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Vie des entreprises

Ex-dieux du stade en quête de job

Vie des entreprises | publié le : 01.10.2002 | Sarah Delattre

Hormis une poignée de stars, pas question pour les sportifs de haut niveau d'espérer vivre de leurs rentes une fois rangés les crampons. Faute d'anticipation, la descente du podium peut être rude. Mieux vaut donc mener de front sport et travail. Une double carrière difficile à gérer, pour les athlètes et les employeurs.

À l'Élysée, les médaillés olympiques se passent le témoin. C'est en effet l'ancienne championne de judo Marie-Claire Restoux, double championne du monde en 1995 et 1997 et couronnée d'or à Atlanta en 1996, qui est devenue conseillère technique chargée de la jeunesse et des sports de Jacques Chirac. En lieu et place de l'escrimeur Jean-François Lamour, nommé ministre des Sports dans le gouvernement Raffarin. Un retour aux sources pour la sixième dan de judo, qui avait entamé sa reconversion après une décevante neuvième place aux Mondiaux 2001. C'est en jouant de son image et de son carnet d'adresses que Marie-Claire Restoux a trouvé un point de chute. « Cela faisait déjà deux ans que je préparais l'après-judo. En 1999, lors d'une compétition, j'avais eu l'occasion de rencontrer le directeur général d'ISS-Abilis, un groupe spécialisé dans la propreté et les services aux entreprises, et je lui avais avoué mon intention de devenir attachée de presse. En réponse, il m'a proposé de développer leur service de communication. C'était donnant-donnant : il m'offrait un poste et, en retour, je lui permettais d'utiliser mon nom. »

Hormis les Zidane, Michael Jordan et autres McEnroe, ces dieux du stade qui peuvent prétendre vivre de leurs rentes une fois joué leur dernier match, la majorité des sportifs, même de haut niveau, sont forcés de penser au lendemain. La plupart d'entre eux tentent naturellement de rester dans leur domaine de prédilection et endossent le maillot d'entraîneur, de directeur technique, de consultant ou de journaliste sportif. Rompus aux relations publiques, d'aucuns s'orientent vers la communication. D'autres encore profitent des relations nouées lors des grands événements sportifs pour rejoindre un sponsor.

L'adieu aux stades

C'est le cas de Jean-Marc Valadier, ancien joueur de football professionnel, de la génération Platini, devenu directeur d'exploitation chez Nicollin, une entreprise de 3 000 salariés spécialisée dans la collecte des déchets. Fondateur du groupe éponyme, Louis Nicollin a pris l'habitude de recueillir d'anciens footballeurs du club de Montpellier, qu'il préside. « J'avoue que je n'ai jamais vraiment pensé à ma reconversion. Louis m'avait promis de m'embaucher lorsque je ne pourrais plus jouer, alors je ne me suis pas trop inquiété », reconnaît Jean-Marc Valadier. Le choc a pourtant été rude pour cet ancien attaquant qui a vu son salaire fondre comme neige au soleil. « J'ai joué mon dernier match le 30 juin 1989. Le lendemain, à 5 heures du matin, je me suis retrouvé derrière une benne à ordures pour m'habituer à mon nouveau job. La transition a été dure », se souvient-il.

Un changement de vie radical, qui en tourneboule plus d'un. La rumeur des stades n'est plus qu'un lointain souvenir, et les champions hier applaudis se retrouvent brutalement plongés dans l'anonymat le plus complet. « Notre vie était rythmée par les matchs et les entraînements. Nous n'avions à nous soucier de rien, notre coach et l'équipe technique réglaient tous les détails matériels, se souvient Jean-Marc Djian, hockeyeur sur glace jusqu'aux jeux Olympiques d'hiver de 1992, aujourd'hui responsable marketing chez Salomon, le célèbre fabricant de skis d'Annecy. C'était une période vraiment géniale ! On gagnait bien notre vie, on n'arrêtait pas de voyager, de dormir dans les plus beaux hôtels. Mais on vivait en vase clos, sans avoir la moindre idée de ce qu'était le monde du travail. » Pour lui aussi, le retour sur terre a été brutal. C'est en suivant une formation en management à l'École supérieure de commerce de Lyon que Jean-Marc Djian a remis le pied à l'étrier.

Refaire ses preuves

Chatouillés par un ego souvent démesuré, les athlètes ont le plus grand mal à repartir de zéro et se voient plutôt devenir patrons par la seule grâce de leurs exploits sportifs. « Les deux ou trois premières années de ma réinsertion n'ont pas été évidentes. Il faut faire le deuil d'une partie de soi, prendre un nouveau départ. Quand j'ai commencé à travailler, j'ai dû refaire mes preuves, avec un salaire descendu de plus de 3 000 à moins de 1 400 euros », se rappelle Éric Bouvier, un gaillard de 1,96 mètres qui a abandonné le volley-ball en 1992, après les JO de Barcelone. Son palmarès sportif et, surtout, les études de pharmacie puis de commerce qu'il a menées parallèlement, lui ont servi d'assurance contre le chômage. Devenu directeur opérationnel chez Adia, il supervise aujourd'hui une centaine d'agences d'intérim dans l'est de la France.

La reconversion est un moment d'autant plus difficile à vivre qu'elle n'est pas anticipée et préparée plusieurs années à l'avance. Obnubilés par les records et les performances sportives, en traîneurs et clubs mettent une telle pression sur leurs protégés que ces derniers n'ont guère le loisir de penser au lendemain. « Dans les clubs de football ou de basket comme dans le tennis, les joueurs n'ont pas toujours le temps de suivre une formation diplômante qui les aiderait au moment de leur réinsertion. La trentaine passée, ils se retrouvent sur la touche, souvent après une blessure, sans avoir réfléchi à leur reconversion. Or, plus ils attendent et plus les risques de marginalisation sont élevés », regrette l'ancien gymnaste André Camilli, professeur chargé de l'accompagnement des sportifs de haut niveau à l'École de management de Lyon.

Une overdose de vélo

Fort heureusement, les responsables sportifs ont pris conscience que la réinsertion professionnelle des champions était un sujet sérieux, méritant toute leur attention. En juin dernier, la Ligue nationale de rugby (LNR) a signé une convention avec l'Afpa. Objectif : permettre aux rugbymen en fin de carrière de préparer leur reconversion en suivant une formation qualifiante adaptée à leur emploi du temps. « Quand le rugby était encore amateur, la réinsertion ne posait pas de problème puisque les clubs se débrouillaient pour trouver un travail à leurs joueurs. Maintenant que les rugbymen sont passés professionnels, la génération montante, qui consacre tout son temps au sport, risque de rencontrer plus de difficultés », souligne Emmanuel Eschalier, administrateur de la LNR. Quant à la Fédération française d'athlétisme (FFA), elle a mis en place une cellule chargée de l'insertion socioprofessionnelle des 385 athlètes de l'équipe de France. « Seuls 10 athlètes en France peuvent espérer vivre un temps de leurs rentes une fois terminée leur carrière sportive. C'est la raison pour laquelle nous veillons à ce qu'ils poursuivent parallèlement des études ou une activité professionnelle », insiste Élisabeth Vaillant, chargée du suivi socioprofessionnel à la fédération.

Car la clé d'une reconversion réussie réside finalement dans un adage bien connu : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. « Mener un double projet, sportif et diplômante par exemple, peut être assez équilibrant, juge José Marajo, ancien coureur de demi-fond chargé des relations interministérielles et de l'animation du réseau national des sportifs de haut niveau au ministère des Sports. Suivre une formation réduit les incertitudes sur l'avenir professionnel. L'esprit plus libre, l'athlète peut gagner en performance. » Ainsi, les sportifs de haut niveau qui concilient une carrière sportive et professionnelle ont toutes les chances de rebondir plus facilement. Du reste, beaucoup n'ont pas le choix, car le sport ne nourrit pas toujours son homme.

Sur les 6 103 sportifs de haut niveau reconnus par le ministère des Sports, 45 % ont un travail salarié en parallèle. « En faisant jouer mes relations, j'ai pu intégrer EDF en 1992 comme technicien logistique », raconte Philippe Ermenault, ancien cycliste sur piste qui, à force de pédaler par tous les temps, a fini par faire une overdose de vélo. En 2000, il décida d'abandonner, après les Jeux de Sidney. « Mais le fait de mener déjà de front sport et travail m'a permis de me réinsérer plus facilement. Quand j'ai arrêté le cyclisme, je me suis mis à travailler à plein temps. Mon seul regret est d'avoir abandonné les études en première. Ça m'a ralenti dans ma carrière professionnelle. »

Surtout, les qualités de gagnant que les sportifs sont censés développer sont appréciées des entreprises : l'esprit de challenge, l'endurance, la combativité sont autant de compétences transférables dans le monde du travail. « Le volley a été une bonne école de management. Il m'a appris à travailler en équipe, à gérer des moments de stress, à encaisser les victoires et les défaites », résume Éric Bouvier, chez Adia. Gérald Rios, président d'Entreprendre et Sport, une association rhônalpine qui rapproche les athlètes des entreprises, estime même que « les sportifs de haut niveau ne savent pas vendre les compétences qu'ils acquièrent dans leur discipline. Ils doivent plus mettre en avant leur bagage sportif ».

Avoir un cerveau, c'est mieux !

Avec le risque de servir de simples vitrines, de porte-drapeau d'entreprises en mal de publicité. « Quand un employeur vient me voir en m'annonçant qu'il veut absolument recruter des sportifs de haut niveau, je commence par lui demander quelle compétence il recherche. Car le statut d'athlète ne correspond à aucun métier dans un établissement. L'insertion professionnelle des sportifs ne peut réussir que s'ils sont embauchés avant tout sur leurs connaissances techniques », prévient André Camilli. Avoir des muscles c'est bien, avec un cerveau, c'est encore mieux ! Certaines sociétés recrutent d'ailleurs des sportifs avant tout pour leurs compétences et, seulement ensuite, pour l'image qu'ils peuvent véhiculer. Vivendi Environnement, par exemple, ne recrute qu'à partir de bac + 2 minimum. Parmi eux ? L'athlète Haydi Aron, spécialiste du saut de haies. « Notre ambition est de leur offrir une véritable insertion professionnelle, pas un poste au rabais. Nous avons les mêmes exigences en termes déformation initiale et d'expérience que pour n'importe quel autre agent », explique Bernard Cognat, responsable de l'insertion des sportifs de haut niveau à la SNCF.

L'entreprise publique, qui accueille des sportifs depuis une vingtaine d'années, a signé une nouvelle convention en 2001 avec le ministère des Sports afin de leur réserver 30 postes. Avec une préférence pour le triathlon, le cyclisme ou encore la natation, des sports appréciés par les cheminots. La cycliste Cathy Moncassin, championne de France en 2002, le triathlète Frédéric Belaubre, l'athlète Élisabeth Grousselle, médaillée de bronze aux championnats d'hiver 2002, représentent ainsi les couleurs de la SNCF. De leur côté, Gaz de France et La Poste privilégient plutôt les champions d'athlétisme. La RATP, plus éclectique, accueille une dizaine de sportifs issus de diverses disciplines. Au hasard du métro parisien, les usagers peuvent aussi bien tomber nez à nez avec Philippe Bendjoudi, champion de France de lutte gréco-romaine en 2000, qu'avec le marcheur Denis Langlois, arrivé sixième aux Jeux européens de Munich. Bouygues Off Shore affiche une légère préférence pour l'escrime et compte dans ses rangs Valérie Barlois, championne olympique de fleuret à Atlanta. Mais même si quelques bienheureux bénéficient d'aménagements horaires, les candidats ne doivent pas se méprendre : jongler entre deux emplois du temps exige une discipline de fer.

Un package sport-études-emploi

Côté employeur le recrutement de profils aussi atypiques implique une gestion fine de l'intégration, de la formation et des carrières. « Une fois recruté, le sportif nous présente un calendrier prévisionnel de ses compétitions et nous nous arrangeons pour adapter son emploi du temps. Quand il arrive au terme de sa carrière sportive, nous faisons le point avec lui sur l'évolution de ses ambitions pour lui assurer une meilleure réinsertion en interne », indique Bernard Cognat. Il y a trois ans, Vivendi Environnement a opté pour un package « sport-études-emploi ». Objectif : insérer une vingtaine de sportifs tout en leur permettant de décrocher une maîtrise en management international de service urbain, en partenariat avec l'université de Cergy-Pontoise. « Il s'agit de les préparer à la gestion d'un centre de profits », précise Christian Dapilly, directeur de la formation chez Vivendi Environnement. Du coup, les champions se retrouvent avec un emploi du temps de ministre ! Un tiers du temps au travail, un autre sur les bancs de la fac, l'autre à l'entraînement ou en compétition. « Cela nous permet d'enrichir les profils recrutés, mais c'est compliqué à gérer car, en général, le manager, l'entraîneur et le prof se plaignent de ne pas les voir assez », conclut Christian Dapilly. Mais, à l'arrivée, les esprits sains dans des corps sains font généralement d'excellentes recrues.

Statuts sur mesure pour doubles carrières

Jusqu'à l'année dernière, Hanane Sabri-Baala, jeune athlète de 26 ans, courait du matin au soir. Du fabricant de chaussures Adidas, où elle travaille comme contrôleuse de gestion, au stade de Strasbourg, où elle s'entraîne sur 800 et 1 500 mètres. Le rythme s'est un peu ralenti cette année, depuis qu'elle travaille à mi-temps, sans perte de salaire. Un arrangement rendu possible grâce à la loi sur le mécénat, modifiée en 2000. Un employeur qui accepte de libérer un athlète sur son temps de travail peut déduire le manque à gagner dû à ces absences répétées de ses bénéfices, dans la limite de 2,25 ‰ du chiffre d'affaires. D'autres dispositifs aident les sportifs à mener de front une double carrière. Parmi eux, la convention d'insertion professionnelle (CIP), lancée en 1982. Cette formule permet aux sportifs de haut niveau inscrits sur les listes du ministère des Sports de travailler à mi-temps en percevant un salaire plein. En guise de compensation, l'entreprise touche une prime de l'État d'un montant variable, à laquelle peuvent s'ajouter des aides des conseils régionaux et des fédérations sportives. En 2001, 400 sportifs en ont bénéficié. En 1996, le ministère des Sports et l'Agefos-PME ont décidé d'impulser la formation par alternance en développant le « contrat trois temps », expérimenté en Ile-de-France depuis plus de dix ans. Les sportifs passent alors un tiers de leur temps à se former, un autre à travailler, le dernier à s'entraîner. Sur le plan local, la plupart des directions régionales et départementales de la jeunesse et des sports financent aussi des bilans de compétences pour les sportifs en fin de carrière. Enfin, en amont, les graines de champions peuvent profiter d'aménagements dans leur emploi du temps scolaire ou universitaire pour poursuivre leurs études.

Auteur

  • Sarah Delattre