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Vie des entreprises

Embûches de l'embauche

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.10.2002 | Jean-Emmanuel Ray

Pas facile de recruter. Car cet acte courant est de plus en plus encadré. L'employeur devra au préalable ne pas négliger les obligations de reclassement ou de réembauchage qui lui incombent, ensuite respecter la parole donnée dans une promesse d'embauche, cela sans oublier de bien veiller à la licéité des clauses de non-concurrence ou de dédit-formation.

Si le recrutement est l'acte le plus important pour l'entreprise à une époque où ses collaborateurs constituent son véritable capital, il repose avant tout sur des considérations extrajuridiques. Mais loi et jurisprudence montent aujourd'hui en puissance.

A. – Suspension des embauches

Toute vacance de poste exige en France un triple examen en amont du recrutement, a fortiori depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

a) Respect de l'obligation de reclassement, le cas échéant au sein du groupe international en cas de projet de licenciement économique individuel ou collectif (un plan insuffisant peut désormais aboutir à une indemnisation de douze mois minimum de salaire par salarié). Un gel préventif des embauches est alors la solution la plus prudente, mais souvent difficile à mettre en œuvre (baronnies locales, pratiques d'évitement dans nombre de groupes). Un arrêt du 20 juin 2002 reproche ainsi à l'employeur de s'être abstenu de produire aux prud'hommes le livre des entrées et des sorties du personnel, qui pourrait amener le juge à s'intéresser à la seconde obligation.

b) Respect de la priorité de réembauchage dans les douze mois de la rupture pour motif économique : « Un employé libre-service avait été embauché moins d'un mois après le licenciement de M. D., et la société X ne fournissait pas d'explications sur la raison pour laquelle ce poste, compatible avec sa qualification, ne lui avait pas été offert » (Cass. soc., 26 juin 2002).

c) Cette priorité de réembauchage devra, le cas échéant, se conjuguer avec l'éventuel réemploi de salariés dont la suspension du contrat se termine (congé maternité, parental…), ces derniers devant logiquement avoir… priorité.

B. – Rupture avant tout commencement d'exécution du travail

La liberté constitutionnelle de choisir ses collaborateurs, encadrée par une liste des discriminations prenant chaque année un peu plus d'embonpoint (art. L. 122-45, loi du 16 novembre 2001 : « apparence physique, âge, patronyme » ; loi du 4 mars 2002 : « caractéristiques génétiques »…), permet, dans le respect de la loi informatique et libertés (cf. recommandation Cnil du 21 mars 2002, www.cnil.fr), une sélection des candidats dont certains démissionnent alors de leur poste. Or il n'est pas exclu qu'une fusion, cession ou autre restructuration-surprise aboutisse à une consigne de suspension de tout recrutement à effet immédiat. Quid du candidat ayant passé trois entretiens, puis reçu une lettre d'embauche ?

1° Embauche ferme, ou simples pourparlers ?

La jurisprudence sociale a pris ici une position favorable aux intérêts du futur salarié. Si, à l'évidence, un contrat de travail en double exemplaire daté et signé engage la société, il en va de même pour une promesse unilatérale d'embauche (Cass. soc., 6 mai 2002), tout comme la classique lettre de confirmation à la suite d'un entretien, alors qu'en l'espèce elle ne comportait ni date de prise de fonctions ni poste attribué (Cass. soc., 4 décembre 2001).

2° Sanction d'une rupture fautive

« Regrettant de ne pouvoir donner suite à notre proposition… » : très désagréable surprise pour le chômeur heureux d'accéder enfin au marché du travail ; désarroi du salarié démissionnaire d'un précédent emploi, désormais demandeur d'emploi privé d'indemnisation chômage. Sans doute choquée par la multiplication de ces pratiques, la Cour de cassation a dans deux arrêts récents modifié sa position : et comme souvent aujourd'hui, la situation d'un CDD est plus enviable que celle d'un CDI.

a) Contrat à durée déterminée : son ancienne précarité au carré est depuis le revirement du 12 mars 2002 légitimement remplacée par le respect de la parole donnée s'agissant d'un cas, hélas, peu emblématique pour le droit social. Évincée in extremis par une jeune actrice malgré un CDD dûment signé, « et peu important que l'exécution du contrat ait, ou non, commencé », la starlette Mlle M. D. a obtenu (de l'AGS, hélas !) près de 800 000 francs d'indemnisation, correspondant à l'ensemble des salaires qu'elle aurait dû percevoir pour le tournage, et son indemnité de fin de contrat. Revirement, donc, par rapport à l'arrêt du 27 octobre 1993 (« Le CDD n'ayant pas reçu le moindre commencement d'exécution, l'article L. 122-3-8 ne s'appliquait pas ») : la Cour pensait sans doute que l'ex-futur employeur aurait pu faire travailler la salariée un jour en période d'essai et rompre immédiatement celle-ci.

b) Même respect de la parole donnée s'agissant du contrat à durée indéterminée, à une époque de chômage important, avec deux arrêts. Cass. soc., 27 février 2002 : « La lettre précisant l'emploi proposé (chauffeur de poids lourd) et la date d'entrée en fonctions (1er septembre), il s'agissait d'une promesse d'embauche ferme engageant la société. » Conséquence : « La rupture fautive ayant nécessairement causé un préjudice », l'entreprise doit réparation intégrale. Cass. soc., 6 mai 2002 : une stagiaire obtient une promesse d'embauche à laquelle l'employeur ne donne finalement pas suite. Alors que les juges du fond avaient refusé toute indemnisation puisque « Mme K. n'avait ni quitté un emploi précédent ni renoncé à une autre proposition », la Cour de cassation constate que « la rupture fautive avait nécessairement causé un préjudice ».

c) Mais quelle qualification donner à cette résiliation d'origine patronale, pour un CDI hors période d'essai ? Il s'agit d'un licenciement (Cass. soc., 2 février 1999), non inhérent à la personne : donc économique. Procédure : si plus de 10 ex-collaborateurs sont visés, la société devrait-elle monter en amont un « plan de sauvegarde de l'emploi » façon loi de modernisation sociale, avec passage aux 35 heures et peut-être même quelques préretraites… pour des « employés » virtuels puisque n'ayant jamais rejoint leur emploi ? C'est alors au titre de l'obligation de reclassement ou de réembauchage (voir supra) qu'ils finiront par travailler. Fond : quelle cause réelle et sérieuse sans lettre de notification d'un licenciement économique ?

C. – Clauses de fidélisation

Ce n'est sans doute pas un hasard si la chambre sociale a reformaté en 2002 deux clauses à la frontière du droit de la concurrence et de celui du travail, visant la fidélisation des (meilleurs) collaborateurs.

1° Les trois conditions de licéité de la clause de dédit-formation

Si la « pantoufle » est bien connue des jeunes hauts fonctionnaires rejoignant le secteur privé après une formation ayant coûté fort cher au contribuable, la clause de dédit-formation apparaît aussi légitime qu'indispensable aux entreprises investissant des sommes considérables en formation pour un jeune collaborateur (stage d'un an aux États-Unis, formation de six mois au pilotage d'un nouvel appareil) et se refusant à voir la concurrence lui soustraire immédiatement après ce cher haut potentiel.

Signée avant le départ en formation et donc souvent dès l'embauche (Cass. soc., 21 mai 2002, consacrant la licéité de cette pratique), la clause de dédit-formation prévoit un remboursement des sommes ainsi investies par l'entreprise pendant un délai déterminé (souvent deux à quatre ans). De quoi faire réfléchir, à l'instar de sa sœur jumelle la clause de non-concurrence, le salarié chassé mais aussi le chasseur.

Au-delà du détournement de pouvoir (la clause n'étant créée que « dans le but de stabiliser un mouvement de personnel dû à des conditions de travail particulièrement difficiles », Cass. soc., 4 juin 1987), la question est qu'en droit français « la formation professionnelle constitue une obligation nationale » comme le proclame l'emphatique article L. 900-1. Concrètement, toute société doit consacrer à la formation continue un pourcentage minimal de sa masse salariale : or des clauses de dédit-formation habilement gérées permettraient un retour à l'entreprise des sommes ainsi investies en cas de départ du collaborateur, a fortiori si elles étaient admises en cas de licenciement (ce qui n'est pas le cas). Il faut d'autre part pouvoir séparer simple exécution du devoir d'adaptation (légalisé par l'article L. 932-2) et formation supplémentaire (en l'espèce, l'habilitation « commandant de bord »).

Au visa de l'article 1134, l'arrêt du 21 mai 2002 a rappelé les trois conditions jurisprudentielles de licéité d'une clause de dédit-formation.

a) Elle doit « constituer la contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ». La première question du juge portera donc sur le montant global consacré par l'entreprise à la formation : s'il est inférieur à 1,5 % (art. L. 951-1), tout remboursement est exclu. Mais les entreprises en cause sont souvent plus proches de 5 %, voire 8 % que de ce taux minimal.

b) « Le montant de l'indemnité de dédit doit être proportionné aux frais de formation engagés. » Les clauses au montant trop rond (« 100 000 euros la première année ») seront donc examinées avec méfiance, car elles correspondent rarement aux frais réels effectivement engagés. La formation s'amortissant par ailleurs au fil des années, une dégressivité apparaît nécessaire : la Cour de cassation estime en effet que si le montant est manifestement excessif, le juge peut le réduire.

c) La clause de dédit-formation ne doit enfin pas « avoir pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner ». Si, dans la plupart des cas, elle a pour objet de calmer les ardeurs du collaborateur désireux de passer à la concurrence, un dédit et une durée manifestement excessifs porteraient atteinte à la liberté fondamentale de « retrouver sa liberté », c'est-à-dire de démissionner.

2° Les cinq conditions de licéité de la clause de non-concurrence

Si les trois arrêts du 10 juillet 2002 (cf. www.courdecassation.fr) constituent un revirement, ce dernier n'est pas vraiment une surprise : depuis l'arrêt du 14 mai 1992 (l'illustre laveur de carreaux Godissart), la chambre sociale n'avait cessé de montrer sa défiance à l'égard de cette clause pouvant provoquer le chômage d'un salarié non seulement démissionnaire, mais également licencié, clause par ailleurs pas toujours conforme au principe de proportionnalité énoncé à l'article L. 120-2 et qui, enfin, constitue un frein à la mobilité professionnelle.

Ne pouvant être imposée au salarié après la rupture même si le contrat initial le prévoit (Cass. soc., 12 février 2002), la clause de non-concurrence n'est aujourd'hui licite « que si » : a) elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; b) elle est limitée dans le temps ; c) dans l'espace ; d) elle tient compte des spécificités de l'emploi concerné ; e) elle comporte une contrepartie financière pour le salarié. « Ces cinq conditions cumulatives » (allant donc beaucoup plus loin que la chambre commerciale pour les agents commerciaux : Cass. comm., 4 juin 2002, SARL CBI) devraient à l'avenir limiter considérablement le nombre des clauses de non-concurrence… et donc le contentieux.

Si l'obligation d'une contrepartie financière est la seule véritablement nouvelle, elle pourrait mettre les entreprises n'en ayant pas prévu dans un grand embarras. Sur le plan individuel : invoquant la nullité rétroactive de sa clause, leur titulaire n'est pas obligé d'accepter la contrepartie que l'employeur lui proposerait pour la faire revivre (modification du contrat) : il peut immédiatement partir à la concurrence sans commettre de faute. Si l'entreprise choisit la voie de la négociation collective (forcément plus longue), le rapport de force est alors très favorable aux syndicats puisque la clause ne peut désormais être licite que s'ils en acceptent le principe… et le niveau de la contrepartie. Toutes ces chaînes juridiques de fidélisation sont désormais étroitement contrôlées : restent les fleurs. À chaque entreprise de composer son bouquet personnalisé.

FLASH
• Définition du temps de repos effectif

Le 10 juillet 2002, l'arrêt Slec/Sté Dalkia a exclu qu'une astreinte par téléphone portable le week-end puisse être considérée comme temps de repos, prenant à juste titre le contre-pied de la CJCE (arrêt Simap, 3 octobre 2000) : comment une « astreinte » pourrait-elle ne pas être « astreignante » ? S'il était entendu depuis l'arrêt Dinoto du 4 mai 1999 qu'une astreinte « à domicile ou à proximité » ne peut être considérée comme temps de travail effectif, faut-il en déduire qu'il s'agit d'un temps de repos ? « Repos : toute période qui n'est pas du temps de travail » : la définition binaire du droit communautaire apparaît un peu primaire : prendre le métro à 18h 30 n'est vraiment pas de tout repos.

Est désormais posée la question de la licéité des astreintes à domicile de nuit et surtout de week-end, quelle que soit la contrepartie proposée puisqu'il s'agit de santé et de sécurité. Double mérite de cet arrêt : créant le droit à la déconnexion, il définit, pour la première fois positivement, le temps de repos pendant lequel « le salarié doit être totalement dispensé directement ou indirectement, sauf cas exceptionnel, d'accomplir pour son employeur une prestation de travail, même si elle n'est qu'éventuelle ou occasionnelle ». Reste à analyser l'incise « indirectement », qui semble nous renvoyer à une astreinte banalisée, non prévue par le Code : l'obligation de résultat qui permet au travailleur du savoir de travailler « quand il veut, où il veut ». Et quand une idée nous travaille…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray