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Débat

Que reste-t-il des 35 heures après les aménagements de la loi Fillon ?

Débat | publié le : 01.11.2002 |

Le candidat Chirac l'avait promis. Si le gouvernement Raffarin n'a pas officiellement remis en cause la durée légale de 35 heures par semaine, il a considérablement assoupli les conditions de mise en œuvre de la réduction du temps de travail, notamment grâce à l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires. Le texte présenté par François Fillon sonne-t-il le glas des lois Aubry ? L'analyse de trois consultants.

« Le temps reste un grand chantier pour les entreprises, les partenaires sociaux et les salariés. »

PIERRE-LOUIS RÉMY Directeur général adjoint de BPI.

La loi Fillon vient à nouveau modifier le cadre légal de l'organisation du temps de travail et du salaire minimal dans notre pays. Comme le précédent, ce texte est marqué par le contexte économique et politique dans lequel il s'inscrit. En 1997, le gouvernement de l'époque constatait qu'en France la durée du travail n'avait pratiquement pas bougé depuis quinze ans, à la différence de presque tous les pays européens.

Dans la situation de l'emploi très difficile d'alors, et vu les attentes créées par la campagne électorale, il n'est pas surprenant que l'équipe au pouvoir ait choisi la pression mécanique d'une loi pour enclencher un mouvement important de réduction du temps de travail, en même temps qu'elle assouplissait un peu une législation extrêmement rigide. Au-delà de retombées macroéconomiques et sociales, cette loi a eu des effets positifs quand ont eu lieu de véritables négociations et un travail approfondi sur l'organisation. Ailleurs ont souvent dominé le désengagement, la perte d'efficacité, la rigidité ou la précarité. Certaines entreprises n'ont rien fait, parfois par opposition, souvent aussi parce que cela leur était très difficile du fait de leur taille, de leur situation économique, des compétences qu'elles employaient. La multiplicité des smics a ajouté à la complexité et à l'incompréhension.

Dès lors, un nouveau texte était inévitable. Ce qu'il faut regretter le plus, c'est le poids de l'État et du règlement dans l'organisation des garanties sociales.

L'État a naturellement son mot à dire ; il doit fixer des garanties minimales, des règles du jeu, des principes d'action, à charge pour chacun de respecter la loi, non seulement dans sa lettre mais dans son esprit. Mais l'État ne peut régler la diversité des situations et des attentes. La négociation, avec ce que cela implique de respect de l'autre, de recherche d'accord équilibré, de prise en compte de la diversité des situations, n'est pas encore complètement dans les mœurs de notre pays. C'est dans ce domaine qu'il faut construire prioritairement. Il faut souhaiter que ce nouveau texte, qui, comme les précédents, comporte une forte invitation à la négociation sociale, ne soit pas l'occasion, une fois de plus, pour une partie de se sentir en position de force par rapport à l'autre. Le temps est un enjeu majeur pour les entreprises : réduire les délais, mettre de la variabilité et de la souplesse dans l'organisation pour mieux répondre aux clients. C'est aussi un élément essentiel des conditions de vie des salariés, ce qui est important si on souhaite qu'ils soient motivés et mobilisés. C'est donc un terrain d'innovation dans l'organisation, en même temps que de recherche de compromis. Souhaitons que les débats sur la loi n'occultent pas cet enjeu essentiel. Le temps est aussi une occasion privilégiée de mettre le salarié en projet par rapport à son entreprise, à ses objectifs personnels. Cet élément a été évacué des textes et des débats : aucune incitation personnelle, par exemple, sous forme de baisse des cotisations pour les salariés qui choisissent une diminution individuelle de leur temps de travail, et finalement peu d'attention à cet outil de l'épargne temps qui pourrait permettre à chacun de construire son projet durant sa vie active. Le temps reste un grand chantier pour les entreprises, pour les partenaires de la négociation sociale et pour les salariés.

« Ce n'est pas la fin des 35 heures, mais celle du mouvement de réduction collective. »

JEAN-PIERRE GAUTHIER Associé du cabinet ASG Conseil, stratégie et gouvernance sociale.

Dans le dispositif Fillon, le volet sur le temps de travail se présente comme un moratoire sur les 35 heures et fait consensus chez les décideurs de tout bord, persuadés, à droite comme à gauche, que les 35 heures sont vraiment trop compliquées pour les TPE. Il ne s'agit pas évidemment d'enterrer la loi Aubry II : on pourra compter sur les doigts des deux mains les entreprises qui, ayant effectivement déjà réduit le temps de travail, profiteront du nouveau dispositif pour remettre en cause les modalités de leur RTT. Il se peut que les salariés de ces entreprises travaillent plus en moyenne annuelle, grâce à l'augmentation du contingent, mais s'ils disposent de 23 jours de RTT, qu'ils se rassurent : leur dixième semaine de congés payés restera un avantage bien acquis. Avec une évidente volonté de simplification et de cohérence, François Fillon rend plus facile ce que la loi Aubry II permettait jusqu'en 2004 : organiser le temps de travail sur une base de 39 heures hebdomadaires en moyenne annuelle. Il n'est plus nécessaire de modifier l'organisation du travail et on peut, en pratique, continuer (presque) comme avant. Comment oublier que Lionel Jospin avait déjà donné son accord sur ce moratoire en élevant pour les PME le contingent à 180 heures dès l'été 2001 ! Au final, cependant, le temps de travail en France aura bien été réduit puisque l'augmentation du contingent ne compense pas la baisse de la durée légale. C'est la neuvième semaine de congé qui est interdite aux salariés des petites entreprises. Mais on a tellement peu de chances de les voir dans la rue… Avec la bénédiction des partenaires sociaux qui souhaitaient dans une belle unanimité qu'on mette un terme au « mécanisme antisocial », quoique voté par la gauche, des multiples smics, le gouvernement a décidé d'harmoniser les garanties mensuelles et d'augmenter le smic horaire de 11,4 % en trois ans. On ne pouvait le faire qu'en supprimant la garantie mensuelle de rémunération que la loi Aubry II accordait à tous les smicards dont le temps de travail était réduit. La conséquence de cette suppression est en théorie de permettre aux nouveaux candidats à la RTT de passer aux 35 heures en réduisant la rémunération des smicards et en pratique de convaincre toutes les PME… de ne pas être candidates. Ce n'est pas la fin des 35 heures, mais c'est clairement la fin du mouvement de réduction collective. Depuis dix ans, toutes les lois sur le temps de travail cherchaient à inciter les entreprises, de façon plus ou moins coercitive mais de moins en moins convaincue, à réduire le temps de travail pour créer des emplois. Les aides furent ainsi d'abord subordonnées à la création proportionnelle d'emplois (Robien), ensuite à une création non proportionnelle (Aubry I), puis à la seule réduction du temps de travail (Aubry II) et désormais au seul niveau de salaire (Fillon), indépendamment de la durée du travail. Avec le volet des aides, le gouvernement Raffarin met ainsi un point final à l'expérience française du partage du travail auquel plus personne ne semble croire encore.

« Ce projet de loi est l'expression d'un gouvernement qui ne croit pas aux vertus de la RTT. »

CHRISTIAN BOURGOUIN Manager senior à Algoé Consultants.

À la fin 2001, 53 % des salariés avaient vu leur temps de travail réduit en application de la loi Aubry. Cela représente plus de 90 % des salariés des entreprises de plus de 200 salariés mais moins de 10 % de celles de 20 salariés ou moins. On peut se demander si ces entreprises, parvenues, parfois péniblement, à un accord négocié, auront spécialement envie de remettre en cause le nouvel équilibre, même si la loi ou leur branche le leur permet.

Parmi les entreprises non encore passées aux 35 heures, on en rencontre, essentiellement parmi les plus petites, qui sont confrontées à de réelles difficultés de compréhension du dispositif actuel et de mise en œuvre. Le projet de loi Fillon, en apportant de la simplification et en supprimant de la rigidité, leur donne incontestablement une réponse, mais il va bien au-delà. Tout en maintenant la durée légale hebdomadaire à 35 heures, il engage un dispositif qui privilégie le travail supplémentaire payé plutôt que récupéré et révise en profondeur tout ce qui pouvait se traduire par de la réduction du temps de travail. La non-distinction des huit premières heures supplémentaires et le paiement de leur majoration en salaire permet d'éviter les « récupérations » et remplacements et le contingent légal d'heures supplémentaires augmenté, par décret, de 50 heures va permettre de satisfaire en interne des besoins de capacité de production. Généralisé, il laisserait de fait le temps de travail à 39 heures en moyenne annuelle. Ce contingent, dorénavant unique, permet à chaque branche de définir librement le niveau plafond des heures supplémentaires et, du même coup, celui du déclenchement des repos compensateurs dus aux salariés. Par mesure d'homogénéisation, les entreprises entre 10 et 20 salariés bénéficient d'une diminution de 50 % dans l'application du repos compensateur obligatoire au-delà du contingent. La généralisation de l'annualisation à 1600 heures permet, en supprimant la référence à l'horaire hebdomadaire, d'échapper aux contraintes de programmation. Enfin, l'assouplissement de la définition des cadres au forfait permet d'étendre l'application de ce dispositif qui évite la comptabilisation en heures et donc la prise en compte des heures supplémentaires.

Ne nous y trompons pas. Au regard de l'impulsion donnée par le texte actuel, avec un décret d'application qui fixe les règles sur dix-huit mois et un allégement de charges d'ores et déjà promis à toutes les entreprises, qu'elles appliquent ou non un accord de RTT, il s'agit bel et bien d'un changement d'orientation. Le projet de loi Fillon prône un élargissement de la place de la négociation collective et renvoie la majorité des décisions à des accords de branche étendus, réduisant l'intervention de l'État. Ce choix est plutôt positif mais il pose directement la question de la représentation des partenaires sociaux et de leur capacité à négocier en partant d'un rapport de force aujourd'hui très variable selon les branches. Plus qu'une simple réponse à des entreprises en quête de simplification et de souplesse, ce projet de loi est l'expression politique d'un gouvernement qui, contrairement au précédent, ne croit pas aux vertus de la réduction du temps de travail pour créer des emplois et mise tout sur la réduction des charges.