une force de soutien – et de contestation – et un relais prenant ses responsabilités dans le dialogue social.

Quelles conclusions les principaux acteurs devraient-ils tirer de cet enseignement ? Les premiers concernés sont naturellement les syndicats eux-mêmes, qui, bénéficiant d'un tel degré de confiance, devraient être rassurés. Leur problème est d'exploiter le terrain favorable et d'être plus lisibles et convaincants. L'exercice n'est pas si facile car il renvoie à des choix stratégiques. Vaut-il mieux se cantonner au rôle de force d'opposition, en un sens plus tranquille, ou se poser en réformateur en participant plus activement au dialogue social, ou rechercher un équilibre toujours fragile entre les deux ? On voit bien qu'entre tous ces possibles, les syndicats aujourd'hui hésitent. Pour le gouvernement et le patronat, la nouvelle est aussi plutôt bonne. Afin de maintenir des relations sociales régulières et constructives, il faut des partenaires reconnus par leurs adhérents et sympathisants ; or c'est le cas.

L'enquête montre une grande stabilité des votes en faveur des diverses organisations par rapport aux scrutins prud'homaux précédents. Cette continuité va sans doute éviter des changements de stratégie des confédérations qui auraient un effet déstabilisateur, alors que s'annoncent des concertations et/ou négociations complexes sur des sujets comme les retraites et l'emploi.

Il reste que trois leçons – directes ou indirectes – peuvent être tirées de notre estimation. D'abord, la CGT confirme qu'elle a arrêté presque totalement sa chute des vingt dernières années. Elle se stabilise à un niveau qui en fait, et de loin, la plus puissante des organisations syndicales en France. Son secrétaire général recueille globalement un jugement positif. Cela est la preuve que le changement dans la continuité mené par Bernard Thibault est plutôt réussi et devrait lui permettre, logiquement, de consolider sa position au cours du prochain congrès. Il reste à la CGT à franchir de nouvelles étapes dans sa réflexion sur ce qu'elle doit être demain : sans doute conserver sa force, être un syndicat de proximité, une défense et un recours en cas de coup dur – mais aussi s'ouvrir davantage aux souhaits montrés par les salariés dans d'autres enquêtes ; devenir plus concrètement une force de proposition et de transformation sociales en s'assumant comme un acteur de plein exercice engagé et constructif dans les négociations. La deuxième leçon est la poursuite de la montée des autres syndicats, c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas dans le groupe des cinq, entamée il y a bien des années et qui persiste. Ce mouvement continu montre bien que l'offre traditionnelle des syndicats les plus représentatifs ne suffit pas.

Enfin, dernière leçon, CFDT et FO pourraient, mais à tort, être déçues de cette estimation. FO se maintient, ce qui n'est jamais évident dans une élection, et son secrétaire général a une notoriété de star comparée à celle de ses collègues. La CFDT n'effectue pas de percée, recule même légèrement, et surtout ne confirmerait pas sa progression du précédent scrutin prud'homal. Pas d'alerte, donc, pour chacun d'entre eux, mais simplement quelques petits signes, rassurant pour les uns, un peu inquiétants pour les autres. On peut dire surtout que chacun, n'ayant ressenti aucun désaveu, reste assez libre de sa stratégie et capable de prendre ses responsabilités dans le dialogue social.

Auteur

  • Denis Boissard