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Un marché en quête de repères

Dossier | publié le : 01.11.2002 | S.D.

Perçu comme un moyen de booster la performance des managers, le coaching a le vent en poupe. Crise de croissance oblige, la profession s'efforce de faire le ménage en son sein, tandis que les entreprises affinent leur demande.

« Imaginez-vous dans une réunion de travail. Qu'est-ce qui va susciter votre agacement ? Pourquoi n'arrivez-vous pas à argumenter calmement ? » Une heure durant, Francis Colnot, coach associé à l'Institut français du coaching, va mitrailler son client de questions pour tenter de percer à jour son comportement professionnel. De ce jeu de ping-pong, ce dernier ressort à la fois fourbu et flatté d'avoir pu librement parler de son ego à un pro. Né outre-Atlantique il y a pratiquement vingt ans, le coaching est devenu depuis cinq ou six ans un outil de management à la mode dans les entreprises françaises. De l'industrie pharmaceutique à la métallurgie en passant par l'agriculture, l'automobile ou les services, il séduit de plus en plus les DRH français des grandes entreprises comme ceux des PME. « En deux ans, les membres de notre syndicat ont multiplié par trois leur chiffre d'affaires lié au coaching », note Éric Beaudouin, président du Syntec Conseil en évolution professionnelle. Selon la Société française de coaching, les 1 500 à 1 800 coachs recensés ont réalisé un chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros. Un marché qui pourrait peser 380 à 450 millions d'euros à l'horizon 2005. La raison de cette croissance exponentielle ? Longtemps réservé à la crème des dirigeants, le coaching se démocratise aujourd'hui à toute vitesse et concerne de plus en plus le middle management. « L'objectif est d'accompagner un salarié à un moment clé de sa vie professionnelle vers un objectif précis », résume Nicolas De Beer, coach et cofondateur de Mediat-Coaching, un portail spécialisé qui souhaite promouvoir le coaching en entreprise.

Endosser de nouvelles responsabilités, apprendre à mieux gérer les conflits, savoir prendre la parole en public ou animer une réunion sont autant de situations professionnelles fréquentes qui amènent les entreprises à payer des séances de coaching à leurs cadres. Récemment nommé responsable du développement chez un équipementier automobile, Gérard rencontre son coach une fois tous les quinze jours depuis mai dernier. « Quand je me suis retrouvé à la tête de cette équipe de 15 personnes, ma direction m'a proposé un coaching. L'idée m'a immédiatement emballé, car diriger un groupe ne s'apprend pas à l'école. Avec mon coach, j'évoque des aspects très concrets de mon travail. Par exemple, je réfléchis à ma façon de mener une réunion, de faire passer des messages, d'animer une équipe. Pour moi qui suis technicien de formation, ces échanges m'aident à acquérir une dimension managériale. »

Des « accoucheurs » de solutions

Considérées par les employeurs comme un véritable investissement, les séances de coaching sont censées aider les cadres à corriger leurs travers et, surtout, à les rendre plus à l'aise et performants dans leur travail. La pression sur les salariés s'est accentuée. La charge de travail s'est alourdie et les exigences en matière de résultat sont devenues plus fortes. Pour l'employeur, le coaching est alors perçu comme un levier de changement, une façon de booster en douceur les salariés. « Nous avons commencé à proposer du coaching aux cadres dirigeants et aux hauts potentiels en 1996, lorsque EDF-GDF a été confronté à de profondes mutations, relate François Blanc, responsable de la professionnalisation des cadres à EDF-GDF. L'outil nous a paru être un bon moyen d'aider les managers à piloter ces changements et à développer leurs capacités de leadership. »

Concrètement, grâce à un jeu de questions-réponses, le coach amène son client à trouver rapidement ses propres solutions, en se gardant de jouer les conseillers occultes. L'occasion pour des cadres surmenés de lever le nez du guidon, de faire le point sur leurs aspirations, leurs comportements. « J'ai décidé de suivre un coaching car je m'épanouissais moins dans mon travail, témoigne Marianne, productrice dans le cinéma. Au moins, pendant une heure, je peux me poser et réfléchir à ma pratique professionnelle. Parfois, mon coach ne fait que pointer des évidences, mais il lui arrive aussi de me poser des questions qui ne m'avaient jamais traversé l'esprit. Contrairement à un proche, il ne cherche pas à me ménager. Je le considère comme un outil qui me permet d'avancer plus rapidement. » Coach et fondateur de l'Ifod, cabinet spécialisé dans la formation au coaching, Olivier Devillard estime, quant à lui, que les coachs sont des « accoucheurs » : « Notre rôle est de guider nos clients dans leur réflexion. »

Les coachs refusent de jouer les psys

Mais que les adeptes de l'analyse freudienne passent leur chemin, car la plupart des coachs refusent de jouer les psys. Certains d'entre eux rechignent ainsi à aborder la vie privée de leurs coachés. « Nos clients ne peuvent pas saucissonner leur vie à ce point, estime cependant Bernard Hévin, coach et formateur au Dôjô. Certes, nous devons aider nos clients à trouver leur place au sein des entreprises, et notre porte d'entrée, c'est la sphère professionnelle. Mais ils sont libres de nous parler de leurs relations avec leur mère ou leur mari. La différence, c'est que, contrairement à un psy, nous sommes tournés vers l'avenir, nous ne faisons pas régresser volontairement le client vers son passé. » Comme les séances de coaching sont généralement prises en charge par les entreprises, dans le cadre du plan de formation, les règles du jeu sont précisées dans un contrat tripartite entre le coach, le coaché et l'employeur. Condition sine qua non d'un coaching efficace. « D'abord, le futur coaché doit choisir un coach avec lequel le courant passe bien. Puis, nous établissons un contrat dans lequel est indiqué le nombre de séances [une dizaine en général], l'objectif à atteindre et le lieu de rencontre, de préférence en dehors de l'entreprise. Surtout, nous insistons sur les règles de confidentialité et de compte rendu. Le coaché est libre de faire le point avec son supérieur hiérarchique », explique Yves Lebedel, coach à l'Institut français du coaching.

Preuve que le coaching a changé de statut, les cadres qui en font l'expérience en parlent plus volontiers et ne se considèrent plus comme des maillons faibles. « Il y a cinq ans, suivre un coaching était carrément synonyme de tare. Aujourd'hui, le sujet est moins tabou », note François Délivré, coach indépendant. Il y a même des entreprises où il est désormais de bon ton de se faire coacher. Au même titre que la voiture de fonction ou le portable professionnel, le coaching devient un signe extérieur de réussite. « Une banque propose systématiquement un coaching à ses cadres qui ont atteint un certain niveau de responsabilité. Ce genre de pratique est complètement idiot. Pour qu'un coaching porte ses fruits, il faut que cela corresponde à un réel besoin, à une demande de la part du salarié », rappelle Bernard Hévin.

Fascinés autant par le métier que par la perspective de juteux contrats, des cabinets en ressources humaines, des consultants, des psys ou des cadres en reconversion se sont proclamés coachs, sans plus de cérémonie. « Chaque article publié sur le sujet provoque une montée en puissance des vocations […]. Le coaching fait tellement fantasmer que certains s'auto désignent coach après deux jours d'initiation à la programmation neurolinguistique », écrit Gilles Forestier, auteur de Regards croisés sur le coaching (Éditions d'Organisation, septembre 2002). Résultat, le coaching, c'est un peu comme une auberge espagnole, on y trouve de tout. Le meilleur comme le pire. Sur Internet, par exemple, un farfelu propose des séances de thérapie coaching fumeuses, un autre intègre une session dans le cadre d'un voyage aux Caraïbes. L'émergence dans les pays anglo-saxons du coaching à distance, par téléphone ou Internet, laisse également perplexes bon nombre d'experts français.

À force de voir le terme aussi galvaudé, les professionnels ont fini par mettre un peu d'ordre en édictant des règles de déontologie de base. La Fédération internationale de coaching et le Syntec Conseil en évolution professionnelle ont établi leur propre charte. Mais, en France, c'est la Société française de coaching (SFC), forte de plus de 450 membres, qui se veut le meilleur garant de la profession. Créée en 1996, la SFC, qui a élaboré le label SFCoach et agréé une cinquantaine de membres, estime que le coaching « va dans le sens d'une humanisation de la performance », explique Joël Brugalières, vice-président de la SFC. C'est pourquoi la société met l'accent sur la supervision, une pratique communément admise. En clair, un coach doit se faire coacher et demander conseil à ses pairs chaque fois qu'il en ressent le besoin. Règle numéro deux : le coach s'astreint au secret professionnel absolu. Règle numéro trois : le coach s'interdit d'exercer tout abus d'influence. De nombreux coachs insistent aussi sur la nécessité d'avoir suivi soi-même un coaching ou un travail sur soi avant de se lancer. « Le fait de l'avoir vécu permet d'avoir du ressenti », juge Catherine Chambon, coach chez Eurogroup Consulting, un cabinet de conseil. « Pour être un bon coach, il faut aussi s'être trompé et avoir de l'humilité. C'est également un métier qui exige de la bouteille et une bonne expérience du monde de l'entreprise », complète-t-elle.

Ajoutez une bonne dose d'empathie et le souci de laisser son client autonome, vous obtenez le profil du coach idéal. Mais la profession recouvre encore une telle mosaïque de profils, d'approches et de techniques que les DRH ont du mal à faire leur marché. Préfèrent-ils plutôt un ancien opérationnel ou un psychothérapeute reconverti au coaching ? Les deux n'abordent pas le coaching de la même manière. Il faut qu'ils se repèrent dans le maquis des approches utilisées. Certains coachs sont des adeptes de l'analyse systémique, d'autres de l'analyse transactionnelle ou de la programmation neurolinguistique. Il leur reste ensuite à savoir s'ils veulent plutôt un coaching individuel ou d'équipe, un coaching centré sur la personne, plus adapté pour une prise de poste par exemple, ou axé sur la situation lors de conflits managériaux.

Des intervenants triés sur le volet

Face à un nombre d'intervenants et de pratiques aussi pléthoriques, les grandes entreprises éprouvent aujourd'hui le besoin d'y voir plus clair. Elles nomment des « Monsieur Coach » chargés de réfléchir à la stratégie et de sélectionner un panel de professionnels. Chez Renault, par exemple, Benoît Melet, responsable du coaching et du team building, trie sur le volet les intervenants et détermine les conditions des prestations. « Une charte fixe le cadre général et les modalités d'intervention. à titre d'illustration, les règles de confidentialité et de volontariat sont rappelées, la durée est précisée (quinze heures, pour éviter tout effet de dépendance) et le principe de réunions régulières avec l'ensemble des coachs annoncé. Par ailleurs, les coachs avec lesquels nous travaillons ont été retenus en fonction d'un ensemble de critères : une certaine maturité, une expérience managériale et une bonne connaissance de l'entreprise. Ils ont aussi réfléchi sur eux-mêmes, suivi une formation spécifique et se font superviser. »

Même chose chez EDF-GDF, où plus de 200 cadres supérieurs se sont fait coacher en 2001. « Il y a deux ans, nous avons constitué un portefeuille de coachs, explique François Blanc, responsable de la professionnalisation des cadres dirigeants. Au total, nous en avons sélectionné une vingtaine, en nous calquant sur la charte de la Société française de coaching. Nous insistons notamment sur les règles de confidentialité et de supervision. Nous avons aussi panaché les profils et les approches afin d'avoir un plus large éventail. Ainsi, les uns utilisent l'analyse transactionnelle alors que d'autres sont plutôt spécialisés dans le conseil en organisation. À chaque fin de séance, nous organisons un débriefing avec le coach et le coaché pour nous assurer que les entretiens ont porté leurs fruits. » Entre les coachs qui se professionnalisent et les entreprises qui savent mieux ce qu'elles veulent, le marché devrait s'assainir de lui-même. Et le coaching pourra être reconnu comme un vrai métier.

Auteur

  • S.D.